A vos Tablettes !

A l’occasion d’une visite à la dernière grande exposition organisée par les antiquités orientales du musée du Louvre, j’ai été le témoin d’une scène troublante. Face à la statue du scribe Dudu, grand maître des tablettes d’argile qui exerçait son métier en Mésopotamie au milieu du IIIe millénaire avant J.-C., se tenait un jeune étudiant des beaux-arts le dessinant du bout des doigts sur sa tablette numérique : véritable mise en abîme de deux pratiques parallèles séparées par 5.000 ans ! Cette réinvention, ouvrant un nouvel âge d’or des tablettes quelques millénaires plus tard, nous a même surpris lorsqu’Apple lança en 2010 son iPad avec le succès que l’on sait. Ce n’était pourtant pas la première du genre, loin s’en faut. Sans parler des apparitions dans la série Star Trek, la première tablette numérique, Dynabook, fut imaginée par Alan Kay dès 1968 avec quasiment tous les attributs qui ont fait leur succès : un ordinateur sans fil de type notepad doté d’un écran tactile, disposant de capacités de stockage propres et à la portée des enfants, afin de contribuer à leur apprentissage.

« Tablette du futur : matériau redimensionnable, écran holographique avec toucher par ultrason, coque alliant nanomatériaux et photovoltaïque, scanner et caméra. Et visiophone 3D ? »

Il a cependant fallu attendre 1987 pour qu’apparaissent, bien réels, les premiers terminaux de ce type : d’un côté, le Cambridge Z88 qui était en fait un logiciel de traitement de texte équipé d’un écran LCD monochrome ; de l’autre, le Linus Write-Top qui s’apparentait à une dalle tactile à reconnaissance d’écriture avec son stylet. Les vingt années suivantes furent très actives, mais avec de rares succès. Ce fut d’abord le temps des start-up, avec GRiD Systems Corporation qui lança son GRiDPad en 1989, premier ordinateur à écran tactile, suivi dans l’aventure par des Archos ou des PaceBlade. Si certains leaders ont très tôt testé le marché, à l’instar de Fujitsu avec son PoqetPad en 1991, les choses ne se sont vraiment accélérées qu’au milieu des années 2000, avec l’entrée en lice des Asus, Samsung, Sony et autres Nokia. Même un Lenovo présentait en 2010 une vidéo montrant l’un des premiers ThinkPad, celui créé chez IBM au début des années 90.
L’iPad n’est donc pas arrivé sur une terre vierge, loin s’en faut, puisque des centaines
de tablettes préexistaient. Mais la tablette d’Apple est venue s’insérer presque naturellement dans un écosystème déjà maîtrisé avec succès : la plateforme iTunes
et le mobile multimédia iPhone.
L’ère des tabs était venue ! Une ère résolument post-PC… Si l’iPad dominait encore
en 2010 le marché des tablettes Internet, lequel passa de près de 10 à 30 milliards
de dollars de chiffre d’affaires entre 2011 et 2012, la concurrence finit enfin par être audible. Les 20 millions de tablettes vendues furent dépassées en 2011 et les 300 millions fin 2015, cannibalisation des PC et déploiement des tablettes en entreprises aidant. Pendant ce temps, la part de marché d’Apple passait progressivement d’un insolent 98 % à un toujours impressionnant 70 %. Certains fabricants se lancèrent dans le sillage du géant de Copertino, en proposant des clones avec des OS plus ouverts, comme Android de Google. D’autres cherchèrent à se différencier comme un Dell avec son Inspirion, mi-tablette/mi-laptop, ou un Ausus avec son Padfone lancé en 2012, une tablette tactile de 10 pouces pouvant accueillir un smartphone ! La tablette pouvait ainsi cumuler de très nombreux usages en remplaçant efficacement un lecteur audio, une télé portative, une console de jeu, voire un livre ou un journal. Seuls les smarphones ont résisté à l’envahisseur en restant, et de loin, les terminaux les plus vendus au monde. Les réseaux, eux, ont dû faire face à l’explosion des données numériques :
une multiplication de la consommation quotidienne par plus de 60 en Europe, passant de 187 à 12.540 téraoctets entre 2010 et 2020…
La tablette d’aujourd’hui a bien changé en puissance et fonctionnalités. Alors que de nouvelles perspectives apparaissent, matérialisant les épures du designer Tommaso Gecchelin qui imaginait en 2011 la tablette du futur : matériau redimensionnable, écran holographique avec toucher par ultrason, coque alliant nanomatériaux et photovoltaïque, scanner et caméra, … Et visiophone 3D ? @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : La fracture numérique
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème l’Idate tiendra son prochain
DigiWorld Summit (16-17 novembre 2011) sur le thème
« Will the Device be King ? » (www.digiworldsummit.com).