Neutralité : les acteurs du Web ne veulent pas de péages sur les réseaux du Net

Les membres de l’Association des services Internet communautaires (Asic) – Google/YouTube, Dailymotion, Yahoo, Facebook, OverBlog, Microsoft, Allociné, etc. – s’opposent à l’idée de l’Arcep de faire contribuer les acteurs du Net en instaurant une sorte de « peering payant ».

L’Asic et l’Arcep ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Edition Multimédi@ s’est procuré la contribution que l’Association des services Internet communautaires a remis
le 13 juillet dernier à l’Arcep dans le cadre de la consultation publique sur la neutralité des réseaux. Réunissant une vingtaine de membres présents en France, l’Asic
« s’inquiète » de l’une des orientations du régulateur des télécoms qui consisterait à
la mise en place d’une « régulation de la terminaison d’appel data ». Cela reviendrait, selon elle, à « entériner le peering payant, c’est-à-dire la mise en place un péage pour les prestataires de services de la société de l’information (PSI) ».

« Le peering n’est pas gratuit » (Asic)
L’Arcep dit en effet qu’« elle n’exclut pas (…) une action de sa part dans l’avenir » pour mettre en place une telle régulation dite asymétrique, dans la mesure où, justifiet- elle,
« plusieurs opérateurs souhaitent désormais une refonte des mécanismes d’interconnexion » entre eux et les fournisseurs de contenus et de services sur le Web. Cela reviendrait à mettre un terme aux pratiques de peering qui prévalent depuis les débuts de l’Internet et de sa neutralité (1). Faire payer les acteurs du Net pour les flux vidéo, multimédias ou musicaux, dont ils sont à l’origine dans les échanges sur Internet, est bien sûr une idée partagée par les opérateurs de réseaux réunis au sein de la Fédération française des télécoms (FTT). Cette dernière a d’ailleurs répondu dans
ce sens à la consultation de l’Arcep. « Il est (…) nécessaire de responsabiliser tous
les acteurs de la chaîne, (…) jusqu’au fournisseur de service qui doit être incité à
optimiser les ressources de réseaux nécessaires à son service en prenant en
charge les coûts marginaux induits par l’acheminement de celui-ci, en passant par l’opérateur », estime la fédération présidée par Frank Esser, PDG de SFR (2).
Les Google, Dailymotion et autre Facebook ne l’entendent pas de cette oreille.
« La généralisation du peering payant au bénéfice des fournisseurs d’accès renchérirait d’autant le coût du transit et donc impacterait l’ensemble des PSI, quelle que soit leur
taille. (…) Ce système se mettrait en place au détriment de l’innovation qui a fait le succès de l’Internet. Il favoriserait les acteurs déjà en place et de taille importante », prévient l’association coprésidée par Pierre Kosciusko-Morizet (PriceMinister) et Giuseppe de Martino (Dailymotion). Instaurer un péage sur les réseaux des fournisseurs d’accès au réseau des réseaux – comme le suggère le régulateur – serait, selon l’Asic, contraire au principe du peering qui prévaut jusque-là dans le cadre de la neutralité du Net. « Le peering présente l’avantage de supprimer les intermédiaires entre [les] contenus et applications, et les internautes raccordés à un fournisseurs d’accès, optimisant ainsi la qualité de service. (…) Le peering ne repose pas sur le postulat que les deux réseaux interconnectés doivent être de même taille », affirment les professionnels du Web.
Or, même s’il n’y a pas de facturation entre le Web et le FAI, cet échange de trafic convenu n’est pas totalement gratuit pour le premier qui « doit acheminer le trafic jusqu’à un point de peering et investir ou co-investir dans un routeur », tient à souligner l’Asic. Sans parler des serveurs informatiques – ou CDN (Content Delivery Networks) –
dans lesquels les entreprises du Web doivent investir pour les positionner « proches
de grappes d’internautes et sur lesquels sont prépositionnés les contenus les plus populaires ».

« L’Internet originel n’est plus » (FFT)
La FFT en convient mais elle rappelle que « l’Internet ouvert des origines [que la FFT appelle aussi “Internet originel”] avait vocation à gérer des échanges de données restreints au sein de communauté limitées, alors que la tendance actuelle met en évidence des échanges massifs d’images animées, à l’échelle de la planète ». Réponse du berger à la bergère : « Un CDN permet de traiter 90 % du trafic d’un site de partage
de vidéos ! Autant de trafic en moins à prendre en charge par le réseau de distribution. Ainsi une analyse de l’Arcep des échanges de trafic entre PSI et FAI ne doit pas se résumer à l’interconnexion data, mais doit aussi prendre en compte le recours aux
CDN », plaide l’Asic. Depuis que le Digiworld Summit de l’Idate a réussi à lancer
en novembre 2009 le débat sur la Net Neutrality (3) (*) (**), au moment où le gouvernement français doit rendre ces jours-ci son rapport sur le sujet au Parlement,
et où la consultation publique menée par la Commission européenne jusqu’au 30 septembre suit son cours, la polémique pointe le bout du nez. @

Charles de Laubier