La Quadrature du Net n’a pas réussi à « faire tomber » l’ex-Hadopi devant le juge européen

L’association de défense des libertés fondamentales La Quadrature du Net n’a pas convaincu l’avocat général de la Cour de Justice européenne (CJUE) que l’Hadopi – devenue, avec le CSA en 2022, l’Arcom – agissait illégalement dans le traitement des données personnelles pour la riposte graduée.

Comme la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) suit souvent – à près de 80% selon les statistiques – les conclusions de son avocat général, il y a fort à parier que cela sera le cas dans l’affaire « La Quadrature du Net versus Hadopi ». En l’occurrence, le 28 septembre 2023, l’avocat général de la CJUE – le Polonais Maciej Szpunar (photo) – conclut que la conservation et l’accès à des données d’identité civile, couplées à l’adresse IP utilisée, devraient être permis lorsque ces données constituent le seul moyen d’investigation permettant l’identification d’auteurs d’infractions exclusivement constituées sur Internet.

15 ans de combat contre la loi Hadopi
La Quadrature du Net (LQDN) est donc en passe de perdre un combat qu’elle a engagé il y a quinze ans – contre la loi Hadopi et contre l’autorité administrative indépendante éponyme pratiquant la « réponse graduée » à l’encontre de pirates présumés sur Internet de musiques et de films ou d’autres contenus protégés par le droit d’auteur.
L’association française défenseuse des libertés fondamentales à l’ère du numérique était repartie à la charge contre l’Hadopi. Et ce, en saisissant en 2019 le Conseil d’Etat – avec FDN (1), FFDN (2) et Franciliens.net – pour demander l’abrogation d’un décret d’application de la loi « Hadopi » signé par le Premier ministre (François Fillon à l’époque), le ministre de la Culture (Frédéric Mitterrand) et la ministre de l’Economie (Christine Lagarde). Ce décret « Traitement automatisé de données à caractère personnel » (3) du 5 mars 2010 permet à l’ex-Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) – devenue l’Arcom (4) en janvier 2022 par fusion avec le CSA – de gérer un fichier « riposte graduée » constitué de données obtenues auprès des ayants-droits (les adresses IP) et des fournisseurs d’accès à Internet (l’identité civile).
L’association LQDN a considéré devant le Conseil d’Etat que « la riposte graduée est doublement contraire au droit de l’Union européenne ». « D’une part, elle repose sur un accès à l’adresse IP des internautes accusés de partager des fichiers. D’autre part, elle implique l’accès à l’identité civile de ces internautes. Or, la CJUE estime que seule la criminalité grave permet de justifier un accès aux données de connexion (une adresse IP ou une identité civile associée à une communication sont des données de connexion). L’accès par l[‘]Hadopi à ces informations est donc disproportionné puisqu’il ne s’agit pas de criminalité grave » (5). A ces griefs portés par LQDN à l’encontre de la réponse graduée s’ajoute le fait que ce même décret oblige les opérateurs télécoms – Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free principalement – et les hébergeurs à conserver pendant une durée d’un an les données de connexion de l’ensemble des internautes, à savoir leurs identifiants, la date, l’heure et l’objet de leurs consultations. C’est par cette conservation généralisée des données de connexion – en particulier de l’adresse IP considérée comme une donnée personnelle depuis une décision (6) de la Cour de cassation en 2016 (subordonnant leur collecte à une déclaration préalable auprès de la Cnil) – que l’Hadopi (devenue Arcom) peut identifier les internautes « flashés » sur le Net. Rappelons que depuis près de quinze ans maintenant, ce sont les organisations de la musique (SCPP, Sacem/SDRM et SPPF) et du cinéma (Alpa) qui fournissent à l’Hadopi-Arcom les millions d’adresses IP collectées par la société nantaise Trident Media Guard (TMG) sous le contrôle de la Cnil (7).
Or, n’a cessé de rappeler LQDN, ce régime de conservation généralisée des données de connexion est contraire au droit de l’Union européenne puisque la CJUE elle-même s’est opposées – dans quatre arrêts différents (2014, 2016, 2020 et 2022) – à toute conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, sauf à deux conditions cumulatives : qu’il s’agisse d’affaires de criminalité grave et à la condition qu’il y ait un contrôle préalable de ces accès par une autorité indépendante. LQDN avait « enfoncé le clou », selon sa propre expression, en posant lors de sa saisine du Conseil d’Etat une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour demander au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une loi lorsque celle-ci (loi Hadopi de 2009 et son décret « Traitement automatisé de données à caractère personnel ») est cruciale pour la résolution d’un litige.

Adresse IP : « Petit couac », grande procédure
Dans une décision alambiquée rendue le 20 mars 2020, le Conseil constitutionnel a censuré le mot « notamment » jugé anticonstitutionnelle dans l’article 5 de la loi dite « Hadopi 1 » (8). Les juges du Palais-Royal avaient ainsi ordonné à l’Hadopi de s’en tenir aux seules données personnelles que sont « l’identité, l’adresse postale, l’adresse électronique et les coordonnées téléphoniques » de l’abonné concerné (9). Or dans cette énumération, il n’y a pas l’adresse IP parmi les données personnelles. « Petit couac pour la Hadopi », s’était alors félicitée LQDN. Les quatre associations françaises ont profité de cette brèche pour remonter au créneau juridictionnel en affirmant que l’accès par l’Hadopi- Arcom aux adresses IP des internautes contrevenants est illégal (car il n’y a pas de criminalité grave au sens de la CJUE) et que le décret permettant d’enregistrer ces adresses IP serait sans fondement depuis cette censure partielle du Conseil constitutionnel (l’adresse IP n’étant pas mentionné).

Deux mêmes conclusions de l’avocat général
Pour une nouvelle audience publique organisée précipitamment par Conseil d’Etat le 3 mai 2021 dans le cadre de cette même affaire (n°433539), les associations LQDN, FDN, FFDN et Franciliens.net ont déposé un nouveau mémoire (10) développant ces deux points susceptibles de « faire tomber » l’Hadopi. « Le Conseil d’Etat a décidé de botter en touche et de transmettre à la CJUE une “question préjudicielle” (c’est-à-dire une question relative à l’interprétation du droit de l’UE) sur l’accès par la Hadopi à l’identité civile à partir de l’adresse IP d’une personne. Rien concernant l’accès à l’adresse IP préalable à l’accès à l’identité civile. Rien non plus concernant la conservation de ces données, alors même que la question de l’accès est intimement liée à celle de la conservation », avait pointé LQDN. Le mémoire, déposé par l’avocat des associations, Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh, conclut que « le décret [“Traitement automatisé de données à caractère personnel” du 5 mars 2010] attaqué a été pris en application de dispositions législatives contraires à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne […], ainsi qu’à […] la directive [“ePrivacy”] du 12 juillet 2002 en ce qu’il organise l’accès par [l‘Hadopi] à des données de connexion ».
Donc, « le refus, opposé par le Premier ministre, d’abroger ces dispositions, est illégal et ne pourra ainsi qu’être annulé ». A la question préjudicielle transmise par le Conseil d’Etat, l’avocat général de la CJUE Maciej Szpunar avait une première fois – le 27 octobre 2022 (affaire n°C-470/21) – présenté ses conclusions : « L’article 15, paragraphe 1, de la directive [“ePrivacy”], lu à la lumière […] de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, […] ne s’oppose pas à une réglementation nationale [la loi Hadopi et son décret contesté en France, ndlr] permettant la conservation […] des données d’identité civile correspondant à des adresses IP […] lorsque ces données constituent le seul moyen d’investigation permettant l’identification de la personne à laquelle cette adresse était attribuée au moment de la commission de l’infraction » (11). Fermez le ban ? Or coup de théâtre, la grande chambre de la CJUE a demandé le 7 mars 2023 le renvoi de cette affaire à l’assemblée plénière. Par cette réouverture de la procédure pour poser des questions orales, notamment sur l’identité civile correspondant à une adresse IP (12) et en présence cette fois du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) et de l’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité (ENISA), l’avocat général Maciej Szpunar a dû « approfondir certains éléments de [son] raisonnement ». Mais ses deuxièmes conclusions présentées le 28 septembre 2023 s’avèrent identiques (13) aux premières du 27 octobre 2022.
Tout ça pour ça, pourrait-on dire. La réponse graduée est donc sur le point – sans préjuger du verdict final de la CJUE – d’être confortée au regard du droit de l’Union européenne, alors que le traitement automatisé de données à caractère personnel de la loi Hadopi de 2009 et de son décret du 5 mars 2010 semblaient « hors-la-loi ». Faut-il rappeler le fonctionnement de la réponse graduée :
Dans un premier temps, et sans contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative, l’adresse IP (donnée personnelle) de l’internaute collectées par les ayants droit est transmise au FAI (14) par l’Arcom (ex-Hadopi) pour obtenir d’eux (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free) l’identité civile de l’internaute présumé « pirate du Net » ;
Dans un second temps, l’Arcom (ex-Hadopi) adresse à ce dernier une recommandation lui enjoignant de s’abstenir de tout nouveau manquement, suivie d’un nouvel avertissement en cas de renouvellement de l’atteinte. S’il n’est pas tenu compte des deux premiers avertissements et qu’une troisième atteinte a lieu, l’Arcom (ex-Hadopi) peut saisir l’autorité judiciaire compétente en vue d’engager des poursuites pénales.
La réponse graduée porte-t-elle atteinte à la vie privée de l’internaute ? Réponse de Maciej Szpunar : « Ainsi que je l’ai souligné, la gravité de l’ingérence que suppose la mise en relation d’une donnée d’identité civile et d’une adresse IP est bien moindre que celle résultant de l’accès à l’ensemble des données de trafic et de localisation d’une personne, dans la mesure où cette mise en relation n’apporte aucun élément permettant de tirer des conclusions précises sur la vie privée de la personne visée ». Ce à quoi l’avocat général ajoute : « Ainsi que je l’ai déjà souligné, (…) l’obtention des données d’identité civile correspondant à une adresse IP est le seul moyen d’investigation permettant l’identification de la personne à laquelle cette adresse était attribuée au moment de la commission de l’infraction en cause ».

Mise en cause de la jurisprudence existante ?
Pour convaincre la CJUE, il précise tout de même que « la solution qu[‘il] propose vise non pas à remettre en cause la jurisprudence existante, mais à permettre, au nom d’un certain pragmatisme, son adaptation en des circonstances particulières et très étroitement circonscrites ». L’affaire semble entendue. A moins que la CJUE ne suivent pas les conclusions de son avocat général, comme cela est le cas dans plus de 20 % des affaires tout de même… A suivre. @

Charles de Laubier

Faut-il appliquer le prix unique du livre aux mangas et webtoons vendus en ligne contre des coins ?

Le Médiateur du livre, Jean-Philippe Mochon, a lancé jusqu’au 14 novembre 2023 une consultation publique sur un projet d’avis concernant l’utilisation de jetons numériques (coins) pour commercialiser des livres (mangas, webtoons, webnovels) sur les plateformes numériques de lecture.

Durant deux mois et jusqu’au 14 novembre, un projet d’avis du Médiateur du livre « sur l’utilisation de jetons numériques (« coins ») pour commercialiser des livres sur les plateformes numériques de lecture (mangas, webtoons, …) » est soumis à consultation publique. Il contient dix recommandations pour que la loi de 2011 sur le prix du livre numérique (1) s’applique à la vente en ligne des mangas numériques, voire des webtoons, lorsque les plateformes Internet (Webtoon/Naver (2), Mangas.io, Piccoma/Kakao, Ducktoon/UHM (3), Ono/Média-Participations, …) les vendent contre de la monnaie numérique de type coin.

Trois « questions délicates » se posent
Pour Jean-Philippe Mochon (photo), Médiateur du livre, les jetons numériques sont compatibles avec la loi sur le prix unique du livre numérique mais cela pose des « questions juridiques délicates » – au nombre de trois :
Prix de vente en coins fixé par l’éditeur ? L’article 2 de la loi «Prix unique du livre numérique» dispose que «toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée (…) ». Si les contrats conclus entre éditeur et plateforme établissent un prix fixe en euros du chapitre ou du tome versé à l’éditeur ainsi qu’un prix fixe du jeton, l’éditeur qui fixe ainsi le prix de vente au public (conformément à la loi de 2011) peut perdre la maîtrise de ce prix en euros lorsque le prix du livre acquitté par le lecteur est déterminé par la plateforme en termes de prix du jeton et d’attributions gratuites de jetons. Cette perte de maîtrise du prix unique numérique des mangas, webtoons et autres webnovels contreviendrait à la loi.
Comment respecter le « prix unique » numérique ? Bien que la loi « Prix unique du livre numérique » n’utilise pas l’expression « prix unique », elle parle de « prix de vente qui s’impose ». Or le recours aux jetons est censé respecter non seulement le prix fixé par l’éditeur mais aussi le prix unique. Mais si le prix affiché en coins est le même pour tous les clients d’une plateforme, il n’en va pas de même du prix en euros, qui dépendra du prix auquel chaque client aura luimême acquis ses jetons numériques, à savoir en fonction de son historique d’achats de jetons et du nombre de jetons attribués gratuitement. Quant à la notion de prix unique, elle renvoie à l’idée de prix identique d’un même livre sur toutes les plateformes. Cependant, le prix de vente au public acquitté sur chacune d’entre elles dépendra de ses pratiques commerciales en matière de prix du jeton et d’attribution gratuite de jetons.
Y a-t-il transparence du prix pour l’acheteur ? Toujours dans cet article 2 de la loi de 2011, il y a une obligation de transparence tarifaire : « toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée. Ce prix est porté à la connaissance du public ». Or, constate le Médiateur du livre, l’acheteur – a priori – ne reçoit d’information explicite de la plateforme que sur le prix en jetons et celui-ci ne se traduit pas de façon immédiate en un prix en euros (cela dépend encore une fois de la manière dont les coins ont été achetés ou reçus gratuitement). Donc, l’obligation de transparence du prix pour l’acheteur ne serait pas remplie, tout comme les barèmes de prix de ces offres fixés par l’éditeur et – comme l’indique un décret d’application de 2011 – figurant dans « une base de données rendue accessible » à tout détaillants (4).
Il y a donc matière à « insécurité juridique » pour les plateformes numériques au regard de l’usage qu’elles font des coins (ou tokens) dans le paiement de leur offre de livres numériques. Pour le Médiateur du livre, « seul un juge, s’il en était saisi, pourrait trancher » ces trois questions délicates, auxquelles s’ajoute le problème de la TVA applicable à la vente de jetons utilisés pour acheter des livres numériques : appliquer le taux réduit 5,5 % (livre en métropole) ou bien 20 % (services rendus par voie électronique) ? « Si une incertitude juridique subsistait, elle pourrait mériter d’être levée », estime le Médiateur du livre.

Risque d’obstacle à l’innovation ?
Pour ne pas laisser les plateformes désemparées face à tant d’incertitudes, le projet d’avis du Médiateur du livre – susceptible d’être amendé et complété en fonction des contributions à la consultation publique (5) – fait dix recommandations « pour pleinement assurer le respect de la loi » ou tout du moins afin d’« assurer la conformité à la loi des pratiques de l’ensemble des acteurs sur la base de l’interprétation que celle-ci semble pouvoir appeler, en l’état de l’information du Médiateur du livre ». Pour autant, assure Jean-Philippe Mochon, il ne s’agit pas – avec cette loi « Prix unique du livre numérique » – de faire obstacle à l’innovation ou à la concurrence mais de mettre celles-ci au service du livre, de la lecture et des lecteurs. Objectif : assurer la compatibilité des pratiques de jetons numériques avec la loi sur le prix unique, notamment « en donnant toute la maîtrise du prix à l’éditeur, en évitant les pratiques d’exploitation exclusive par une plateforme ou encore en assurant la transparence des prix pour les lecteurs ».

Dix recommandations pour respecter la loi
Recommandation 1 : veiller à la maîtrise du prix des livres numériques. La fixation d’un prix de vente au public exprimé en jetons ne peut être conforme à la loi que si les modalités de fixation du prix du jeton applicable à chaque offre de livres numériques sont suffisamment maîtrisées par l’éditeur dans le contrat qui le lie à la plateforme. Les caractéristiques de l’offre (à l’unité ou groupée) doivent être précisément fixées par le contrat. « La détermination d’un prix du jeton en euros, d’une part, et d’un prix de l’offre de livres en jetons, d’autre part, est à cet égard un minimum qui doit être complété par des éléments sur les pratiques de la plateforme en matière d’attribution de jetons ». Des prix identiques pourront alors être imposés par les éditeurs pour la commercialisation d’offres identiques sur plusieurs plateformes.
Recommandation 2 : encadrer la distribution des jetons gratuits. L’exercice par les éditeurs de leur prérogative de fixation du prix doit s’accompagner – contractuellement – d’un encadrement des pratiques de distribution gratuite de jetons par les plateformes. « Il n’est pas envisageable qu’une plateforme puisse sans limite attribuer des jetons gratuits qui ont pour effet de diminuer le prix du livre pour le lecteur ». En baissant le prix effectif pris en charge par la plateforme, celle-ci peut ainsi se constituer une clientèle « au risque d’évincer les autres plateformes ». Ce que le Médiateur du livre considère comme « l’aspect le plus nettement problématique de l’usage des jetons au regard de la loi sur le prix du livre numérique ». Car cela ne contribue pas à un prix identique sur toutes les plateformes.
Recommandation 3 : éviter les pratiques d’exclusivité. La loi de 2011 prohibe – a priori – toute pratique de commercialisation exclusive de livres numériques sur une plateforme. Sans préjudice des négociations commerciales, « tout éditeur établi en France est tenu de proposer à la vente les livres numériques qu’il édite à l’ensemble des plateformes qui devront pratiquer le prix qu’il fixe pour l’offre de livres numériques correspondante ». Et aucune partie ne saurait être tenue par une obligation de résultats.
Recommandation 4 : encadrer les offres gratuites et payantes. La gratuité, qui est un prix égal à zéro, doit être fixée par l’éditeur et proposée par celui-ci de façon uniforme pour toutes les offres identiques. Les contrats doivent encadrer aussi bien les offres de lecture gratuite de livres numériques que celles de lecture payante.
Recommandation 5 : assurer la transparence des prix publics. Le prix de vente au public doit être porté à la connaissance des lecteurs. Chaque plateforme assure à chaque lecteur « une information de manière non équivoque, visible et lisible sur le prix de vente qu’il acquitte », en lui indiquant le prix effectif payé pour chaque épisode en fonction du prix auquel il a acquis les jetons utilisés à cet effet.
Recommandation 6 : fixer les mêmes prix sur les plateformes. La description de chaque offre et le prix ou le barème (en cas d’usage collectif) fixé par l’éditeur figure dans une base de données accessible à tous les détaillants (telle que prévue par le décret de 2011). « C’est seulement sur cette base que chaque plateforme pourra s’assurer qu’est bien appliqué, pour toute offre de livres numérique, le prix qui s’impose à elle ».
Recommandation 7 : préciser s’il s’agit de livres homothétiques. La loi de 2011 ne s’applique qu’aux « livres homothétiques ». Le livre est « à la fois commercialisé sous sa forme numérique et publié sous forme imprimée ou [qui] est, par son contenu et sa composition, susceptible d’être imprimé ». Si les mangas peuvent être considérés comme tels, il n’en va pas forcément des webtoons « susceptibles d’être imprimés qu’au prix d’une adaptation plus importante ».
Recommandation 8 : clarifier les règles fiscales applicables. Même si des plateformes pratiquent le paiement en jetons pour les webtoons, mangas ou webnovels en appliquant le taux réduit de TVA à 5,5 % applicable au livre numérique (6), il y a une « incertitude sur le point de savoir si ce taux réduit est bien applicable lorsque la transaction porte sur des jetons qui servent pour acquérir ces services fournis par voie électronique ».
Recommandation 9 : préciser le champ et la portée de la loi. Les deux caractéristiques du champ d’application de la loi de 2011 sont : qu’elle ne s’applique pas à des livres numériques non publiés par des éditeurs établis en France ; que des éditeurs établis en France peuvent céder les droits d’exploitation secondaires à une plateforme, qui devient alors éditrice.
Recommandation 10 : inscrire cette régulation dans la durée. « Les présentes recommandations, rédigées en l’état des informations disponibles et au regard des enjeux d’un marché en rapide mutation, n’épuisent probablement pas le sujet », prévient le Médiateur du livre, qui se dit « prêt en tant que de besoin à accompagner les acteurs du marché dans leur mise en œuvre ».

Un précédent avis similaire en 2015
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la première fois que le Médiateur du livre doit se prononcer sur les plateformes de lecture en ligne (7). Sur l’abonnement illimité et le prix unique du livre numérique, un avis du 9 février 2015 émis par Laurence Engel (photo ci-dessus), Médiatrice du livre à l’époque, avait conclu (8) que « le prix des livres numériques est fixé par les éditeurs ». Les plateformes s’étaient alors mises en conformité avec la loi. @

Charles de Laubier

Comment Claude de la start-up Anthropic veut devenir le grand rival de ChatGPT d’OpenAI

Alors que ChatGPT a été lancé par la start-up OpenAI il y a moins d’un an, c’est la course à l’échalotte dans les intelligences artificielles génératives. Parmi les compétiteurs, il y a Claude de la jeune pousse Anthropic fondée par d’anciens… d’OpenAI. Google et surtout Amazon la financent.

Question : Claude est-il le meilleur rival de ChatGPT ? Réponse : « Claude, développé par Anthropic, est en effet considéré comme un concurrent puissant du ChatGPT d’OpenAI ». Notre interlocuteur n’est autre que ChatGPT lui-même ! « Cependant, poursuit l’IA générative, il est important de noter que le “meilleur” modèle peut varier selon les cas d’utilisation et les exigences. Par exemple, si le support multilingue est une priorité, ChatGPT pourrait être un meilleur choix. En revanche, si le traitement de grandes quantités de données est crucial, Claude pourrait être plus approprié ».

Contre Microsoft, pour Amazon et Google
Alors que ChatGPT d’OpenAI a été lancé le 30 novembre 2022 (1) avec le succès médiatique planétaire que l’on connaît, Claude d’Anthropic n’a été dévoilé que le 14 mars 2023 (2) dans une relative indifférence générale. Mais depuis qu’Amazon a annoncé le 25 septembre injecter 4 milliards de dollars dans Anthropic (3), Claude défraie la chronique. Basée à San Francisco (Californie) comme OpenAI, la startup Anthropic a été cofondée par Dario Amodei (photo de gauche), qui en est le DG, tandis que Daniela Amodei (photo de droite), sa sœur, en est la présidente.
Tous les deux ont quitté en décembre 2020 OpenAI, où ils ont été respectivement directeur de la recherche et responsable des techniques de sécurité, suivis par sept autres de leurs collègues d’OpenAI, dont Jack Clark (ex-chargé de relations publiques) et Jared Kaplan (ex-consultant chercheur) qui sont aussi cofondateurs d’Anthropic. Ce départ groupé de la start-up de ChatGPT aurait été motivé par des désaccords sur la vision stratégique d’OpenAI et de son partenariat avec Microsoft en 2019. La firme de Redmond investissait alors dans la start-up de Sam Altman un montant initial de 1 milliard de dollars, complété en 2021. Mais les frère et sœur Amodei n’ont jamais ni démenti ni expliqué les raisons de leur départ. Mais cette façon qu’a eu OpenAI à se précipiter dans les bras d’un GAFAM a sans aucun doute joué dans leur décision d’aller cofonder Anthropic. Microsoft a par la suite augmenté son emprise sur ChatGPT en annonçant en janvier 2023 un plan d’investissement pluriannuel (4) dans OpenAI qui atteindrait, selon Bloomberg, 10 milliards de dollars (5). Face à un ChatGPT dépendant du géant Microsoft, lequel en a fait son IA générative dans moteur de recherche Bing pour aller contester la suprématie de Google Search, Anthropic se veut plus indépendant et responsable. Mais cela n’empêche pas la start-up des Amodei de décrocher 4 milliards de dollars auprès d’Amazon, dont il utilisera le cloud AWS, après avoir dans les dix-huit mois précédents levé 1,5 milliard de dollars auprès de différents investisseurs, dont… Google pour 300 millions de dollars (10 % du capital d’Anthropic). Et ce, selon le Financial Times (6), aux côtés de Sam Bankman-Fried (7) ou encore de SK Telecom (8). Google remis la main à la poche en mai 2023 lors d’un tour de table organisé par Spark Capital pour lever 450 millions de dollars (9). Mais contrairement à Microsoft pour OpenAI, Google reste pour Anthropic un actionnaire minoritaire et un prestataire technique. En effet, le 3 février, les deux entreprises ont annoncé « un nouveau partenariat » (10) afin que Google Cloud soit privilégié et que Claude puisse évoluer grâce au machine learning sur infrastructure puissante. Avec Claude 2 lancé en juillet (11), Anthropic se veut plus contrôlable, compréhensible, prévisible, orientable, interprétable, digne de confiance et… plus humain grâce au RLHF.
Le « Reinforcement Learning from Human Feedback » est une méthode d’apprentissage par renforcement qui utilise le feedback des humains sous formes de commentaires ou d’évaluations. Anthropic vient d’ailleurs de publier, le 19 septembre, son RSP (Responsible Scaling Policy), « une série de protocoles techniques et organisationnels pour gérer de façon de plus en plus performante les risques liés au développement de systèmes d’IA ». Car selon les fondateurs d’Anthropic, « les modèles d’IA créeront une valeur économique et sociale majeure, mais ils présenteront également des risques de plus en plus graves » (12).

Parmi 7 acteurs d’IA à la Maison-Blanche
Ce RSP d’Anthropic intervient deux mois après des engagements pris directement à la Maison-Blanche où Dario Amodei avait été convoqué, le 21 juillet, par le président étatsunien Joe Biden avec six autres entreprises : Amazon, Google, Meta, Microsoft, Inflection et OpenAI. Les sept acteurs de l’IA ont promis « un développement sûr, sécurisé et transparent de la technologie de l’IA » (13). Une précédente réunion à la Maison-Blanche s’était tenue le 4 mai (14). L’administration Biden-Harris en a profité pour faire le point sur les mesures prises – notamment via le Blueprint for an AI Bill of Rights (15) – afin de protéger les droits et la sécurité des Américains. @

Charles de Laubier

Discours de la présidente von der Leyen sur l’état de l’UE : l’IA a éclipsé le métavers européen

Lors de son discours sur l’état de l’Union européenne, prononcé le 13 septembre, Ursula von der Leyen – présidente de la Commission européenne – s’est focalisée sur l’intelligence artificielle. Mais pas un mot sur la stratégie du métavers européen, dont les défis sont pourtant nombreux.

Ursula von der Leyen (photo) a fait l’impasse sur les mondes virtuels. La présidente de la Commission européenne, dont le mandat commencé en décembre 2019 se terminera en novembre 2024, n’a pas eu un mot sur le métavers européen dans son discours du 13 septembre (1) à Strasbourg sur l’état de l’Union européenne (UE). Ni dans sa lettre d’intention datée du même jour et envoyée de Bruxelles à la présidente du Parlement européen (2) et au président du Conseil de l’UE (3), pour leur faire part de ses « principales priorités pour 2024 » (4).

Mondes virtuels : principes directeurs fin 2023
Pourtant, les défis des mondes virtuels sont tout aussi importants que ceux des intelligences artificielles. Est-ce à dire que « la nouvelle stratégie sur le Web 4.0 et les mondes virtuels » – présentée à Strasbourg le 11 juillet dernier n’est plus prioritaire d’ici les élections du Parlement européen de juin 2024 ? Ursula von der Leyen semble avoir tourné la page du « métavers européen », renvoyant la mise en œuvre à la Commission européenne 2024-2029.
« Les mondes virtuels changeront la façon de vivre en société et leur avènement s’accompagnera de possibilités et de risques qui doivent être pris en compte », avaient pourtant prévenu cet été pas moins de trois commissaires européens – Margrethe Vestager, Dubravka Suica et Thierry Breton – en dévoilant cette nouvelle stratégie et son calendrier. Ainsi, d’ici fin 2023, la Commission européenne va promouvoir des « principes directeurs pour les mondes virtuels », identifiés par un panel de 150 citoyens européens sélectionnés de façon aléatoire (5) et réunis entre les mois de février et d’avril derniers. Il en était ressorti 23 recommandations (6) qui ont inspiré la stratégie « Mondes virtuels », parmi lesquelles : « formation harmonisée pour le travail dans les mondes virtuels » ; « soutien financier au développement des mondes virtuels » ; « forums participatifs pour des avancées, des réglementations et des normes communes » ; « police pour agir et protéger dans les mondes virtuels » ; « accessibilité pour tous – personne n’est laissé de côté » ; « labels/certificats européens pour les applications des mondes virtuels », etc. Ces recommandations s’articulent autour de huit valeurs et principes applicables aux métavers : liberté de choix, durabilité, approche centrée sur l’humain, santé, éducation, sûreté et sécurité, transparence et intégration. La Commission européenne veut ainsi faire des mondes virtuels en Europe « un environnement numérique ouvert, sécurisé, digne de confiance, équitable et inclusif » (7). Elle veut aussi rendre disponibles au premier trimestre de 2024 des « orientations à l’intention du grand public » grâce à une « boîte à outils pour les citoyens » afin de les orienter. Il s’agit pour l’Europe de ne pas manquer la marche du siècle vers le Web3, où le marché mondial des mondes virtuels devrait exploser à plus de 800 milliards d’euros d’ici à 2030, contre 27 milliards d’euros en 2022. Et d’ici 2025 (soit dans moins de deux ans), les Vingt-sept pourraient totaliser 860.000 nouveaux emplois dans le secteur de la réalité étendue (virtuelle et augmentée). La Commission européenne va créer avec les Etats membres « un réservoir de talents » pour le développement des compétences, qui sera financé par les programmes Digital Europe (8) et Europe Creative (9). Du côté de l’écosystème industriel du Web 4.0, et dans le but d’éviter la fragmentation de ma chaîne de valeur des mondes virtuels, il est prévu de faire appel à un autre programme européen, Horizon Europe (10), pour que débute en 2025 « un partenariat candidat sur les mondes virtuels, afin de promouvoir l’excellence dans la recherche et d’élaborer une feuille de route industrielle et technologique pour les mondes virtuels ».
La Commission européenne a en outre promis d’aider les créateurs et les entreprises de médias de l’UE « à tester de nouveaux outils de création, à rapprocher les développeurs et les utilisateurs industriels, et à travailler avec les Etats membres à la mise au point de bacs à sable réglementaires pour le Web 4.0 et les mondes virtuels ». Les mondes virtuels concerneront autant les particuliers que les professionnels.

Meta Platforms y croit plus que l’Europe
Parmi les projets pan-européens sur les rails : DestinE (Destination Earth), qui vise à créer un jumeau numérique de la Terre pour simuler et visualiser au plus près l’évolution du climat, et CitiVerse, qui sera un environnement urbain immersif pour la planification et la gestion urbaines. Pour l’heure, le groupe américain Meta Platforms (ex-Facebook) essuie les plâtres (11) mais il a pris de l’avance en investissant des milliards dans son métavers perfectible Horizon Worlds (12). Apple mise de son côté sur son casque de réalité virtuelle et augmentée Vision Pro, disponible début 2024. Bien d’autres métavers se développent, comme pour les spectacles et concerts chez Vrroom (13) en France, pays où le chef de l’Etat rêve d’un « métavers européen » (14). @

Charles de Laubier

Vidéo : est-ce bien utile de baisser la qualité ?

En fait. Le 13 septembre, la recommandation de l’Arcom pour réduire l’empreinte environnementale du numérique a été publiée au Journal Officiel. La vidéo représentant 65 % du trafic Internet, sa haute définition se retrouve dans le collimateur des écoresponsables. Pourtant, elle a peu d’impact sur le climat.

En clair. La HD, le Full HD et la 4K, qui offrent des résolutions d’images vidéo de respectivement 720p, 1.080p et 2.160p (1), sont dans le collimateur à la fois de l’Arcom (régulateur de l’audiovisuel), de l’Arcep (son homologue des télécoms) et de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie). Les vidéos haute définition ne sont plus en odeur de sainteté dans la France de la « sobriété numérique ». Et comme la vidéo pèse pour 65 % du trafic Internet, d’après la société d’analyse Sandvine (2), les Netflix, YouTube (Google) et autres Twitch (Amazon) vont devoir montrer pattes « vertes » aux régulateurs à partir de 2024. Parmi les mesures recommandées par l’Arcom aux chaînes de télévision, services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) et plateformes de partage de vidéos : inciter les internautes à baisser de la qualité des vidéos.
Mais dégrader l’image sera-t-il vraiment utile ou est-ce pour se donner bonne conscience ? « Contrairement à une série de reportages trompeurs dans les médias, les impacts climatiques de la vidéo en streaming restent relativement modestes », avait calculé fin 2020 George Kamiya (3), alors analyste numérique et énergie au sein de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Dans Le Monde, il avait même dit début 2022 : « L’impact carbone du streaming vidéo en Europe serait, selon mes calculs, entre 35 grammes et 80 grammes par heure, ce qui revient à faire bouillir l’eau contenue dans une bouilloire à une ou deux reprises ou à rouler entre 200 et 400 mètres dans une voiture conventionnelle » (4). L’impact de la vidéo en ligne sur le climat est donc quasi nul.
Qu’à cela ne tiennent, la France s’en prend à la qualité vidéo. Quand bien même certaines plateformes – Comme YouTube Premium – réserve le Full HD à leurs abonnés payants. Dans le cadre de la loi « Reen » visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique, promulguée il y a près de deux ans (5), la recommandation de l’Arcom – datée du 26 juillet 2023 et publiée le 13 septembre au Journal Officiel (6) – demande à tous les acteurs de l’audiovisuel de mettre en place un « référentiel par catégorie de produit ». Et ce, pour calculer l’impact environnemental des usages vidéo et d’en informer les utilisateurs pour les inciter à avoir « des comportements plus sobres » (comme réduire la qualité vidéo). Prochaine étape : une campagne de communication commune à la filière. @