Arnaud Montebourg, nouveau régulateur des télécoms et nouvelle autorité de la concurrence numérique

Le ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique est depuis plus de deux ans l’un des membres du gouvernement (Ayrault puis Valls) le plus actif. Bien avant d’ajouter « Numérique » à sa fonction, il a pris des allures de régulateur des télécoms et même d’autorité de la concurrence !

(Cet article est paru le lundi 21 juillet 2014 dans Edition Multimédi@ n°106. Le lundi 25 août au matin, Manuel Valls a présenté la démission de son gouvernement. Arnaud Montebourg a annoncé qu’il ne participera pas au gouvernement ‘Valls 2’).

Par Charles de Laubier

Arnaud Montebourg« Nous souhaitons réformer l’Arcep, réduire ses pouvoirs et la remettre à sa place », lui reprochant à mots couverts le lancement de Free Mobile. Ainsi peut s’exprimer, sans langue de bois, Arnaud Montebourg (photo). Peut-être, lors de ses voeux à la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) le 31 janvier dernier, le ministre de l’Economie, du Redressement productif
et du Numérique voulait-il faire plaisir à Orange, SFR et surtout Bouygues Telecom en parlant ainsi ?
N’envisageait-il pas déjà en 2012 de rapprocher l’Arcep et le CSA en vue de « rationaliser » la régulation des communications électroniques et de l’audiovisuel ?
Une chose est sûre, Arnaud Montebourg assume pleinement ses fonctions ministérielles qui ont été élargies le 2 avril au Numérique, au point de donner l’impression de marcher sur les plates-bandes de l’Arcep ou de l’Autorité de la concurrence, voire sur celles du CSA.

Montebourg veut unir la VOD française face à Netflix
Si les autorités administratives indépendantes sont tenues à un devoir de réserve,
ce n’est pas le cas du ministre de Bercy qui dit haut et fort ce qu’il souhaite pour les marchés des télécoms, du numérique et de l’audiovisuel.
Sa dernière intervention en date dans ce domaine fut lors de son discours fleuve du
10 juillet, à l’occasion de la présentation de la « la feuille de route du redressement économique de la France ».
Ainsi, Arnaud Montebourg n’hésite pas à outrepasser le pouvoir régalien de l’Etat en s’immisçant quelque peu dans la stratégie même des entreprises. « Avec Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture et de la Communication, nous avons demandé aux opérateurs audiovisuels et numériques français de s’unir pour offrir des plateformes alternatives aux offensives anglo-saxonnes dans la culture et le cinéma [comprenez face à l’arrivée en France de l’américain Netflix programmée pour le 15 septembre, ndlr] », a déclaré le ministre du Numérique.

Et d’ajouter : « Je m’apprête à écrire au président d’Orange, comme actionnaire, une lettre de mission lui demandant d’être le vaisseau amiral porteur de notre révolution numérique et souveraine. (…) Et nous ne répugnerons pas à nouer des alliances européennes dans ce domaine ». Arnaud Montebourg verrait-il Orange et sa filiale Dailymotion devenir les portes-drapeaux de la vidéo à la demande (VOD) française ? Sur le marché de la vidéo sur Internet en général et de la VOD en particulier, c’est
en tout cas la seconde fois en un peu plus d’un an que le ministre du Redressement productif invoque la participation de l’Etat au capital d’Orange pour intervenir dans
sa stratégie (1).

Depuis l’affaire Yahoo/Dailymotion
Déjà, au printemps 2013, le ministre du Redressement productif s’était interposé entre l’ex-France Télécom et l’américain Yahoo pour refuser que ce dernier ne prenne une participation de 75 % dans le capital de Dailymotion – détenu à 100 % par Orange.
Tout s’était joué à Bercy le 12 avril de l’an dernier, lors d’une réunion entre Henrique de Castro (Yahoo), Stéphane Richard (PDG d’Orange) et Arnaud Montebourg, ce dernier n’acceptant qu’un « partenariat équilibré » (à 50/50), sinon rien.
Conséquence : Yahoo renonçait à prendre le contrôle de la plateforme française de partage vidéo concurrente de YouTube (2). Pour garder bonne figure dans cette affaire, qui restera dans les annales de l’interventionnisme controversé de l’Etat, Stéphane Richard avait ensuite déclaré : « Dailymotion est une filiale d’Orange et non de l’Etat. C’est le groupe, sa direction et son conseil d’administration qui gèrent ce dossier. (…) Ce n’est pas à la demande de l’Etat que nous avons investi » (3).
Toujours à la recherche d’un partenaire capable de renforcer la présence de Dailymotion aux Etats-Unis, Orange s’était ensuite tourné vers Microsoft intéressé mais à condition qu’il y ait un troisième partenaire dans le tour de table. Cela aurait pu être Canal+, qui était en discussion avec Orange depuis le début de l’année, mais la filiale de télévision de Vivendi souhaitait la majorité du capital de Dailymotion. Ce que Stéphane Richard, l’homme lige de l’Etat actionnaire, n’a pas voulu concéder. Résultat, les négociations entre Canal+ et Orange ont échoué début juin. Ce qui pourrait amener à une impasse les négociations avec Microsoft.
Jusqu’où ira la « lettre de mission » adressée à Stéphane Richard pour orienter le
« vaisseau amiral » ? Arnaud Montebourg aurait déjà demandé à Orange de lancer une offre de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) concurrente de celle de Netflix
à partir du catalogue d’Orange Cinéma Séries (4), filiale commune avec Canal+. C’est aussi au nom de l’Etat actionnaire que le ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique aurait pressé Stéphane Richard d’étudier le rachat de Bouygues Telecom mis à mal par la concurrence de Free et par l’échec de sa tentative de s’emparer de SFR – finalement tombé dans l’escarcelle d’Altice- Numericable contrairement au souhait d’Arnaud Montebourg. Mais le 2 juillet, Orange jetait l’éponge en le faisant savoir par un communiqué on ne peut plus laconique : « Orange a exploré les possibilités de participer à une opération de consolidation du marché français des télécoms, et juge que les conditions que le groupe avait fixées ne sont pas réunies aujourd’hui pour y donner suite. ». En clair : « Les demandes de Bouygues étaient trop élevées et Iliad ne voulait pas aller suffisamment loin dans sa participation à une opération », a expliqué Stéphane Richard à La Tribune (5). De quoi contrarier une nouvelle fois le ministre dans sa volonté de ramener à trois au lieu de quatre le nombre d’opérateurs télécoms en France.
A moins qu’Arnaud Montebourg ait à nouveau convaincu Stéphane Richard de ne pas laisser tomber Bouygues Telecom. Car, le 5 juillet, lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, le PDG d’Orange revenait sur sa décision : « D’un point de vue concurrentiel, nous ne prendrons pas le risque de repartir sur ce dossier. Mais si quelqu’un d’autre décide de le faire et nous sollicite (…) pour, peut-être, permettre d’élaborer une offre qui peut satisfaire Bouygues, bien sûr qu’on regardera ». Autant dire qu’Arnaud Montebourg est à la manoeuvre, lui qui a fait du passage à trois opérateurs télécoms son cheval de bataille depuis plusieurs mois : « Si on revient à trois, on est plus fort que si on subsiste à quatre. (…) La concurrence par la destruction s’arrêtera si nous revenons à trois opérateurs mobiles tout en maintenant des prix bas » (6). Avec sa nouvelle casquette de régulateur, le ministre a aussi taclé au passage l’Autorité de la concurrence, dont le président Bruno Lasserre avait dit (7) qu’il avait besoin de neuf mois pour donner son feu vert au repreneur de SFR : « S’il faut neuf mois à une autorité indépendante pour prendre une décision, ça posera un problème ».

Trois opérateurs, dont un « Maverick »
D’autant que l’autorité indépendante de la rue de l’Echelle et le ministre de Bercy sont au fond d’accord, ce dernier ayant lancé lors d’une conférence des Echos le 12 juin :
« Le passage de quatre à trois opérateurs mobiles est inéluctable (…), surtout si Free
– le ‘’Maverick’’, le ‘’vilain petit canard’’ – se maintient », faisant siens les propos tenus la veille par Bruno Lasserre (8) devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF). L’Autorité de la concurrence, elle, a promis sa décision sur Altice- Numericable/SFR/Virgin Mobile à l’automne… @

Le transfert de valeur des télécommunications traditionnelles vers l’Internet s’accélère

Les services Internet, dont les revenus devraient atteindre 400 milliards d’euros en 2017 grâce à une croissance annuelle à deux chiffres, n’ont pas fini de donner du souci aux secteurs historiques des télécoms, de l’informatique et de la télévision, où la croissance se le dispute au déclin.

Dans trois ans, les services Internet pèseront 400 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial grâce à une croissance d’environ… 20 % par an ! Vous avez dit « crise économique » ?
En 2017, les revenus générés par cette nouvelle économie numérique – basée sur l’intermédiation en ligne (moteurs de recherche, publicité en ligne, commerce électronique, …) ou l’agrégation de contenus (vidéo en partage ou à la demande, boutiques d’applications, médias numériques, …) – représenteront ainsi pour la première fois 10 % du poids cumulé des industries télécoms, informatiques et télévision dites « historiques ».
Découplage entre réseaux et services
C’est ce qui ressort de l’étude annuelle DigiWorld Yearbook 2014 de l’Idate. Alors que
ces services Internet ont franchi l’an dernier la barre des 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires (voir tableau ci-contre), soit 6,3 % du total, c’est donc à un doublement de ces nouveaux revenus numériques auquel le monde doit s’attendre dans les trois ans qui viennent. Un véritable pied-de-nez à la morosité ambiante. Les réseaux sociaux, les applications mobiles et la vidéo en ligne sont les segments du Net les plus dynamiques, avec des croissances records situées entre 30 % et 50 % par an ! Ce tiercé gagnant
est suivi de près par le cloud, les moteurs de recherche et le e-commerce (1).
« La très grande majorité des acteurs de ces nouveaux marchés sont américains, et cinq parmi les premiers (GAFAM, pour Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) pèsent pour plus de la moitié des revenus globaux », relève Didier Pouillot (photo), directeur (2) à l’Idate. L’Amérique du Nord reste aussi la région la plus productive en termes de revenus OTT (3) par internaute, avec près de 271 euros par internaute en 2013 contre 215 en Asie-Pacifique (avec des acteurs aux ambitions internationales comme Alibaba, Sina, Baidu, Tencent, Rakuten, …) et 123 en Europe (où les champions européens du Net font défaut). « L’e-commerce et les moteurs de recherche sont les “vaches à lait” de l’Internet, des segments majeurs mais avec une forte maturité et donc des taux de croissance. Le cloud computing – déjà le plus gros marché Internet – reste en revanche une véritable locomotive. Les perspectives restent également très positives pour les applications et contenus mobiles », ajoute Vincent Bonneau (4). Et ce dynamisme exceptionnel, malgré « un léger ralentissement à… 16 % » prévu par l’Idate, se fera en partie au détriment des secteurs traditionnels qui voient augmenter sur eux la pression venant de ces « nouveaux entrants ». D’autant que, à côté de ce nouvel eldorado du Net, les acteurs traditionnels des télécoms, de l’informatique et de la télévision voient leur croissance annuelle à la peine autour de 3 %. « La téléphonie fixe poursuit depuis 2002 un déclin inéluctable, par des effets de substitution (fixe vers mobile) ou de transfert (vers l’IP via la VoIP et l’IM (5)). La généralisation de l’Internet contribue à favoriser des offres concurrentes de services télécoms par les réseaux sociaux et les acteurs OTT, qui captent de plus en plus de valeur », souligne l’institut d’études. Le marché mondial des services télécoms, qui a généré 1.187 milliards d’euros en 2013 (dont 60 % issus des services mobiles), est désormais le terrain de jeu des acteurs de l’Internet qui poussent de plus en plus à un découplage entre réseaux d’accès et offre de services. A cela s’ajoute une régulation européenne plus favorable jusque-là aux consommateurs qu’aux opérateurs télécoms (6). @

Charles de Laubier

Après leur « coup de foudre », Xavier et Martin vont-ils faire dans le « Je t’aime… moi non plus » ?

Alors que Vivendi est en négociations exclusives jusqu’au 4 avril avec Altice-Numericable pour lui vendre SFR, Bouygues a relevé son offre sur ce dernier
le 20 mars en rappelant l’accord signé avec Free le 9 mars. Grâce à Xavier Niel, Martin Bouygues espère l’emporter. Sinon, seraient-ils capables de faire un mariage de raison ?

Par Charles de Laubier

Xavier Niel et Martin BouyguesXavier Niel et Martin Bouygues (photo) ont eu début mars un « coup de foudre », alors qu’ils étaient auparavant des ennemis jurés. Mais les deux milliardaires des télécoms se retrouvent Gros-Jean comme devant, depuis que Vivendi a préféré Altice – maison mère de Numericable – comme repreneur potentiel de sa filiale SFR. Du coup, le « petit poucet » (Bouygues Telecom) et le « trublion » (Free) se retrouvent isolés chacun
de leur côté face à ce qui deviendrait un duopole dominant sur le marché français des télécoms : Orange et Numericable-SFR.
A moins qu’en relevant son offre sur SFR à 13,15 milliards d’euros, Bouygues ne réussisse à convaincre Vivendi. C’est ce qui pourrait lui arriver de mieux… Car difficile, face à un Numericable-SFR, d’imaginer que Xavier Niel et Martin Bouygues, aux personnalités antinomiques et aux relations épidermiques, puissent enterrer la hache
de guerre et faire leur vie ensemble, même dans le cadre d’un mariage de raison.

Querelles du « coucou » et du « parasite »
Rappelons que les deux protagonistes ont encore croisé le fer pas plus tard qu’en février dernier : Bouygues Telecom a en effet lancé un pavé dans la marre avec une offre triple play à 19,99 euros par mois. « Dans l’Internet fixe, la fête est finie. Nous allons faire faire 150 euros d’économie par an aux abonnés du fixe qui choisiront ce service, ce qui fait une économie de 12,5 euros par mois. Qui dit mieux ? Que Xavier Niel fasse la même chose s’il en est capable ! », avait prévenu Martin Bouygues dès le mois de décembre.
Une véritable déclaration de guerre au patron de Free (1). Bouygues Telecom, déjà mis à mal depuis l’arrivée de Free Mobile début 2012, n’avait pas supporté que ce dernier se mettent à offrir à partir de Noël la 4G sans augmentation de ses forfaits mobiles. Mais Iliad a aussitôt répliqué en lançant sous la marque Alice une offre triple play à… 19,98 euros par mois, soit un centime de moins que l’offre de Bouygues Telecom !

Querelles du « coucou » et du « parasite »
Le patron du groupe Bouygues ne supporte pas non plus l’arrogance de Xavier Niel qui déclarait en décembre dans Le Journal du Dimanche : « J’admire rarement les héritiers, mais Martin Bouygues a souvent un vrai bon sens paysan et c’est un très bon dirigeant. Mais il fait un travail de lobbying exceptionnel, n’hésitant pas à utiliser le 20 Heures sur TF1 comme un outil [de communication en faveur de Bouygues Telecom]. Sur ce point,
j’ai bien évidemment une conception différente de la liberté de la presse… ». Et de traiter au passage ses concurrents avec une certaine insolence qui se le dispute au mépris : « Ils étaient très riches, ils le sont un tout petit peu moins. J’ai beaucoup de peine pour eux, je vais pleurer » (2). Ce que Martin Bouygues n’avait pas apprécié du tout. La réponse du berger à la bergère ne s’était pas faite attendre, toujours courant décembre, avec ce sens de l’à-propos : « S’agissant de TF1, il cherche à me diffamer. En 26 ans, jamais le CSA ne m’a fait de tels reproches. Ce n’est pas moi, mais Xavier Niel qui dit ‘’quand les journalistes m’emmerdent je prends une participation dans leur canard et après ils me foutent la paix’’. (…) Il n’a aucune leçon de liberté de la presse
à donner à qui que ce soit ». Les relations houleuses entre Xavier Niel et Martin Bouygues ne datent pas d’hier. En mars 2012, après le lancement de Free Mobile, le patron du groupe de BTP affirme que « Free fait le coucou sur le réseau d’Orange ». Le sang de Xavier Niel ne fait qu’un tour et poursuit même le journal ayant laissé dire cela pour diffamation (3). Il faut dire que Martin Bouygues avait fait des pieds et des mains – notamment du temps de son ami Nicolas Sarkozy, alors chef de l’Etat – pour empêcher l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile en France. Depuis les deux rivaux n’ont eu de cesse d’avoir régulièrement des prises de becs, allant jusqu’à être chacun condamné le 22 février 2013 par le tribunal de commerce de Paris pour « dénigrement et concurrence déloyale ». Xavier Niel, qui aurait fait appel, avait été « violent et injurieux ». Free a été condamné à verser 25 millions d’euros de dommages et intérêts à Bouygues Telecom et à payer 100.000 euros d’astreinte pour chaque allégation de type « pigeons » et « vaches à lait » pour qualifier les clients des opérateurs télécoms concurrents, ainsi que « arnaque », « racket » et « escroquerie ». Quant à Bouygues Télécom, il a été condamné à 5 millions d’euros pour avoir notamment traité Free de
« coucou » n’ayant pas son propre réseau. Le quatrième opérateur mobile bénéficie jusqu’en 2018 d’un accord d’itinérance avec Orange dans la 2G et la 3G. Les deux petits derniers du marché français avaient déjà ferraillé en justice fin 2010 lorsque Martin Bouygues avait attaqué, toujours devant le tribunal de commerce de Paris, Xavier Niel pour propos injurieux tenus sur BFM TV : « Malheureusement, nos concurrents ne sont pas capables d’inventer. (…) Je qualifie ces acteurs de parasites » ! Le patron de Free n’avait jamais apprécié que Martin Bouygues déclare dès décembre 2008 : « Déployer un réseau 3G pour 1 milliard d’euros, comme l’affirme Free, me paraît impossible, sauf à faire le coucou sur le réseau des opérateurs en place » (4). Cela s’était terminé en août 2011 par une condamnation des deux à se verser chacun
1 euro de dommages et intérêts… Après avoir fragilisé Bouygues Telecom en lançant Free Mobile début 2012, Iliad aurait bien souhaité la mort de Bouygues Telecom en songeant à s’emparer de SFR mis en vente par Vivendi. Mais le « trublion » en a été dissuadé.
« L’Autorité de la concurrence nous a dit en privé en novembre 2012 et l’a redit il y a quelques jours que ce n’était pas possible. Si nous rachetions SFR, c’était la disparition de Bouygues Telecom », a relaté Xavier Niel le 10 mars dernier.

Difficile dans ces conditions, après ces passes d’armes et ces noms d’oiseaux, de croire que le « coup de foudre » de début mars soit sincère. En fait, Xavier Niel et Martin Bouygues sont tombés sous le charme par conseils interposés ! « Maxime [Lombardini, directeur général d’Iliad] a passé un coup de fil à un avocat et cela a déclenché un certain nombre de choses… », a relaté Xavier Niel, lors de la présentation des résultats annuels du groupe Iliad. Maintenant que Bouygues Telecom n’a plus de raison de vendre son réseau mobile et ses fréquences à Free, ce dernier
se retrouve le plus isolé. « Si Altice rachetait SFR, on se retrouverait dans un scénario dans lequel Numericable, SFR et Bouygues Telecom – grâce à l’accord de mutualisation entre les deux derniers – feraient une seule et même entité », avait mis en garde Xavier Niel. C’est en effet le 28 février que SFR et Bouygues Telecom avaient annoncé un accord de mutualisation d’une partie de leurs réseaux mobiles via la création d’une co-entreprise, afin de couvrir ensemble 57 % de la population française d’ici 2017.

Quatre opérateurs mobile : un de trop ?
Que Vivendi décide dans quelques jours de céder SFR à Altice-Numericable ou d’introduire SFR en Bourse, le résultat pour Martin Bouygues et Xavier Niel sera le même : il y aura toujours quatre opérateurs mobile en France. « Et au final, soit Free soit Bouygues, sera à ramasser à la petite cuillère avec des milliers d’emplois perdus »,
selon les propos d’Arnaud Montebourg dans Le Parisien dès le 9 mars. A moins que le coup de poker de Martin Bouygues, associé à la Caisse des dépôts (lire p. 3), JCDecaux et Pinault, sur fond d’accord avec Free, ne rafle la mise… @

Charles de Laubier

Le CSA propose une « exception culturelle » à la neutralité du Net

Pour le CSA et l’Arcep, leur rapprochement – si ce n’est leur fusion – faciliterait
la régulation de tous les acteurs, dont les OTT (Over-The-Top). Le principe de « fréquences contre obligations » ne s’appliquant pas à tous les opérateurs, le CSA prône une régulation « culturelle » des réseaux.

Par Winston Maxwell, avocat associé Hogan Lovells LLP

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) ont remis au gouvernement leurs recommandations quant à l’avenir de la régulation de l’audiovisuel et des communications électroniques. En filigrane, est posée la question de leur éventuelle fusion. L’avis du CSA est une occasion de rappeler l’incroyable complexité du dispositif réglementaire pour l’audiovisuel en France.

Régulation économique ou culturelle ?
Les objectifs que la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication – loi dite Léotard (1) – a confiés au CSA sont hétéroclites et très différents de ceux confiés par le législateur à l’Arcep. Tel un jongleur, le CSA doit manier une dizaine d’objectifs allant de la pluralité des opinions jusqu’à la protection de la presse régionale et du cinéma. L’Arcep, elle, poursuit d’autres objectifs : concurrence entre services et réseaux, investissement, aménagement du territoire, gestion efficace des numéros et du spectre des fréquences.
Dans sa contribution, le CSA constate que les frontières traditionnelles entre contenu régulé et contenu non régulé, entre services linéaires et services non linéaires, entre audiovisuel et télécommunication, entre éditeur, distributeur et hébergeur, s’estompent.
Le CSA préconise par conséquent une évolution de la réglementation qui permettrait
son extension à de nouveaux acteurs qui jusqu’à présent y échappent, et notamment
une évolution dans le principe de la neutralité des réseaux.
Les contributions du CSA (2) et de l’Arcep (3) mettent en exergue deux types de régulation en apparence contradictoire : la régulation économique et la régulation fondée sur ce que l’Arcep appelle « l’exception culturelle française ». Les deux autorités sont d’accord sur le fait que la régulation économique et la régulation culturelle peuvent avoir des zones de frottement. C’est pour cela que le CSA met en garde contre une fusion complète de l’Arcep et du CSA. Une telle fusion pourrait conduire à privilégier une logique économique par rapport à une logique culturelle et sociétale de la régulation. En cas de fusion, le CSA préconiserait le maintien de deux collèges distincts : un collège traiterait
les questions liées au pluralisme des médias, au soutien à la création, à la protection de l’enfance, à la promotion de la langue et de la culture française. L’autre collège s’occuperait des problèmes économiques touchant aux conditions d’accès au spectre radioélectrique, à l’accès aux réseaux, à la tarification de services au sein d’un multiplex ou d’un bouquet de chaînes, aux litiges concernant la numérotation des programmes.
Le CSA et l’Arcep sont d’accord sur le rapprochement entre les deux autorités, qui permettrait une meilleure gestion du spectre radioélectrique – même si le CSA met en garde contre une logique purement économique de la gestion du spectre de radiodiffusion. Au moment où les besoins en fréquences des opérateurs mobiles sont en forte croissance, il serait utile qu’une seule autorité gère les questions délicates liées à l’utilisation du spectre audiovisuel pour d’autres services. Le CSA cite l’exemple d’une expérimentation « super Wifi » en Seine-Maritime. Autorisée par l’Arcep, après l’aval
du CSA (4), cette expérimentation emprunte du spectre réservé pour la TNT. De tels emprunts ont vocation à se développer, et un régulateur unique les faciliterait.

OTT et financement de la création
Les deux autorités estiment en outre qu’un rapprochement faciliterait la prise en compte des prestataires de l’Internet, dits OTT (Over-The-Top), qui échappent actuellement à
la régulation. Les deux autorités souhaiteraient pouvoir appliquer une régulation à ces acteurs de l’Internet, mais pour des raisons différentes. L’Arcep souhaiterait associer ces nouveaux acteurs au soutien de la création ou au financement des réseaux de nouvelle génération. Le CSA souhaiterait, lui, associer ces nouveaux acteurs au financement des programmes français. Le CSA plaide pour une neutralité des réseaux qui tiendrait compte de certains objectifs culturels, et notamment le financement de la création audiovisuelle et cinématographique.

Exception culturelle à la neutralité du Net
Cette proposition audacieuse du CSA signifierait que les fournisseurs d’accès à l’Internet (FAI) en France seraient encouragés à donner des accès prioritaires aux acteurs de l’audiovisuel qui contribueraient à la création en France. Pour le régulateur audiovisuel, une discrimination positive par les opérateurs de réseau permettrait de compenser le fardeau supplémentaire supporté par les éditeurs de programmes qui jouent le jeu de la régulation française. Ces éditeurs seraient favorisés. Cette exception culturelle à la neutralité des réseaux soulèverait de nombreux problèmes, notamment juridiques. En application de la directive européenne sur les services médias audiovisuels (5), il ne serait pas possible de discriminer un éditeur de programmes dûment autorisé dans un autre pays membres de l’Union Européenne, même si cet autre pays appliquait une régulation
« allégée ».
Le vrai défi de la régulation audiovisuelle française est qu’elle est plus développée que celle de certains autres pays européens. Jusqu’à présent, la France a pu se permettre d’appliquer une régulation « alourdie » car les diffuseurs terrestres devaient demander une licence d’utilisation de fréquence pour émettre. En contrepartie de ce « privilège » d’utiliser le spectre radioélectrique, le diffuseur audiovisuel accepte une convention détaillée dans laquelle le CSA traduit les objectifs du législateur en obligations concrètes. Certains des objectifs poursuivis par le CSA sont d’une importance capitale pour la démocratie, comme par exemple la pluralité des opinions. D’autres règles visent à protéger des intérêts plus ciblés : c’est le cas de l’interdiction de diffuser un film le mercredi soir, en vue de protéger des exploitants de salles de cinéma. Grâce au monopole de l’Etat sur le spectre radioélectrique, le législateur et le CSA peuvent se permettre d’imposer une régulation audiovisuelle contraignante par rapport à celle de certains autres pays européens.
Mais que se passerait-il si la diffusion hertzienne terrestre disparaissait ? La diffusion terrestre reste importante en France, mais elle va décroître en importance pour laisser place à d’autres formes d’accès : ADSL/VDSL, fibre, satellite, demain « super Wifi », … Cette évolution sera relativement lente, mais la disparition de la diffusion terrestre peut arriver. Dans le nouveau monde de la télévision connectée, sans diffusion terrestre ni convention avec le CSA, le travail de régulation sera plus difficile – car les grands éditeurs de programmes seront tentés de s’établir dans d’autres pays membres de l’Union européenne. Déjà, les grandes chaînes nationales doivent appliquer de nouveaux modèles économiques en tentant de monétiser d’autres formes de publicité – telle que la publicité sur les tablettes et autres « deuxièmes écrans » (second screen). Les acteurs audiovisuels français sont en concurrence avec de nouveaux acteurs, lesquels viennent du monde non régulé de l’Internet.
Les contributions de l’Arcep et du CSA confirment qu’une grande réforme de la régulation audiovisuelle est nécessaire, mais aucune des deux autorités ne se permet de donner des pistes précises, hormis l’idée du CSA d’appliquer une exception culturelle à la neutralité des réseaux. L’Arcep constate que la régulation audiovisuelle n’est pas la seule voie pour poursuivre les objectifs de « l’exception culturelle française ».
Le législateur dispose d’autres voies. Une simplification de la régulation audiovisuelle
ne signifie pas nécessairement un abandon de ces objectifs. Et faute de simplification, la tentation sera forte pour certains acteurs du PAF (6) de se délocaliser. La France applique un niveau de réglementation élevé par rapport au Royaume-Uni ou au Luxembourg, pays dans lesquels il suffirait donc à un diffuseur de s’y établir pour bénéficier d’un régime plus favorable.

Spectre (« carotte ») et obligations (« bâton »)
Dans un monde sans diffusion hertzienne terrestre, le diffuseur n’a plus besoin d’avoir accès aux fréquences de radiodiffusion (la « carotte »). Dans ce cas, il n’y a plus de conventionnement obligatoire (le « bâton ») et le diffuseur peut facilement se délocaliser (7). Si on ne peut plus utiliser le spectre comme un outil de régulation culturelle, la tendance sera de combler ce vide par une régulation « culturelle » des autres réseaux.
La proposition du CSA plaide pour un principe de neutralité des réseaux qui tient compte d’objectifs culturels. C’est un premier pas vers « l’audiovisualisation » de la régulation des télécommunications (8). @

« Les OTT pourraient tuer les Telcos », prédit l’Idate

En fait. Le 17 octobre, l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate) a présenté une analyse de l’économie numérique en prévision du DigiWorld Summit qu’il organise à Montpellier les 14 et 15 novembre prochains
sur « le mobile, le cloud et le Big Data qui changent la donne ».

En clair. Pour François Barrault, le président de l’Idate, la chose est entendue : « Il y a d’un côté les OTT [Over-The-Top] qui en profitent et de l’autre les Telcos [opérateurs télécoms] qui souffrent ». Autrement dit, les OTT que sont Google, Apple, Facebook
ou autres Amazon seraient les seuls à tirer leur épingle du jeu dans un contexte de changements de paradigmes économiques induits par l’Internet. Tandis que les opérateurs télécoms –opérateurs historiques en tête – seraient les seuls à être à la
peine en raison de la chute de leurs recettes téléphoniques, d’une part, et des efforts d’investissements nécessaires à faire dans leurs infrastructures réseaux, d’autre part. Pire : « Le maillon faible [les OTT] pourrait tuer le maillon fort [les Telcos] », met en
garde François Barrault. Est-ce à dire que l’Idate, en tant qu’institut d’études, a décidé
de défendre les intérêts des opérateurs télécoms contre les ambitions des acteurs d’Internet ? Son président s’en défend : « Nous ne prenons pas parti. Nous disons
que la répartition de la valeur est très mal faite entre des sociétés comme Google, essentiellement américaines, et les opérateurs de réseaux qui font partie des faibles,
alors qu’il s’agit là d’une agrégation de noeuds interdépendants où tout est lié. Tout le système risque de se planter avec les OTT si l’on n’en prend pas conscience ». Le directeur général de l’Idate, Yves Gassot, s’inquiète quant à lui du revenu moyen par abonné (ARPU) « inférieur à 30 euros par mois » en Europe, lorsqu’il est de « 55 dollars, voire 60 dollars par mois » aux Etats-Unis. « Il faut que les opérateurs télécoms sortent
de la trappe que constitue le forfait [flat rates, triple play] et redonnent de la valeur à l’accès avec différents niveaux de services et de tarifs pour les abonnés », conseille-t-il. Autrement dit, selon Yves Gassot, « avec l’infrastructure IP, l’intelligence sort du réseau et remonte au niveau des OTT de type Google, Apple ou encore les réseaux sociaux » (1).
Or les opérateurs ne sont pas satisfaits des interconnexions avec leurs réseaux : « Il y a des passagers clandestins ! », dit-il. L’Idate prône donc des tarifs différenciés mais écarte l’idée de « terminaison data » (payée par les OTT aux opérateurs de réseaux) car, indique Yves Gassot à Edition Multimédi@, « elle ne rapporterait au mieux en France que 100 millions d’euros ». @