Le marché de la SVOD (sans pub) semble saturé ; des plateformes s’ouvrent à l’AVOD (avec pub)

The Walt Disney Company l’a confirmé le 4 mars : sa plateforme Disney+, jusqu’à maintenant par abonnement (SVOD), offrira aussi à partir de fin 2022 un accès peu cher financé par la publicité (AVOD). La pression des annonceurs est tellement forte que même Netflix pourrait céder à son tour.

« L’élargissement de l’accès à Disney+ pour un public plus large et à un prix plus bas est avantageux pour tout le monde – les consommateurs, les annonceurs et nos conteurs », a justifié Kareem Daniel (photo), président de Disney Media and Entertainment Distribution (DMED), lors de la confirmation faite le 4 mars du lancement d’ici fin 2022 aux Etats-Unis et courant 2023 pour le reste du monde – d’une offre moins chère de Disney+ financée par de la publicité. Et Rita Ferro, présidente en charge de la publicité chez DMED d’ajouter : « Depuis son lancement, les annonceurs réclament à cor et à cri la possibilité de faire partie de Disney+ » (1).

Disney cède à la pression des annonceurs
La pression des annonceurs en quête d’espaces sur les services de streaming vidéo, encore très dominés dans les foyers par les plateformes par abonnement et sans publicités (SVOD), est telle que The Walt Disney Company a dû céder aux sirènes des marques. Pourtant, en juin 2021, devant des investisseurs réunis par le Credit Suisse, le PDG du groupe, Bob Chapek, avait écarté l’idée d’une offre financée par la publicité (AVOD) : « Nous n’avons pas de tels plans maintenant. Nous sommes satisfaits des modèles que nous avons en ce moment », avait-t-il assuré (2).
Neuf mois après, c’est le contraire. C’est surtout le moyen d’espérer engranger plus rapidement des abonnés, certes low cost, afin de parvenir à son objectif d’atteindre lors de son exercice 2024 (clos fin septembre) de 230 à 260 millions d’abonnés au total à Disney+, soit cinq ans après son lancement aux Etats-Unis. Pour le mythique conglomérat du divertissement et major d’Hollywood, qui fêtera son centenaire en octobre 2023, ce serait la consécration de son déploiement mondial réussi dans le streaming – sous la houlette de Bob Chapek, successeur de Bob Iger depuis plus de deux ans maintenant (3). La date de lancement et le prix allégé par rapport aux 7.99 dollars par mois actuels (ou 8,99 euros) seront connus dans le courant de l’année. Conséquence de l’ouverture dès cette année de Disney+ à l’AVOD, outre le fait que Disney+ Hotstar (4) fasse déjà de la publicité en Inde et en Asie du Sud-Est, ce marché mondial de l’« Advertising Supported Video on Demand » devrait largement dépasser les 66 milliards de dollars en 2026, selon Digital TV Research : « Je pense que les nouvelles prévisions seront supérieures, mais nous les publierons en mai prochain », indique Simon Murray, son analyste principal, à Edition Multimédi@. Autrement dit, dans quatre ans, les revenus en termes d’abonnements de l’AVOD devraient pouvoir plus que doubler par rapport aux 3,7 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2021 dans les 138 pays observés. Les Etats-Unis demeureront sans surprise à la tête de ce marché, suivis par la Chine, le Japon, le Royaume-Uni ou encore l’Inde (voir tableau page suivante).
Digital TV Research pourrait devoir revoir encore à la hausse ses prévisions si Netflix se décidait à son tour à franchir la clôture pour aller voir du côté de l’AVOD si l’herbe y est vraiment plus verte… Ce que le numéro un mondial de la SVOD au logo rouge n’exclut pas. C’est du moins ce qu’a laissé entendre son directeur financier, Spencer Neumann, à la conférence « Technology, Media & Telecom » de Morgan Stanley le 8 mars dernier : « Ne jamais dire jamais, a-t-il répondu à ce sujet. Ce n’est pas quelque chose dans notre plan en ce moment. [Mais] ce n’est pas comme si nous avions la religion d’être contre la publicité. (…) Il est difficile pour nous d’ignorer que les autres le font, mais pour l’instant cela n’a pas de sens pour nous » (5). Cette réponse de Normand ressemble à celle que faisait Bob Chapek, le patron de Disney, il y a neuf mois…
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, pourrait ne pas laisser son rival Disney+ prendre trop d’avance sur ce terrain publicitaire, d’autant que le rythme des nouveaux abonnés ad-free (sans pub) au « N » rouge a ralenti au cours des derniers trimestres, entraînant l’action de la firme de Los Gatos (Californie) dans une chute de plus de 40 % depuis le début de l’année.

Netflix et Amazon Prime Video ralentis
Un accès à Netflix moins coûteux que l’abonnements actuels – de 9,99 dollars à 19,99 dollars par mois, ou de 8,99 euros à 17,99 euros – permettrait peut-être d’inverser la tendance baissière. Plus globalement, en l’état des offres ad-free et des forces en présence, les prévisions montrent que Netflix devrait être dépassé par Disney+ en 2028, d’après Digital TV Research. La montée en puissance des plateformes HBO Max, conjuguée à la plateforme Discovery+ une fois que Warner Bros. Discovery sera opérationnel cette année (6), et Paramount+ (Paramount Global, ex- ViacomCBS), devrait néanmoins pressuriser le parc d’abonnés des deux leaders.
Si l’on rajoute Peacock lancé il y a près de deux ans par NBCUniversal, filiale de Comcast, la question de l’encombrement du marché de la SVOD – proche de la saturation – reste posée dans un marché toujours en croissance. A cette prolifération de l’offre de plus en plus chère, s’ajoute le casse-tête des mots de passe (7), avec le risque de pousser certains à préférer le piratage au légal.

L’AVOD, menace sur les chaînes TV
Selon Digital TV Research, les abonnements mondiaux à la SVOD augmenteront de 550 millions entre 2021 et 2027 pour atteindre 1,75 milliard. La Chine et les Etats- Unis représenteront ensemble près de la moitié (48 %) de ce total mondial dans cinq ans. « Certains ont affirmé récemment que le marché américain de la SVOD était au point de saturation. Même si nous nous attendons à une certaine décélération pour les acteurs plus établis [Netflix et Amazon Prime Video, ndlr], il reste encore beaucoup à faire pour les plateformes plus jeunes comme Disney+, Paramount+ et HBO Max », a nuancé Simon Murray le 17 février dernier. La vidéo à la demande financée par la publicité n’est pas nouvelle. YouTube et Dailymotion sont les plateformes pionnières dans ce domaine. La plate-forme Hulu, lancée la même année que celle de la mise en ligne de Netflix (en mars 2 0 0 7 ) e t d é tenue aujourd’hui majoritairement par Disney (depuis avril 2019) aux côtés de Comcast, s’est développée d’abord avec de la publicité. Des formules d’abonnements ont ensuite été proposées, comme Hulu + Live TV. Peacock joue sur les deux tableaux : de la publicité sur les options « Free » et « Premium », et ad-free avec « Premium Plus ». Quant aux service HBO Max, jusqu’alors faisant partie de WarnerMedia (groupe AT&T), il ne voulait pas entendre parler de publicités. Du moins jusqu’à l’an dernier, se décidant à rajouter une option ad-supported. Et une fois que HBO Max et Discovery+ auront fusionnés, SVOD et AVOD pourraient cohabiter. Selon un rapport de Tubi (le service de streaming gratuit de Fox), entre 20 % et 46 % des foyers américains – selon le nombre d’abonnements SVOD par foyers (de un à cinq ou plus) – regardent aussi des services d’AVOD (8).

140 millions d’Américains ciblés
Aux Etats-Unis, le cabinet d’études et d’informations eMarketer a montré le 10 mars dernier (9) que les plateformes vidéo avec publicités attirent plus de 140 millions d’Américains en 2022, soit 41,6 % de la population étatsunienne. Ses prévisions tablent sur 171,5 millions d’Américains en AVOD d’ici 2026, soit près de la moitié de la population (49,5 %). Sur fond de bataille entre les ad-free et les adsupported, ce sont les chaînes de télévision le plus souvent nationales – payantes et gratuites – qui pourraient être les victimes collatérales de l’avancée de ces acteurs OTT (Over-the-Top) globaux. @

Charles de Laubier

Etats-Unis : la FTC divisée sur le cas Amazon-MGM

En fait. Le 17 mars, Amazon a annoncé avoir finalisé l’acquisition des studios de cinéma hollywoodiens MGM (Metro Goldwyn Mayer) pour 8,5 milliards de dollars. Si la Commission européenne a donné sont feu vert le 15 mars, la FTC américaine n’a toujours rien dit d’officiel mais sa présidente a l’œil.

En clair. Le géant Amazon fait comme s’il avait obtenu aux Etats-Unis le feu vert formel de la Federal Trade Commission (FTC) pour son acquisition des studios de cinéma MGM presque centenaires. Deux jours après avoir obtenu la bénédiction de la Commission européenne, qui, le 15 mars, n’a rien trouvé à redire (1) sur cette opération de concentration à 8,5 milliards de dollars (autorisée sans condition), la firme de Jeff Bezos a annoncé la finalisation de l’opération. « MGM a rejoint Prime Video et Amazon Studios. Ce studio historique, vieux de près de 100 ans, qui compte plus de 4.000 films, 17.000 épisodes télévisés, 180 Oscars et 100 Emmy Awards, complétera le travail de Prime Video et d’Amazon Studios en offrant une offre diversifiée de choix de divertissement aux clients », s’est-t-elle félicitée, dans un communiqué daté du 17 mars dernier (2).
La FTC n’ayant pas intenté d’action – dans le délai imparti (dont l’échéance était fixée à mi-mars) – à l’encontre de cette méga-acquisition, Amazon a estimé de fait avoir les coudées franches. Or, contrairement aux apparences, le PDG Andy Jassy – successeur de Jeff Bezos à ce poste depuis juillet 2021 – n’a pas obtenu l’aval de la présidente de la FTC, Lina Khan, et encore moins de blanc-seing de sa part. Cette dernière l’a fait savoir, via une porte-parole, dans une déclaration faite au magazine américain Variety le 17 mars : « La FTC n’approuve pas les transactions et peut contester une opération à tout moment si elle détermine que celle-ci contrevient à la loi » (3). Mais pourquoi Lina Khan, pourtant réputée « anti- GAFAM » et auteure en 2017 du « Paradoxe anti-monopole d’Amazon », ne s’est toujours pas prononcée publiquement sur ce dossier ? Pas parce qu’Amazon avait demandé le 30 juin 2021 que Lina Khan n’instruise pas elle-même cette affaire en raison de ses prises de position passées (4).
La réponse se trouve au sein de la FTC : selon Politico (5), ses quatre commissaires actuels sont divisés sur le dossier Amazon-MGM – les Républicains Noah Phillips et Christine Wilson étant contre toute plainte. La présidente aurait donc évité d’organiser un vote officiel mais, a indiqué la porte-parole, elle peut envoyer des « lettres d’avertissement » à Amazon, à défaut de finaliser une enquête antitrust dans les délais prévus par le HSR Act. Le blocage de la transaction reste une épée de Damoclès. @

Le monde de l’audiovisuel et du cinéma s’apprête à être bousculé par la naissance de Warner Bros. Discovery

Qui ne dit mot consent : à l’échéance du 9 février, aucune autorité antitrust américaine n’a contesté le projet de fusion entre WarnerMedia, filiale de l’opérateur télécoms américain AT&T, et son compatriote Discovery. L’Union européenne, elle, a déjà donné son feu vert en décembre. Le géant Warner Bros. Discovery naîtra au printemps.

Feux verts pour le lancement au printemps du nouveau géant du divertissement, du cinéma et de l’audiovisuel – streaming vidéo et chaînes payantes compris : Warner Bros. Discovery (WBD). Bien que la fusion entre les deux groupes américains WarnerMedia et Discovery ait été annoncée en mai 2021 (1), cette prise de contrôle de la filiale de contenus audiovisuels et cinématographiques de l’opérateur télécoms AT&T par son compatriote Discovery, lequel en prend le contrôle, entame sa dernière ligne droite.
Et ce, en vue de la finalisation – au deuxième trimestre – de cette mégafusion à 43 milliards de dollars pour AT&T. Cette somme servira à l’opérateur télécoms pour se désendetter et renforcer ses investissements dans la 5G et la fibre optique. Le nouveau groupe WBD sera placé sous la houlette de David Zaslav (photo). L’ensemble compte faire jouer des synergies technologiques, marketing et numériques pour dégager dans les deux ans « plus de 3 milliards de dollars » d’économie, selon le projet de lettre aux actionnaires (2) présentée le 1er février dernier en même temps que le prospectus de l’opération de spin-off (3). WarnerMedia et Discovery discutent en outre depuis novembre dernier de la fusion de leurs deux plateformes de SVOD : HBO Max et Discovery+. Les Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+ n’auront qu’à bien se tenir.

WBD sera coté au Nasdaq et tiré par le streaming
« Le regroupement en une seule plateforme entraînera des économies considérables. Je pense qu’il y aura aussi des avantages significatifs pour les consommateurs à fusionner en une seule plateforme », avait déclaré le directeur du streaming et de l’international chez Discovery, le Français Jean-Briac Perrette (4). La future plateforme commune de SVOD, « HBO Max Discovery+ », s’approchera des 100 millions d’abonnés et promet de bousculer les marchés audiovisuels et cinématographique au niveau mondial, y compris les chaînes payantes. Ce nouveau rival de taille pourrait mettre fin au leadership de Netflix (dont le service en ligne fut créé en 2007 avec aujourd’hui près de 222 millions d’abonnés), déjà mis à mal par l’irruption de la plateforme Disney+ (lancée en 2019 et atteignant 118 millions d’abonnés). L’ensemble Warner Bros. Discovery devrait peser d’emblée plus de 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour une valorisation attendue d’environ 130 milliards de dollars. Le conseil d’administration de la nouvelle société sera composé de treize membres, dont sept avec le président du conseil nommés par AT&T, tandis que Discovery nommera six membres, dont David Zaslav, son actuel patron. Le géant des télécoms, qui se délestera de sa filiale WarnerMedia au cours du deuxième trimestre, organisera une conférence virtuelle le 11 mars avec les investisseurs sur les aspects financiers de ce spin-off.

SVOD : HBO Max et Discovery+ face à Netflix
Warner Bros. Discovery sera alors un nouveau géant qui sera coté au Nasdaq à New York, sous le symbole « WBD ». Les actionnaires d’AT&T en détiendront 71 %, tandis que ceux de Discovery les 29 % restants. « Cette transaction offre l’occasion de créer un concurrent mondial plus fort dans le streaming et le divertissement numérique », s’est félicitée la firme de Dallas (où se situe le siège d’AT&T). Il s’agit aussi pour les deux groupes qui vont fusionner de rattraper leur retard sur le peloton de tête du marché mondial du streaming et de la SVOD constitué de Netflix, Disney+, Amazon Prime Video et Apple TV+. « La WBD combinera les actifs de divertissement, de sport et d’actualité de WarnerMedia avec les principales entreprises internationales de divertissement et de sport de Discovery, afin de créer une entreprise mondiale de divertissement de premier plan et autonome », est-il prévu, les deux parties amenées à fusionner étant en outre rompues à l’exploitation de licences à travers le monde. Rivaliser avec les plateformes de streaming Netflix ou Disney+ nécessite plus que jamais de « réunir des créateurs de contenu de calibre mondial et des catalogues de séries et de films de grande qualité dans le secteur des médias ».
• WarnerMedia apporte à WBD ses grands studios d’Hollywood et ses productions de divertissement, d’animations, d’information et de sports (plutôt de stock ou scripted). Au-delà de l’emblématique major du cinéma américain Warner Bros., l’ex-Time Warner (renommé WarnerMedia en 2018) édite la chaîne de télévision payante HBO, la chaîne d’information en continu CNN, les réseaux de télévision par câble ou satellite TNT, TBS et TruTV (Turner) ou encore des programmes pour enfants Cartoon Network et DC Comics. Et c’est en mai 2020 que la plateforme de streaming vidéo HBO Max a été lancée aux Etats-Unis, avant d’être rendue accessible dans d’autres pays dont certains en Europe depuis l’automne 2021. Prochaine extension géographique, annoncée en début de mois par Johannes Larcher (5), directeur de HBO Max à l’international : le 8 mars prochain. Mais toujours pas en France car OCS, filiale d’Orange (66,67 % du capital) et de Canal+ (33,33 %), détient jusqu’à fin 2022 l’exclusivité des contenus HBO (6). Lors d’une conférence téléphonique le 26 janvier dernier, le PDG d’AT&T John Stankey a indiqué qu’ensemble la chaîne premium HBO et la plateforme HBO Max avaient atteint 73,8 millions d’abonnés. Mais c’est à peine un tiers du parc d’abonnés de Netflix et moins de deux-tiers de celui de Disney+.
• Discovery, qui ne possède pas de studio de cinéma, apporte de son côté à WBD des programmes audiovisuels de divertissement de la vie réelle, de téléréalité (real life) et de sport (plutôt du flux ou unscripted) auprès de passionnés ou de superfans. Le groupe, dont le principal actionnaire est le « cow-boy du câble » et magnat des médias John Malone (7), diffuse des programme-phares sur tous les écrans tels qu’Eurosport, Discovery Channel, HGTV, Travel Channel, MotorTrend, Animal Planet ou encore Science Channel. Et dans les plateformes numériques et applications mobiles, Discovery apporte un savoir-faire en termes d’innovation. Dès 2015, le service de SVOD Motor Trend OnDemand est lancé pour les passionnés de voitures. En 2019, Food Network Kitchen est diffusé en live et on-demand pour les fans de cuisine. Puis, c’est à partir de 2020 qu’est déployée la plateforme de SVOD Discovery+, d’abord en Inde, puis l’année suivante aux Etats-Unis. Discovery+ s’appelait auparavant Dplay (en 2019) après avoir été lancé sous le nom de QuestOD (en 2018). Au Hollywood Reporter début août dernier, le directeur général de Discovery, David Zaslay, avait indiqué que Discovery+ avait atteint les 18 millions d’abonnés (8) : plus de douze fois moins que Netflix et plus de six fois moins que Disney+. Puis à Fierce Video début novembre dernier le Français Jean-Briac Perrette (photo ci-contre) chez Discovery, avait actualisé le nombre d’abonnés à 20 millions au 30 septembre dernier. « Nous voulons accélérer dans le domaine des services de streaming de média et de divertissement, en mode Directto- Consumer (DTC), pour les consommateurs du monde entier », a expliqué la firme de Dallas le 2 février dernier lors de la présentation de la scission d’avec sa filiale de contenus.

Feux verts de l’Europe et des Etats-Unis
Auprès du gendarme de la Bourse américaine (la SEC), Discovery a pris acte qu’il n’y a eu à l’échéance légale du 9 février dernier (9) aucune contestation au projet de fusion « WBD », ni de la part de la Federal Trade Commission (FTC), présidée depuis septembre 2021 par Lina Khan et pourtant plutôt hostile aux positions dominantes (10), ni du DoJ (département de la Justice) ni même de la FCC (régulateur des communications). Alors même que le DoJ avait reçu le 4 décembre 2021 une lettre de près de trente Démocrates américains (11) l’exhortant à examiner de très près le dossier « Discovery-WarnerMedia » avant de rendre sa décision. Car selon ces parlementaires américains, le futur WBD risque de réduire la diversité et l’inclusivité des contenus proposés aux consommateurs, lesquels pourraient être amenés à les payer plus cher. Quant à la Commission européenne, elle a déjà fait savoir le 3 janvier dernier qu’elle avait autorisé le contrôle de WarnerMedia par Discovery (12). @

Charles de Laubier

Plateforme vidéo : discret, Sony fourbit ses armes

En fait. Le 2 décembre dernier, l’analyste Simon Murray chez Digital TV Research a répondu à Edition Multimédi@ sur la raison de l’absence du groupe japonais Sony dans la course mondiale aux plateformes de SVOD, alors que les autres détenteurs de studios de cinéma ont lancé la leur (Disney+, Paramount+, Peacock, …).

En clair. « Ils [ni Sony Pictures Entertainment, ni Sony Pictures Television, ni Sony Interactive Entertainment, ndlr] n’ont rien déclaré publiquement, mais je pense qu’ils ont pris la décision qu’ils pourraient faire plus d’argent en restant agnostiques en termes de plateformes, plutôt que de lancer leur propre plateforme à partir de zéro (from scratch) », nous répond Simon Murray (photo), l’analyste et fondateur de Digital TV Research. Sony, maison mère d’une des grandes majors mondiales du cinéma avec Sony Pictures (studios Columbia Pictures), est le seul géant d’Hollywood à ne pas avoir sa propre plateforme de SVOD pour répliquer à Netflix, Amazon Prime Video ou encore à Apple TV+.

Des galops d’essai en Inde et en Europe
Ses rivaux du 7e Art américain sont, eux, descendus dans l’arène du streaming par abonnement : The Walt Disney Company a lancé Disney+ en novembre 2019 ; NBCUniversal, filiale de Comcast, a mis en ligne Peacock en avril 2020 ; WarnerMedia, propriété d’AT&T, a ouvert HBO Max en mai 2020 ; ViacomCBS opère Paramount+ depuis mars 2021, remplaçant CBS All Access qui existait depuis 2014. Quant à la plateforme Hulu, elle a été lancée en mars 2007 – la même année de la mise en ligne de Netflix – par, à l’époque, The Walt Disney Company, 21st Century Fox, Comcast (NBCUniversal) et WarnerMedia. Depuis avril 2019, Hulu est détenu à 66 % par Disney et à 33 % par Comcast, lequel reproche au premier d’avoir lancé en février dernier le service Star – un « Hulu » rattaché à Disney+ mais en dehors des Etats-Unis. Bref, pourquoi Sony n’a pas sa propre plateforme OTT (2) vidéo ? Il faut se méfier de l’eau qui dort ou des rivaux en embuscade : à y regarder de plus près, la firme tentaculaire de Tokyo fourbit ses armes. En Inde, Sony Pictures Networks India (SPNI) a lancé en juin 2015 la plateforme de SVOD SonyLiv (3), laquelle devrait ne faire qu’une avec sa concurrente indienne ZEE5 (4) du géant indien ZEE Entertainment. Les deux maisons mère (Sony et Essel) finalisent d’ici le 20 décembre la fusion de SPNI et de ZEE, y compris de leurs plateformes. Surtout, SonyLiv pointe son nez en Europe depuis cet été via YuppTV (5). En outre, en Espagne et au Portugal, Sony Pictures Entertainment opère AXN Now (6) depuis juin 2018. Plus récemment, depuis le printemps dernier, Sony Interactive teste en Pologne le cinéma à la demande avec un « PlayStation Plus Video Pass » pour regarder sur console PS des films de… Sony Pictures. @

Kazuo Hirai va quitter Sony, dont il est président, au moment où la pression des GAFAN se fait plus intense

Et si Sony vendait son studio de cinéma à Apple ? C’est l’un des scénarios possibles, maintenant que la plateforme de SVOD Apple TV+ est annoncée pour l’automne. Encore faut-il que Kenichiro Yoshida, nouveau PDG depuis un an du géant japonais de l’électronique, soit vendeur… Pour l’heure, tous ses efforts se concentrent sur la future PS5.

Le président de Sony, le visionnaire Kazuo Hirai (photo), a passé il y a un an la direction exécutive du groupe à son directeur financier, Kenichiro Yoshida. « Kaz », comme on le surnomme, quittera définitivement en juin prochain la firme de Tokyo où il a passé 35 ans de sa vie. Ce départ, qui finalise la passation de pouvoirs à la tête du géant mondial japonais de l’électronique grand public, intervient au moment où son avenir devient un peu plus incertain malgré le redressement opéré ces dernières années. Kazuo Hirai laisse derrière lui un groupe en meilleur santé qu’il ne l’avait trouvé comme PDG. Les résultats de l’exercice 2018/2019, clos fin mars, ont été publiés le 26 avril dernier : le chiffre d’affaires global atteint 8.665,7 milliards de yens (69,3 milliards d’euros), en hausse sur un an de 1,4 %, et le résultat net en forte hausse affiche un nouveau record, à 916,2 milliards de yens (7,3 milliards d’euros). Kaz avait pris la tête de Sony il y a sept ans en succédant, le 1er avril 2012, à l’Américain Howard Stringer. Fort de son succès passé à la division Sony Computer Entertainment avec la console PlayStation et son écosystème de jeux en ligne, devenue la locomotive du groupe, le Japonais avait entrepris de généraliser aux autres activités la convergence entre terminaux et contenus via des services en ligne.

Vendre Sony Pictures à Netflix, Amazon ou Apple ?
Pendant son mandat, Kazuo Hirai a dû défendre la division Entertainment en assurant qu’elle n’était « pas à vendre ». En 2013, le fonds d’investissement newyorkais Third Point – actionnaire minoritaire de Sony – avait appelé le géant japonais à s’en séparer et à mettre en Bourse ses activités de contenus musicaux et cinématographiques (2). Aujourd’hui, ce même hedge fund, créé par le milliardaire Daniel Loeb, est remonté
au créneau pour interpeler le nouveau PDG et lui demander de clarifier la stratégie de Sony. Pour faire monter la pression, Third Point veut investir entre 500 millions et 1 milliard de dollars pour augmenter sa participation dans le capital du géant de la high-tech. « Nous ne faisons pas aucun commentaire sur d’éventuelles actions que nous aurions dans Sony », a répondu le fonds spéculatif à Edition Multimédi@.
PS4 et jeux vidéo : premiers revenus de Sony Il y a six ans, Daniel Loeb affirmait que sa société d’investissement était devenue le premier actionnaire de Sony – à hauteur de 6,5 % du capital. N’ayant pas réussi à l’époque à obtenir la scission de l’activité de divertissement du groupe tokyoïtes, il avait revendu l’année suivante ses actions Sony en empochant une plus-value de 20 %. Après l’échec de sa première tentative d’influence, Third Point se prépare à reprendre une participation pour essayer à nouveau de peser sur les prochaines décisions stratégiques de Sony – maintenant que le financier Kenichiro Yoshida en est le patron. C’est du moins ce qu’a révélé Reuters le 8 avril dernier (3). Selon l’agence de presse, qui cite sans les nommer des proches du dossier, le fonds – qualifié d’« activiste » – veut que Sony réfléchisse aux différents scénarios concernant l’avenir de certaines de ses activités, notamment de son studio de cinéma Sony Pictures Entertainment qui intéresserait, selon lui, Amazon et Netflix.
A l’heure où ces deux plateformes mondiales de SVOD sont engagées dans une course-poursuite dans la production originale de films et séries, à coup de milliards de dollars de financements, s’emparer d’une major du cinéma mondial pourrait être un bon parti pour les GAFAN.
Y compris pour la marque à la pomme qui va lancer à l’automne sa propre plateforme Apple TV+. En février, Daniel Ives, directeur général de la société d’études financières Wedbush Securities, avait déclaré sur la chaîne américaine CNBC que « la plus grosse erreur stratégique d’Apple depuis que Tim Cook en a pris la direction est de ne pas avoir racheté Netflix » (4) et que la firme de Cupertino « devrait acheter en 2019 un grand studio de cinéma tel que potentiellement Sony [Pictures], Lionsgate, A24 [déjà partenaire d’Apple depuis l’an dernier, ndlr], CBS ou Viacom [propriétaire de Paramount, ndlr] » (5). Sony Pictures comprend notamment les studios d’Hollywood Columbia Pictures, ceux de Screen Gems et de TriStar Pictures, ainsi que les studios Game Show Network (GSN) détenus majoritaire aux côtés de WarnerMedia (AT&T).
En outre, Third Point – qui gère un fonds de 15 milliards de dollars – veut amener
Sony à clarifier sa stratégie sur la présence au sein du groupe des activités de semiconducteurs, d’une part, et d’assurance, d’autre part. Les intentions de Daniel Loeb, non confirmées ni infirmées par le fonds alternatif, auraient pu passer inaperçues si l’information n’avait pas été suivie le lendemain par un bond de plus de 9 % de l’action Sony à la Bourse de Tokyo (6). Si l’investisseur activiste n’a pas fait parler de
lui chez Sony depuis six ans, c’est que la stratégie menée par l’ex-PDG sortant Kazuo Hirai a finalement donné des résultats positifs pour le fleuron de l’électronique grand public japonais. Audelà des réductions de coûts et du renouvellement de l’équipe de direction, Sony a profité du savoir-faire dont Kaz avait fait preuve lorsqu’il était à la tête de la division Sony Computer Entertainment – avec la console PlayStation et son écosystème de jeux vidéo en ligne. Le succès de la PS4, lancée il y a près de six ans, est à mettre à son crédit. La plateforme en ligne PS Network (PSN) et son catalogue
de jeux vidéo cartonnent ; les quelque 80 millions d’abonnés actifs en ligne par mois génèrent près de la moitié des revenus de la division Entertainment.
Depuis le lancement de la toute première PlayStation en 1994 – il y a 25 ans cette année –, Sony en a fait une console de référence vendue depuis à plus de 100 millions d’exemplaires dans le monde. Kazuo Hirai aura trouvé la consécration avec la PS4 ; son successeur Kenichiro Yoshida est attendu au tournant avec une future PS5 prévue d’ici l’an prochain. Mais le ralentissement des ventes de la PS4, arrivée en fin de cycle (de vie), place Sony devant un avenir incertain. Surtout que l’activité « Game & Network Services » (G&NS) est la première source de revenu de la multinationale nippone : 2.350 milliards de yens (18,6 milliards d’euros) prévus sur l’année échue au 31 mars 2019, soit plus d’un quart du chiffre d’affaires annuel. C’est même celle qui contribue le plus aux profits du groupe (310 milliards de yens). C’est encore mieux que la division
« Music » (230 milliards de yens), même si la major Sony Music Entertainment (7) opère un redressement grâce à la montée en charge du streaming musical par abonnement (8). Pas encore rentables, les smartphones Xperia coûtent encore beaucoup d’argent à Sony.
D’autres activités sont assez performantes telles que les capteurs d’images (Cmos)
que la firme nippone – numéro un mondial dans ce domaine – fabrique pour les smartphones et tablettes du marché mondial, ainsi que pour la voiture autonome ou les solutions de sécurité. Sony fabrique aussi des téléviseurs (Bravia, Master) ou encore des appareils photo (Cyber-shot). Pour la première fois au MipTV, qui s’est tenu à Cannes courant avril, Sony a assuré la diffusion de contenus en 8K – offrant une ultra-haute définition quatre fois plus puissante que l’actuelle 4K.

La future PS5 va coûter cher à Sony
Il y a huit mois, en août 2018, l’agence de notation financière Fitch avait relevé à
« BBB- » la note de la dette à long terme de Sony. Mais le développement de la PS5 est dévoreur de capitaux. Il y a un peu plus d’un an, en mars 2018, une autre agence notation financière, Moody’s, avait déjà relevé sa note équivalente à « Baa2 » avec une perspective jugée « stable ». Pour l’instant. @

Charles de Laubier