Jeux vidéo : pour le champion français Ubisoft, la souveraineté numérique passe par le chinois Tencent

A l’heure où le gouvernement français et l’Europe ne jurent que par la souveraineté – notamment numérique – depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, les frères Guillemot, eux, ouvrent un peu plus le capital de leur groupe Ubisoft au géant chinois Tencent. La firme de Shenzhen achètera-t-elle la major française du jeux vidéo en 2030 ?

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, n’a rien trouvé à redire au fait que le géant tentaculaire chinois Tencent ait augmenté son emprise sur la pépite française du jeu vidéo Ubisoft. A croire que la souveraineté numérique ne concerne en rien le 10e Art. La firme de Shenzhen détenait depuis mars 2018 une participation de 5 % dans le capital du groupe des « Guillemot Brothers », où il est entré en tant qu’ « actionnaire de long terme » mais en promettant de ne pas aller au-delà de ces 5 % avant 2023.
Cette sinophilie s’est renforcée avec le feu vert donné à Tencent par le conseil d’administration d’Ubisoft d’augmenter – d’ici l’an prochain – sa participation directe (4,5 % suite à dilution) dans le groupe français à quasiment 10 % (précisément 9,9 %). Mais « Tencent ne pourra augmenter sa participation dans Ubisoft au-delà de 9,99 % du capital et des droits de vote d’Ubisoft avant 8 ans », précise cependant le groupe breton (1). Autrement dit, à partir de 2030, la famille Guillemot pourrait – si elle en décidait ainsi – vendre son entreprise créée il y a 36 ans au chinois Tencent. Le champion français du jeu vidéo, coté en Bourse depuis 1996 et valorisé aujourd’hui plus de 4,3 milliards d’euros (au 15-09-22), tomberait alors dans l’escarcelle du premier conglomérat multimédia de l’Empire du Milieu (Tencent pesant 86,8 milliards de chiffre d’affaires en 2021, contre 2,1 milliards pour Ubisoft).

Tencent, futur acquéreur d’Ubisoft en 2030 ?
A moins que la famille Guillemot ne cède entre 2022 et 2030 Ubisoft à un autre prétendant, sans avoir besoin de l’accord du chinois. « Nous sommes ravis d’étendre notre engagement avec les fondateurs, la famille Guillemot, Ubisoft continuant de développer des expériences de jeu immersives, et de porter sur mobile plusieurs des franchises AAA les plus connues d’Ubisoft », a déclaré enthousiaste le Chinois Martin Lau (photo), alias Lau Chi Ping, président de Tencent Holdings Limited. La maison mère de ce géant est cotée à Hong-Kong (367,4 milliards d’euros de capitalisation au 15-09-22) et enregistrée aux Iles Caïmans (l’un des plus célèbres paradis fiscaux). Cette emprise chinoise sur l’une des plus grandes réussites françaises qu’est Ubisoft illustre les limites de la « souveraineté industrielle et numérique » de la France face à la mondialisation des capitaux en général et à la concurrence planétaire des industries culturelles en particulier.

Les Guillemot dans l’œil du cyclone
Pourtant, pas plus tard qu’au premier jour de l’été dernier, pour inaugurer l’Assemblée numérique (2) qui était organisée par la Commission européenne et la présidence française de l’Union européenne, Bruno Le Maire, ministre de la Souveraineté, avait prévenu : « Il ne peut pas y avoir de souveraineté numérique sans entreprises de technologie européennes, puissantes de rang mondial ». Cela suppose, avait-il poursuivi, de « financer la croissance de [ces] entreprises ». En l’occurrence, la major française du jeu vidéo Ubisoft n’aurait-elle pas pu par exemple bénéficier du plan « Scale-up Europe » (3) qu’Emmanuel Macron a lancé en mars 2021 en lien avec la Commission européenne et les autres Etats membres ?
Edition Multimédi@ n’a pas eu de réponse de Bercy à ce sujet. Quoi qu’il en soit, le PDG d’Ubisoft Yves Guillemot n’exclut pas de vendre un jour le groupe familial. « S’il y avait une offre d’achat, le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les intervenants », avait-il déclaré lors d’une conférence téléphonique avec des analyses le 17 février dernier (4). Ce n’est pas la première fois qu’Ubisoft suscite l’intérêt d’acheteurs potentiels : à partir de 2015, Vivendi – qui s’était délesté d’Activision Blizzard deux ans plus tôt – avait lancé une OPA hostile sur l’éditeur de « Assassin’s Creed », « Les Lapins Crétins » ou encore « Tom Clancy’s », ainsi que sur l’autre éditeur vidéoludique de la famille, Gameloft. Si le groupe de Vincent Bolloré – Breton comme les Guillemot – a réussi son OPA sur Gameloft en 2016, il a dû renoncer en 2017 à Ubisoft face à la résistance des « Guillemot Brothers » (5). Dans la foulée, le chinois faisait son entrée au capital de l’éditeur français de jeux vidéo, en tant qu’actionnaire minoritaire mais « de long terme » (6) Avec sa filiale Tencent Games qui dépend de sa holding Tencent Interactive Entertainment, la firme de Shenzhen est numéro un en Chine dans les jeux vidéo – notamment avec sa marque QQ qui est au gaming (7) et à la musique (8) ce que son autre marque amirale WeChat est aux réseaux sociaux. Mais l’Empire du Milieu ne lui suffit pas ; ses pions avancent en Occident. Tencent est déjà pleinement propriétaire depuis 2015 de Riot Games, l’éditeur américain de « League of Legends » (9). Le chinois du divertissement contrôle aussi le finlandais Supercell depuis 2019 et détient 40 % d’Epic Games (« Fortnite »), 5 % d’Activision Blizzard, et 5% du suédois Paradox Interactive (10). Tencent fait tout pour se renforcer dans Ubisoft, au point d’être perçu par certains comme le candidat « naturel » à la reprise du français le moment venu, n’en déplaise aux tenants de la souveraineté industrielle et numérique. Pour l’heure, dans leur communication du 6 septembre, le groupe des cinq frères Guillemot (11) présente implicitement l’investisseur chinois comme un cheval blanc venu les protéger contre toute OPA hostile. Et ce, au moment où le marché mondial du jeu vidéo est en pleine consolidation : Microsoft attend les feux verts des autorités antitrust pour finaliser d’ici 2023 la méga-acquisition d’Activision Blizzard annoncée en janvier pour 68,7 milliards de dollars (12). En 2021, la firme de Redmond s’était emparée de ZeniMax Media, la maison mère de Bethesda Softworks (13) et d’autres studios de jeux vidéo, pour 7,5 milliards de dollars. Cette année, Take-Two interactive a jeté son dévolu sur Zynga (14) pour 11 milliards de dollars, Sony sur Bungie pour 3,6 milliards de dollars. Tencent, qui dispose avec Ubisoft d’une cible de choix, est présenté par les Guillemot comme un bouclier contre les autres prétendants.
Outre sa future participation directe de 9,99 % dans Ubisoft, le chinois a été invité au capital de la holding familiale basée à Londres, Guillemot Brothers Limited (« GB Ltd »), et d’y agir « de concert » avec « Le Club des cinq » frères. « L’élargissement du concert avec Tencent renforce l’ancrage de l’actionnariat de référence d’Ubisoft autour de ses fondateurs et lui offre une stabilité essentielle pour son développement à long terme » a assuré Yves Guillemot. Ainsi la firme de Shenzhen prend – dès maintenant cette fois – une participation de 49,9 % du capital de GB Ltd, que préside son frère Christian Guillemot, et 5% des droits de vote, moyennant 300 millions d’euros (15). De plus, Tencent accorde à GB Ltd « un prêt long terme » pour permettre à cette holding de « refinancer sa dette » et de lui apporter des « ressources financières supplémentaires utilisables pour monter au capital d’Ubisoft ». A l’issue de cette opération financière sino-française, la famille Guillemot détiendra 15,4 % du capital du groupe Ubisoft Entertainment (contre 15,8 % auparavant) avec 20,8 % des droits de vote (contre 22,1 %). Ubisoft a chuté en Bourse ; le titre ne serait plus « spéculatif ». Vraiment ?

Tenter de tenir à distance Tencent
Et pour assurer qu’ils sont encore maîtres chez eux, à défaut d’être « souverains », les frères bretons indiquent que « Guillemot Brothers Limited reste exclusivement contrôlée par la famille Guillemot. Tencent ne sera pas représentée au conseil d’administration et n’aura aucun droit d’approbation ou de véto opérationnel ». Tandis que « la gouvernance d’Ubisoft est préservée à l’identique et Tencent n’aura aucun droit de veto opérationnel » (16). Les Guillemot gardent encore la main, mais la souveraineté numérique d’Ubisoft prend des allures franco-chinoises. @

Charles de Laubier


Les promesses numériques, culturelles et audiovisuelles s’accumulent pour le 2e et dernier quinquennat de Macron

Le 8e président de la Ve République entame son deuxième et dernier mandat de cinq ans avec à nouveau des promesses, notamment numériques, culturelles et audiovisuelles. L’ancien ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016) poursuit sa « Start-up Nation », mais reste toujours flou sur l’audiovisuel public.

14 mai 2017-7 mai 2022. Deux investitures. Un même président de la République. Mais des promesses qui n’ont presque rien à voir avec celles d’il y a cinq ans. Même si la confrontation entre Emmanuel Macron (photo) et la candidate d’extrême droite a donné un air de déjà vu – avec une élection présidentielle remportée par le premier grâce au front républicain –, la donne a changé et les défis sont autrement plus sérieux et graves (guerre, nationalisme, pandémie, inégalités, fracture territoriale, réchauffement climatique, …). Au-delà de son discours d’investiture du 7mai 2022 rappelant l’esprit des Lumières, de la République française et de l’Europe, le toujours jeune locataire de l’Elysée (44 ans) sait qu’il doit passer rapidement aux actes. C’est dans ce contexte nouveau que le toujours 8e président de la Ve République, réélu le 24 avril, a déclaré lors de son investiture qu’il aller notamment « agir pour faire de notre pays une puissance agricole, industrielle, scientifique et créative plus forte en simplifiant nos règles et en investissant pour cette France de 2030 » ou, par exemple, « agir pour bâtir une société du plein emploi et d’un juste partage de la valeur ajoutée car la France a besoin de continuer de produire et d’innover davantage » (1). Mais il faut se référer au programme du candidat à sa réélection, présenté le 17 mars dernier, pour entrer dans le dur de ses promesses présidentielles.

Un ministère du Numérique digne de ce nom ?
Encore faut-il qu’un nouveau gouvernement soit nommé, alors que l’actuel est resté en place au moins jusqu’au vendredi 13 mai à minuit, dernier jour officiel du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Le Premier ministre Jean Castex devrait démissionner dimanche 15 mai après avoir vu… le Pape. Dans cette phase de transition et à cinq semaines des élections législatives à l’issue incertaine pour la majorité actuelle, nul ne sait qui sera le prochain Premier ministre ou – même si deux femmes (2) ont déjà décliné l’offre du président de la République – la prochaine Première ministre : Audrey Azoulay ? Sur la composition de son gouvernement, les spéculations vont bon train. Par exemple, la future locataire de Matignon aura-t-elle un ministère du Numérique digne de ce nom ? Pour le chef de l’Etat qui fut ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016) et qui s’est fait le président champion de la « Start-up Nation », cette éventualité est en réflexion. Durant les deux années de restrictions sanitaires, dont trois périodes de confinement, le distanciel (télétravail, école en ligne, téléconsultations, …) a jeté une lumière crue sur la fracture numérique et le taux d’illectronisme qui sévissent en France (3). Le prochain gouvernement ne devrait plus se contenter d’un secrétaire d’Etat au Numérique.

Cédric O va quitter la politique
Cédric O, qui assume cette fonction (4) depuis mars 2019 après avoir succédé à Mounir Mahjoubi, a déjà prévenu dès l’an dernier Emmanuel Macron qu’il quittera la vie politique à l’issue du premier quinquennat où il fut aussi le porte-voix de la « French Tech » (5). Parmi la dizaine de noms qui circulent à sa succession ou pour devenir le ministre à part entière du Numérique, il y en a deux qui tiennent la corde : Eric Bothorel (55 ans), député (LREM devenu Renaissance) de la 5e circonscription des Côtes d’Armor et ancien socialiste, informaticien, coprésident du groupe d’étude de l’économie de la donnée, de la connaissance et de l’intelligence artificielle à l’Assemblée nationale ; Philippe Englebert (31 ans comme il nous l’a confirmé, et non 37 ans comme des médias l’ont écrit par erreur), actuel conseiller technique « entreprises, services financiers, attractivité et export » aux cabinets respectifs d’Emmanuel Macron et de Jean Castex, après avoir été conseiller « entreprises et technologies » de Cédric O. Autant Eric Bothorel a déjà roulé sa bosse et est élu, autant Philippe Englebert – auteur du Que sais-je ? « Les start-up en France » (PUF, 2021) – manque encore d’envergure pour briguer un ministère du Numérique de plein exercice. En revanche, ce jeune conseiller technique a le profil pour être l’un des secrétaires d’Etat rattachés à ministre du Numérique. Et pourquoi pas le secrétaire d’Etat à la Fracture numérique qu’Arthur Pinault, fondateur de SOStech, appelle de ses voeux dans une tribune parue dans Marianne le 6 mai dernier pour venir en aide aux 13 millions de Français qui en pâtissent (6). Le candidat Macron de 2017 avait promis du très haut débit sur l’ensemble du territoire national d’ici fin 2022, en attendant « la fibre pour tous » pour 2025 – repoussant de trois ans l’objectif fixé par son prédécesseur François Hollande. Non seulement il reste encore du chemin à faire en termes de taux de pénétration du très haut débit (7), mais aussi les branchements à la fibre optique se passent très mal à de nombreux endroits (8). Et selon les calculs de Edition Multimédi@, au 31 décembre 2021, le taux de pénétration du FTTH (9) en France n’était que de 48,7% d’abonnements (14,4 millions) sur le total des 29,7 millions de locaux (ou foyers) éligibles à la fibre optique de bout en bout jusqu’à l’abonné. Le président-candidat de 2022 a promis à nouveau d’« achever la couverture numérique du territoire par la fibre d’ici 2025 » (10).
D’autres engagements sont aussi avancés : « Généraliser l’enseignement du code informatique et des usages numériques à partir de la 5e », « Transformer l’Etat par le numérique » (l’appli TousAntiCovid étant citée en exemple de simplification), « 20.000 accompagnateurs pour aider les Français qui en ont besoin dans la maîtrise des outils numériques et leurs démarches quotidiennes », « Développement de la téléconsultation », « Un investissement massif dans l’innovation : robotique, numérique […]». Quant au carnet de santé numérique, il sera « accessible à tous en 2022 ».
Côté culture, Emmanuel Macron a notamment prévu pour son dernier quinquennat « un investissement pour construire des métavers européens et proposer des expériences en réalité virtuelle, autour de nos musées, de notre patrimoine et de nouvelles créations, en protégeant les droits d’auteur et droits voisins ». Autre promesse : « Une extension du Pass Culture pour accéder plus jeune à la culture ». Cette appli culturelle est créditée de 300 euros offerts pour les 18 ans, et même à partir de 15 ans depuis le 10 janvier dernier (300 euros renouvelés pendant quatre ans).
Concernant cette fois l’audiovisuel, l’acteur principal de « Macron à l’Elysée, saison 2 » est beaucoup moinsdisant que dans la « saison 1 ». La grande réforme du premier quinquennat – celle de l’audiovisuel – visait à rapprocher les sociétés audiovisuelles publiques et à simplifier la réglementation audiovisuelle sur fond de basculement numérique.

« Audiovisuel, saison 2 », par Macron
Or cette promesse d’il y a cinq ans a été sacrifiée sur l’autel du covid et remplacée par quelques mesures, dont la création de l’Arcom (issue de la fusion entre le CSA et l’Hadopi), la lutte contre piratage étendue au streaming, ou encore la contribution des grandes plateformes de SVOD au financement de films et séries françaises. Pour la « saison 2 », Emmanuel Macron promet de « supprimer la “redevance télé” et garantir l’indépendance de l’audiovisuel public ». Les producteurs sont très inquiets de cette décision (11), tandis que les industries culturelles en attendaient bien plus du président réélu (12). @

Charles de Laubier

Le groupe français OVH veut surfer en Bourse sur le marché ouvert du « cloud souverain » dans le monde

La souveraineté nationale et/ou européenne de l’informatique en nuage (cloud) est à géométrie variable, mais elle constitue un marché prometteur pour les fournisseurs comme le français OVHcloud qui va faire son entrée en Bourse. Mais les américains et les chinois veulent aussi leur part du gâteau.

« Souveraineté des données » (50 fois), « cloud souverain » (2 fois), mais aussi « cloud souverain européen », « souveraineté des données en Europe », « souveraineté numérique de l’Europe », « cloud de données sécurisées et souveraines », « souveraineté et de sécurité des données », « bases de données souveraines » : le document d’enregistrement boursier du groupe OVH (alias OVHcloud), approuvé le 17 septembre 2021 par l’Autorité des marchés financiers (AMF), montre que la « souveraineté » est devenue le leitmotiv dans le nuage.

Cloud et souveraineté : deux concepts flous
La souveraineté numérique appliquée au cloud et aux données est cependant un concept flou, dont on ne sait pas trop s’il s’agit d’un protectionnisme national ou d’une préférence européenne, voire extra-européenne. Une chose est sûre : tout en voulant se développer en Amérique du Nord, en Asie et en Inde, le groupe français OVH assure vouloir être « le champion européen du cloud », même si « Microsoft et Orange ont récemment annoncé leur intention de former un partenariat offrant des solutions de cloud souverain de données qui pourraient [le] concurrencer ». Tout comme Oodrive et Outscale.
La souveraineté s’avère compatible avec les GAFAM. OVHcloud, lui, a annoncé en novembre 2020 un partenariat avec Google et sa plateforme logicielle Anthos pour « propose[r] aux clients européens une offre garantissant la souveraineté des données ». Le groupe d’Octave Klaba (photo), fondateur de la société, son président actuel et son actionnaire majoritaire avec sa famille, est en outre l’un des membres fondateurs de Gaia-X. Ce consortium de « cloud de confiance » franco-allemand, lancé en 2020, entend favoriser « la souveraineté numérique de l’Europe » face aux « hyperscalers » américains (1). Pour autant, Gaia-X – basé à Bruxelles (2) – compte parmi ses plus de 300 membres non seulement des européens mais aussi les américains Amazon, Google, Microsoft (3) et Palantir (proche de la CIA), les chinois Huawei, Alibaba et Haier. Autant dire que le « cloud souverain » est portes et fenêtres grandes-ouvertes. OVHcloud indique exploiter à ce jour 33 centres de données dans le monde entier sur douze sites différents, en France, en Europe, en Amérique du Nord, à Singapour et en Australie, soit un total de plus de 400.000 serveurs. « A l’avenir, OVHcloud pourrait envisager d’ajouter des centres de données dans des pays tels que l’Inde », mentionne le prospectus financier. La société créée en 1999, dont le siège social se situe toujours à Roubaix (Nord de la France), devient internationale : si plus de la moitié (52 %) des 632 millions d’euros de chiffre d’affaires de l’année 2020 est réalisée en France, 28 % proviennent d’autres pays en Europe et 20 % d’ailleurs dans le monde. Car le cloud n’a pas de frontières.
Si la « souveraineté » est floue, l’informatique en nuage l’est tout autant. Le cloud computing désigne les technologies permettant l’utilisation à distance de ressources de calcul, de stockage et de réseaux, fournies à la demande et automatiquement, via l’Internet. Le cloud est à géométrie variable : « hybride » (combinant cloud public et cloud privé), « privé » (serveur chez un seul client), « public » (serveur chez un seul client) (4), « web » (hébergement de sites Internet). Pour satisfaire ses clients, OVH fournit ainsi des services numériques à la demande, que cela soit du « Cloud-as-a-Service » (CaaS), de l’« Infrastructure-as-a-Service » (IaaS), du « Platform-asa- Service » (PaaS), du « Datacenter-as-a-Service » (DCaaS) ou encore du « Software-as-a-Service » (SaaS). C’est selon. « Il n’existe pas de définition standard des marchés sur lesquels OVHcloud opère, ce qui rend difficile la prévision de la croissance et la comparaison de l’activité d’OVHcloud avec celle de ses concurrents », prévient le prospectus au chapitre des risques. Difficile donc de connaître la part de marché d’OVH. Seules une estimation du marché mondial des services cloud d’infrastructure et de plateforme logicielle est avancée : de 100 à 120 milliards d’euros en 2020. Le groupe OVH veut lever jusqu’à 400 millions d’euros en Bourse, mais il reste à connaître le calendrier d’introduction. @

Charles de Laubier

ZOOM

OVH Groupe veut faire le poids
Sur le segment de marché du « cloud privé », le groupe OVH en revendique 10 % à 15 % en Europe continentale, comme son rival IBM Cloud – tous les deux devançant l’allemand Hetzner, l’américain Rackspace et le néerlandais Leaseweb.
Sur le segment du « cloud public », il ne dépasse pas 1% sur l’Europe continentale, largement préempté par les « hyperscalers » que sont Amazon Web Services, Google Cloud Platform et Microsoft Azure, suivis d’IBM Cloud et d’Alibaba Cloud.
Sur le segment du PaaS, il indique ne pas disposer d’une part de marché significative face aux « hyperscalers » (Amazon, Google, Microsoft, Alibaba), Salesforce, Oracle, IBM et SAP. Sur le segment du « cloud web » (hébergement de sites Internet et de domaines), estimé en 2020 de 3,5 à 4 milliards d’euros au niveau mondial et de 1 à 1,5 milliard euros en Europe, « dont environ 100 millions d’euros pour la France » où il revendique 65 % de part de marché (par ailleurs 16 % en Espagne et 10 % en Pologne).
Sur le segment du SaaS, il développe son « usine à logiciels » pour développeurs et éditeurs. Les plateformes logicielles, elles, sont dominées par Salesforce, Oracle, IBM et SAP. @

Sébastien Soriano (IGN) veut tenir tête à Google Maps

En fait. Le 27 septembre, Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a présenté la « feuille de route » de l’Etat pour « l’ouverture, la circulation et la valorisation des données publiques ». Exemple : l’IGN prône la souveraineté des géodonnées face à Google Maps.

En clair. L’ancien président de l’Arcep, Sébastien Soriano, est depuis mi-décembre 2020 directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Celui qui voulait « barbariser la régulation pour réguler les barbares » (1), comprenez les GAFAM, a eu beau se mettre au vert, il se retrouve à nouveau face aux Google, Apple, Facebook ou encore Microsoft qui nourrissent l’ambition de cartographier le monde entier en 3D et d’y capter toutes les géodonnées. Google Maps, par exemple, raisonne « global » et « gratuit » alors que l’IGN a vocation à être « national » et «monopole » – la Commission européenne ayant tout de même demandé il y a dix ans à la France d’abroger le droit exclusif (2) dont il bénéficie depuis un décret du 22 novembre 2004.
Depuis, l’ère de l’open data des données publiques pousse l’Etat à rendre accessible gratuitement sa « mine d’or » d’informations et en particulier depuis le 1er janvier 2021 les géodonnées du « Plan IGN ». Les géoportails français (3) et européen (4) contribuent à cette démocratisation de la cartographie. Sinon, les géants du numérique en Europe, tous américains, imposeront leurs Google Maps, Facebook Live Maps (projet Aria compris), Apple Maps et autres Microsoft Maps (Azure Maps inclus) aux GPS grand public, à l’environnement ou encore à la voiture autonome. « Les géodonnées sont une véritable mine d’or ; les géants du numérique l’ont compris. […] Ces derniers ont développé leur propre système cartographique. Mais aussi pratique que soit Google Maps, là ne résident pas les clés d’une compréhension du monde utile au sursaut nécessaire de l’humanité face au péril écologique », prévient Sébastien Soriano dans un point de vue paru le 15 septembre dernier dans Ouest-France.
Et le directeur général de l’IGN d’ajouter : « C’est par l’intelligence collective en France et en Europe que nous pourrons construire des “communs” numériques en contrepoint des silos de données des GAFA. [Et] par l’accès libre et gratuit aux données » (5). Pour assurer à l’Etat une « souveraineté des géodonnées » et des « géocommuns », outre la création d’une « géoplateforme » hébergée chez OVHcloud (lire p. 5), l’IGN a entrepris de modéliser en 3D l’Hexagone, par télédétection au laser – ou Lidar (6) – et avec l’intelligence artificielle, moyennant un investissement de 60 millions d’euros sur trois ans. @

Souveraineté numérique européenne : Microsoft se dit compatible

En fait. Le 19 mai, se sont tenues les 5es Assises de la souveraineté numérique, organisées par l’agence Aromates sur le thème cette année de « Quelle stratégie pour une 3e voie européenne ? ». Parmi les intervenants extra-européens : l’américain Microsoft, qui, par la voix de Marc Mossé, se dit eurocompatible.

En clair. Le directeur des affaires publiques et juridique de Microsoft – fonction que Marc Mossé (photo) a exercée pour la filiale française entre février 2006 et mai 2016 avant de passer à l’échelon européen (1) tout en restant basé à Paris et non au siège de Microsoft Europe à Dublin en Irlande –, était attendu au tournant. Lors de ces 5es Assises de la souveraineté numérique, le « M » de GAFAM a voulu montrer pattes blanches et démontrer que l’on pouvait être une « entreprise étrangère américaine » et être compatible avec la « souveraineté numérique européenne ». Antinomique ? Non. Marc Mossé, lui, parle de « ligne de crête » en rappelant les propos tenus par quatre femmes au pouvoir en Europe, Angela Merkel (chancelière d’Allemagne), Mette Frederiksen (Première ministre du Danemark), Sanna Marin (Première ministre de Finlande) et Kaja Kallas (Première ministre d’Estonie), dans une lettre adressée le 1er mars dernier à une cinquième femme de pouvoir, Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne).

La souveraineté numérique, ce n’est ni exclure ni faire du protectionnisme
« La souveraineté numérique, c’est miser sur nos forces et réduire nos faiblesses stratégiques, et non pas exclure les autres ou adopter une approche protectionniste. Nous faisons partie d’un monde mondial avec des chaînes d’approvisionnement mondiales que nous voulons développer dans l’intérêt de tous. Nous sommes déterminés à ouvrir les marchés et à favoriser un commerce libre, équitable et fondé sur des règles ». Tout est dit. Et le directeur juridique de Microsoft Europe d’approuver : « C’est cette ligne de crête sur laquelle il faut être, qui renvoie à l’essentiel lorsque l’on parle de la souveraineté. C’est aussi la question de la règle de droit. La souveraineté, c’est la garantie par le droit de fonctions essentielles comme les valeurs européennes [auxquelles] les acteurs qui opèrent en Europe (et donc en France) doivent le plein respect ». Marc Mossé a aussi rappelé l’annonce faite le 6 mai par Microsoft qui s’engage à stocker et à traiter dans ses data centers en Europe – au nombre de treize dont trois en France – les données de ses clients, entreprises ou Continuer la lecture