Comment Apple se jette dans la bataille du streaming, en lançant un défi à Spotify et Deezer

Beats fut il y a un an la plus grosse acquisition d’Apple (3 milliards de dollars) ; Apple Music sera son plus grand défi depuis le lancement d’iTunes Music Store en 2003. La marque à la pomme, qui devrait annoncer le 8 juin son entrée sur le marché mondial du streaming, bouscule les pionniers.

C’est lors de la grand-messe de ses développeurs, la Worldwide Developers Conference (WWDC), que Tim Cook (photo), directeur général d’Apple, devrait lancer son service de streaming baptisé « Apple Music ». Jusqu’alors numéro un mondial du téléchargement de musique sur Internet, iTunes proposera désormais du streaming par abonnement – soit plus de dix ans après le lancement d’iTunes Music Store et du téléchargement
de musiques.

Après Ping et iTunes Radio
Cette offensive mondiale d’Apple dans le streaming est la troisième après le lancement il y a deux ans – également lors de la WWDC – d’iTunes Radio qui permet d’écouter des radio en streaming sur le modèle de Pandora, et après l’échec du réseau de partage musical Ping lancé en 2010 puis arrêté deux ans plus tard. Mais cette fois, il s’agit de s’attaquer au marché mondial du flux musical et vidéo où Google/YouTube, Spotify ou encore Deezer règnent en maître depuis des années. Apple jour gros dans cette diversification vers le streaming musical par abonnement, qui a vocation à devenir rapidement un relais de croissance pour le groupe cofondé par Steve Jobs, alors que
le téléchargement est en perte de vitesse. Selon l’IFPI, le streaming par abonnement tire la croissance des revenus provenant du numérique (+ 39 % sur un an), alors que
le téléchargement recule (- 8 %). Et le nombre d’abonnés à des services de streaming payant progresse de 46,4 % pour atteindre 41 millions d’utilisateurs dans le monde.

En France, pour la première fois, les revenus du streaming en 2014 (72,5 millions d’euros) ont dépassé ceux du téléchargement (53,8 millions d’euros). Le téléchargement disparaît même de certaines plateformes : après la fermeture en toute discrétion du service de téléchargement chez Spotify début 2013, ce fut au tour d’Orange d’y mettre un terme – entraînant dans la foulée la fin du téléchargement chez le français Deezer. D’autres services ont aussi arrêté le téléchargement de musiques : Rhapsody, Nokia, Rdio ou encore Mog. Lorsque ce ne fut pas la fermeture du service lui-même : We7, VirginMega ou encore Beatport.
La contre-attaque d’Apple sur le marché du streaming musical devenu hyper-concurrentiel intervient tardivement et fait suite à l’acquisition au prix fort – 3 milliards de dollars – de Beats Electronics, avec le recrutement de ses deux cofondateurs Jimmy Iovine et le rapper Dr. Dre (1). Apple n’a pas su voir dans l’écoute sans téléchargement une nouvelle pratique de consommation de la musique en ligne, s’endormant sur ses lauriers du téléchargement dépassé et sa rente de situation. Aujourd’hui, ce manque de vision coûte très cher à la firme de Cuppertino. Le service de streaming iTunes Radio fut lancé trop tardivement (2). En croquant Beats Music, lancé pas plus tard que janvier 2014 par le fabricant des casques « b » du Dr. Dre, la marque à la pomme espère rattraper son retard grâce à sa force de frappe dans la musique en ligne (iTunes, iPhone, iPod, iPad, …). Le catalogue de millions de titres sera accessible en streaming via Apple Music, avec possibilité de constituer des playlists personnalisées, de sauvegarde pour écouter la musique hors connexion, ou encore de partager ses musiques et ses artistes préférés sur les réseaux sociaux. Issu de la fusion entre iTunes Music Store et de Beats Music, Apple Music misera – à l’instar de Netflix dans la VOD par abonnement – sur la recommandation algorithmique.

Fin de la piètre qualité MP3
En prenant le train de flux musical en marche, la marque à la pomme proposera d’emblée de la qualité sonore haute définition qu’offrent déjà bon nombre de plateformes musicales comme le français Qobuz. Sur ce point, Apple Music devrait sonner le glas du format MP3 dont la qualité audio laissait à désirer. Comme pour le téléchargement en qualité HD, le streaming HD devrait entraîner une hausse sensible des tarifs musicaux, y compris bien entendu sur iTunes. Contrairement à Spotify, Deezer ou encore Radio, Apple Music ne devrait pas proposer de musiques gratuites. L’abonnement sera proposé à 9,99 dollars par mois – après trois mois d’essai gratuit. Les montants en dollars devraient être les mêmes en euros, selon la pratique habituelle de la marque à la pomme.
Les majors de la musique – Universal Music en tête – auraient fait pression sur le groupe californien pour qu’il ne propose pas d’accès gratuit ni un abonnement à 4,99 dollars par mois comme il l’aurait envisagé. Début mai, Rdio, un concurrent créé en 2010 par les cofondateurs de Skype (Niklas Zennström et Janus Friis), a annoncé un abonnement à 4 dollars par mois (sans publicité), afin de se démarquer des 9,99 dollars de Spotify. La Commission européenne surveille Pour tenter de ne pas être trop concurrencé, Apple demanderait aux producteurs de musique indépendants de ne pas proposer leurs titres sur les autres plateformes musicales gratuites et financées par la publicité. Selon le Financial Times du 2 avril dernier, la Commission européenne demande aux labels musicaux de lui fournir des informations sur leurs accords passés avec Apple pour voir s’il n’y pas abus de position dominante (comme « inciter les labels musicaux à abandonner des concurrents comme Spotify »).
Les utilisateurs ayant déjà un compte iTunes n’auront pas à en recréer un et pourront accéder directement au nouveau service. C’est là l’atout principal de la firme de Cupertino : plus de 800 millions de détenteurs de produits Apple (smartphone, ordinateur, tablette, …) ont déjà un compte iTunes ! Parmi eux, ils seraient 500 millions de par le monde à consommer de la musique en ligne. De quoi donner des sueurs froides au suédois Spotify qui, à ce jour, compte « seulement » 60 millions d’utilisateurs dans moins d’une soixantaine de pays, dont un quart d’entre eux sont des abonnés payants. Qui plus est, il n’a encore jamais dégagé de bénéfice net depuis sa création en 2008 (lire ci-dessous). Quant au français Deezer, dont Orange est actionnaire minoritaire (11 %), il affichait l’an dernier 6 millions d’abonnés payants sur 16 millions d’utilisateurs uniques par mois.
Signe que le groupe dirigé par Tim Cook souhaite s’imposer rapidement dans le streaming : Apple Music sera compatible non seulement avec les systèmes d’exploitation maison (iOS, OS X), mais aussi avec Android de Google. Selon le
cabinet d’études Strategy Analytics, Android détient près de 70 % de part de marché des systèmes d’exploitation sur mobile dans le monde, loin devant l’iOS et ses près
de 25 %, suivis de Windows avec 6,6 %.
Selon plusieurs médias, dont Business Insider, James Foley a été débauché du français Deezer (où il était responsable éditorial) pour rejoindre Apple Music. Et quatre producteurs de la station Radio 1 du groupe britannique BBC ont aussi rejoints l’équipe à Los Angeles. Suffisant ? Selon des rumeurs, Apple serait tenté de racheter Spotify… @

Charles de Laubier

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Streaming : la concurrence fait rage
Créé en 2008, le suédois Spotify – pionnier du streaming musical – n’est toujours
pas rentable : il accuse une perte de 162,3 millions d’euros en 2014, pour un chiffre d’affaires qui dépasse le milliard d’euros – 1,082 milliard précisément. Pourtant,
son catalogue est fourni : plus de 30 millions de titres musicaux. Et ses clients sont nombreux dans le monde (58 pays) : 60 millions d’utilisateurs à la fin de l’an dernier, dont un quart sont des abonnés.
Le plus dur est à venir pour Spotify qui s’est résolu à se diversifier dans la vidéo et
les podcasts (3) pour essayer mieux tendre vers la rentabilité. Le lancement d’Apple Music va donner à Spotify du fil à retordre sur le marché du streaming musical déjà
bien encombré. D’autant que plus de la moitié des utilisateurs de Spotify sont avec
des terminaux sous iOS (iPhone, iPad, iPod) : selon un sondage réalisé par Midia Research, 62 % des abonnés américains actuellement abonnés à une plateforme musicale disent qu’ils changerait pour Apple Music une fois lancé. Inquiétant pour le pionnier. Préoccupant aussi pour les challengers tels que le rappeur Jay-Z qui a lancé récemment sa plateforme de streaming Tidal Hifi après voir racheté en février dernier un autre suédois, Aspiro, pour 56 millions de dollars. Tidal se présente comme la plateforme des artistes pour les artistes, avec la volonté d’être une alternative aux
offres musicales – de type Spotify ou Deezer – contrôlées par les majors du « disque ». Spotify, qui reverse quand même 70 % de son chiffre d’affaires aux ayants droit (soit plus de 2 milliards de dollars depuis sa création il y a sept ans), a déjà été critiqué – voire boycotté – par des artistes tels que Thom Yorke (Radiohead) et Taylor Swift (star de la pop américaine) qui lui ont reproché de ne pas assez les rémunérer.

Apple va devoir aussi s’attaquer à la citadelle musicale de YouTube qui est en cheville avec Vevo, plateforme musicale et vidéo créée en 2009 dans le cadre d’une alliance entre deux majors du disque – Universal Music et Sony Music – avec Google. Le géant du Net a lancé en novembre dernier « YouTube Music Key », service de streaming musical par abonnement, incluant 30 millions de titres de Google Play Music. Google, qui avait tenté en 2013 de racheter Spotify avant de jeter l’éponge (en raison du prix
de 10 milliards de dollars demandé, selon la source du Wall Street Journal), a en outre acquis en juin 2014 la start-up Songza. Cette dernière propose des morceaux de musique en fonction de l’humeur ou l’activité de l’utilisateur, de la date ou encore de la météo du moment. Autres acteurs du streaming musical, audio et vidéo : Microsoft avec Xbox Music, Amazon au sein de son service Prime, et bien d’autres encore. Par exemple, SoundCloud vient de signer avec Merlin (20.000 producteurs de musique) pour se lancer dans le payant. Tout le monde ne se sortira pas indemne de cette bataille du flux musical. @

L’idée d’un grand service public audiovisuel fait son chemin, pas seulement limité au numérique

En évoquant un peu trop vite fin 2013 l’idée d’ « un grand service public audiovisuel », le chef de l’Etat François Hollande était-il visionnaire ? Bien
que son propos ait été recadré sur le numérique, la question d’une fusion
entre France Télévisions et Radio France pour faire une BBC ou une RTBF
à la française reste posée – notamment par la Cour des comptes.

Par Charles de Laubier

François Hollande« D’autres mutations sont possibles. Par exemple, nous pourrions imaginer que France Télévisions et Radio France puissent rassembler leurs contenus dans un grand service public audiovisuel. Mais, là, je m’aventure peut-être et je préfère ne pas trancher (…) ». Oui, vous avez bien lu : un grand service public de l’audiovisuel !
Le président de la République, François Hollande (photo), avait lancé cette petite réflexion il y a seize mois maintenant, en prononçant son discours à l’occasion du cinquantenaire de la Maison de la Radio – le 17 décembre 2013.
Cette déclaration en faveur d’une fusion de France Télévisions et de Radio France, que l’on peut encore écouter en vidéo et que l’AFP avait aussitôt relayée dans une dépêche titrée « Hollande vante les mérites d‘“un grand service public” audiovisuel », n’avait pas manqué d’interloquer son auditoire et de troubler les dirigeants des groupes audiovisuels publics de l’époque.

De l’Elysée à la Cour des comptes
Mais le discours retranscrit et mis en ligne par la suite, toujours accessible sur le site de l’Elysée, exprime une idée quelque peu différente et nuancée : « D’autres mutations
sont possibles. Nous pourrions par exemple imaginer que France Télévisions et Radio France puissent un jour assembler leurs contenus Internet dans un grand service audiovisuel numérique », aurait dû dire le chef de l’Etat. Le grand service public de l’audiovisuel évoqué serait finalement circonscrit aux contenus numériques.
Le soir même, une version du discours remise à l’AFP s’en tient aussi au domaine
du numérique, même si les mots employés diffèrent là aussi légèrement : « D’autres évolutions sont à inventer. Faudra-t-il rapprocher les sites de la radio et de la télévision pour créer un grand service public audiovisuel numérique qui allie sons et images originales et spécifiques ? La question se posera certainement dans les années à venir, mais il ne m’appartient pas de la trancher ». Officiellement, François Hollande aurait mal lu son discours ou serait sorti de son texte. Rêve-t-il déjà – en regardant du côté de la Grande-Bretagne, de la Belgique, de l’Italie, de la Suisse et de l’Espagne – d’une BBC (3), d’une RTBF (4), d’une RAI (5), d’une RTS ou encore d’une RTVE à la française ? Une sorte d’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) nouvelle génération, plus de quarante après sa suppression ? « Le président de la République est facétieux : il n’y aura pas de fusion entre Radio France et France Télévisons, je suis très claire là-dessus. Mais il doit y avoir un travail sur les contenus numériques (…), c’est à cela qu’il faisait allusion », avait dû préciser le lendemain de ce discours la ministre de la Culture et de la Communication, alors Aurélie Filippetti, sur la chaîne d’information iTélé. Elle était même revenue sur le sujet le 15 janvier 2014 dans l’émission « Questions d’info » (LCP/FranceInfo/ LeMonde/AFP) : « Il peut y avoir des synergies entre les plateformes techniques, numériques » de Radio France et France Télévisions mais « [ce rapprochement] s’arrête au web et au numérique »… L’embarras est palpable…

C’était sans compter sur la Cour des comptes, qui, dans son rapport consacré à Radio France et publié le 1er avril dernier (6), va extrapoler la seconde version « officielle » pour pousser plus loin la réflexion – au-delà du numérique. « Dans l’univers d’Internet, la séparation par métiers (radio, télévision, archives) semble de plus en plus artificielle. Certains pays européens en ont tiré la conclusion en engageant un rapprochement de leurs télévisions et de leurs radios. Ainsi, en 2010, la Radio Télévision Suisse [RTS] est née du mariage de la Radio Suisse Romande et de la Télévision Suisse Romande. En 2006, la Radio Televisión Española [RTVE] a réuni la Radio nacional de España et la Televisión Española », ont expliqué les sages de la rue Cambon.

Fusion France Télévisions-Radio France
La Cour des comptes évoque ainsi implicitement la fusion entre la radio et la télévision publiques françaises. Elle replace aussi France Télévisions et Radio France dans un contexte où aujourd’hui la radio et la télévision, à l’instar de la presse, deviennent à l’ère du numérique des « médias globaux, producteurs de contenus non plus seulement sous forme audio, mais également de textes ou de vidéos ». Et le rapport de la Cour des comptes d’ajouter : « Cette révolution va rendre plus floues les frontières issues
du découpage de l’ORTF en sociétés distinctes, voire concurrentes ». Où l’on voit que le propos de François Hollande en décembre 2013 étaient loin d’être hors sujet.

Trop de sociétés pour une redevance
D’autant que viennent s’ajouter dans l’audiovisuel public d’autres entités qui pourraient aussi se rapprocher entre elles, telles que Radio France internationale (RFI) intégrée
en 2008 à France Médias Monde (ex-Audiovisuel Extérieur de la France). De son côté, curieusement, France Télévisions assure la diffusion radiophonique publique Outre-mer (RFO). Sans parler de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), à la fois chargé de l’archivage des productions audiovisuelle (radio et télévision). Depuis le discours présidentiel de décembre 2013, force est de constater que la parole de François Hollande n’a pas été suivie d’effet. L’éclatement du secteur public français en plusieurs sociétés – France Télévisions, Radio France, Arte France, France Média Monde (RFI, France 24, Monte Carlo Doualiya inclus), TV5 Monde, Ina, La Chaîne Parlementaire – reste atypique en Europe. C’est ce que souligne aussi le rapport Schwartz de février 2015 sur France Télévisions (7). « Le service public de l’audiovisuel se caractérise
par une pluralité et une faible coopération des acteurs entre eux. Cette situation détonne dans le paysage européen, où les médias de service public sont regroupés autour d’une ou deux grandes entreprises rassemblant à la fois les différents médias (radio, télévision, Internet) et les différentes zones de diffusion (domestique et internationale) ».
De plus, les synergies, qui pourtant devaient être facilitées entre médias publics effectuant le même métier, s’avèrent limitées. Malgré le numérique, « chaque société dispose de ses propres équipements techniques, de ses propres rédactions, de ses propres fonctions support ». Et le rapport Schwartz d’enfoncer le clou : « Dans le domaine de l’information, les stratégies des sociétés publiques ne sont pas coordonnées et les moyens s’additionnent au sein des trois entités concernées : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde. Les rédactions de ces sociétés totalisent environ 4.500 journalistes, au sein des rédactions nationales, des rédactions régionales et des réseaux internationaux ». L’Etat français a consacré en 2014 près de 4 milliards d’euros de ressources publiques au financement à ces différentes sociétés de l’audiovisuel public, avec les recettes de la redevance audiovisuel en partage (voir encadré ci-contre). Mathieu Gallet, président de Radio France depuis mai 2014, a bien proposé à l’Etat (dans le cadre du COM 2015-2019) de mettre en place un « service global d’information en continu » (France Info Média Global) s’appuyant sur France Info et son site web franceinfo.fr. Tandis que, de son côté, France Télévisions prépare bien le lancement d’une « chaîne d’information en continu » en ligne s’appuyant sur son site web francetvinfo.fr. Mais où sont les synergies entre les deux groupes publics ?
« France Télévisions n’a pas de chaîne en continu. Nous, on a une radio avec une marque incroyable. Cela fait partie des réflexions du moment par rapport au contrat d’objectifs et de moyens qu’on doit négocier avec l’Etat. Nous devons nous positionner comme un média radio/vidéo/Internet d’info en continu du service public. En Europe,
la France est le seul pays à ne pas avoir de chaîne [publique] 100 % info ! », avait expliqué en novembre 2014 Mathieu Gallet, PDG de Radio France (8).

Manque de coordination radio-télé
C’est ce manque de coordination entre Mathieu Gallet et Rémy Pflimlin, PDG de France Télévisions, qu’a aussi épinglé le rapport Swartz : « Le manque de coordination a trouvé une expression récente lors de l’annonce, à quelques jours d’intervalle, du souhait de Radio France de disposer d’un ‘service global d’infos en continu qui mélangerait la radio, la vidéo et le numérique’, puis de celui de France Télévisions de lancer une chaîne d’information en continu en numérique, courant 2015 ». La députée (PS) Martine Martinel a, elle aussi, souligné « l’urgence de mieux articuler les offres du service public audiovisuel numérique » (9). @

Charles de Laubier

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Redevance audiovisuelle : une ressource déjà commune
Si un grand service public audiovisuel devait être créé en France, une bonne partie
de son financement est déjà en place avec la contribution à l’audiovisuel public (CAP), communément appelée redevance audiovisuelle, laquelle est déjà commune aux entreprises de audiovisuel public : France Télévisions (RFO compris), Arte-France, Radio France, France Média Monde (RFI, France 24, Monte Carlo Doualiya), Institut national de l’audiovisuel (Ina) et TV5 Monde. Pour 2015, elle est en hausse de 2,2 % à 136 euros pour la France métropolitaine (86 euros pour les départements d’outre-mer). Ce qui rapporte cette année à l’audiovisuel public 3,67 milliards d’euros en 2015, soit une augmentation de 3,3 % sur un an. François Hollande a indiqué le 2 octobre dernier (intervenant au CSA) qu’il souhaitait « une assiette plus large et plus juste » de la redevance audiovisuelle pour prend en compte les ordinateurs, les tablettes et les smartphones – et non plus seulement l’écran de télévision. @

Alain Weill, PDG de NextRadioTV, n’exclut pas « des collaborations » avec son deuxième actionnaire Fimalac

La holding du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, déjà à la tête de la société de médias numériques Webedia constituée en un an, monte discrètement en puissance depuis 2012 au capital de NextRadioTV. Alain Weill nous dit qu’ « il est tout à fait envisageable de développer des collaborations entre les deux groupes ».

Par Charles de Laubier

Alain WeillSelon nos informations, près de quinze ans après avoir créé, en 2000, NextRadioTV (1), Alain Weill (photo) n’a plus la majorité des droits de vote de son groupe depuis le 4 juillet – jour où il est passé sous la barre des 50 %.
Le PDG fondateur n’en détient plus que 49,5 % par l’intermédiaire de sa société WMC. « Ce franchissement de seuil [à la baisse] résulte d’une augmentation du nombre de droits de vote de la société », a expliqué le PDG de NextRadioTV à l’AMF, l’Autorité des marchés financier (2). D’après nos constatations, cette modification dans les droits de vote s’est faite au profit de Fimalac, la holding de Marc Ladreit de Lacharrière, qui détient maintenant 8,9 % des droits de vote contre 4,9 % auparavant.
Même si la participation d’Alain Weill au capital de NextRadioTV reste, elle, quasiment inchangée au cours de ces dernières années, à 37,7 % aujourd’hui, tout comme celle de Fimalac à 6,8 %, cette montée en puissance des droits de votre de Fimalac au sein de NextRadioTV n’est pas anodine.

Fimalac voit ses droits de vote monter à 8,9 %
Depuis que Fimalac Développement a franchi en mai 2012 le seuil de 5 % du capital de la société dirigée par Alain Weill, le milliardaire avance à pas feutrés au sein du groupe audiovisuel. Après s’être hissé en un an – et à coup d’acquisitions (Webedia/ Pure Media, Allociné, Overblog, Jeuxvideo.com, 750g, …) pour 240 millions d’euros – parmi les plus importants acteurs de l’Internet en France (3), quelles sont les intentions de Fimalac Développement vis-à-vis de NextRadioTV ?
« Nos relations avec le groupe Fimalac sont excellentes et il est tout à fait envisageable de, peut-être un jour, développer des collaborations entre le groupe NextRadioTV et celui de Marc Ladreit de Lacharrière. Cependant, chaque entreprise mène son projet digital de façon autonome sans qu’il y ait aujourd’hui de projet commun précis », a expliqué Alain Weill à Edition Multimédi@, en précisant que ses droits de vote avaient baissé « mécaniquement » en raison de la distribution de dividende en actions. « Je considère ne pas avoir de problème de contrôle de la société et il me sera facile, prochainement, et à tous moments, de remonter au-delà des 50 % », nous a-t-il assuré. Sollicité, Fimalac – deuxième actionnaire de NextRadioTV – ne nous a pas répondu. Tout juste sait-on que Webedia, le pôle de médias numériques constitué par Fimalac Développement, vise pour 2015 les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires (contre
80 millions attendus cette année) et veut poursuivre les acquisitions en France et à l’international (4). Il y a un an, on disait Marc Ladreit de Lacharrière tenté par Dailymotion (5). Alors pourquoi pas NextRadioTV, valorisé en Bourse près de 400 millions d’euros ?

Convergence radio-télé-web
Quoi qu’il en soit, Alain Weill veut lui aussi accélérer la croissance de son groupe. Quinze ans après avoir racheté la radio RMC au groupe NRJ, dont il était alors directeur général, il prépare pour 2015 le lancement de RMC TV (6). Cette chaîne
de télévision sera diffusée par ADSL, câble et satellite, et surtout couplée avec la radio RMC. L’ex-Radio Monte Carlo filme déjà depuis quatre ans ses émissions de radio mais, cette fois, le studio radio deviendra un plateau de télévision.
Cette convergence est la spécialité de NextRadioTV : BFM Business est à la fois
de la radio (ex-BFM Radio) et, depuis le lancement en novembre 2010 de la chaîne éponyme, de la télévision. Quant à la chaîne d’information continue BFMTV, laquelle fêtera ses dix ans en novembre, elle établit aussi des synergies audiovisuelles avec la radio RMC. Pour le patron de NextRadioTV, « BFMTV est à la fois un site, une télé et une radio ». RMC Découverte, elle aussi sur la TNT, rediffuse également de la radio. Pionnier en France de l’abolition des frontières entre radio et télé, Alain Weill se défend de faire de la simple « radio filmée » : « Il faut faire de la vraie télévision, et non pas mettre des caméras de surveillance dans les studios », at- il prévenu. Le personnel de la radio est donc formé à la télévision, et la radio est installée dans un vrai studio télé. S’inspirant de ce qui se pratique aux Etats-Unis (CNBC, Bloomberg, …), Alain Weill y trouve son compte : cela lui coûte « beaucoup moins cher » que d’avoir deux matinales (télé et radio) et cela permet à la radio de recruter de nouveaux auditeurs (et vice versa pour la télé).
La convergence s’étend en outre à Internet. BFM Business TV est diffusée en direct sur le site BFMTV.com et sur l’application mobile. Il en va de même pour la radio qui est elle aussi en ligne et en live. Lancé en septembre 2012, BFMTV.com est présenté comme « un site d’information politique générale conçu sur le modèle de CNN.com ». Ce portail est alimenté par une rédaction dédiée, mais aussi par les autres médias du groupe : politique et international (BFMTV), économie (BFM Business), sport et débats (RMC). Il se situe en sixième position des sites web français d’information (7) avec 22 millions de visites, d’après l’OJD au mois de juillet. L’appli mobile, elle, affiche 5,6 millions de visites et place BFMTV.com en huitième position dans cette même catégorie. Et c’est sur la vidéo – convergence audiovisuelle oblige – qu’Alain Weill veut se différencier de la concurrence : il espère atteindre les 50 millions de vidéos vues par mois d’ici fin 2014, y compris sur YouTube et Dailymotion. « BFMTV.com se positionne comme la première marque d’information vidéo sur le web, devant ses principaux concurrents », revendique le groupe (8). Alain Weill veut faire de BFMTV.com l’un des premiers sites multimédias d’information en France. Il vient de débaucher le directeur délégué des rédactions du Figaro, Jean-Michel Salvator, qui chapeautait jusqu’ici Lefigaro.fr et le portail vidéo Figaro TV. Il devient directeur général adjoint de NextRadioTV, directeur de la rédaction de la radio-télé BFM Business, mais aussi directeur de la rédaction de BFMTV.com. Bien que la division digitale – BFMTV.com
et 01net.com (7 millions de visites par mois) – continue de réduire ses coûts, elle est toujours en pertes. « Etant donné l’absence de visibilité sur le marché digital, l’objectif d’atteindre l’équilibre financier est reporté à l’exercice 2015 », a indiqué le groupe lors de la présentation le 31 juillet de ses résultats du premier semestre – où le digital affiche des recettes en recul de 1 %.
Mais le groupe entend bien accélérer les investissements dans le numérique, lequel devrait représenter cette année 10 % du chiffre d’affaires du groupe NextRadioTV (contre 8,7 % des 173,8 millions d’euros réalisés en 2013). Alain Weill a décidé de donner aussi les moyens à la chaîne-phare BFMTV de monter en puissance, maintenant que le CSA a refusé cet été à la chaîne LCI du groupe Bouygues/TF1 de passer en gratuit sur la TNT. « Nous allons porter le budget de la chaîne de 55 millions d’euros en 2013 à 70 millions d’euros, avec un objectif de 2,5 % de part d’audience vers 2015-2016, contre 2 % actuellement », a annoncé fin août le patron du groupe.
Et d’ici fin 2015, la rédaction de BFMTV devrait passer de 250 à 275 journalistes.

De bons résultats malgré la crise
Débarrassé de la menace d’un « LCI gratuit », fort de ses bons résultats du premier semestre (presque doublement du bénéfice net sur un an) et soutenu par des actionnaires solides comme Fimalac, Alain Weill se sent pousser des ailes malgré la crise économique, et son groupe se prépare à franchir la barre des 200 millions d’euros de chiffre d’affaires. @

La radio numérique terrestre (RNT) est lancée malgré le tir de barrage des grandes radios privées nationales

Le Bureau de la radio, qui représente Lagardère, RTL Group, NRJ Group et NextRadioTV, aura tout tenté pour discréditer – voire annuler avec le recours
de NRJ devant le Conseil d’Etat – la RNT lancée le 20 juin. Le Sirti, syndicat
des radios indépendantes, en appelle aux pouvoirs publics.

Par charles de Laubier

Malgré l’hostilité des groupes de radios privées nationaux que sont Lagardère (Europe 1/RFM/ Virgin Radio), RTL Group (RTL/RTL2/Fun Radio) NRJ Group (NRJ/Chérie FM/Nostalgie/Rire & Chansons) et NextRadioTV (RMC/BFM Business).
Malgré l’absence de Radio France pour laquelle le gouvernement n’avait pas préempté de fréquences.
Malgré les tergiversations des pouvoirs publics qui, depuis cinq ans maintenant, promettaient la radio numérique terrestre (RNT) prévue par la loi depuis… dix-huit
ans (1).

Recours de NRJ devant le Conseil d’Etat
Malgré les valses hésitations du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pourtant commanditaire de trois rapports sur la radio numérique (rapport Kessler de mars 2011, rapport Tessier de novembre 2009 et rapport Hamelin d’octobre 2009), sans oublier une consultation de la DGMIC (ministère de la Culture et de la Communication) en octobre 2012 sur la norme technique à utiliser.
Malgré tous ces freins et obstacles, la RNT prend enfin son envol en France (2) le
20 juin 2014 à Paris, Marseille et Nice. Mais ce coup d’envoi historique ressemble
plus à un ball-trap, dont les plateaux en argile sont les 107 nouvelles radios, qu’à un lancement orchestré comme pour la TNT.
« Les groupes nationaux, le CSA et le gouvernement semblent s’être entendus pour briser ce lancement », a dénoncé le Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes (Sirti) le 28 mai dernier, après avoir appris ce que Edition Multimédi@ révélait dès le 12 mai (3). A savoir que le groupe NRJ avait déposé le
19 juin 2013 devant le Conseil d’Etat un recours pour « excès de pouvoir » à l’encontre du CSA, lequel avait finalement délivré le 15 janvier de la même année 107 autorisations d’exploiter un service de RNT. Pour le groupe de Jean-Paul Baudecroux, « ces autorisations sont illégales en raison notamment des fortes incertitudes entourant ce projet ». Pourtant, NRJ fut par le passé candidat à la RNT ! Mais la première radio de France (en terme d’audience, selon Médiamétrie) avait retiré sa candidature en mai 2012, là aussi « face aux très importantes incertitudes économiques et techniques entourant le projet ». Ce recours devant la Haute cour administrative, le groupe NRJ
– coté en Bourse – en a fait état pour la première fois dans son document de référence 2013 publié le 28 mars par l’AMF. Et dans la section « Risques liés à l’environnement économique et à la position concurrentielle » de ce même rapport annuel, la RNT y est en fait redoutée comme pouvant « éventuellement modifier les équilibres concurrentiels actuels ». Le Bureau de la radio, qui représente Lagardère, RTL Group, NRJ Group et NextRadioTV, aura tout tenté pour jeter le doute sur la viabilité économique de la RNT. Son président, Michel Cacouault, a envoyé à la presse le 16 juin dernier une « note relative à l’absence de perspective pour la radio numérique terrestre », en Europe comme en France. Les grandes radios privées craignent en réalité que le gâteau publicitaire, déjà en diminution, ne soit à partager avec un plus grand nombre de radios – les historiques et les nouvelles entrantes. « Sans subventions publiques conséquentes, la RNT, dans son schéma actuel, n’a aucun avenir », affirme Le Bureau de la radio pour discréditer l’appel au gouvernement en faveur de la RNT lancé par le Sirti, lequel compte plus de 150 membres (essentiellement des radios indépendante, locales, régionales ou thématiques). L’absence de Radio France serait pour les grandes radios privées une preuve supplémentaire que « les doutes » qui pèsent sur l’avenir
de la RNT, de même que « les échecs » à l’étranger (Etats- Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique et Autriche), ne plaident pas en faveur de la RNT. Quelques
jours plus tôt, Le Bureau de la radio diffusait un artiche du quotidien britannique
The Telegraph considérant la technologie DAB+ «mort-née » (4). Mais les 107 radios retenues pour Paris, Marseille et Nice ne l’entendent pas de cette oreille. Le Sirti, estimant que « le silence assourdissant du gouvernement et incompréhensible »,
a réussi à partager son désarroi le 17 juin en présence de trois membres du CSA (5)
et du député PS Marcel Rogemont.

Paris, Marseille et Nice : expérimental ?
Le Syndicat des entreprises de commerce international de matériel audio, vidéo
et informatique (Secimavi) et TDF ont aussi été appelés en renfort pour rassurer sur
la réalité respectivement des récepteurs et de la diffusion des multiplexes. Quoi qu’il
en soit, le CSA –qui considère encore le lancement à Paris, Marseille et Nice comme
« une phase expérimentale » – rendra « à l’automne » (avec près d’un an de retard) son rapport « RNT » au Parlement, en attendant de lancer des appels à candidatures dans d’autres villes de France. @

La pression concurrentielle s’accroît sur le groupe NRJ

En fait. Le 5 mai, le groupe NRJ a annoncé la nomination de Kevin Benharrats comme directeur délégué des activités commerciales et du développement numérique. Rattaché à Jean-Paul Baudecroux, PDG fondateur et principal actionnaire du groupe, il revient après un passage de quelques mois chez Lagardère Active.

Jean-Paul BaudecrouxEn clair. L’aller-retour que fait Kevin Benharrats – entre Lagardère Active, où il avait été nommé en début d’année président de Lagardère Digital France et directeur général
du pôle Divertissement, et le groupe NRJ d’où il avait démissionné en septembre dernier de son poste de président de la régie publicitaire NRJ Global – donne l’impression d’un rapatriement en urgence dans le groupe de Jean-Paul Baudecroux (photo).
Cette nomination d’un « directeur délégué des activités commerciales et du développement numérique du groupe » confirme, si besoin était, que NRJ est devenu un groupe de médias global où l’activité digitale est désormais centrale.
Cela montre aussi que le groupe NRJ va devoir redoubler d’efforts face à une pression concurrentielle qui ne cesse de monter sur tous les fronts, hertziens et digitaux.

RNT : recours devant le Conseil d’Etat contre le CSA
Dans la radio, première activité du groupe avec les stations NRJ (1), Nostalgie, Chérie FM et Rire & Chansons, le groupe s’attend à ce que le lancement de la RNT – le 20 juin prochain à Paris, Marseille et Nice – puisse « éventuellement modifier les équilibres concurrentiels actuels ».
Ces 107 radios en RNT, autorisées par le CSA, constituent un « risque » identifié comme
tel dans le document de référence 2013 publié le 28 mars par l’AMF. Le groupe NRJ y indique avoir déposé le 19 juin 2013 devant le Conseil d’Etat un recours pour « excès
de pouvoir » à l’encontre du CSA et des 107 autorisations. « Ces autorisations sont illégales en raison notamment des fortes incertitudes entourant ce projet », affirme-t-il (2).

Dans ce contexte le groupe NRJ indique qu’il « poursuit le développement de son offre de radios et webradios sur Internet et le Net mobile ».
Quant à la télévision, qui pèse près de 20 % du chiffre d’affaires de 409 millions d’euros
en 2013 avec NRJ 12, Chérie 25, NRJ Hits et NRJ Paris, elle accuse une perte opérationnelle de 21,9 millions d’euros (multipliée par quatre sur un an). Le 20 mars dernier, le groupe a déposé auprès du CSA une demande d’abrogation de l’autorisation
de NRJ Paris qui s’arrêtera. Au-delà du marché publicitaire difficile en télévision, la concentration du secteur au profit de TF1 (TMC, NT1) et de Canal+ (D8, D17), les arrivées possibles sur la TNT gratuit de Paris Première (M6) et de LCI (TF1), et l’avènement de la TV connectée font monter là aussi la pression concurrentielle. @