« Est-ce que l’Arcep sert encore à quelque chose ? », s’interroge Sébastien Soriano, son président

C’est la question la plus pertinente que le président de l’Arcep, Sébastien Soriano, a lancée lors de son show des conclusions de sa « revue stratégique », le 19 janvier, dans le grand amphithéâtre de La Sorbonne, avec la participation
de Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique.

« Nous devons nous poser la question
de notre valeur ajoutée : est-ce qu’on
sert encore à quelque chose ? », s’est interrogé Sébastien Soriano (photo de gauche), président depuis un an maintenant de l’Autorité de régulation
des communications électroniques et
des postes (Arcep). « Je pense que oui. Mais comment ? », a-t-il ajouté. Alors que cette autorité administrative indépendante (AAI), créée en 1997, va fêter dans un an ses 20 ans,
elle a tenté dans le cadre de sa « revue stratégique » de résoudre son problème existentielle, à savoir quelles seront ses nouvelles missions maintenant que le cycle d’ouverture à la concurrence des télécoms s’est achevé. Tout ce qui faisait la vocation de l’Arcep tend à disparaître : ses compétences historiques étaient d’édicter des règles dites ex ante, c’està- dire établies « au préalable » (a priori) et applicables aux seuls opérateurs télécoms en position dominante sur le marché – Orange (ex-monopole public France Télécom) et dans une moindre mesure SFR. Cette régulation qualifiée d’« asymétrique » consiste à imposer des obligations spécifiques à l’opérateur
« puissant » sur un marché, dans le but de supprimer ou de réduire les « barrières
à l’entrée » et permettre ainsi aux opérateurs concurrents – alternatifs – de s’installer
et de prospérer – surtout lorsqu’il existe une infrastructure essentielle comme c’est le cas de la boucle locale téléphonique encore très largement utilisée pour l’accès à Internet haut débit dans les offres triple play (1).

Une autorégulation sans gendarme des télécoms ?
« La régulation asymétrique a vocation à se rétracter progressivement pour se concentrer, à terme, sur quelques points d’accès qui demeureront des goulots d’étranglement, notamment en ce qui concerne l’accès à des infrastructures essentielles », prévoit bien l’Arcep dans le texte de sa consultation publique « Revue stratégique » menée en fin d’année 2015. Maintenant que la concurrence dans les télécoms est là – avec Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free (2) –, à quoi va maintenant servir l’Arcep ? La régulation asymétrique a plus que jamais ses limites
et elle touche à sa fin. La réglementation ex ante a vocation à être remplacée par
une régulation ex post, c’est-à-dire cette fois « après les faits » (a fortiori). Ainsi, aux règles et obligations « spécifiques », imposées aux opérateurs télécoms dominants,
se substituent progressivement des règles « transverses » s’appliquant à l’ensemble des acteurs du marché.

Europe : « La bonne échelle » (Macron)
Bref, le secteur est devenu mature et tend à s’affranchir du « gendarme des télécoms ». De plus, les instruments de régulation deviennent plus souples – lorsque ce n’est pas l’autorégulation qui prend progressivement le pas sur la régulation « institutionnelle ». Cette soft regulation ne relève plus nécessairement d’un droit spécifique mais plus du droit commun de la concurrence. De ce point de vue, c’est à se demander si l’Autorité de la concurrence ne suffirait pas à jouer ce rôle de gendarme et d’arbitre ex post sur le marché des télécoms, comme elle le fait déjà sur certaines affaires dont elle est saisie (fusions-acquisitions, neutralité des réseaux, ententes illicites, …). Sur le plan de l’audiovisuel et des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd), il y a aussi le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) aux pouvoirs renforcés. Sur la question de la protection des données et de la vie privée, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) intervient elle aussi. Sans parler de l’Hadopi, dont la mission s’inscrit aussi dans l’économie numérique. Alors, l’Arcep ne serait-elle pas devenue
une AAI de trop ?
A l’échelon européen, la mise en place du marché unique numérique – dans un cadre réglementaire et communautaire harmonisé – tend à dessaisir les « Arcep » nationales de leurs prérogatives historiques. « La bonne échelle, la plupart du temps, est européenne », a bien souligné Emmanuel Macron (photo de droite), le ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, lors du show de Sébastien Soriano à La Sorbonne. Cela fait d’ailleurs maintenant dix ans que les « Arcep » des Vingt-huit sont tenues de notifier préalablement à la Commission européenne leurs analyses de marchés et les remèdes qu’elles envisagent de mettre en place. Le marché unique numérique (ou DSM pour Digital Single Market) nécessite désormais une plus forte coordination entre les Etats membres. C’est pourquoi la Commission européenne a mené, jusqu’au 7 décembre dernier, une consultation publique sur la révision des directives composant le cadre réglementaire européen des télécoms de 2002, révisé
en 2009. Sans attendre cette réforme, le Parlement et le Conseil européens ont adopté le 25 novembre 2015 un règlement garantissant sur l’ensemble de l’Europe un « Internet ouvert » – à défaut de parler explicitement de « neutralité de l’Internet » (3). Des « lignes directrices » doivent compléter ce règlement – entrant en vigueur le 30 avril 2016 – et assurer le respect de ces dispositions. C’est l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece ou Berec (4)), dont Sébastien Soriano a été élu vice-président pour cette année et président pour l’an prochain, qui est chargé de préparer d’ici au mois d’août ces lignes directrices « Neutralité du Net », ainsi que des propositions en matière d’itinérance. Et dans les trois ans à venir, ce
« super régulateur européen » (5) jouera un rôle central non seulement dans la révision du quatrième « Paquet télécom » (6) mais aussi dans l’instauration du DSM, sans parler des questions liées aux services OTT (Over-The-Top), à l’Internet des objet (IoT) ou encore aux réseaux de nouvelle génération (NGN).

Placé sous la houlette de la Commission européenne qui l’a créé en janvier 2010 malgré les réticences des « Arcep » nationales, l’Orece fut en quelque sorte une mise sous tutelle communautaire de l’ancien Groupe des régulateurs européens (GRE) (7). Avec l’Orece, Bruxelles s’est doté d’un droit de regard et de veto sur les décisions des différentes « Arcep » européennes. Or avec Sébastien Soriano à sa présidence, et comme l’indique la feuille de route « Revue stratégique » (8), il « constitue un levier d’action pour l’Arcep afin d’accroître son influence en Europe et en particulier auprès des législateurs européens ». Le président de l’Arcep a d’ores et déjà annoncé qu’
« une réunion plénière du Berec se tiendra en février 2017 à Paris ». En France,
les compétences de l’Arcep vont évoluer à l’aune du règlement européen « Internet ouvert » – via le projet de loi « République numérique » adopté le 26 janvier à l’Assemblée nationale – pour lui permettre de faire respecter les dispositions de
ce règlement européen (9) : éviter les blocages, les filtrages, les silos, … C’est sur
cette compétence majeure que l’Arcep va « pivoter », pour reprendre l’expression Sébastien Soriano empruntée au monde des start-up.

Régulation : des télécoms à Internet
Cette neutralité des réseaux, dont l’Arcep sera la garante en France, va s’imposer à tous les opérateurs télécoms et fournisseurs d’accès à Internet (FAI), conformément
à la nouvelle régulation symétrique, et non pas seulement à un acteur en position dominante. Et de là à ce que l’Arcep se sente remplie d’une mission de « régulateur
de l’Internet », il n’y a qu’un pas. Le projet de loi « République numérique » introduit
un principe de « loyauté des plateformes » du Net, tandis que Sébastien Soriano parle de « régulation par la donnée » qui viendrait en plus de la régulation par les réseaux (accès, interconnexion) et par les ressources rares (fréquences, numéros). @

Charles de Laubier

La neutralité du Net, première étape très attendue vers le marché unique numérique

La Commission européenne mène jusqu’au 7 décembre une consultation publique en vue de la révision de l’actuel « Paquet télécom ». Cette initiative constitue l’étape suivante après l’accord, conclu en juin dernier, visant à supprimer les frais d’itinérance et garantissant un Internet ouvert.

Par Marta Lahuerta Escolano, avocate, et Rémy Fekete, avocat associé, Jones Day.

Deux ans après que la Commission européenne ait dévoilé, le 11 septembre 2013, sa proposition de règlement établissant des mesures relatives
au « marché unique européen des communications électroniques » et
visant à faire de l’Europe un « continent connecté » (1), un accord a été conclu
le 30 juin 2015 entre les trois institutions impliquées dans les procédures législatives européennes (2). A compter du 15 juin 2017, les citoyens européens, où qu’ils se trouvent dans le territoire de l’Union européenne et sans frais supplémentaires, paieront les mêmes tarifs pour les appels, SMS et données mobiles que ceux appliquées dans leurs pays d’origine (voir encadré page suivante).

Consécration de la neutralité du Net
Néanmoins, la grande innovation de cet accord reste la consécration – pour la première fois et après plusieurs mois d’intenses négociations – de règles strictes encadrant la neutralité de l’Internet. Le projet de règlement du Parlement et du Conseil européens établissant des mesures relatives à l’Internet ouvert, et modifiant le règlement concernant l’itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l’intérieur de l’Union européenne (3), prévoit le principe selon lequel les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) sont tenus de transporter tous les flux d’information de façon égale, sans discrimination ni limitation, indépendamment de leur nature, de leur contenu, de leur expéditeur ou de leur destinataire. Dorénavant, les utilisateurs d’Internet seront libres d’accéder aux contenus de leur choix sans que leur accès soit ralenti ou bloqué, sauf en cas d’« exceptions d’intérêt général » encadrées dans le projet de règlement sur l’Internet ouvert.
Le texte de l’accord doit encore être officiellement approuvé par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. S’il est approuvé, il sera applicable à partir du 30 avril 2016. Ces mesures font partie d’une série d’actions ciblées visant à revoir le cadre réglementaire de l’Union européenne sur les télécommunications d’ici à la fin de l’année 2016. En France, dans la perspective de l’adoption prochaine du projet de règlement, l’Arcep a publié le 21 septembre 2015 un état des lieux synthétique du cadre de régulation de la neutralité du Net (4), tandis que le gouvernement a lancé le 26 septembre une consultation publique sur trois semaines portant sur le projet de la loi
« République numérique » (5).
La neutralité de l’Internet a été formalisée pour la première fois en 2003 par Tim Wu, professeur à la Columbia Law School (6). Selon ce principe, les FAI sont tenus de transporter tous les flux d’information de manière neutre, c’est-à-dire indépendamment de leur nature, de leur contenu, de leur expéditeur ou de leur destinataire (7). Le débat sur la neutralité du Net est tout d’abord apparu aux Etats-Unis où la FCC (Federal Communications Commission) s’est engagée en février dernier dans la voie de sa
« stricte » préservation (8).
En parallèle, dès 2009, le débat sur la neutralité du Net a émergé au sein de l’Union européenne, notamment lors de la révision du Paquet télécom. Face aux oppositions suscitées, seules quelques dispositions et une déclaration de la Commission européenne en faveur de ce principe se sont retrouvées dans le Paquet télécom. Dans une communication en date du 19 avril 2011, la Commission européenne faisait état de l’existence de nombreuses atteintes à la neutralité de l’Internet dans certains pays de l’Union européenne – atteintes révélées par l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) dans une consultation publique (9). En réponse à cette préoccupation de plus en plus prégnante, le règlement « Continent connecté » traite, entre autres, de la question de la neutralité du Net. Au cours de l’adoption de ce texte, un accord a été conclu entre la Commission européenne, le Parlement et le Conseil européens le 30 juin 2015. Cet accord consacre notamment
le principe de neutralité du Net.

FAI : accords et gestion du trafic possibles
Le projet de règlement prévoit une définition du principe d’« Internet ouvert » (10).
Ce principe permet aux internautes d’accéder et diffuser librement des contenus et informations, d’utiliser et fournir des applications et des services et d’utiliser des terminaux de leur choix, indépendamment de leur localisation ou de celle du fournisseur ou de l’origine ou destination du service, de l’information ou du contenu. Le texte prévoit également l’interdiction de l’octroi d’un traitement prioritaire payant. Néanmoins, l’accord reconnaît le droit des FAI à conclure des accords avec les utilisateurs finaux fixant des conditions commerciales et techniques spécifiques pour l’accès à Internet (prix, volume, vitesse), à condition que ces accords ne limitent pas la porté du principe de neutralité du Net (11). Tout trafic doit être traité de façon égalitaire, sans discrimination, restriction ou perturbations quel que soit l’émetteur ou le récepteur,
le contenu consulté ou distribué, les applications ou les services utilisées ou fournies, ou les équipements de terminaux utilisés (12).

Vers une réforme plus complète en 2016
Toutefois, le projet de règlement permet aux opérateurs d’appliquer des «mesures de gestion raisonnable du trafic ». Afin d’être jugées raisonnables, elles doivent cependant être transparentes, non discriminatoires, proportionnées et doivent être basées sur des exigences techniques objectives, et non sur des considérations commerciales (13).
Les FAI ne peuvent pas aller au-delà de ces mesures et, en particulier, ils ne peuvent bloquer ou limiter des services que dans un nombre limité de cas, et pour la durée nécessaire (14). A savoir :
pour se conformer aux législations européenne ou nationale auxquelles est subordonné le FAI, par exemple la législation sur la légalité de certains contenus ou services ou la législation sur la sécurité publique, comprenant le droit pénal qui requiert de bloquer l’accès à certains contenus. Il peut également s’agir de se conformer à des décisions judiciaires ou administratives prises en applications de ces législations (15) ;
pour préserver l’intégrité et la sécurité du réseau, des services fournis via ce réseau
et des terminaux d’équipement des utilisateurs, comme par exemple pour prévenir les cyberattaques (16) .
pour empêcher une congestion de réseau imminente et atténuer les effets d’une congestion du réseau exceptionnelle ou temporaire, à condition que les catégories équivalentes de trafic soient traitées de manière identique (17). Le texte précise que cette règle ne s’applique pas aux techniques de compression de données non discriminatoires qui réduisent la taille d’un fichier de données sans modifier son contenu (18). Par ailleurs, les FAI seront toujours en mesure de proposer des services autres que les services d’accès à Internet et qui sont optimisés pour des contenus ou services spécifiques à condition (19) :
que cette optimisation soit nécessaire pour remplir les exigences de qualité du contenu ou du service, pour autant que ces services ne soient pas fournis au détriment de la qualité de l’Internet ouvert ;
que la capacité du réseau soit suffisante pour fournir ces services en plus d’un accès à Internet ;
que ces services ne soient pas proposés comme remplacement d’un service d’accès à Internet ;
que ces services ne soient pas fournis au détriment de la qualité de l’accès général à Internet pour les utilisateurs finaux ;
que le niveau de qualité de service ne puisse pas être assuré par un service d’accès à Internet (20) ;
que l’optimisation ne soit pas un moyen de prioriser un contenu, une application ou un service comparable sur Internet, contournant ainsi les dispositions relatives à la gestion de trafic (21).
L’établissement par les Etats membres de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives applicables au non respect du principe de neutralité du Net est également prévu dans le texte. Les Etats membres devront notifier ces règles à la Commission européenne d’ici le 30 avril 2016. Ces règles deviendront réalité dans tous les Etats membres dès l’application du texte le 30 avril 2016 (22). Ce projet de règlement constitue une première étape vers un marché unique numérique. Le règlement
« Continent connecté », version initiale du projet de règlement, était plus ambitieuse et modifiait l’ensemble des textes constitutifs du Paquet télécom. Toutefois, la Commission européenne avait annoncé que les mesures adoptées par le projet de règlement devront être complétées en 2016, et a lancé le 11 septembre dernier, et jusqu’au 7 décembre inclus, une consultation publique (23) sur « l’évaluation et la révision du cadre réglementaire des réseaux et services de communications électroniques ». @

FOCUS

Le roaming va devenir gratuit pour les Européens
Sur les frais d’itinérance, l’action européenne s’était déjà faite remarquer au travers
de plusieurs règlements (24) qui ont permis une baisse progressive et significative des tarifs d’itinérance de voix, SMS et données au public par l’établissement de plafonds dits « eurotarif ». Le projet de règlement, lui, prévoit la diminution des frais d’itinérance dès le 30 avril 2016 (25), puis leur suppression dès le 15 juin 2017. L’utilisation d’un téléphone mobile – pour des appels, SMS /MMS et données mobiles – au sein de l’Union européenne sera alors facturée aux mêmes tarifs que ceux appliqués dans
le pays d’origine, pour tous les pays de l’Union européenne (26). Le roaming devient ainsi gratuit au sein des Vingt-huit pour les abonnés mobiles européens.
Afin d’éviter les abus potentiels par la possibilité offerte aux consommateurs de s’abonner auprès d’opérateurs autres que leur opérateur national et à des fins autres qu’un usage lors de voyages périodiques, le texte prévoit que les fournisseurs d’itinérance pourront appliquer une politique d’« utilisation raisonnable » les autorisant
à facturer des frais lorsque l’itinérance dépasse le cadre d’une telle utilisation (27). La notion d’« utilisation raisonnable » ainsi que les règles détaillées sur la méthodologie d’évaluation de la viabilité de la suppression des frais d’itinérance devront être définies par la Commission européenne d’ici le 15 décembre 2016 (28). @

Le haut débit pourrait entrer dans le service universel

En fait. Le 27 janvier, Jacques Pomonti, président de l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt), nous avait expliqué pourquoi il serait temps de mettre le haut débit dans le service universel, garantie d’un accès à Internet pour tous et à tarif « social ».

En clair. « Je demande, puisqu’il y a renouvellement du tenancier du service universel qui intervient le 24 février prochain (1), que l’on pose le problème de son élargissement. Après les cabines publiques téléphoniques, l’accès haut débit à Internet devrait être dans le service universel. Le fait qu’il n’y soit pas est a-légal. Le Conseil constitutionnel a déclaré en juin 2009 que l’accès à l’Internet faisait partie des libertés fondamentales garanties par la Constitution », a expliqué à Edition Multimédi@ Jacques Pomonti, président de l’Afutt, en marge des voeux de l’Arcep à la Sorbonne.
Cinq ans après la déclaration du Conseil constitutionnel, considérant dans sa décision
« Hadopi » du 10 juin 2009 que « la libre communication des pensées et des opinions
est un des droits les plus précieux de l’homme » (2) et que « ce droit implique la liberté d’accéder à ces services [en ligne] », ne pas mettre l’accès haut débit à Internet dans le service universel serait donc contraire à la Constitution française. « Que peut encore signifier en 2014 un service universel dont l’obligation ne couvre pas l’accès à Internet ? », s’interroge Jacques Pomonti, rappelant qu’il avait déjà défendu cette idée-là en 2000 auprès du ministre de l’Industrie de l’époque, Christian Pierret, lequel l’avait porté sans succès au niveau du Conseil des ministres européens…

Interrogé après ses voeux, le président de l’Arcep a écarté d’emblée cette idée : « Avec
la densité de la concurrence et les tarifs abordables qu’elle apporte, le marché crée de
fait lui-même un service universel. Dans le fixe, on peut prendre des offres sans l’option audiovisuelle par exemple. Dans le mobile, les tarifs sont raisonnables. Je ne suis pas contre le service universel, mais il y a plusieurs façon de l’atteindre », nous a répondu Jean-Ludovic Silicani, rappelant que le cadre européen laisse aux Etats membres « une assez grande liberté ». Les opérateurs télécoms, eux, sont hostile à cette élargissement. C’est justement au niveau européen que la question se pose clairement. « L’inclusion d’Internet haut débit dans le service universel fait malheureusement toujours défaut », avait déploré l’euro-député et rapporteur du Paquet télécom Catherine Trautmann, à l’occasion du Conseil européen du numérique fin octobre. Cette question à en tout cas l’appuie du Comité économique et social européen (CESE). @

L’Arcep ne comprend pas du tout le coup de blues des opérateurs télécoms européens

A grand renfort d’études (ADL, Greenwich, Roland Berger, Idate, …), les opérateurs télécoms ne cessent de se plaindre sur leur sort en Europe : déclin des revenus, moindre marge, sur-fiscalité, surréglementation face aux géants du Net ou sur-concurrence. Mais nouveauté : l’Arcep les contredit.

Par Charles de Laubier

JLSLa Fédération française des télécoms (FFTélécoms), qui représente la plupart des opérateurs de l’Hexagone hormis Free et Numericable, a de nouveau dénoncé le 28 novembre dernier « de très fortes pressions » auxquelles sont soumis ses membres – Orange, SFR et Bouygues Telecom en tête – en s’appuyant sur une troisième étude d’Arthur D. Little (ADL) sur l’économie
du secteur. Leur message est amplifié auprès de la Commission européenne en pleine révision du « Paquet télécom » (1).

Investissement record et historique
Mais lors du DigiWorld Summit à Montpellier, en réponse à Yves Gassot, directeur général de l’Idate sur « les difficultés que rencontrent les opérateurs télécoms en Europe », le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani (photo), avait déjà pris le contre-pied de ce discours dominant : « Je vais peut-être vous étonner mais le secteur des télécoms en Europe, en tout cas en France, est en très forte croissance de 6 % par an en volume. C’est le secteur économique qui croît le plus vite, et de très très loin. Il n’y a aucun secteur économique ayant une telle croissance – en volume ».
C’est le secteur économique qui croît le plus vite, et de très très loin. Il n’y a aucun secteur économique ayant une telle croissance – en volume ». En valeur cette fois, le chiffre d’affaires des opérateurs télécoms baisse effectivement dans toute l’Europe (2), mais le régulateur estime que c’est parce que les prix baissent plus vite que les volumes ne s’accroissent. « Mais ce n’est pas une récession car il n’y a pas de baisse de volume. (…) Si les marges ont aussi baissé, elles demeurent quand même importantes. Il y a beaucoup de secteurs dans l’économie qui seraient heureux d’avoir autour de 30 % de marge brut comme pour le secteur des télécoms », a relativisé Jean- Ludovic Silicani,
en rappelant que l’Arcep s’assure que le niveau de marge des opérateurs télécoms leur permettent d’investir pour moderniser les réseaux existants et pour déployer le très haut débit fixe et mobile. « Or, contrairement à ce l’on peut entendre ou lire, le niveau de l’investissement n’a pas baissé en France, mais augmenté pour atteindre un niveau historique record en 2012 de 8 milliards d’euros d’investissements physiques (3). C’est le niveau le plus élevé jamais atteint depuis toujours. C’est historique ! Et au 1er semestre 2013, l’investissement se maintient à un niveau record (4)», a-t-il souligné comme pour tordre le cou aux idées reçues. Face à la sinistrose et aux lamentos des opérateurs télécoms, l’Arcep appelle au contraire à se réjouir de leurs investissements. « Cela veut dire qu’ils ont confiance dans l’avenir. Car ils n’investissent pas pour faire plaisir au gouvernement ou au régulateur ! », a ironisé Jean-Ludovic Silicani.

Amené par Yves Gassot sur « le gap relativement significatif entre le taux d’investissement des grands opérateurs mobile nord-américains et celui constaté en Europe », là aussi le président de l’Arcep a contredit son interlocuteur : « Si l’on fait
la comparaison entre les Etats-Unis et l’Europe, il faut la faire mais bien. Il y avait aux Etats-Unis un retard dans la 3G, qui n’a pas eu le succès qu’elle a eu en Europe, et dans les réseaux haut débit fixe aussi. La situation des Etats-Unis a été de rattraper pour finalement sauter en quelque sorte l’étape de la 3G pour passer de la 2G à la 4G. Cette étape de rattrapage a forcément impliqué un investissement extrêmement important.
Mais si l’on regarde non pas sur deux ou trois ans mais sur dix ans, le niveau global des investissements aux Etats-Unis est strictement identique en France et aux Etats-Unis », at- il nuancé. L’Arcep s’est félicité au passage d’avoir « lâché un lièvre » (dixit) dans la 4G – à savoir Bouygues Telecom (5). Et pour le haut débit fixe d’ajouter : « Est-ce que l’on a envie en Europe d’avoir une offre triple play non plus à 35 euros mais à 70 ou 80 euros ? Est-ce que nous avons envie d’avoir des offres mobile une fois et demie ou deux fois plus chères à qualité égale, faute d’une concurrence suffisante ? Je ne suis pas sûr que cela soit le vœu ni des utilisateurs ni des pouvoirs publics… ». Aux Etats-Unis, la forte concentration du marché télécoms a conduit à détruire plus de 600.000 emplois en dix ans. En Europe, l’Arcep estime qu’il peut y avoir un juste milieu en matière de concurrence des opérateurs télécoms mais en réfutant l’idée qu’il puisse y avoir « un nombre d’or ».

Télécoms : l’Europe a déjà ses « champions »
« Et quand on dit et on répète que l’on aurait des opérateurs nains en Europe et des opérateurs géants aux Etats-Unis, les faits sont faux. A l’heure où nous parlons, les quatre principaux opérateurs européens – Vodafone, Orange, Telefonica et Deutsche Telekom – ont à eux quatre 65 % du marché en Europe. C’est seulement 10 % de moins que les quatre principaux opérateurs télécoms américains. Et Vodafone et Orange ont plus d’abonnés que AT&T et Verizon ! », a-t-il conclu. L’Europe des télécoms a déjà ses
« champions ». @

Charles de Laubier

Réforme du Paquet télécom: un projet de règlement européen bien décevant pour tous

Si les intentions de Neelie Kroes sont louables pour parvenir à un marché unique des télécoms et à une régulation harmonisée en Europe, ses propositions de réforme du Paquet télécom risquent d’aboutir à l’émiettement des acteurs plutôt qu’à l’émergence de champions européens.

Par Rémy Fekete, avocat associé, Gide Loyrette Nouel

La commissaire européenne chargée de l’Agenda numérique, Neelie Kroes, vient de présenter ce qui sera sans doute son dernier coup d’éclat avant que son mandat n’arrive à son terme en 2014, et qu’elle annonce modestement comme « le projet le plus ambitieux proposé en vingt-six ans de réforme concernant le marché des télécommunications ». En prévision du Conseil de l’Union européenne des 24 et 25 octobre consacré au numérique (voir encadré ci-dessous), la vice-présidente de la Commission européenne a procédé le 11 septembre dernier à une communication sur
le marché unique des télécoms assortie d’un projet de règlement (1) fixant « les règles pour un marché européen unique des communications électroniques et pour la création d’un continent connecté ».

Un révision insuffisante
L’ensemble a déjà réussi l’exploit de susciter l’opposition unanime d’acteurs aux objectifs souvent opposés comme les associations de consommateurs comme le BEUC (Bureau européen des unions de consommateurs), le BEREC qui réunit les différents régulateurs nationaux comme l’Arcep (2), les opérateurs télécoms historiques, les opérateurs alternatifs et les nouveaux entrants. A tel point que l’on serait presque tenté d’essayer de défendre les propositions de la Commissaire européenne. Ses intentions étaient somme toute louables : réviser le Paquet télécom (3) pour alléger les contraintes réglementaires des opérateurs, susciter l’apparition d’un véritable marché européen des télécoms avec l’émergence d’opérateurs de taille européenne à même d’affronter les défis de la concurrence mondiale, mettre un terme aux coûts d’itinérance intra-européens en faveur des consommateurs, consacrer la neutralité de l’Internet… Il y en a pour tous les goûts.
Le résultat est pourtant très décevant. Est-ce par précipitation ou par défaut d’une concertation suffisante ? La Commission européenne présente en effet un texte qui ne réalise pas l’indispensable travail de révision en profondeur du Paquet télécom. De nombreuses dispositions de celui-ci méritaient d’être revues : soit qu’elles n’aient jamais été mises en oeuvre, soit que leur pertinence faisait défaut dès le début, soit enfin qu’elles soient, au cours des dix dernières années, devenues obsolètes. Les opérateurs appellent de leurs vœux depuis longtemps un allègement des contraintes règlementaires excessives qui, selon ces derniers, pénalisent le secteur des communications électroniques européen.
Une des principales prétentions du projet de règlement est de contribuer à la création d’un marché unique des communications électroniques en Europe, lequel requiert plus une révision en profondeur du régime des concentrations que la poudre aux yeux d’une déclaration unique. L’avènement d’un marché de taille européen est souhaité par tous (4), mais il ne suffit pas, comme le propose le projet de règlement (5), de prévoir le principe d’une déclaration unique pour permettre aux opérateurs d’atteindre une taille européenne : les déclarations préalables auxquelles sont déjà soumis les opérateurs fixes ne constituent pas le frein principal au déploiement paneuropéen. Le projet de règlement prévoit l’usage d’un « passeport » européen, régi selon les règles édictées par l’autorité
de chaque pays où l’opérateur souhaiterait implanter ses services, en collaboration avec le BEREC (6). En réalité, la déclaration à effectuer dans chaque pays de déploiement du service prendra la forme d’une déclaration à accomplir dans le pays du lieu de principal établissement de l’opérateur. Estce le bouleversement attendu ?

Vers un régulateur européen ?
La Commission européenne aurait pu réviser plutôt sa doctrine et sa pratique en matière de concentration qui, dans le secteur des télécoms comme dans celui de bien d’autres secteurs marchands, a abouti en Europe à l’émiettement des acteurs plutôt qu’à l’émergence de champions européens.
De fait, si le marché européen demeure probablement le plus grand marché mondial des communications électroniques en nombre d’utilisateurs, les contraintes règlementaires affectent la rentabilité des opérateurs européens dont le premier – Vodafone – n’apparaît qu’au quatrième rang mondial en revenus derrière les opérateurs chinois et américains. Quant à Orange, il n’apparaît qu’au neuvième rang…
On soupçonne la commissaire européenne tentée de voir émerger un régulateur européen tout en prétendant ne rien en faire (7). Si l’on peut partager l’ambition de voir émerger une FCC (8) à l’européenne, cette évolution nécessitera certainement un effort de concertation approfondi avec l’ensemble des régulateurs nationaux et un partage adéquat des compétences. Cela devra être le cas s’agissant en particulier des modes d’attribution de fréquences, sur lesquels on imagine mal les Etats membres abandonner entièrement leur part de souveraineté.
La tentative du projet de règlement de mettre en place des principes harmonisés d’attribution de ressources en fréquences (9) est néanmoins louable pour limiter les disparités constatées dans l’attribution de fréquences 3G et 4G.

Entre consumérisme et investissements
C’est dans ce contexte que Neelie Kroes a cru bon de jouer la carte consumériste,
dont l’effet « démagogique », diront certains, peut trouver preneur chez les parlementaires européens, en annonçant la fin de tous les frais d’itinérance au sein de l’Union européenne : soit la suppression des surcoûts sur les appels en roaming, soit par la possibilité pour le consommateur de présélectionner un opérateur étranger sans changer de carte SIM. Pour les télécoms fixes, le prix de l’appel vers l’étranger intra-européen sera celui des appels nationaux longue distance.
A l’heure où l’on demande de nouveaux efforts d’investissement considérables aux opérateurs télécoms, tant pour la 4G que pour la fibre optique, il semble paradoxal que
la règlementation européenne impose un encadrement tarifaire sur les appels intra-européens tout en annonçant dégager des sommes considérables pour le financement en partenariats publicprivé (PPP) de liaisons filaires haut débit. Plusieurs autres régions dans le monde ont vu la mise en oeuvre d’un tarif unique applicable aux communications entre plusieurs pays, dans le cadre d’une démarche commerciale dynamique des opérateurs
et non d’une contrainte réglementaire subie.
Le texte réaffirme le principe de neutralité du Net tout en permettant des facturations différentiées en fonction du volume de débit acheminé. On peut être ou ne pas être d’accord avec le principe énoncé, mais un tel bouleversement de l’écosystème du Net aurait mérité un traitement plus précis.
Au total, le projet de règlement semble manquer de rigueur, de clarté et, contrairement aux annonces accompagnant sa communication, une véritable ambition réformatrice lui fait surtout défaut. Il serait pourtant dommage que les préoccupations légitimes énoncées par Neelie Kroes soient enterrées avec son projet de règlement, dont on imagine mal qu’il devienne d’application immédiate dans tous les vingt-huit pays membres dans sa forme actuelle : l’accord du Conseil et du Parlement européens reste à obtenir. @

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Conseil européen des 24 et 25 octobre : du Paquet télécom au Paquet numérique
La France ne veut pas que le Conseil européen des 24 et 25 octobre prochains se limite au seul Paquet télécom mais qu’il soit élargi à la fiscalité numérique. « Le développement du numérique en Europe demande une approche globale, déterminée sur les questions d’économie numérique, incluant également les questions de fiscalité, d’innovation ouverte, de concurrence et de données personnelles car la réglementation dans ces domaines a un effet structurant sur le paysage numérique européen », a affirmé Fleur Pellerin,
ministre de l’Economie numérique, au lendemain de sa rencontre, le 11 juillet, avec les commissaires européens Joaquín Almunia (Affaires économiques et monétaires), Neelie Kroes (Agenda numérique) et Algirdas Semeta (Fiscalité). Pour dépasser le Paquet télécom, Fleur Pellerin a réuni le 24 septembre un “minisommet du numérique” en présence de sept de ses homologues européens (10) et de Neelie Kroes (lire p. 5), afin
de préparer le Conseil européen d’octobre. Le gouvernement français a prévu de proposer la création d’une autorité de régulation européenne capable d’intervenir « dès que les conflits et abus apparaissent avec les plates-formes [des géants Net tels que Google, Apple, Facebook ou Amazon, ndlr] » (propos de Fleur Pellerin dans Libération du 26 septembre 2013).
La France compte ainsi proposer une taxation des « GAFA » qui, bien que situés hors d’Europe, réalisent d’importants profits en proposant leurs services aux Européens.
Cette taxe pourrait consister à les soumettre à une contribution pour les transferts
de données hors Europe, comme l’a préconisé le rapport Collin & Colin. @