Un NFT est un OJNI dissociant l’unicité d’un bien, lequel suppose une licence d’utilisation

Toute transaction de NFT confère un droit qui n’est pas un droit de propriété, contrairement à ce que laissent supposer les plateformes de commercialisation, mais seulement l’octroi d’une licence d’utilisation restreinte, temporaire, donnée par le créateur du NFT à un souscripteur. Explications.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

La révolution numérique nous a propulsé dans l’univers de la dématérialisation. Sa première vague, par l’intermédiaire des plateformes, nous a initiés à la dissociation entre la propriété et son usage. Amazon est le plus grand magasin au monde sans posséder de magasins – même si à la marge sa stratégie brick-and-mortar point (1). De même, Airbnb semble être le plus grand hôtelier planétaire sans posséder un seul hôtel et Uber est sans doute la plus grande entreprise de transport sans posséder une seule voiture.

Non-fongible, unique et original
Avec le NFT (Non-Fungible Token, ou jeton non-fongible), nous découvrons la dissociation d’un bien avec son support. Un NFT est un actif numérique unique associé à un support électronique parfois extrêmement banal (un fichier au format jpeg, mp3 ou mp4, etc.). Un NFT peut représenter n’importe quoi. Il peut être une image, un son, une vidéo ou encore un écrit. Il peut être créé par n’importe qui, donc par chacun d’entre nous. L’unicité comme la traçabilité de cet actif unique sont certifiées par un dépôt dans la blockchain, à savoir une chaîne de blocs cryptée de bout-en-bout qui permet d’assurer la traçabilité et l’authenticité des transactions de façon décentralisée. Un tout récent rapport formule une définition : « Concrètement, l’acquisition d’un jeton non-fongible (“JNF” en français, “NFT” en anglais) correspond à l’acquisition d’un jeton inscrit sur la blockchain et associé à un “smart contract” (contrat intelligent, en français), qui renvoie à un fichier numérique (image, son, vidéo, …) » (2).
Ce nouvel outil numérique prometteur – mais aux allures d’OJNI (objet juridique non identifié) – n’est pas facilement appréhendable par le grand public du fait de sa totale dématérialisation, et cette difficulté est renforcée par la confusion entre l’objet (le NFT), le lieu d’échange (la plateforme de commercialisation) et les conditions de l’échange (l’environnement numérique). Bien que difficilement conceptualisable, le NFT connaît une très forte notoriété, probablement du fait du fantasme implicite d’une plus-value immédiate et importante. Quel est le concept ? Dans le domaine de l’art, par exemple, un NFT est une œuvre originale (c’est notre postulat mais gare aux contrefaçons), qui est soit directement créée de manière numérique, soit représentant numériquement une œuvre qui existe déjà sur un autre support matériel (comme une toile). Ce NFT peut représenter l’œuvre intégralement ou par morceau, comme une pièce de puzzle (ou «mass »). Cette « chose » (le jeton) est dite « non-fongible » car elle ne peut pas être échangée contre quelque chose de valeur égale. A l’inverse, une pièce de 1 euro est un bien fongible car elle peut être échangée avec une autre pièce de 1 euro qui aura la même valeur. Etant unique, le NFT est doublement non-fongible : un NFT n’a pas la même valeur qu’un autre NFT – le NFT « Merge » détient pour le moment le record avec une vente estimée autour de 91,8 millions de dollars (3). De plus, il peut exister plusieurs représentations d’un même NFT sur un même support (fichier au format jpeg par exemple) mais seul celle qui a été désignée comme unique par son auteur et authentifiée comme telle sur une blockchain a de la valeur. Si l’on fait abstraction de la plateforme et des conditions de commercialisation, au moins dans le domaine de l’art, le NFT n’est donc qu’une représentation virtuelle d’une œuvre dissociée de son support. Dans le monde matériel, l’unicité c’est à la fois le fait qu’il n’existe pas le même type d’œuvre sur le même type de support (approche objective) et qu’une seule personne puisse la détenir (approche subjective). En pratique, les deux se confondent. Lorsqu’on achète « une toile », on possède à la fois le support de la peinture et l’image de la peinture.
Dans le monde numérique, du fait de la dématérialisation, c’est l’image du NFT (c’est-à-dire sa représentation virtuelle) qui fait l‘objet de la transaction. Son support (c’est-à-dire le fichier numérique qui permet la représentation virtuelle) reste dans la blockchain.

Dissociation image-support : problèmes
Cette dissociation de l’image et de son support pose cependant des problèmes pratiques.
• Le premier problème est qu’il est difficile de commercialiser une image virtuelle. Le caractère dématérialisé de l’image est difficilement appréhendable par le juriste dès lors qu’en matière de chose, nos lois régissent essentiellement la possession et donc la détention matérielle : « En fait de meubles, la possession vaut titre » (4). Comment peut-on posséder une chose qui n’est qu’une image virtuelle ? La loi va devoir s’adapter à ce nouvel outil et elle commence à le faire. Jusqu’à récemment, la loi limitait la vente volontaire de meubles aux enchères publiques aux seuls biens mobiliers corporels (5), ce qui excluait en France notamment la vente aux enchères des NFT. Or, de telles ventes étaient possibles hors de France. Rappelons que Christie’s à New York avait vendu en mars 2021 le NFT « Everydays: the First 5.000 Days » pour plus de 69,3 millions de dollars (6). Depuis mars 2022, l’interdiction a été levée en France. L’article L320-1 du code du commerce a été modifié par la loi « Moderniser la régulation du marché de l’art » du 28 février 2022 (7). La preuve du dépôt dans la blockchain • Le second problème est de savoir comment accorder de la valeur à une image virtuelle et, ce faisant, comment s’approprier une image virtuelle. Pour être commercialisé, un NFT doit être exposé, et donc être visible de tous. A priori sa valeur ne résulte pas de son exposition. Même s’il est une représentation virtuelle, le NFT, pour être commercialisé, ne peut s’affranchir de tout support. Cette dissociation n’est donc pas totale dès lors que l’image virtuelle est en fait associée à un support unique. L’unicité du support – et donc sa valeur – résultera du fait qu’il sera désigné comme tel par l’auteur du NFT. Et ce, par un dépôt dans la blockchain. Même s’il peut exister plusieurs représentations d’un NFT sur un même type de support, seul sera unique le support du NFT qui aura été désigné comme tel par le créateur dudit NFT. Par exemple, un NFT peut être représenté sur un support extrêmement banal (une vidéo au format mp4 par exemple), copiable par milliers et, en même temps, être unique, parce que son créateur l’aura rendu unique en le déposant dans la blockchain. Cette unicité ne pourra pas être, en droit, remise en cause par l’acquéreur du NFT. En effet, en déposant dans la blockchain une autre copie en mp4 du NFT vidéo unique (notre exemple), ledit acquéreur n’en ferait qu’une contrefaçon
Tout le monde peut voir un NFT s’il est mis en ligne sur une plateforme dédiée, mais une seule personne peut se prétendre détentrice de la preuve du dépôt d’un support unique dans la blockchain. Le NFT permet donc de dissocier l’unicité de la détention du support de celle de la propriété matérielle. Il permet donc d’ajouter une nouvelle modalité à l‘unicité en déclarant le NFT comme tel par son dépôt dans la blockchain. Outre la difficulté du concept, le NFT s’échange en utilisant d’autres outils nouveaux. La commercialisation des NFT suppose d’utiliser un environnement numérique, lui-même source de complexité. En effet, qui veut comprendre le fonctionnement des NFT doit aussi s’initier à la création et l’usage du portefeuille électronique, ou wallet, qui permet en effet de stocker et gérer ses crypto-actifs de la même manière qu’un compte en banque. Mais aussi il doit savoir recourir aux smart contracts (8). L’utilisateur doit aussi de familiariser avec l’utilisation de la cryptomonnaie (monnaie numérique émise de pair-à-pair sur un réseau décentralisé et sans nécessiter de banque centrale), le tout déposé dans la blockchain (là encore sans intermédiaire centralisé).
Enfin, l’échange de NFT suppose le recours à des places de marché. Le NFT est actuellement commercialisé par le biais de plateformes dédiées (OpenSea, Binance, Sorare, …), lesquelles ont imposé leurs pratiques de commercialisation. La difficulté est que l’acheteur du NFT ne sait pas toujours ce qu’il achète, ni comment il l’achète. Les plateformes sont assez « pudiques » sur le sujet, n’offrant qu’un espace de commercialisation (9) et renvoyant aux deux parties le soin de définir la nature et les conditions de « l’échange ». C’est une place de marché qui, assez étrangement, ne fixe pas les conditions juridiques du marché.
Du fait de la nature même du NFT (une représentation virtuelle), toute transaction confère un droit qui n’est pas un droit de propriété contrairement à ce que laisse supposer le vocabulaire utilisé par les plateformes (« acheteur », « vendeur », etc.). Toute commercialisation n’est, en réalité, que l’octroi d’une licence d’utilisation restreinte temporaire donnée par le créateur du NFT à un souscripteur. Cette licence se transmet sur le marché primaire (cession initiale) ou sur le marché secondaire (cessions ultérieures).
S’agissant du marché primaire, la commercialisation suppose la réunion de trois conditions :
Le NFT doit être créé par un artiste ; il s’agit essentiellement d’une œuvre de l’esprit unique qui ne doit pas porter atteinte aux droits des tiers. Le support électronique utilisé pour reproduire ou représenter ce NFT peut être commun (comme un jpeg) ; Le NFT doit être déposé dans la blockchain, et faire l’objet d’un certificat de dépôt pour singulariser et authentifier le NFT. Le support de la représentation devient ainsi unique ; L’artiste doit transférer le NFT au client primaire contre une rémunération dans le cadre d’une licence d’utilisation du NFT, cette licence définissant les conditions dans lesquelles le titulaire peut utiliser le NFT.
S’agissant du marché secondaire, la commercialisation suppose la réunion de deux conditions :
Le client primaire cède son NFT à un client secondaire qui paye le prix net au client primaire et la rémunération directement de l’artiste (généralement 10 %) et le cas échéant, la rémunération technique à la plateforme ; L’artiste confère au client secondaire une nouvelle licence d’utilisation (celle du client primaire devenant caduque du fait de la nouvelle « cession »).

Lenteur d’un consentement éclairé
Par la conclusion d’un contrat de licence à chaque « cession », chacun saurait la réalité de ce qu’il achète et les transactions n’auraient pas à se faire obligatoirement en cryptomonnaie – ce qui supprimerait les risques consécutifs à ce type de moyens de paiement. Cependant, un tel processus est beaucoup plus lourd que les facilités offertes par les plateformes. Il faut donc choisir entre la lenteur d’un consentement éclairé ou la rapidité dans l’ignorance de la nature des droits acquis. @

Streaming musical : ce que prévoit l’accord du 12 mai sur la rémunération minimale des artistes

Signé le 12 mai 2022 par les organisations syndicales des producteurs de musique enregistrée, d’une part, et celles des artistes-interprètes, d’autre part, l’« accord historique » garantit une rémunération minimale pour ces derniers lors de la diffusion de leurs musiques en streaming.

La signature de l’accord pour la rémunération des artistes-interprètes dont la musique est diffusée en streaming, qui s’est déroulée le jeudi 12 mai au ministère de la Culture et sous l’égide du médiateur de la musique Jean-Philippe Mochon (photo), est à marquer d’une pierre blanche. Il fixe une garantie de rémunération minimale pour les artistes-interprètes dont les œuvres musicales sont diffusées « en flux » (comprenez en streaming). Mais, selon nos informations auprès du médiateur de la musique, il reste encore à se mettre d’accord sur la rémunération spécifique des musiciens d’orchestre, notamment dans la musique classique.

Deux arrêtés ministériels en vue
Quoi qu’il en soit, l’accord est considéré comme « historique ». Les signataires « à l’unanimité » de ce document d’une quinzaine de pages – que Edition Multimédi@ s’est procuré (1) – sont : les syndicats d’employeurs et producteurs de musiques – Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) et Syndicat des musiques actuelles (SMA) ; les organismes de gestion collective des droits d’auteur des artistes-interprètes – Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), Administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) et Société de gestion des droits des artistes interprètes (Spedidam) ; les syndicats de salariés – Snam-CGT, SFACGT, F3C-CFDT, SNM-FO, Snacopva CFE CGC, FCCS CFECGC, FNSAC-CGT et Snapsa CFE-CGC.
Tous sont convenus que les artistes-interprètes toucheront une rémunération minimale dans le cadre du streaming musical. Cet accord fait le distinguo entre les artistes interprètes qui touchent des redevances proportionnelles (« artistes principaux » dans le jargon des producteurs) et les musiciens rémunérés essentiellement au cachet (« artistes musiciens »). Les premiers bénéficieront des taux de royalties supérieurs à 10 %, calculés sur une assiette tenant compte des différents modèles économiques de production existants, ainsi qu’un droit à percevoir systématiquement une avance minimale du producteur et une bonification de taux en cas de succès important. Les seconds percevront tous une somme forfaitaire spécifique au titre du streaming, ainsi que des rémunérations nouvelles supplémentaires et automatiques chaque fois que sont atteints les niveaux de succès définis par l’accord, à partir d’un demi-single d’or (7,5 millions d’écoutes). L’accord valable pour cinq ans (2), trouvé au bout de nombreux mois de négociations et faisant figure de « compromis » (dixit la SCPP et la SPPF), prévoit aussi le soutien de tous les producteurs de musique, notamment les plus fragiles (« les labels TPE (3) »), dans le cadre d’un dispositif cofinancé par l’Etat : le fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps), qui a été créé en 2016 pour soutenir l’emploi dans le spectacle vivant et enregistré, dans le secteur public comme dans le secteur privé (4). « Le présent accord revêt une force obligatoire à compter du premier jour du mois suivant la date de publication de l’arrêté du ministère chargé de la Culture qui le rend obligatoire. Il entre en vigueur, le cas échéant avec effet rétroactif, à compter du 1er juillet 2022 » prévoit l’accord paraphé, signé et daté du 12 mai, même si les discussions se sont poursuivies tard dans la nuit.
Il était temps, avec six ans de retard ! En effet, ce compromis met enfin en œuvre la garantie de rémunération minimale (GRM) introduit dans le code de propriété intellectuelle (CPI) par la loi dite « Création » de juillet 2016 (5). Pourtant la loi était claire : il accordait aux organisations professionnelles de la musique enregistrée un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi « Création », à savoir jusqu’au 8 juillet 2017, pour signer un accord collectif. A défaut, la garantie de rémunération minimale devait être fixée par une commission présidée par un représentant de l’Etat. Rien de tout cela n’avait finalement eu lieu, jusqu’à ce compromis qui a au moins le mérite d’exister. A noter qu’outre l’arrêté attendu du ministère de la Culture, cet accord peut aussi être rendu obligatoire par un arrêté du ministre chargé du Travail.

Partage de la valeur du streaming
« Les acteurs de la musique enregistrée en France sont capables de trouver ensemble des solutions innovantes et ambitieuses pour apporter des réponses au débat essentiel du partage de la valeur sur la musique en ligne », s’est félicitée le ministère de Roselyne Bachelot-Narquin le 16 mai, soit le dernier jour de son mandat rue de Valois. Cet accord s’applique aux exploitations en streaming des musiques enregistrées des artistes-interprètes « en France et à l’étranger » (articles 2 et 4 de l’accord), mais les exploitations relevant de la gestion collective obligatoire n’entrent pas dans son champ. Il s’applique aux artistes-interprètes engagés par un employeur dans le cadre de son activité de producteur de musique enregistrée lorsqu’elle constitue son activité principale, dans un contrat de travail relevant de la convention collective nationale de l’édition phonographique (CCNEP).

En phase avec la directive « Copyright »
Prévue dès juillet 2016 dans la loi « Création », cette disposition « GRM » concernant une rémunération équitable dans le streaming fut une première en Europe, bien avant la directive européenne sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » adoptée en 2019 et applicable depuis un an par les Vingtsept (6). « Au regard des autres pays européens, je crois vraiment que ce que nous faisons est inédit et converge avec les principes posés par la directive, mais n’en est pas en soi la transposition », nous précise Jean-Philippe Mochon. La directive « Copyright » de 2019 prévoit bien que « les Etats membres devraient être libres de mettre en œuvre le principe de rémunération appropriée et proportionnelle en recourant à divers mécanismes existants ou nouvellement introduits, qui pourraient inclure la négociation collective » (considérant 73). La directive « Copyright » a gravé dans le marbre le principe de « rémunération appropriée et proportionnelle » (article 18). L’accord collectif français du 12 mai 2022 concrétise enfin cet objectif.
Dans le détail, selon qu’il s’agit d’un « artiste principal » irremplaçable (un groupe, un soliste, un, …) ou d’un « artiste musicien » remplaçable (un accompagnateur, un choriste, …), la rémunération diffère. « Le caractère proportionnel de la rémunération de artistes-interprètes, et a fortioride la garantie de rémunération minimale, peut inclure par conséquent le recours à des modalités de rémunération différenciées de la cession de droits, sous forme de redevance [les royalties, ndlr] ou d’un ou plusieurs forfaits [au cachet, ndlr] », est-il expliqué dans l’accord.
• Rémunération des artistes principaux. Si le producteur de musique enregistrée est son propre distributeur auprès des plateformes de streaming, il garanti un taux minimum de 11 % (en période d’abattements) ou de 10 % (hors période d’abattement) sur les sommes qui lui sont reversées par ces dernières. Si le producteur de musique enregistrée n’est pas son propre distributeur auprès des plateformes de streaming, il garantit un taux minimum de 13 % (en période d’éventuels abattements) ou de 11 % (hors période d’abattement), sans pour autant que cette rémunération minimale dépasse respectivement les 11% et les 10 % des sommes encaissées par le distributeur. Quant à ces abattements éventuels, négociés de gré à gré entre l’artiste-interprète et le producteur, ils ne peuvent réduire de plus de la moitié le taux prévu au contrat. Pour les producteurs de musique bénéficiant d’un contrat de licence exclusive, ils garantissent un taux minimum de 28 % des sommes qu’ils encaissent en streaming (sans abattements possibles). Concernant cette fois les avances minimales garanties, l’accord collectif prévoit que le producteur verse 1.000 euros bruts par album inédit, somme ramenée à 500 euros lorsqu’il s’agit d’une TPE. Les organismes de gestion collective de producteur (SCPP, SPPF, …) doivent soutenir ces dernières (7).
• Rémunération des artistes musicaux. Le producteur garantit à l’artiste-interprète une rémunération forfaitaire minimale correspondant à 2% ou 1,5 % (selon les cas), et par minute de l’enregistrement, du cachet de base défini par la convention collective (CCNEP). A cela s’ajoutent des rémunérations minimales complémentaires « qui sont fonction du seuil de streams atteint » par la musique sur les plateformes de streaming. Si le seuil atteint en France soit les 7,5 millions de streams, soit les 30 millions de streams, soit les 50 millions de streams dans les 50 ans suivant la première commercialisation de la musique, l’artiste-interprète perçoit l’équivalent de respectivement 20 %, 30 % ou 35 % « d’une valeur monétaire égale au montant du cachet de base » (plafonné à dix fois cette valeur). Et au-delà d’un multiple de 50 millions de streams, cela donne droit à une nouvelle rémunération complémentaire. L’accord collectif précise en outre que « la méthodologie de décompte de volumes de streams est annexée au présent accord ». Pour l’heure, les plateformes de streaming Amazon, Apple, Deezer, Qobuz, Soundcloud, Spotify et Tidal participent au panel qui contribue aux classements et aux certifications. Lorsqu’il s’agit de téléchargement (pas de flux), Amazon, Apple, Juno, Prestoclassical et Qobuz sont pris en référence.

Napster et YouTube négocient encore
« Le panel est amené à s’enrichir des acteurs suivants dont les négociations sont en cours : Napster (un accord de principe existe mais la mise en place des flux se heurte encore à des délais de réponse importants de la plateforme) ; YouTube Music (pas d’accord de principe à ce stade, YouTube souhaitant la prise en compte des streams et visualisations gratuites) », est-il indiqué dans cette annexe. Autres précisions : « Seuls les streams payants d’une durée supérieure à 30 secondes sont pris en compte. Les téléchargements d’un enregistrement et les singles physiques (8) sont convertis en équivalentstreams en application des paramètres publiés sur le site Internet du Snep, et sont ensuite rajoutés aux volumes des streams de cet enregistrement ». Cet accord historique intervient alors que la musique enregistrée fêtera ses 100 ans le 28 juin prochain. @

Charles de Laubier

Copie privée : les micro-ordinateurs vont-ils être taxés avant ou après l’élection présidentielle ?

Le conseiller d’Etat Thomas Andrieu, nommé en novembre 2021 président de la commission « pour la rémunération de la copie privée », débute son mandat avec un dossier très sensible politiquement : taxer les ordinateurs portables et de bureau pour les enregistrements d’œuvres qui y sont faits.

Avoir le droit d’enregistrer sur le disque dur interne d’un micro-ordinateur des copies numériques d’œuvres multimédias – que cela soit de la musique, des films, des jeux vidéo, des livres numériques ou encore des images – fera-t-il l’objet en 2022 d’une taxe lors de l’achat d’un nouvel équipement (PC portable, PC de bureau ou disque dur interne vendu séparément) ? Cette année devrait être décisive, puisque la commission « pour la rémunération de la copie privée » – rattachée au ministère de la Culture (1) – est censée analyser les résultats inédits d’une étude d’usage que l’institut de sondage CSA a finalisée et remise en octobre 2021.

Dossier sensible pour Thomas Andrieu
Le problème est que cette commission « copie privée » a beau avoir un nouveau président depuis le 6 novembre dernier (2), en la personne de Thomas Andrieu (photo), conseiller d’Etat, elle ne peut reprendre ses travaux tant que ses autres membres ne sont pas nommés eux aussi. « Nous réunirons la commission une fois que l’arrêté de sa nouvelle composition – pas encore signé à ma connaissance [au 27 janvier, ndlr] – sera publié au Journal Officiel », indiquait il à Edition Multimédi@. Les mandats sont d’une durée de trois ans : celui du précédent président, Jean Musitelli, s’est achevé fin septembre, tandis que ceux des vingt-quatre membres (représentant les fabricants et importateurs de supports, les consommateurs et ayants droit) se sont arrêtés fin novembre (3). « Cette désignation relève de la compétence des ministères en charge de la Culture, de l’Economie et de la Consommation. Elle est indispensable pour que la commission [copie privée] puisse poursuivre ses travaux, et notamment procéder à l’analyse des résultats des études d’usages des pratiques de copie privée sur les microordinateurs », s’est impatientée la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), le 18 janvier à l’occasion de son bilan annuel (4). Elle est membre de Copie France, l’unique organisme français mandaté pour collecter la redevance pour la copie privée (5) et occupant pas moins de dix sièges au sein de la commission « copie privé ». Celle-ci fixe les barèmes des taxes sur les appareils high-tech dotés d’un support de stockage numérique (smartphones, tablettes, disques de sauvegarde externe, clés USB, box, etc.). Cette « redevance pour rémunération de la copie privée », présentée comme une contrepartie au droit des utilisateurs d’enregistrer des œuvres et de les partager dans un cercle restreint (entendez « familial »), s’applique au nouveaux appareils vendus (montant pouvant atteindre plusieurs dizaines d’euros en fonction de la capacité de stockage). Prochains sur la liste : les micro-ordinateurs. Cela fait près de trois ans que la commission « copie privée » prépare le terrain à cette taxation des ordinateurs personnels (portables ou fixes) et des disques durs internes vendus « nus » : c’est-à-dire pouvant être installés à l’intérieur d’un PC, d’un Mac, d’une box ou d’un boîtier NAS (6).
Mais, fraîchement nommé par Roselyne Bachelot (ministre de la Culture) et Bruno Le Maire (ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance), Thomas Andrieu (45 ans) se retrouve avec ce dossier sensible politiquement. Car, contrairement à l’Allemagne, à l’Italie et aux Pays-Bas qui assujettissent depuis quelques années les micro-ordinateurs de leurs compatriotes, la France, elle, n’a encore jamais franchi le pas. Aucun des gouvernements français qui se sont succédés ne se sont risqués à étendre cette redevance « copie privée » aux ordinateurs des Français. Non seulement cela serait malvenu au moment où l’on incite les foyers à s’équiper d’un ordinateur personnel – voire familial – pour faire les démarches administratives en ligne, télétravailler en période de crise sanitaire ou encore permettre aux enfants de suivre l’école en distanciel. De plus, alors que l’élection présidentielle est programmée pour les 10 et 24 avril prochains et que les législatives suivront les 12 juin et 19 juin, une telle taxe ne serait pas vraiment perçue comme populaire auprès de l’électorat… Pas sûr non plus que l’actuel chef d’Etat Emmanuel Macron – donné partant pour un second mandat et ancien ministre de l’Economie, de l’Industrie et… du Numérique (2014-2016) – donne son aval à une mesure qui grèverait le pouvoir d’achat des Français. Sans parler de la lutte contre la fracture numérique…

« Préjudice » pour les ayants droit ?
Une fois les vingt-quatre membres de la la commission « copie privée » désignés, Thomas Andrieu fixera une séance plénière pour tirer les conclusions des résultats de l’étude d’usage CSA (achevée depuis six mois). Selon NextInpact, 1.017 possesseurs de ces appareils ont été interrogés et, sans surprise, la copie d’œuvres sur ces supports est avérée (7). Pour les ayants droit, il y a donc « préjudice ». L’arbitre sera sans doute à l’Elysée. @

Charles de Laubier

Quelle protection en droits d’auteur et droits voisins pour les œuvres utilisées dans les podcasts ?

En attendant d’autres grilles de sociétés de gestion collective des droits d’auteur pour permettre aux créateurs de podcasts de connaître les tarifs en cas d’utilisation d’œuvres protégées, seule la Sacem a publié la sienne – négociée avec le Geste. Les droits voisins, eux, ne sont pas concernés.

Par Véronique Dahan, avocate associée, Joffe & Associés.

Le podcast représente en 2020 plus de 100 millions d’écoutes mensuelles en France (1). Malgré l’expansion de ce nouveau moyen de consommation de contenus sur Internet, les créateurs de podcasts rencontrent une épineuse contrainte : sans barèmes permettant d’évaluer le coût de l’utilisation d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur, ils sont contraints de choisir entre : intégrer sans autorisation dans leur émission sonore les œuvres musicales, en toute illégalité, ou utiliser uniquement des sons libres de droit ou des mashups non attractifs pour les auditeurs.

Podcast natif ou podcast replay
L’une ou l’autre de ces solutions ne permettant nullement de soutenir les auteurs-compositeurs, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) s’est saisie de la question afin d’établir un barème permettant aux créateurs de podcasts d’estimer le montant à verser à l’organisme pour l’utilisation des œuvres qu’elle protège.
La Sacem a donc publié en janvier 2020 une brochure (2) détaillant les barèmes applicables à l’utilisation des œuvres protégées de ses adhérents dans les podcasts. Après un an de discussions, le Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) a relayé le 2 septembre 2021 les nouveaux tarifs applicables, négociés avec la Sacem (3). Il convient à cet égard de définir le périmètre de cet accord afin d’en apprécier les apports et relever les points qui résistent au débat.

• L’applicabilité du barème aux podcasts en replay
Le podcast natif est le contenu sonore ou audiovisuel sur Internet créé pour être diffusé directement en ligne sans passer par un autre moyen de communication tel que la radio. Il se distingue ainsi du podcast en replay, lequel est une rediffusion d’un contenu déjà passé à l’antenne (les professionnels parlent aussi de Catch up Radio, ou radio de rattrapage). Le Geste a annoncé « une grille tarifaire s’appliquant aux droits d’auteurs sur les podcasts natifs » laissant sous-entendre l’exclusion de ceux en replay. Toutefois, la Sacem – lors de la publication des barèmes – a précisé que « ces tarifs sont applicables aux podcasts issus de la reprise d’une émission de radio ou de webradio comme aux podcasts dits “natifs”, créés spécifiquement pour une diffusion en ligne » (4). Le barème révisé de cette année (5), publié en mars 2021, vise quatre types de podcasts : les podcasts associatifs natifs ; les podcasts associatifs issus d’une webradio ; les podcasts commerciaux financés par la publicité ; et les podcasts commerciaux par abonnement. Néanmoins, les tarifs proposés pour utiliser les œuvres protégées dans les podcasts associatifs sont trois fois plus élevés dans le cadre d’une webradio (120 euros HT par an) que pour un podcast natif proposé sur un site Internet (40 euros HT par an). S’agissant du podcast commercial, il n’est fait aucune distinction de tarif selon qu’il s’agisse de la reprise d’une émission de webradio ou d’un podcast natif.

• Le cas de l’utilisation « éclair » d’une œuvre protégée par le droit d’auteur
Une deuxième interrogation concerne la durée de diffusion de l’œuvre protégée par le droit d’auteur. Les barèmes établissent un taux de redevance qui varie notamment selon la proportion du temps de diffusion de l’œuvre dans la durée total du podcast.
Ainsi, à titre d’exemple, l’utilisation d’une œuvre faisant partie du répertoire de la Sacem durant 20 % du temps total d’un podcast sur le cinéma donnera lieu à l’application d’un taux de 3 % des recettes à verser au titre des droits d’auteur à la Sacem. Mais qu’en est-il dans le cas où l’œuvre est diffusée pour une très courte durée, correspondant à, disons, 0.5 % ou moins de la durée totale du contenu ?

Quid des exceptions aux droits d’auteurs ?
L’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle (6) prévoit en effet plusieurs exceptions à la protection des droits d’auteur et notamment « les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ». La Sacem a répondu à cette question en maintenant que même pour une utilisation très courte de son catalogue, les grilles devraient s’appliquer (7). Au regard du barème de la Sacem, le tarif est le même pour la diffusion d’une œuvre protégée par le droit d’auteur pendant une ou deux secondes ou pour une durée correspondant à 30 % de la durée totale de l’émission, les catégories « Jusqu’à 15 % » et « De 15 à 30 % » présentes dans les grilles pour 2020 ayant été supprimées dans la grille 2021.
• Un barème réservé aux œuvres du répertoire de la Sacem Alors que des contrats uniques concernant les différents organismes tels que la Société civile des auteurs multimédias (Scam), la Sacem et la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) ont été élaborés pour que les radios puissent exploiter l’ensemble des œuvres des répertoires de ces sociétés (8), tel n’est pas encore le cas s’agissant des podcasts.

Le Geste finit de négocier avec la SACD
Le Geste a annoncé en janvier 2020 avoir entrepris des négociations avec les organismes de gestion collective des droits d’auteur, pour établir des contrats-cadres d’exploitation de podcasts mais, à l’exception de la Sacem, aucun autre organisme n’a publié de grilles permettant aux créateurs de podcasts de connaître les tarifs auxquels ils s’exposent en utilisant une œuvre protégée par l’une de ces sociétés. Des accords entre certaines plateformes de podcasts ont toutefois ponctuellement émergés, comme Binge Audio – premier accord en avril 2020 sous la houlette du Geste (9) –,Bababam, Louie Media ou Nouvelles Ecoutes qui ont chacun signé avec la Scam (10). Mais à notre connaissance, la Scam n’a pas encore publié ses tarifs. Les droits d’auteur n’obtiennent pas encore le même niveau de reconnaissance et de protection s’agissant des podcasts que celui octroyé à la radio, qui réunit pourtant de moins en moins d’auditeurs. Selon les informations de Edition Multimédi@, des discussions sont en train d’être finalisées entre le Geste et la SACD. Les tarifs de cette dernière devraient être publiés dès qu’ils seront validés avec le groupement des éditeurs.

• L’exclusion de l’utilisation des œuvres protégées par les droits voisins
Plus encore, les droits voisins ne sont en aucun cas concernés par les grilles d’évaluation proposées par la Sacem et le Geste. La Sacem met à ce titre les créateurs de podcast associatifs ou commerciaux en garde, en précisant à la suite de son barème qu’ils doivent « également obtenir l’autorisation des producteurs de ces enregistrements » (11). La Sacem renvoie pour cela à la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et à la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) pour que les créateurs de podcasts s’accordent avec ces sociétés de gestion sur des « contrats généraux d’intérêts communs » (12). Pour autant, des contacts ont été pris par le Geste avec la SCPP pour les droits voisins et la SPPF va être également approchée. Il reste que le paiement de la redevance issue du barème de la Sacem ne permet pas, seule, d’utiliser des œuvres répertoriées par un organisme de gestion des droits voisins. Le 23 janvier 2020, à l’occasion du Salon de la Radio, la Sacem a par ailleurs rappelé que le barème publié pour l’année 2020 ne concernait que les œuvres sonores et non les podcasts audiovisuels. En clair, seules les œuvres de génériques ou créées spécialement pour le podcast, n’ayant pas fait l’objet d’une production, sont concernées par le barème de la Sacem. Pour passer un disque protégé au titre des droits voisins, un contrat propre avec un organisme de gestion de ces droits devra être conclu, sans quoi l’utilisation sera illicite.

• Un outil opportun malgré le périmètre restreint
Bien que le barème ne concerne que les droits des auteurs-compositeurs adhérents de la Sacem, la grille négociée par le Geste donne quelques motifs de satisfaction pour les créateurs de podcasts. Outre la plus grande sécurité juridique et une faculté désormais acquise depuis 2020 à estimer le montant des redevances à verser pour la protection des droits d’auteurs, les prix proposés ne sont pas rédhibitoires et ce même pour les petites structures.
Les taux de redevances restent en effet immobiles en ce qui concerne les podcasts dont l’objet est musical, de 6 % à 12 % des recettes publicitaires ou issus des abonnements selon le moyen de financement du podcast. Plus encore, les podcasts consacrés au sport et à l’information (sport, société, actualité politique, santé, économie, entreprise, éducation et jeunesse, sciences et technologies) et de type généraliste (voyages et tourisme, mode, enquêtes, gastronomie, développement personnel, sciences fiction, histoire, entrepreneuriat, documentaires, arts, culture et littérature) se voient attribuer des taux de redevance inférieurs, de 3 % à 9 % en fonction de l’utilisation du répertoire de la Sacem.

Quid des podcasts « transfrontaliers » ?
• La réglementation au sein de l’Union européenne (UE) La directive européenne de l’UE de 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (13) – censée être transposée dans chacun des Vingt-sept depuis le 7 juin 2021 – ne prévoit pas expressément le cas de l’utilisation des œuvres sonores dans des podcasts. Toutefois il ne fait nul doute que la protection introduite par l’application du barème Sacem négocié avec le Geste fait le constat commun selon lequel « l’insécurité juridique subsiste, tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, en ce qui concerne certaines utilisations, notamment transfrontières, d’œuvres et autres objets protégés dans l’environnement numérique ». C’est dire que l’on n’a pas encore fini d’entendre parler des podcasts… @

DSA & DMA : compromis numérique en vue entre les Etats membres, à défaut de consensus

Les deux propositions de règlement, l’un pour un « marché unique des services numériques » (DSA) et l’autre sur les « marchés contestables et équitables dans le secteur numérique » (DMA), entrent dans leur dernière ligne droite législative. La Commission européenne en a été l’initiatrice il y a un an.

L’issue des tractations et des lobbyings autour des deux propositions de règlement DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act) va maintenant se jouer entre l’actuelle présidence slovène de l’Union européenne (jusqu’au 31 décembre) et la prochaine présidence française (du 1er janvier au 30 juin 2022). Une réunion des Etats membres des Vingt-sept est prévue le 25 novembre – « Rue de la Loi », dans les locaux de la Commission européenne à Bruxe l le s – s o u s le thème de « Compétitivité » dans le marché intérieur et l’industrie.

Pays d’origine ou de destination ?
Si la présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) est tournante, au rythme semestriel, la présidence de la Commission européenne – actuellement Ursula von der Leyen et son bras armé digital Margrethe Vestager (photo) – poursuit son mandat de cinq ans jusqu’à fin 2024 (renouvelable une fois). L’exécutif européen entend bien être doté d’ici-là de pouvoirs pour veiller à la bonne application des deux propositions de règlement – DSA et DMA – qu’elle avait présentées le 15 décembre 2020, il y a près d’un an. Dans le projet de compromis du DSA daté du 18 novembre, que Edition Multimédi@ s’est procuré (1), il est prévu que « la Commission [européenne] dispose des pouvoirs de supervision et d’application des obligations applicables aux très grandes plateformes en ligne ou aux très grands moteurs de recherche en ligne ». Ce projet de texte sur le « marché unique des services numériques » sera soumis, comme celui sur les « marchés contestables et équitables dans le secteur numérique », aux gouvernements des Etats membres qui se réunissent donc le 25 novembre pour tenter d’adopter une position commune sur la régulation de l’Internet. Sont aussi prévues, à l’ordre du jour (2), des délibérations législatives sur le projet de compromis du DMA, daté lui du 5 novembre et que nous sommes également procurés (3).
L’un des points de divergence entre les Etats européens portait sur le principe du pays d’origine, qui, dans la proposition initiale de la Commission européenne, donne compétence transfrontalière au pays où l’entreprise numérique est établie, contrairement au principe du pays de destination. Des pays, dont la France, ont milité contre ce principe du pays d’origine, préféré par des pays comme l’Irlande ou le Luxembourg où de nombreuses Big Tech ont leur siège social européen. Par exemple, Google/ YouTube, Facebook, Microsoft et Apple ont leur quartier général européen respectif en Irlande (à la fiscalité super attractive de 12,5 %) – les trois premiers à Dublin et le dernier à Cork. Mais une dizaine de pays de l’UE emmenés par l’Irlande justement ont fait barrage à la France en estimant que le principe du pays de destination avancée par celle-ci présentait des risques de fragmentation du marché unique numérique et risquait de devenir une usine à gaz administrative pour les plateformes digitales concernées.
« Nous défendons l’idée que la Commission [européenne] puisse jouer un rôle plus important dans la régulation directe », avait déclaré le président de la République française, Emmanuel Macron, le 22 octobre dernier à l’issue du sommet européen (4). Par la suite, de façon à limiter le principe du pays d’origine (à défaut d’avoir eu gain de cause sur le principe du pays de destination), la France a proposé que l’exécutif européen ait « une autorité exclusive » sur les très grandes plateformes en ligne transfrontalière – ce que l’on désigne à Bruxelles par le sigle VLOP (Very Large Online Platforms), pour ne pas dire GAFAM. L’idée de la présidence slovène – à laquelle adhère la France et d’autres Etats membres soucieux d’éviter les blocages et les impasses (5) – est de donner les pleins pouvoirs à la Commission européenne – et notamment à son actuelle vice-présidente Margrethe Vestager – pour ne pas laisser faire des pays comme l’Irlande si le principe du pays d’origine était appliqué dans la mise en œuvre des futurs règlements DSA et DMA.

Compromis de la présidence slovène
C’est le 26 octobre dernier que le gouvernement français a formalisé sa proposition à travers des amendements portant sur le pouvoir de régulation de la Commission européenne sur le marché unique numérique. Finalement, la France s’est ralliée au compromis de la présidence slovène : maintenir le principe du pays d’origine, renoncer à la compétence exclusive de la Commission européenne sur les VLOP, mais en revanche « il faudrait au moins trois Etats membres pour demander à l’autorité dirigeante d’un autre pays d’ouvrir une enquête » à l’encontre d’une plateforme numérique. Et dans le cas où un Etat membre (via son autorité de la concurrence ou celle de la protection des données par exemple) serait en désaccord avec au moins un autre pays européen, ou à l’inverse ne prenait aucune mesure, la Commission européenne serait en droit de reprendre la main sur l’affaire. « Les conclusions préliminaires de l’enquête seraient ensuite communiquées au conseil d’administration des “coordonnateurs des services numériques” [ou Digital Services Coordinators (DSC), ndlr], qui rendra son avis à la Commission européenne qui en tiendra compte dans sa décision finale ». Après cette procédure d’enquête, l’exécutif européen devra faire part – dans un délai de deux mois – de sa décision contraignante pour l’autorité nationale concernée.

Pouvoirs de la Commission européenne
La Commission européenne pourrait devenir un super régulateur vis-à-vis des GAFAM, en ayant à trancher sur des différends portant sur les contenus circulant sur les grandes plateformes transfrontalières (contenus illicites, fausses informations, œuvres piratées, violations de la vie privée, etc.). La modération des échanges sur les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, TikTok ou Snapchat pourrait par exemple être délicate pour l’exécutif européen, chargé de s’assurer que les contenus illicites et les cyberhaines sont bannis, car cela pourrait heurter dans certains cas les sensibilités nationales et porter atteinte à la liberté d’expression. Egalement délicats à réguler, les « deepfake » seront, eux, dans le viseur du futur règlement Artificial Intelligence Act (lire p. 4). Quant à la lutte contre les fake news, la désinformation et aux rumeurs non fondées, elle ne s’appuiera pas directement sur le règlement DSA mais sur le code de bonnes pratiques lancé en 2018 par la Commission européenne avec Google, Facebook, Twitter, Microsoft, Mozilla et TikTok, ainsi qu’avec des entreprises du secteur de la publicité. Ce « Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation » a été revisité en mai dernier (6) après qu’il ait été jugé insuffisant par une autre vise-présidente de la Commission européenne, Véra Jourová, (chargée, elle, des valeurs et de la transparence), et par la Cour des comptes européenne dans un rapport publié en juin dernier (7). Ce dispositive d’auto-régulation est en train d’être durci avec les plateformes et acteurs concernés afin qu’une nouvelle version renforcée soit opérationnelle début 2022. Du côté des industries culturelles cette fois, les attentes sont élevées et les actions de lobbying aussi (8). Pour elles – musique, audiovisuel, presse, livre, photo, télévision, sports, jeux vidéo, etc. –, le projet de règlement DSA est déjà « une occasion manquée et un pas en arrière ». Plus d’une vingtaine d’organisations culturelles les représentant l’ont fait savoir directement à la présidence slovène, à la rapporteure du DSA au Parlement européen, Christel Schaldemose (9), ainsi qu’aux Etats membres, dans une « lettre ouverte » datée du 26 octobre dernier (10). « Si les propositions, dans leur forme actuelle, étaient approuvées, le DSA affaiblirait le régime actuel de responsabilité [des plateformes numériques ou hébergeur, ndlr] et aurait un effet néfaste sur les normes et les bonnes pratiques existantes en matière de traitement des contenus et activités illégaux, y compris les violations en ligne du droit d’auteur et des droits voisins », mettent en garde les industries culturelles. Parmi les signataires de cette missive, il y a par exemple l’IFPI pour les producteurs de musique enregistrée (dont fait partie le Snep en France), la FEP pour les éditeurs de livre (dont est membre le SNE en France), Eurocinema pour les producteurs cinématographiques et audiovisuels (dont font partie l’UPC, le SPI ou l’ARP en France), ou encore la Gesac pour les sociétés d’auteurs et de compositeurs (donc la Sacem). En revanche, la presse n’est curieusement pas représentée. Dans leur « signal d’alarme », les industries culturelles s’en prennent à la « sphère de sécurité » (safe harbour) aménagée pour les moteurs de recherche qui bénéficient, selon elles, d’« une immunité large et injustifiée » – alors qu’ils sont tenus par ailleurs de supprimer promptement et efficacement les contenus illicites. « Nous sommes également très préoccupés par les propositions prévoyant que les services intermédiaires puissent continuer à bénéficier des privilèges du safe harbour », ajoutent les signataires. Ils fustigent aussi « l’introduction de délais spécifiques (même supérieurs) pour la suppression de contenu illicites [qui] affaiblirait considérablement l’obligation actuelle de prendre des mesures “expéditives” ». « Pas assez », disent les industries culturelles Les industries culturelles préconisent au contraire « le “retrait rapide” autrement dit “le plus rapidement possible” pour tout le contenu [illicites ou piratés, ndlr], et même “immédiatement” pendant la diffusion en direct [de retransmission d’événements sportifs par exemple, ndlr] et pour le contenu qui a une sensibilité particulière au temps ». Dernier grief : la vingtaine d’organisations culturelles demandent à ce « que le champ d’application des obligations soit étendu pour assurer la traçabilité des utilisateurs professionnels (Know Your Business Customer) afin de s’attaquer au grave problème des opérateurs illégaux agissant à l’échelle commerciale et se cachant derrière de fausses identités ». A suivre. @

Charles de Laubier