Interview exclusive avec le robot ChatGPT d’OpenAI

En fait. Le 14 décembre, ChatGPT, l’intelligence artificielle créée par la start-up OpenAI, a répondu à EM@. Les questions portaient sur ChatGPT lui-même, en tant que robot conversationnel, capable de générer du texte intelligible en fonction de ce qu’on lui dit. Faute d’être connecté au Web, il est limité.

En clair. Edition Multimédi@ a débuté l’interview avec ChatGPT en lui demandant qui il est. Le chatbot (agent conversationnel) répond : « Je suis assistant, un grand modèle linguistique formé par OpenAI. Je suis une intelligence artificielle conçue pour aider à répondre aux questions et à fournir de l’information sur un large éventail de sujets. Je n’ai pas de forme physique et j’existe uniquement comme programme informatique ». A-t-il des concurrents dans le monde ? « En tant que grand modèle linguistique, répond ChatGPT, je n’ai pas de concurrents directs au sens traditionnel. Cependant, il y a d’autres assistants en IA et d’autres modèles linguistiques qui me ressemblent à certains égards [comme] Siri d’Apple, Alexa d’Amazon, et Assistant de Google […], mais ils peuvent différer dans leurs capacités ».
Connaît-il aussi par exemple son homologue suisse Cedille (1) développé par la société Coterie, comme lui s’appuyant sur le modèle de langage GPT-3 d’OpenAI, mais francophone ? « Je suis désolé, mais je ne suis pas en mesure de naviguer sur Internet ou d’accéder à de l’information en dehors de mes données de formation. Par conséquent, je n’ai aucune information sur Cedille ou la société suisse Coteries. Mes connaissances se limitent à ce sur quoi j’ai été formé par OpenAI ». Aussi, nous avons demandé à ChatGPT s’il aura bientôt accès au Web à l’instar d’Assistant de Google, d’Alexa d’Amazon ou de Siri d’Apple ? « Je n’ai pas la capacité d’accéder à Internet ou d’interagir avec lui d’aucune façon […] Il s’agit d’une différence fondamentale entre moi-même et les autres assistants en intelligence artificielle, comme Google Assistant, qui sont conçus pour accéder à Internet et fournir des informations à partir d’un large éventail de sources. […] Je ne suis pas en mesure d’exécuter les mêmes fonctions qu’un moteur de recherche, comme Google ». Mais lui, ChatGPT, voudrait-il être connecté à Internet ? « Je n’ai pas la capacité de prendre des décisions ou des mesures de mon propre chef »… Est-il capable d’écrire livres (2), articles de presse, poèmes, partitions de musique, scénarios de films et discours ? « Je n’ai pas la capacité d’écrire des livres, des articles de presse, des poèmes, des partitions de musique, des scénarios de films ou des discours par moi-même [ni] de créer du contenu original ». Un chatbot (3) limité et déconnecté mais modeste (4). @

Création d’une œuvre ou d’une invention par une IA : la justice commence à faire bouger les lignes

C’est un peu le paradoxe de l’oeuf et de la poule : qui est apparu le premier ? Dans le cas d’une création ou d’une invention par une intelligence artificielle, qui est l’auteur : la personne humaine ou la technologie créatrice ? Cette question existentielle commence à trouver des réponses, en justice.

Par Boriana Guimberteau (photo), avocatE associéE, cabinet Stephenson Harwood

L’intelligence artificielle (IA) fait l’objet de développements exponentiels dans des domaines aussi variés que les voitures autonomes (et les données générées par celle-ci), la rédaction d’articles ou la création de musiques. Au-delà de la compréhension de son fonctionnement, l’intelligence artificielle soulève la question de la paternité et de la titularité des œuvres créées ou des inventions générées par elle.

Vers un « Artificial Intelligence Act »
Avant d’explorer plus en amont cette question, il convient de fournir une définition de l’intelligence artificielle. Selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’intelligence artificielle désigne une branche de l’informatique qui a pour objet de concevoir des machines et des systèmes à même d’accomplir des tâches faisant appel à l’intelligence humaine, avec un intervention humaine limitée ou nulle. Cette notion équivaut généralement à l’intelligence artificielle spécialisée, c’est-à-dire aux techniques et applications programmées pour exécuter des tâches individuelles. L’apprentissage automatique (machine learning) et l’apprentissage profond (deep learning) font tous deux parties des applications de l’intelligence artificielle (1).
L’IA peut ainsi produire différents résultats dont certains pourraient être qualifiés de créations ou d’inventions, les premières protégeables par le droit d’auteur et les secondes par le droit des brevets d’invention. La question est alors de savoir qui sera titulaire des créations ou des inventions générées par l’IA, et si l’IA pourrait être qualifiée d’auteur ou d’inventeur par le droit positif français.
En matière de droit d’auteur tout d’abord, de nombreux auteurs se sont penchés sur la question de savoir si l’intelligence artificielle pouvait bénéficier de la qualité d’auteur. La majorité d’entre eux reconnaissent la conception personnaliste et humaniste du droit français qui considère comme auteur la personne qui crée une œuvre. Par définition, un fait créatif est un fait matériellement imputable à une personne humaine. Cette conception s’impose également par le seul critère d’admission à la protection des œuvres de l’esprit qu’est l’originalité, laquelle se caractérise par l’empreinte de la personnalité de l’auteur (2). Eu égard à la personne de l’auteur, le professeur Christophe Caron a pu affirmer que « le duo formé par la notion de création et de personne physique est indissociable » et donc que « le créateur est forcément une personne physique ». Si la définition de l’auteur est absente du code de propriété intellectuelle (CPI), on y retrouve néanmoins diverses références : « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (3) ; « Ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre » (4). Dans le cadre de l’œuvre radiophonique, « ont la qualité d’auteur d’une œuvre radiophonique la ou les personnes physiques qui assurent la création intellectuelle de cette œuvre » (5). La seule exception à la naissance ab initio du droit d’auteur sur la tête d’une personne physique : l’œuvre collective (6).
De plus, la nécessité d’une intervention consciente de l’homme implique qu’un animal ou une machine ne peuvent être considérés comme auteurs. L’intelligence artificielle ne peut alors être qu’un outil de création supplémentaire.

L’approche « création intellectuelle »
Dans le cadre du projet de réglementation européenne sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle – l’« Artificial Intelligence Act » actuellement en cours d’examen en commissions au sein du Parlement européen (7) –, une résolution du 20 octobre 2020 du Parlement européen précisait sa teneur en affirmant ceci : « Les œuvres produites de manière autonome par des agents artificiels et des robots pourraient ne pas bénéficier de la protection par le droit d’auteur, afin de respecter le principe d’originalité, qui est lié à une personne physique, et étant donné que la notion de “création intellectuelle” porte sur la personnalité de l’auteur » (8). Cette approche se retrouve également dans les pays du système juridique dit Common Law. En 2012, la cour fédérale d’Australie affirmait la nécessité d’une intervention humaine en jugeant qu’une base de données générée automatiquement par un système d’intelligence artificielle n’est pas protégeable par le copyright dans la mesure où l’effort d’extraction des données n’était pas le fait d’une personne ou d’un groupe de personnes (9). Aux Etats-Unis, une position identique ressortait de l’affaire médiatisée du macaque Naruto ayant pris un selfie. La cour américaine n’a pas manqué de rappeler qu’une photographie prise par un animal n’est pas susceptible de protection eu égard à l’absence d’intervention humaine (10).

L’IA créatrice demande protection
L’AIPPI – association Internationale pour la protection de la propriété intellectuelle (11) – s’est également penchée sur cette question et a adopté, après d’âpres discussions, une résolution (12) lors de son congrès de septembre 2019. Selon cette résolution, les œuvres générées par une IA pourraient bénéficier de la protection par le droit d’auteur à condition qu’une intervention humaine ait lieu lors de leur création. Néanmoins, pour la première fois, le tribunal de Shenzhen en Chine a jugé qu’un article financier écrit par Dreamwriter, un algorithme conçu par Tencent, avait été reproduit sans autorisation reconnaissant ainsi que la création d’une intelligence artificielle peut bénéficier de la protection du droit d’auteur (13). Si diverses réflexions sont en cours pour faire émerger de nouveaux concepts juridiques appréhendant l’IA dans le cadre de la propriété intellectuelle, nulles n’ont connu de réels aboutissements législatifs jusqu’à présent. La protection des réalisations de l’IA s’opère ainsi notamment par la voie contractuelle. A titre illustratif, l’entreprise Aiva Technologies, connue pour son IA capable de composer de la musique, offre le choix entre une utilisation gratuite pour une exploitation privée des résultats créatifs et une utilisation payante pour une exploitation commerciale de ceux-ci.
Parallèlement, la problématique de l’IA-inventeur se pose également dans le cadre du droit des brevets. En effet, en France, le CPI prévoit que le droit au titre de propriété industrielle « appartient à l’inventeur ou à son ayant cause. Si plusieurs personnes ont réalisé l’invention indépendamment l’une de l’autre, le droit au titre de propriété industrielle appartient à celle qui justifie de la date de dépôt la plus ancienne » (14).
Ainsi, l’on retrouve en matière de brevets la même dimension humaniste dont est empreint le droit d’auteur. La question a néanmoins été posée aux offices et aux juridictions de savoir si une IA pouvait être l’inventeur d’un brevet. Les demandes déposées par « Dabus » ont ainsi pu illustrer cette problématique et les solutions retenues actuellement. Dabus est un réseau de neurones artificiel développé par le chercheur américain Stephen Thaler qui (l’IA neuronale) a notamment conçu, de manière autonome, un récipient pour boissons basé sur la géométrie fractale et un dispositif embarquant une lumière vacillante pour attirer l’attention pendant des opérations de recherche et de sauvetage. Depuis, l’équipe de « The Artificial Inventor Project » a amorcé une quête visant à faire reconnaître Dabus comme inventeur d’un brevet dans divers pays.
En décembre 2019, l’Office européen des brevets (EPO) a refusé deux demandes d’enregistrement de brevets européens (15) soumises au nom de Dabus dans la mesure où seule une personne physique peut être inventeur d’un brevet européen (16).
Le bureau américain des brevets et des marques de commerce (USPTO) a, lui, rejeté le 22 avril 2020 la demande de brevet indiquant Dabus comme inventeur pour les mêmes motifs (17). Le 2 septembre 2021, le tribunal du district Est de Virginie statuait lui aussi « qu’un système d’intelligence artificielle (IA) ne peut pas déposer de brevet » (18).
De l’autre côté de l’Atlantique, la cour d’appel de Londres suivit l’office des brevets britanniques (IPO) qui avait rejeté une même demande, le 21 septembre 2021. La juge Elisabeth Laing affirma ainsi que « seule une personne peut avoir des droits. Pas une machine » (19).
Néanmoins, au mois de juillet 2021, l’office des brevets sud-africain (CIPC) a reconnu Dabus comme inventeur lors d’un dépôt de brevet pour la première fois (20), suivi de près par la Cour fédérale australienne qui jugea que « Dabus pouvait être un inventeur au sens de la loi australienne » (21).

Vers des règles ad hoc ?
En conclusion, la question de l’intelligence artificielle et de la titularité des droits de propriété intellectuelle demeure globalement dominée par le principe de prééminence de l’humain, le droit français ne se démarquant pas tant de ses voisins européens et anglo-saxons. Toutefois, les développements de l’IA sont encore à un stade peu avancé et il faudrait suivre son évolution pour apprécier la nécessité d’une adaptation des règles juridiques en conséquence, notamment celles relatives à la protection des investissements ayant abouti à l’IA. @

* Boriana Guimberteau est avocate experte en
propriété intellectuelle, que cela soit dans les
domaines des marques de commerce, du droit
d’auteur, des dessins et modèles et des brevets. Elle
vient d’intégrer le cabinet Stephenson Harwood en tant
que partner, après dix ans chez FTPA Avocats.