Après Zone-Téléchargement, légalisation du partage ?

En fait. Depuis le 6 décembre, soit une semaine après la fermeture du site Zone Téléchargement (ZT) accusé de pirater des œuvres, la rumeur s’est intensifiée sur l’arrêt imminent du non moins connu site de téléchargement « torrent » français, Cpasbien. Certains en appellent à la légalisation du partage.

En clair. C’est pas bien. Après le site web Zone- Téléchargement (ZT) fermé par la gendarmerie nationale le 28 novembre dernier, le prochain sur la liste – car lui aussi accusé par les ayants droit (Sacem (1), Alpa (2), …) de pirater des œuvres musicales ou cinématographiques – serait cette fois Cpasbien. Comme bien d’autres, ces sites de partage de warez – comprenez : des contenus numériques piratés que l’on désigne par ce surnom issu de where is (où est) et ware (marchandise) – échappent aux radars de l’Hadopi.
La réponse graduée est en effet circonscrite par la loi aux réseaux peer-to-peer (P2P). Comme ZT, après ses prédécesseurs The Pirate Bay, eMule, T411, Wawa-Mania, OMG Torrent ou encore What.cd, Cpasbien a préféré se déployer en proposant du direct download (DDL) pour accéder aux « .torrent » – ces fichiers de métadonnées contenant toutes les informations pour que les fichiers de musiques, de films, de jeux, voire de logiciels, soient téléchargeables (nom, taille, composition, adresse IP d’un serveur, …). Cpasbien, alias Torrent9, est prêt comme les autres à jouer au chat et à la souris avec des « sites miroirs ». Les deux jeunes administrateurs de ZT risquent gros.
« Ce ne sont pas Thibault et Wilfrid qui ont créé le préjudice, mais les utilisateurs », a déclaré leur avocat toulousain Simon Cohen qui en appelle à « une réponse judiciaire graduée » (3). C’est dans ce contexte de répression judiciaire contre le piratage que la question du partage sur Internet est revenue dans le débat, soit plus de deux ans après le rapport « intermédiaire » (non finalisé) de l’ex-secrétaire général de l’Hadopi, Eric Walter, sur la controversée « rémunération proportionnelle du partage » (4) (*) (**).
La Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés numériques, monte au créneau pour plaider en faveur de la « légalisation du partage non-marchand [déjà préconisée par le rapport Lescure de 2013, ndlr], couplée à une redevance levée sur l’abonnement Internet des foyers, de l’ordre de 4 ou 5 euros par mois » (5). Pour l’un de ses représentants, le juriste et bibliothécaire Lionel Maurel, « les industries culturelles se battent depuis des années contre des monstres qu’elles ont elles-mêmes créés ». Licence globale, contribution compensatoire, contribution créative, redevance de partage, … Et si la campagne présidentielle pour 2017 s’emparait du débat ? @

L’affaire « Microsoft » : la localisation des données et l’extraterritorialité en question

Le 14 juillet 2016, la cour d’appel fédérale de Manhattan aux Etats-Unis a décidé qu’un mandat de perquisition ne permettait pas aux autorités américaines d’obtenir des données stockées par Microsoft en Irlande, car un tel mandat ne peut avoir d’effets en dehors des frontières des Etats-Unis.
Quel impact en Europe ?

Par Winston Maxwell (photo), avocat associé, Hogan Lovells

winston-maxwellL’arrêt « Microsoft » a le mérite de préciser l’étendue territoriale des pouvoirs de police aux Etats-Unis et de relancer le débat sur la localisation des données. Cette affaire commence en décembre 2013 lorsqu’un magistrat ordonne à la firme de Redmond de livrer aux services du procureur de l’Etat de New York le contenu de courriers électroniques appartenant à une personne suspectée de trafic de drogues.
Microsoft a livré les métadonnées concernant le compte e-mail du suspect, mais a refusé de livrer le contenu des e-mails, car celui-ci était hébergé en Irlande. Selon Microsoft, les effets de l’ordonnance du magistrat s’arrêtaient aux frontières des Etats-Unis. En première instance, le magistrat a sanctionné Microsoft en 2014 pour avoir désobéi à son ordonnance.

Perquisitions et frontières
Après une procédure d’appel médiatisée et impliquant de nombreuses interventions volontaires, la cour d’appel fédérale a donné raison à Microsoft. La loi américaine permet à la police d’accéder au contenu d’e-mails uniquement après la délivrance par un juge d’un « mandat de perquisition » (warrant). Il s’agit du même outil juridique que celui utilisé pour la fouille d’une maison, par exemple. Selon Microsoft, un mandat de perquisition émis par un juge américain ne pouvait pas produire d’effets en dehors des Etats-Unis.
Le gouvernement américain soutenait, au contraire, qu’aucune fouille n’était nécessaire en dehors des Etats-Unis puisque Microsoft pouvait – à partir de son siège à Redmond (Etat de Washington) – récupérer les données irlandaises par un simple manœuvre technique. Pour le gouvernement américain, la localisation des données n’était pas importante dès lors que le fournisseur de service était situé aux Etats-Unis,
et il pouvait donc accéder à ces données.
La position du gouvernement américain converge avec l’article 57-1 du Code de procédure pénale en France, lequel permet à la police, sous certaines conditions, d’accéder à des données hébergées à l’étranger si un accès à ces données est autorisé en France.
La cour d’appel américaine n’a pas voulu rentrer dans la logique du gouvernement des Etats-Unis. La cour s’est focalisée avant tout sur l’intention du législateur américain. Selon l’arrêt du 16 juillet, une portée extraterritoriale ne peut découler implicitement d’une loi : il faut que la loi prévoie cette portée extraterritoriale explicitement. C’est le cas de certaines lois américaines qui visent de manière explicite des actes commis à l’étranger (actes de terrorisme, ou tourisme sexuel impliquant des mineurs, etc.). Cependant, si la loi ne dit rien sur l’extraterritorialité, la loi doit être lue comme étant limitée au territoire national. Selon la cour d’appel, seul le législateur est habilité à
gérer les questions délicates d’extraterritorialité et des relations internationales. L’extraterritorialité doit être explicite. La loi américaine sur la protection des communications électroniques est silencieuse sur la question territoriale. Pour la cour fédérale, la loi ne peut donc produire d’effets au-delà de la frontière des Etats-Unis.
Par conséquent, le gouvernement ne peut pas utiliser un mandat de perquisition pour forcer Microsoft à livrer des données hébergées en Irlande (1).
Le débat n’est pas clos pour autant, car le gouvernement américain pourrait porter cette affaire devant la Cour Suprême.

Plusieurs enseignements
La décision nous livre plusieurs enseignements. Le premier est qu’en matière d’enquêtes judiciaires, la loi américaine fournit autant de protections aux individus
que la loi française. L’intervention d’un juge est nécessaire, comme pour la fouille
d’un domicile. En matière de protection des données à caractère personnel, la loi américaine sur les enquêtes criminelles ne peut guère être considérée comme étant
« inadéquate », car elle fournit autant de garanties que la loi française.
Certes, les services de renseignement américains ne sont pas tenus, eux, d’obtenir
un mandat avant de collecter des données, y compris hors des Etats-Unis. Ce point
est reproché aux Etats-Unis dans le contexte du nouveau « Privacy Shield » (2). Cependant, aucun pays européen n’impose une telle exigence à ses agences du renseignement. En France, par exemple, les agences du renseignement peuvent collecter des données concernant des communications internationales avec la seule autorisation du Premier ministre. L’erreur serait de comparer l’encadrement des activités de renseignement aux Etats-Unis avec l’encadrement des enquêtes
judiciaires en France. Les deux ne sont pas comparables. Seule une comparaison
« renseignement- renseignement » serait pertinent.

L’extraterritorialité ne se présume pas
Le deuxième enseignement de l’affaire Microsoft concerne localisation des données. Est-ce que la localisation physique des données compte ? En juillet, la Russie a adopté une loi qui étend considérablement l’obligation de stocker des données sur le territoire russe. Un amendement au projet de loi « République numérique » adopté au Sénat aurait créé une obligation de stocker des données sur le territoire français. Cet amendement n’a pas été repris dans la version du texte adoptée en juillet 2016 (3). Certaines lois chinoises prévoient l’obligation de stocker des données sur le territoire chinois. Face aux risques de la mondialisation, certains Etats voient dans la localisation des données un moyen de réaffirmer leur souveraineté. La décision Microsoft semble confirmer que la localisation physique des données peut avoir un impact sur les pouvoirs des autorités nationales.
Mais ce n’est pas si simple. Une loi nationale peut prévoir la possibilité pour les autorités d’accéder à des données hors de son territoire s’il existe un accès dans le territoire (en France, article 57-1 Code de la procédure pénale), voire la possibilité d’intercepter des données à l’étranger (article L854-1 du Code de la Sécurité intérieure). La leçon de l’affaire Microsoft est que la loi doit être précise sur ce point,
car l’extraterritorialité ne se présume pas.
Sur la question de la localisation des données, le nouveau règlement européen du 27 avril 2016 sur la protection des données à caractère personnel (4) est ambivalent, voire contradictoire. D’un côté, la localisation des données n’est pas importante, car tout traitement effectué dans le cadre des activités d’un établissement en Europe – ou lié à l’offre de services en Europe – est couvert par ce règlement, même si les données sont stockées en dehors de l’Europe. Le règlement précise d’ailleurs que le lieu du traitement est sans importance. De l’autre côté, le règlement impose des contraintes particulières pour tout transfert de données en dehors de l’Union européenne, ce qui du coup donne une importance à la localisation. Les prestataires de cloud expliqueront que les données sont stockées partout, et que cette architecture contribue à la sécurité, à la fiabilité, et au faible coût du service.
Mais après l’affaire « Snowden » (5), les fournisseurs de cloud mettent en avant des solutions de stockage 100 % européen, voire 100 % français. Les lois russes et chinoises vont dans le sens d’une localisation forcée des données sur le territoire,
sans parler de lois turques ou iraniennes (6). Dans le cadre de ses travaux sur le marché numérique unique, la Commission européenne dresse un inventaire sur les
cas de « localisation forcée » des données (7), et souligne la nécessité de permettre
la libre circulation des données afin de favoriser l’innovation, la croissance, et la liberté d’expression. Le débat sur la localisation des données s’accompagne d’un débat sur le chiffrement, car une donnée stockée localement n’est guère utile si elle ne peut être déchiffrée. La loi française oblige les fournisseurs de moyens de cryptologie à décrypter des messages, sauf si les prestataires « démontrent qu’ils ne sont pas en mesure de satisfaire à des réquisitions » (article L871-1 du Code de la Sécurité intérieure). Au moment où les gouvernements français et allemand plaident pour des pouvoirs accrus en matière de déchiffrement (8), la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) rappelle, dans une tribune qu’elle a cosignée (9), l’importance du chiffrement dans la protection des données à caractère personnel. @

ZOOM

Microsoft résiste encore et toujours à Washington
La firme de Redmond, dans l’Etat de Washington, a décidément maille à partir
avec l’administration de Washington. En effet, en avril 2016, Microsoft a porté plainte
– devant un tribunal fédéral de Seattle – contre le gouvernement américain en l’accusant de violer la Constitution des Etats-Unis en empêchant le géant américain
de l’informatique et du Net d’informer ses milliers de clients des requêtes « secrètes » de l’administration américaine – sous couvert de l’Electronic Communications Privacy Act (ECPA) – pour avoir accès à leurs e-mails et données personnelles.
Cette affaire rappelle celle de l’iPhone qu’Apple avait refusé de débloquer à la demande la police fédérale (FBI) – finalement abandonnée – à la suite de la tuerie de San Bernardino en décembre 2015. @

Minimum garanti pour le streaming musical : c’est pas gagné !

En fait. Le 23 mars, le projet de loi « Création » a été voté en seconde lecture à l’Assemblée nationale. L’une des mesures-phare du texte est l’instauration d’une garantie de rémunération minimale pour le streaming de musique en ligne. Mais la filière a un an pour se mettre d’accord sur les modalités. Sinon…

Maylis RoquesEn clair. Les négociations sur la mise en place et le niveau de la garantie de rémunération minimum que devront verser les producteurs aux artistes-interprètes pour la diffusion de musique en flux sans téléchargement – autrement dit le streaming (1) – ne font que commencer !
C’est Maylis Roques (photo), par le passé secrétaire générale du CNC (2) (2010-2014), qui a été désignée pour présider – en tant que représentante de l’Etat – une commission pour aboutir à un accord collectif – conformément à ce qui est prévu par l’accord Schwartz de septembre 2015.

Sinon la commission « Roques » statuera
L’ « accord collectif de travail » (3), sur ce que devra être la rémunération minimale garantie des artistes-interprètes sur le streaming de leurs oeuvres musicales enregistrées, est exigé par la loi dans les douze prochains mois et s’inscrira dans la convention collective nationale de l’édition phonographique du 30 juin 2008.
A défaut d’accord entre les organisations des artistes-interprètes (Adami, Spedidam, …) et les celles des producteurs de musique (Snep, UPFI, …) d’ici le printemps 2017, la commission « Roques » – où les deux parties seront représentées à parts égales – statuera (4). En France, la Spedidam et l’Adami, sociétés de gestion collective des droits des artistes-interprètes, fustigent de longue date le peu de rémunération des artistes provenant du streaming et exigent une gestion collective obligatoire de ces droits. @

Comment le gouvernement veut mettre un terme au statu quo de la chronologie des médias

Malgré la reprise des discussions cet été, les professionnels du cinéma n’arrivent pas à s’entendre pour faire évoluer la chronologie des médias en faveur notamment de la VOD. Les salles gardent leur exclusivité de quatre mois.
Face à ce blocage, le gouvernement commence à s’en mêler.

Richard PatryLa puissante Fédération nationale des cinémas français (FNCF),
qui représente les quelque 5.500 salles de cinéma présentes sur l’Hexagone (gérées par 2.000 établissements), l’a réitéré lors de son 70e congrès le 30 septembre dernier et lors des 10e Rencontres cinématographiques de Dijon le 16 octobre : pas question de toucher
au quatre mois d’exclusivité dont bénéficient les salles de cinéma en France pour la diffusion des nouveaux films.
Au moment où Netflix sort son premier long-métrage « Beasts of No Nation » en simultané salles-VOD, le président du FNCF, Richard Patry (photo), reste intransigeant et inflexible sur ce point (de blocage) : il faut « sanctuariser » la salle et sa fenêtre de diffusion sur les quatre mois après la sortie d’un film, prétextant que « ce délai a déjà reculé d’un tiers en 2009 », faisant référence à l’accord toujours en vigueur du 6 juillet 2009 qui avait ramené cette durée de six à quatre mois.

Faire évoluer la chronologie des médias tous les trois ans
Malgré les préconisations des rapports Zelnik de 2010 et Lescure de 2013 pour une évolution de la chronologie des médias, c’est le statu quo. Les discussions entre les professionnels du cinéma, orchestrées par Christophe Tardieu, directeur général délégué du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), se sont enlisées pour aboutir à un projet d’avenant qui fait très peu d’avancées pour faire évoluer la chronologie des médias.
Limiter le monopole de salle à trois mois au lieu de quatre n’est donc pas pour demain. Quant à la question de la simultanéité salles- VOD encouragée par la Commission européenne, elle est honnie : lors du congrès de la FNCF, Richard Patry s’est élevé contre le programme européen Media qu’il accuse de soutenir financièrement les expérimentations de sorties simultanées, lesquelles – selon lui – « ne marchaient pas », tout en s’en prenant aussi au bonus dans les recommandations du réseau de salles Europa Cinémas (1) en faveur là aussi d’expérimentations de sorties simultanées. Ainsi, plus de six ans après l’accord de 2009 sur la chronologie des médias, chacun campe sur ses positions. Pour tenter de déverrouiller la situation, plusieurs parlementaires ont déposé – dans le cadre de la loi «Création, architecture et patrimoine » (2) – des amendements qui proposent une première avancée à laquelle
le gouvernement s’est rallié. Bien que technique, il s’agit de prévoir « une durée de validité limitée » – en l’occurrence trois ans maximum – de l’arrêté d’extension de l’accord sur la chronologie des médias, « en se réservant toutefois la possibilité d’étendre pour une durée moindre ». Ne serait-ce que pour mettre en phase ces fenêtres successives de diffusion avec leur temps, à savoir le développement du cinéma à la demande (VOD, replay, SVOD, …). « La disposition prévoyant de limiter
à trois ans l’extension des accords relatifs à la chronologie des médias permettra de tourner la page du statu quo désespérant qui préside actuellement », s’est félicitée la Société civile des auteurs multimédias (Scam). Le rapporteur de la loi « Création » à l’Assemblée nationale, le député (PS) Patrick Bloche, justifie l’obligation de ces trois ans : « Le précédent accord sur la chronologie des médias, toujours en vigueur, est issu d’un accord datant de 2009 et a bénéficié de reconductions tacites sans faire l’objet d’aucune modification. A l’heure où les évolutions du paysage audiovisuel imposent des changements et des adaptations rapides, il apparaît souhaitable de limiter la durée de ces accords à trois ans au maximum ». Son confrère Marcel Rogemont, député (PS), ne dit pas autre chose avec trente-sept autres députés dans un amendement distinct. Cette position est transpartisane, comme le démontre Christian Kert, autre député (LR), dans son propre amendement : « la durée maximale de trois ans pour la chronologie des médias semble adaptée aux recompositions concurrentielles et à l’émergence de nouveaux acteurs numériques qui imposent des changements rapides ». Il souligne en outre que l’accord de 2009 prévoit bien des dérogations à la règle des quatre mois pour la VOD mais les conditions en sont si restrictives (3) qu’elles ne peuvent s’appliquer, à une exception près. « De fait, certains films se voient ainsi interdits de toute exploitation durant les fenêtres de diffusion des chaînes de télévisions (soit entre 10 et 36 mois suivant la sortie des films en salles) alors même que les chaînes de télévision, gratuites et payantes, n’ont pas participé à son financement et n’ont pas acquis de droits de diffusion » (4).

Où sont les dérogations ?
En creux, la question est de savoir si la chronologie des médias française, figée depuis 2009 et inopérante en matière de dérogation aux sacro-saints quatre moins, n’enfreint pas les exigences de souplesse édictées par un arrêt pris il y a trente ans par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à savoir celui du 11 juillet 1985 opposant à l’époque la société Cinéthèque et la FNCF (5). @

Charles de Laubier

Takis Candilis, président de Lagardère Entertainment : il faut taxer Google et travailler avec YouTube

A la tête depuis sept ans de Lagardère Entertainment, première société de production audiovisuelle française, Takis Candilis est aussi cofondateur de l’Association de l’industrie audiovisuelle indépendante (A2I). Pour lui, il est urgent que les producteurs et les chaînes s’emparent du numérique, et que Google soit taxé.

Par Charles de Laubier

Takis Candilis

Takis Candilis

Plus de trois ans après la remise à deux ministres de l’époque du rapport « La télévision connectée », dont il était un coauteurs (1), Takis Candilis (photo), président de Lagardère Entertainment depuis août 2010 (après en avoir été le directeur général), estime que taxer les acteurs étrangers de l’Internet est plus que jamais urgent. Interrogé le 11 février dernier devant l’Association des journalistes médias (AJM) pour savoir s’il maintenait la proposition de ce rapport d’instaurer une « contribution perçue sur les échanges générés par les services en ligne », il a répondu sans hésité : « Exactement ! Malheureusement, quatre ans après on en est toujours par là. Mais je suis ravi que quelqu’un comme Fleur Pellerin [ancienne ministre déléguée à l’Economie numérique] soit la ministre de la Culture et de la Communication. Car elle prend à bras le corps ce problème car elle les connaît (les acteurs du numérique). Il faut accélérer parce que cette machine [prenant son smartphone, ndlr], elle bouge tout le temps… ».

La taxe Internet est préconisée depuis le rapport « TV Connectée » de 2011
Il intervenait le jour même où Le Canard Enchaîné indiquait que Bercy menait une étude sur l’instauration d’une telle taxe, indexée sur l’utilisation de la bande passante.
Cette idée de contribution sur les débits de l’Internet ne date donc pas d’hier, mais elle revient au devant de l’actualité car ce prélèvement permettrait – selon leurs promoteurs – de fiscaliser les acteurs du numérique étrangers qui, comme Google installé en Irlande, Apple au Luxembourg ou encore Netflix aux Pays-Bas, échappent en France à l’impôt et aux obligations de financement de la création – à savoir les films et les séries. « Les opérateurs télécoms pourraient collecter et reverser au Cosip (2) le produit d’une contribution perçue sur les échanges générés par les services en ligne », préconisait
en effet le rapport « Télévision connecté » en novembre 2011. Lors des Rencontres cinématographiques de Dijon, en octobre dernier, l’idée est revenue au devant de la scène : Frédérique Bredin, présidente du CNC, parlant de « territorialisation des réseaux » (4), Olivier Schrameck, président du CSA, de « régulation de la bande passante », et Rodolphe Belmer, DG du groupe Canal+, de « taxer la tête de réseau ». La France pousse cette idée de péage sur l’Internet au niveau de la Commission européenne.

« Google pille la recette publicitaire »
Pour Takis Candilis, c’est d’autant plus urgent que la publicité numérique atteint en 2014 une part de 25 % des investissements médias en France, passant ainsi pour
la première fois devant la publicité dans la presse imprimée (24 %) et talonnant la publicité à la télévision (27 %). Et le président de Lagardère Entertainment, devant l’AJM, d’en appeler au gouvernement « C’est un marché encore balbutiant, alors que 50 % de la publicité est digitale et égale celle de la télévision. Or elle passe en très grande majorité sur les liens Google qui pille – pille ! – la recette publicitaire. Et cela ne profite ni à vous [la presse] – il n’y a pas de taxe – ni à nous – il n’y en a pas non plus. Pourtant, ils vivent de vos articles et de nos vidéos. Donc il va falloir quand même que l’on regarde cela de près. C’est ce que l’on demande aux pouvoirs publics ».
C’est justement un des chevaux de bataille de l’Association de l’industrie audiovisuelle indépendante (A2I), dont Takis Candilis, vice-président, est cofondateur en novembre 2014 avec trois autres sociétés de production audiovisuelle françaises : TelFrance, Elephant et Cie et Fédération Entertainment. Cela n’empêche pas Lagardère Entertainment, qui regroupe vingt-trois sociétés de production ou de distribution audiovisuelles au sein de Lagardère Active (filiale médias du groupe d’Arnaud Lagardère), de commencer à lancer des chaînes sur YouTube – filiale de Google. Mais cela se fait sur le mode du « Je t’aime, moi non plus » : « Un certains nombre de nos programmes sont sur YouTube. Vous savez que YouTube est une caverne d’alibaba, à l’intérieur de laquelle il y a beaucoup de programmes piratés. Donc, il faut déjà se faire connaître auprès de YouTube en disant que ce programme est à nous : c’est-à-dire qu’il faut le géotagguer et lui mettre de la publicité, même si c’est sur des chaînes pirates sur YouTube ou des mini-chaînes de fans aux contenus piratés et aux programmes captés à l’écran », a expliqué Takis Candilis, qui s’est défendu d’encourager ainsi le piratage audiovisuel sur Internet. C’est que la plateforme vidéo mondiale de Google est devenue incontournable malgré tout. « Il y a des milliards de programmes. Il y a quelques diffuseurs qui ont dit : “Nous, YouTube, jamais !”. Allez-vous faire un procès au plus gros distributeur ? Et si l’on s’entendait avec lui… Vous créez un partenariat avec YouTube qui est demandeur aussi et a besoin d’éditorialiser ses chaînes. Ils ont
besoin du savoir-faire, de programmes organisés, présentés en séries, etc. », a-t-il
dit en se démarquant implicitement de la démarche de TF1 qui avait préféré dès 2008 s’attaquer à YouTube en justice – avant finalement de nouer l’an dernier un accord de partenariat (5).
Entre les groupes Lagardère et Google, il y a un partage des recettes publicitaires.
Sur deux de ses séries – «Un gars et une fille » et une série jeunesse –, Lagardère Entertainment enregistre une audience cumulée en ligne de 9,5 millions de vues par mois environ, en forte croissance. « C’est beaucoup. Cela ne rapport pas beaucoup
car le CPM (coup pour mille vues) sur YouTube est petit mais cela fait plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois tout de même », s’est-il félicité. A la question
de savoir si Lagardère Entertainment ne contribue pas ainsi à la richesse de Google,
il a rétorqué : « Non, Google préfère contribuer à la nôtre [de richesse] quand on les taxera » ! Même si YouTube ne rapporte rien, le groupe Lagardère estime y gagner
en synergie, médiatisation et marketing. Sur un marché où l’offre d’images et de contenus est très atomisée, les marques importantes sont les plus puissantes. C’est
ce qui a motivé Takis Candilis lorsqu’il a lancé – pour la première pour Lagardère –
un programme dit « 360 », une « opération triangulaire » entre France Télévisions, Femina, le magazine féminin du groupe, et sa production « Toute une histoire ». Lagardère produit ainsi quotidiennement ce programme avec Sophie Davant sur
France 2, assorti d’une chaîne YouTube sur laquelle sont mis certains sujets du jour, visionnables également sur le site web de France 2.
A la question de savoir si Lagardère pourrait lancer son propre service de SVOD,
il a répondu : « Franchement, non. En tout cas pas aujourd’hui. Il faudrait que l’on soit d’une taille beaucoup plus importante. Mais ne disons jamais “jamais” ». Lagardère Entertainment préfère s’en tenir à ses deux métiers : producteur et distributeur. Il fournit les chaînes traditionnelles et commence à le faire auprès de plateformes numériques. Par exemple, la deuxième saison de « Transporteur » a été vendue à Netflix aux Etats-Unis (en plus de Turner Network Television, TNT).

Produire pour Netflix et les autres
Netflix lui a aussi acheté les trois saisons de « Borgia » « Il faut que Netflix donne à manger à ses 59 millions d’abonnés, lesquels passeront à 70 millions dans quelques mois et à 100 millions dans deux ou trois ans ! Les contenus ont une très longue vie devant eux », s’est-il enthousiasmé. Mais pour l’heure, Lagardère Entertainment ne réalise que 5 % de son chiffre d’affaires dans le numérique. Takis Candilis se donne jusqu’à 2017 pour atteindre les 20 %, quitte à procéder par acquisitions – en Europe, pas aux Etats-Unis. @