Guerre de l’info : Russia Today et Sputnik contestent la décision de l’Union européenne de les censurer

Par un règlement et une décision, datés du 1er mars et signés par Jean-Yves Le Drian, l’Union européenne a interdit à tout opérateur télécoms, audiovisuel et plateforme numérique de diffuser ou référencer Russia Today (RT) et Sputnik. « Censure » et « atteinte grave à la liberté d’expression » dénoncent ces derniers.

« RT France a déposé un recours auprès du Tribunal de l’UE ; nous nous battrons jusqu’au bout pour ce que nous estimons être incontestablement une atteinte grave à la liberté d’expression », a écrit Xenia Fedorova, PDG de la filiale française de Russia Today, dans un tweet daté du 9 mars, soit le lendemain de l’annonce faite par le service de presse de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur ses comptes Twitter concernant cette saisine : « #RussiaToday (France) demande au #TribunalUE d’annuler la décision et le règlement du @EU_Council du 1er mars 2022 concernant les mesures restrictives liées aux actions de la #Russie déstabilisant la situation en #Ukraine (T-125/22) ».
L’Europe des Vingt-sept n’y est pas allée de main morte pour interdire deux groupes de médias, Russia Today (RT) et Sputnik. Dans la décision de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) du Conseil de l’UE, assortie de son règlement, tous les deux datés du 1er mars 2022 et signés par le Jean-Yves Le Drian (photo), la sentence tombe : « Il est interdit aux opérateurs de diffuser ou de permettre, de faciliter ou de contribuer d’une autre manière à la diffusion de contenus provenant [de RT et Sputnik], y compris par la transmission ou la distribution par tout moyen tel que le câble, le satellite, la télévision sur IP, les fournisseurs de services Internet, les plateformes ou applications, nouvelles ou préexistantes, de partage de vidéos sur l’Internet ».

« Actes non législatifs » européens sans précédent
Pour justifier sa décision radicale et sans précédent, le Conseil de l’UE affirme qu’« en faussant et en manipulant gravement les faits (…) ces actions de propagande ont été menées par l’intermédiaire d’un certain nombre de médias placés sous le contrôle permanent, direct ou indirect, des dirigeants de la Fédération de Russie » (3) pour laquelle « ces médias sont essentiels et indispensables pour faire progresser et soutenir l’agression contre l’Ukraine et pour la déstabilisation des pays voisins » (4).
Les deux « actes non législatifs », que sont cette décision PESC (5) et ce règlement de l’UE (6) quasi identiques, ont été adoptés à l’encontre de RT et de Sputnik sans débat ni vote du Parlement européen. Ils sont contraignants et sont entrés en vigueur dès le 2 mars, jour de leur publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE). Imposées sur toute l’Europe des Vingt-sept, ces mesures restrictives obligent GAFAM (dont certains ont devancé l’appel), opérateurs télécoms et diffuseurs audiovisuels à suspendre, à déréférencer et à bloquer les médias et sites web édités par, d’une part, les entreprises Russia Today English, Russia Today UK, Russia Today Germany, Russia Today France, Russia Today Spanish, ainsi que, d’autre part, Sputnik (ex-RIA Novosti), issue de la réorganisation de l’agence de presse russe Rossia Segodnia (Rossiya Segodnya).

Xenia Fedorova (RT France) s’insurge
Le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères en est le signataire car – la France présidant durant tout le premier semestre de cette année le Conseil de l’UE – ces deux « actes non législatifs » relèvent des affaires étrangères et de la politique de sécurité des Vingtsept. La réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE était donc présidée ce jour-là par Jean-Yves Le Drian. Mais c’est l’Espagnol Josep Borrell – vice-président de la Commission européenne et Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (7) – qui a proposé cette sanction. A l’appui de l’interdiction faite à l’ensemble de l’écosystème numérique, télécoms et audiovisuel européen de diffuser les deux médias accusés de « désinformation » et de « propagande », les deux textes décrètent en outre que « toute licence ou autorisation de diffusion, tout accord de transmission et de distribution conclu avec [RT et Sputnik] sont suspendus ». Cette censure européenne devrait être maintenue « jusqu’à ce que l’agression contre l’Ukraine prenne fin et jusqu’à ce que la Fédération de Russie et ses médias associés cessent de mener des actions de propagande » (8).
Contactée par Edition Multimédi@, la direction de la filiale française de Russia Today n’a pas mâché ses mots : « La décision de bannir RT France est arbitraire et ne repose sur aucune faute précise. RT France n’a jamais été sanctionnée par l’Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ex-CSA, ndlr] en plus de quatre ans à l’antenne et sa convention de diffusion avait été renouvelée pour quatre ans fin 2020 [et] sans qu’aucun manquement ne soit constaté ou même notifié ». Et d’ajouter : « Nous considérons que cette décision n’est pas fondée juridiquement et contrevient au principe de la liberté d’expression. Nous travaillons avec nos avocats sur les possibles recours ». Le média russe saisira-t-il aussi le Conseil d’Etat contre l’« application directe et immédiate » par l’Arcom en France – sans mise en demeure – de cette décision européenne ? Le régulateur français a en effet tiré sur le champ les conséquences des sanctions européennes, « qui ont notamment pour effet de suspendre la convention et la distribution de RT France », dit-il dans un bref communiqué (9). Depuis fin 2021, la France était le seul Etat membre de l’UE où Russia Today dispose d’une filiale employant 150 personnes, RT France, dont Xenia Fedorova (photo ci-dessous) est la PDG depuis plus de cinq ans. Elle vit désormais sous protection et une plainte a été déposée pour menace de mort. Outre le site web francais.rt.com (alias rtfrance.tv), la chaîne sur YouTube et le compte sur Facebook, la chaîne française de RT était diffusée jusqu’au 2mars sur les box d’Orange (canal 841), de Free (canal 362, ex-359) et sur le décodeur de Canal+ (canal 176 ou 180). RT France était également accessible sur le bouquet par satellite Fransat d’Eutelsat (canal 55) et d’autres opérateurs de satellite (SES, Astra), ainsi que sur les plateformes de chaînes Molotov et Watch-it, ou encore en streaming sur MyCanal de Canal+. Le média Sputnik News, lui, ne disposait pas d’une convention avec l’ex- CSA et n’était diffusé que sur Internet (fr.sputniknews.com) et les réseaux sociaux, dont ceux du groupe Meta (Facebook et Instagram). Sputnik a été lancé en France en 2014 en remplacement de la chaîne ProRussia, soit avant RT France qui fut créé en 2017. En réaction à l’annonce faite le 27 février par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (UVDL), sur l’interdiction en Europe de « la machine médiatique du Kremlin » accusée de « mensonges pour justifier la guerre de Poutine » et de « désinformation toxiques et nuisibles » (10), Sputnik (Rossia Segodnia) lui avait répondu : « Nous suggérons à l’Union européenne de ne pas s’arrêter à des demi-mesures mais d’interdire purement et simplement Internet » (11). Des internautes contournent le blocage de RT et Sputnik en recourant à des VPN (12) pour se connecter via une adresse IP située en dehors de l’UE.
L’Allemagne, elle, a suspendu dès le début de février toute distribution de RT en plus d’avoir obtenu en décembre dernier d’Eutelsat d’interrompre le signal de la chaîne russe diffusée à partir de la Serbie en profitant d’une convention européenne transfrontalière. Prenant acte de ces sanctions le jour de leur promulgation, l’Erga – le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, dont fait partie l’Arcom pour la France – s’est dit « unie » et s’est engagée à « contribuer à la mise en œuvre rapide et efficace des mesures » (13). Avant même le 27 février, jour de l’annonce des sanctions par UVDL, les régulateurs des médias de Lettonie, de Lituanie, de Pologne, de l’Estonie et de Bulgarie avaient déjà pris les devants en retreignant la transmission de « certains services de médias russes » sur leurs territoires respectifs.

FIJ et FEJ dénoncent « la spirale de la censure »
La Fédération internationale des journalistes (FIJ), basée à Bruxelles, et son pendant la Fédération européenne des journalistes (FEJ) ont le 4 mars dernier « déplor[é] la spirale de la censure dans le paysage médiatique européen ». D’autant que, en représailles, « les autorités russes ferment les médias indépendants en Russie » (14). Et le secrétaire général de la FIJ, de déclarer : « L’Union européenne, qui a contribué à cette nouvelle vague de répression en interdisant RT et Sputnik, a la responsabilité d’aider les médias et les journalistes russes indépendants ». En France, le SNJ – membre de la FIJ – avait lancé le 28 février : « On ne défend jamais la liberté en attaquant les journalistes » (15). @

Charles de Laubier

Création d’une œuvre ou d’une invention par une IA : la justice commence à faire bouger les lignes

C’est un peu le paradoxe de l’oeuf et de la poule : qui est apparu le premier ? Dans le cas d’une création ou d’une invention par une intelligence artificielle, qui est l’auteur : la personne humaine ou la technologie créatrice ? Cette question existentielle commence à trouver des réponses, en justice.

Par Boriana Guimberteau (photo), avocatE associéE, cabinet Stephenson Harwood

L’intelligence artificielle (IA) fait l’objet de développements exponentiels dans des domaines aussi variés que les voitures autonomes (et les données générées par celle-ci), la rédaction d’articles ou la création de musiques. Au-delà de la compréhension de son fonctionnement, l’intelligence artificielle soulève la question de la paternité et de la titularité des œuvres créées ou des inventions générées par elle.

Vers un « Artificial Intelligence Act »
Avant d’explorer plus en amont cette question, il convient de fournir une définition de l’intelligence artificielle. Selon l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’intelligence artificielle désigne une branche de l’informatique qui a pour objet de concevoir des machines et des systèmes à même d’accomplir des tâches faisant appel à l’intelligence humaine, avec un intervention humaine limitée ou nulle. Cette notion équivaut généralement à l’intelligence artificielle spécialisée, c’est-à-dire aux techniques et applications programmées pour exécuter des tâches individuelles. L’apprentissage automatique (machine learning) et l’apprentissage profond (deep learning) font tous deux parties des applications de l’intelligence artificielle (1).
L’IA peut ainsi produire différents résultats dont certains pourraient être qualifiés de créations ou d’inventions, les premières protégeables par le droit d’auteur et les secondes par le droit des brevets d’invention. La question est alors de savoir qui sera titulaire des créations ou des inventions générées par l’IA, et si l’IA pourrait être qualifiée d’auteur ou d’inventeur par le droit positif français.
En matière de droit d’auteur tout d’abord, de nombreux auteurs se sont penchés sur la question de savoir si l’intelligence artificielle pouvait bénéficier de la qualité d’auteur. La majorité d’entre eux reconnaissent la conception personnaliste et humaniste du droit français qui considère comme auteur la personne qui crée une œuvre. Par définition, un fait créatif est un fait matériellement imputable à une personne humaine. Cette conception s’impose également par le seul critère d’admission à la protection des œuvres de l’esprit qu’est l’originalité, laquelle se caractérise par l’empreinte de la personnalité de l’auteur (2). Eu égard à la personne de l’auteur, le professeur Christophe Caron a pu affirmer que « le duo formé par la notion de création et de personne physique est indissociable » et donc que « le créateur est forcément une personne physique ». Si la définition de l’auteur est absente du code de propriété intellectuelle (CPI), on y retrouve néanmoins diverses références : « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (3) ; « Ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre » (4). Dans le cadre de l’œuvre radiophonique, « ont la qualité d’auteur d’une œuvre radiophonique la ou les personnes physiques qui assurent la création intellectuelle de cette œuvre » (5). La seule exception à la naissance ab initio du droit d’auteur sur la tête d’une personne physique : l’œuvre collective (6).
De plus, la nécessité d’une intervention consciente de l’homme implique qu’un animal ou une machine ne peuvent être considérés comme auteurs. L’intelligence artificielle ne peut alors être qu’un outil de création supplémentaire.

L’approche « création intellectuelle »
Dans le cadre du projet de réglementation européenne sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle – l’« Artificial Intelligence Act » actuellement en cours d’examen en commissions au sein du Parlement européen (7) –, une résolution du 20 octobre 2020 du Parlement européen précisait sa teneur en affirmant ceci : « Les œuvres produites de manière autonome par des agents artificiels et des robots pourraient ne pas bénéficier de la protection par le droit d’auteur, afin de respecter le principe d’originalité, qui est lié à une personne physique, et étant donné que la notion de “création intellectuelle” porte sur la personnalité de l’auteur » (8). Cette approche se retrouve également dans les pays du système juridique dit Common Law. En 2012, la cour fédérale d’Australie affirmait la nécessité d’une intervention humaine en jugeant qu’une base de données générée automatiquement par un système d’intelligence artificielle n’est pas protégeable par le copyright dans la mesure où l’effort d’extraction des données n’était pas le fait d’une personne ou d’un groupe de personnes (9). Aux Etats-Unis, une position identique ressortait de l’affaire médiatisée du macaque Naruto ayant pris un selfie. La cour américaine n’a pas manqué de rappeler qu’une photographie prise par un animal n’est pas susceptible de protection eu égard à l’absence d’intervention humaine (10).

L’IA créatrice demande protection
L’AIPPI – association Internationale pour la protection de la propriété intellectuelle (11) – s’est également penchée sur cette question et a adopté, après d’âpres discussions, une résolution (12) lors de son congrès de septembre 2019. Selon cette résolution, les œuvres générées par une IA pourraient bénéficier de la protection par le droit d’auteur à condition qu’une intervention humaine ait lieu lors de leur création. Néanmoins, pour la première fois, le tribunal de Shenzhen en Chine a jugé qu’un article financier écrit par Dreamwriter, un algorithme conçu par Tencent, avait été reproduit sans autorisation reconnaissant ainsi que la création d’une intelligence artificielle peut bénéficier de la protection du droit d’auteur (13). Si diverses réflexions sont en cours pour faire émerger de nouveaux concepts juridiques appréhendant l’IA dans le cadre de la propriété intellectuelle, nulles n’ont connu de réels aboutissements législatifs jusqu’à présent. La protection des réalisations de l’IA s’opère ainsi notamment par la voie contractuelle. A titre illustratif, l’entreprise Aiva Technologies, connue pour son IA capable de composer de la musique, offre le choix entre une utilisation gratuite pour une exploitation privée des résultats créatifs et une utilisation payante pour une exploitation commerciale de ceux-ci.
Parallèlement, la problématique de l’IA-inventeur se pose également dans le cadre du droit des brevets. En effet, en France, le CPI prévoit que le droit au titre de propriété industrielle « appartient à l’inventeur ou à son ayant cause. Si plusieurs personnes ont réalisé l’invention indépendamment l’une de l’autre, le droit au titre de propriété industrielle appartient à celle qui justifie de la date de dépôt la plus ancienne » (14).
Ainsi, l’on retrouve en matière de brevets la même dimension humaniste dont est empreint le droit d’auteur. La question a néanmoins été posée aux offices et aux juridictions de savoir si une IA pouvait être l’inventeur d’un brevet. Les demandes déposées par « Dabus » ont ainsi pu illustrer cette problématique et les solutions retenues actuellement. Dabus est un réseau de neurones artificiel développé par le chercheur américain Stephen Thaler qui (l’IA neuronale) a notamment conçu, de manière autonome, un récipient pour boissons basé sur la géométrie fractale et un dispositif embarquant une lumière vacillante pour attirer l’attention pendant des opérations de recherche et de sauvetage. Depuis, l’équipe de « The Artificial Inventor Project » a amorcé une quête visant à faire reconnaître Dabus comme inventeur d’un brevet dans divers pays.
En décembre 2019, l’Office européen des brevets (EPO) a refusé deux demandes d’enregistrement de brevets européens (15) soumises au nom de Dabus dans la mesure où seule une personne physique peut être inventeur d’un brevet européen (16).
Le bureau américain des brevets et des marques de commerce (USPTO) a, lui, rejeté le 22 avril 2020 la demande de brevet indiquant Dabus comme inventeur pour les mêmes motifs (17). Le 2 septembre 2021, le tribunal du district Est de Virginie statuait lui aussi « qu’un système d’intelligence artificielle (IA) ne peut pas déposer de brevet » (18).
De l’autre côté de l’Atlantique, la cour d’appel de Londres suivit l’office des brevets britanniques (IPO) qui avait rejeté une même demande, le 21 septembre 2021. La juge Elisabeth Laing affirma ainsi que « seule une personne peut avoir des droits. Pas une machine » (19).
Néanmoins, au mois de juillet 2021, l’office des brevets sud-africain (CIPC) a reconnu Dabus comme inventeur lors d’un dépôt de brevet pour la première fois (20), suivi de près par la Cour fédérale australienne qui jugea que « Dabus pouvait être un inventeur au sens de la loi australienne » (21).

Vers des règles ad hoc ?
En conclusion, la question de l’intelligence artificielle et de la titularité des droits de propriété intellectuelle demeure globalement dominée par le principe de prééminence de l’humain, le droit français ne se démarquant pas tant de ses voisins européens et anglo-saxons. Toutefois, les développements de l’IA sont encore à un stade peu avancé et il faudrait suivre son évolution pour apprécier la nécessité d’une adaptation des règles juridiques en conséquence, notamment celles relatives à la protection des investissements ayant abouti à l’IA. @

* Boriana Guimberteau est avocate experte en
propriété intellectuelle, que cela soit dans les
domaines des marques de commerce, du droit
d’auteur, des dessins et modèles et des brevets. Elle
vient d’intégrer le cabinet Stephenson Harwood en tant
que partner, après dix ans chez FTPA Avocats.

Dans l’incertitude et devant les tribunaux, la plateforme Molotov fête sa 5e année d’existence

Lancé en 2016, la plateforme de streaming de télévision Molotov – imaginée par Jean-David Blanc, Pierre Lescure et Jean-Marc Denoual – revendique plus de 16 millions d’utilisateurs, dont quelques centaines de milliers d’abonnés payants. Mais le cocktail avec les chaînes n’est pas du goût de toutes.

Molotov, c’est un bouquet de plus de 200 chaînes et de programmes de télévision proposés en direct, en replay ou à la demande. Après la déception des débuts au regard des promesses très médiatiques mais non tenues, notamment d’enregistrement numérique et de disponibilité multi-terminaux (1), la plateforme française de distribution de contenus télévisuels en streaming – lancée le 11 juillet 2016 – s’est rattrapée depuis en révolutionnant l’accès à la télévision et en faisant du zapping une pratique du passé.

Près de 100 millions d’euros d’investis
L’entreprise, cofondée par Jean-David Blanc (photo), Pierre Lescure (ex-Canal+) et Jean-Marc Denoual (ex-TF1), a non seulement séduit un large public – plus de 16 millions d’utilisateurs, dont quelques centaines de milliers d’abonnés payants (2) –, mais aussi propose depuis l’été 2020 son savoir-faire OTT – via Molotov Solutions – à des opérateurs télécoms (Maroc Telecom) ou à des éditeurs en ligne (Trace, KTO,…). Mais au bout de cinq ans et après des renflouements financiers successifs à hauteur de près de 100 millions d’euros, notamment de la part de Xavier Niel (fondateur de Free) qui a misé 30 millions d’euros à l’été 2019 en échange d’une participation de 40 % au capital, l’avenir est encore hypothéqué. Les différents fonds levés, à commencer par les premiers en octobre 2014 auprès du fonds d’investissement Idinvest Partners (alimenté par Lagardère) et de business angels (3), ont rapidement été engloutis.
Les trois premières années, ce sont plus de 30 millions d’euros qui ont été rassemblés lors d’un tour de table d’investisseurs, auxquels sont venus se joindre l’opérateur français TDF et le groupe de télévision britannique Sky, entrés en tant que minoritaires au capital en déboursant chacun 4 millions d’euros environ. Tout cet argent frais a permis à Molotov de développer l’ergonomique de sa plateforme inspirée de celle de Netflix, d’investir dans une infrastructure de stockage informatique, de rémunérer les chaînes de télévision distribuées ou encore de payer les droits d’auteur, et bien sûr de rétribuer les effectifs atteignant aujourd’hui plus d’une centaine de collaborateurs et de louer de vastes locaux rue La Boétie à Paris. Avant que le milliardaire des télécoms Xavier Niel ne vole à son secours, Molotov avait envisagé d’être financé voire d’être racheté par le groupe Altice de Patrick Drahi, ou par Orange, voire par France Télévisions, avant que le groupe public ne fasse finalement alliance avec les chaînes privées TF1 et M6 pour lancer la plateforme Salto (4) – devenue la bête noire de Molotov. La société de production audiovisuelle Mediawan – cofondée par Pierre-Antoine Capton, Matthieu Pigasse et Xavier Niel – avait même regardé le dossier « Molotov », mais le second avait indiqué en mars 2018 que « [les] conditions [n’étaient] pas réunies » (5). A noter que jusqu’en avril dernier, Pierre Lescure était président du conseil de surveillance de Mediawan depuis quatre ans.
Sur la viabilité économique de la plateforme freemium Molotov, difficile de se prononcer puisque la société par actions simplifiée (SAS) – que préside Jean-David Blanc (ex- AlloCiné) via sa holding personnelle JDH – ne publie pas ses comptes. Aucune fuite n’est intervenue depuis les révélations de La Lettre A qui faisait état il y a deux ans de 53 millions de pertes nettes (cumulées de 2015 à 2018) pour un chiffre d’affaires à peine supérieur à 3 millions d’euros, puis de Capital indiquant mi-2020 un chiffre d’affaires atteignant 7,7 millions d’euros. Ce secret des affaires sur les résultats de cette start-up française jette le doute sur la monétisation de sa plateforme « révolutionnaire ». En novembre dernier, elle a lancé Mango, « le service de vidéo à la demande gratuit de Molotov » (6) et financée par la publicité.
Pour l’heure, Molotov se targue d’avoir été sélectionné dans l’indice French Tech 120 des start-up qui sont « à haut potentiel » (7), mais ne figure pas dans l’indice French Tech Next40 qui, lui, sélectionne parmi les 120 : soit les licornes, soit les start-up ayant réalisé une levée de fonds supérieure à 100 millions d’euros (8), soit celles présentant un modèle économique validé. Molotov est encore au milieu du gué. C’est à se demander si son ambition internationale ne pourrait pas profiter d’une introduction en Bourse.

Cocktail explosif devant la justice
Sa survie est aussi conditionnée à l’issue de ses nombreux procès contre TF1, M6 et France Télécoms à propos de Salto (recours devant le Conseil d’Etat formé par Iliad/Xavier Niel), et contre les rémunérations imposées par les chaînes pour leur reprise (pourvoi de Molotov en cassation sur le volet distribution et en appel sur le volet concurrence). Molotov reproche par ailleurs à son ex-directeur technique Thomas Sangouard d’être passé en 2019 chez M6. Son ex-directeur des partenariats Nicolas Auffret en avait fait de même pour aller dans une filiale de M6, Bedrock, où Thomas Sangouard est aussi directeur technique. @

Charles de Laubier

En bannissant sans limite Donald Trump, les réseaux sociaux Facebook et Twitter ont dépassé les bornes

Persona non grata sur des réseaux sociaux, l’ex-45e président des Etats-Unis Donald Trump – décidé à briguer un nouveau mandat en 2024 – fait l’objet d’un débat sur la régulation mondiale de l’Internet. Facebook, Twitter ou encore YouTube, sociétés privées devenues censeurs sans juge, mettent à mal la liberté d’expression.

(Finalement, le 4 juin 2021, Facebook a décidé de suspendre pour deux ans Donald Trump)

Il n’a plus rien à perdre. Quarante-cinquième président des Etats-Unis (janvier 2017-janvier 2021), Donald J. Trump (photo) – qui aura 75 ans le 14 juin prochain – compte bien se représenter à la prochaine présidentielle américaine de 2024 afin de reprendre sa revanche et de tenter d’être le 47e locataire de la Maison-Blanche. Car dans le monde réel, le turbulent milliardaire n’a pas été banni ni même jugé devant les tribunaux pour les faits qui lui sont reprochés, à savoir d’avoir « encouragé » – sur Facebook – ses partisans à envahir le Capitole des Etats-Unis lors de l’émeute du 6 janvier dernier. En réalité, le mauvais perdant n’a pas explicitement incité – ni encore moins ordonné – l’invasion par la foule du Congrès américain, alors en plein débat sur la ratification de l’élection présidentielle ayant donné Joe Biden vainqueur, mais peut-être implicitement en clamant qu’il avait gagné l’élection présidentielle. Nuance. Ce jour-là, devenu historique, le président sortant était d’ailleurs introuvable, sauf sur Internet pour affirmer qu’on lui avait « volé » l’élection en organisant une « fraude massive ». Jugé coupable le 5 mai par Facebook d’avoir, selon le numéro un des réseaux sociaux, « créé un environnement où un risque sérieux de violence était possible », Donald Trump a été exclu pour encore six mois – mais pas indéfiniment – de Facebook (où il comptait 35 millions d’amis) et d’Instagram (24 millions d’abonnés).

Entreprises privées versus Premier amendement
Ses comptes avaient été supprimés le lendemain des événements du Capitole. Car dans ce monde virtuel, les entreprises privées telles que Facebook ou Twitter ne sont pas soumises au Premier amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique interdisant de limiter la liberté d’expression. Donald Trump a ainsi été condamné dès le 7 janvier dernier au bannissement par ces réseaux sociaux tout puissants. « Les entreprises privées ne sont pas tenues par le Premier amendement. Et donc, il [Donald Trump] n’a pas le droit au Premier amendement. C’est un client. Facebook n’est pas un gouvernement, et il [l’ex-président] n’est pas un citoyen de Facebook », a d’ailleurs bien expliqué le 9 mai dernier Michael McConnell, coprésident du « conseil de surveillance » de Facebook, dans un entretien accordé à la chaîne d’information en continu américaine Fox News.

« L’erreur » de Facebook et de Twitter
Et sur sa lancée, le spécialiste du droit constitutionnel et professeur à Stanford a expliqué comment ce jury « indépendant » – appelé en anglais Oversight Board, où il a été nommé il y a un an parmi les vingt membres – a obtenu de la firme de Mark Zuckerberg que Donald Trump soit suspendu provisoirement de Facebook et d’Instagram et non sur une durée indéfinie voire ad vitam aeternam : « Ce que nous avons dit, c’est qu’[il n’était] pas justifié de [le] supprimer indéfiniment [comme envisagé initialement par Facebook, ndlr], qu’ils [les dirigeants de Facebook et d’Instagram] n’ont fourni aucune raison pour cela, que ce n’est pas une disposition de leur règlement, que c’est une erreur. Et nous leur avons donné un certain temps pour (…) mettre de l’ordre dans leur maison ».
Dans un tweet du 5 mai, l’Oversight Board, cette sorte d’ombudsman mondial, a même lancé : « Facebook a enfreint ses propres règles en imposant une suspension “indéfinie” » (1). Autrement dit, le groupe aux réseaux sociaux planétaires doit faire le ménage dans ses « règles chaotiques », « non transparentes », « pas claires », « incohérentes en elles » (2). Le « conseil de surveillance », qui a estimé nécessaire de faire des recommandations à la firme de Menlo Park (Californie) sur la façon de mettre de l’ordre dans ses règles pour les rendre plus acceptables, a donc décidé de maintenir jusqu’à début novembre 2021 l’interdiction faite à l’ancien président des Etats-Unis et le temps pour Facebook durant cette période de clarifier sa politique interne en général et vis-à-vis du « puni » en particulier. C’est un peu comme renvoyer dos à dos Trump et Zuckerberg. « Le conseil de surveillance confirme la suspension de l’ancien président Trump mais estime que la sanction de Facebook n’était pas opportune », déclarait le 5 mai l’organe privé de régulation (3) au moment de rendre son verdict sur « le cas 2021-001-FB-FBR » (4).
L’instance « indépendante » aux allures de cour suprême, financée par Facebook, a été créée pour juger et dire « quels contenus supprimer, quels contenus laisser en ligne et pourquoi ». C’est là que le bât blesse. Ecarté virtuellement « pour avoir encouragé les émeutiers » du Capitole (5), mais plus que jamais réellement présent dans la vraie vie pour se préparer à la campagne présiden-tielle de 2024, Donald Trump est devenu un cas d’école pour la régulation mondiale de l’Internet. D’autant que celui qui fut le 45e président des Etats-Unis a aussi été évincé de Twitter, de YouTube (plateforme vidéo de Google), de Snapchat (de la société Snap) et même de Twitch (filiale d’Amazon). Cette affaire montre les limites d’une régulation privée par des entreprises privées, à savoir une auto-régulation sans intervention du juge. Le verdict du tandem « Facebook- Oversight Board » crée un malaise bien au-delà du Nouveau Monde, tout comme son éviction à vie de Twitter (où le twittos @realDonaldTrump avait 89 millions d’abonnés) en début d’année et pour les mêmes raisons. Et ce, là aussi, sans que la firme de Jack Dorsey ne soit liée par le Premier amendement garantissant la liberté d’expression et sans qu’aucun juge n’ait eu à se prononcer sur cette sentence aux limites de l’arbitraire. Twitter a même enfoncé le clou en suspendant le 6 mai dernier plusieurs comptes qui relayaient des messages postés par l’ancien président des Etats-Unis sur sa nouvelle plateforme numérique lancée le 4 mai et baptisée « From the Desk of Donald J. Trump » (6) (*) (**). Celle-ci préfigure sous forme de blog ce que sera le futur réseau social en gestation du candidat à l’élection présidentielle de 2024. Le site web « Depuis le bureau de Donald J. Trump » renvoie aussi vers sa campagne « Save America » pour lever des fonds et où l’on peut lire « Le président Trump est toujours BANNI de Facebook ! Ridicule ! » (7). Tout le monde pourrait en rire, s’il n’était pas question dans cette affaire hors normes du sort de la liberté d’expression sur Internet et, partant, dans les démocraties dignes de ce nom. Que l’on soit partisan de Trump – passé quand même de 63 millions d’électeurs en 2016 à plus de 74 millions en 2020 – ou hostile à sa politique clivante et nationaliste, son cas est sans précédent en matière d’auto-régulation des réseaux sociaux.
La firme de « Zuck » a six mois pour trancher le dilemme que lui pose Donald Trump. Il y a fort à parier que le PDG cofondateur de Facebook réhabilitera l’impétrant dans sa décision finale attendue pour début novembre. Pendant que la pression monte aux Etats-Unis pour que soit réformée la section 230 du « Communications Decency Act » de 1996, qui accorde une « immunité » judiciaire aux plateformes numériques quant aux contenus mis en ligne par leurs utilisateurs (8), l’Union européenne est plus que sceptique sur le bannissement de Trump.

Police privée : l’Europe très sceptique
« Qu’un PDG puisse débrancher le haut-parleur du président des Etats-Unis sans autre forme de contrôle et de contrepouvoir fait plus qu’interpeller », a estimé le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, dans une tribune publiée le 10 janvier (9). La chancelière allemande Angela Merkel a quant à elle jugé « problématique » cette éviction du président américain. De son côté, la Grande- Bretagne a présenté le 12 mai un projet de loi « Online Safety Bill » (10) en vue d’interdire aux plateformes numériques de discriminer les points de vue politique et de protéger la liberté d’expression avec possibilité de faire appel en cas de suppression de contenus. La police privée a des limites. @

Charles de Laubier

Bernard Tapie se serait bien vu aussi en magnat de la presse française (La Provence, Corse-Matin, …), hélas

L’homme d’affaire et ancien ministre Bernard Tapie, qui est à nouveau devant la justice pénale jusqu’au 18 novembre dans l’affaire « CDR-Tapie » (sauf renvoi du procès), risque aussi de perdre La Provence et Corse- Matin devant la justice commerciale. Cet été, il avait tenté de reprendre La Marseillaise avec Xavier Niel.

(Juste après la parution de cet article dans le n°243 de Edition Multimédi@, le 26 octobre 2020, le procès en appel a été renvoyé au 10 mai 2021, précédé d’une audience le 29 mars)

Bernard Tapie (photo), en faillite personnelle depuis 1994, se bat non seulement contre un double cancer mais aussi pour laver son honneur devant la justice. Malgré la relaxe générale qui avait été prononcée le 9 juillet 2019 par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire de l’arbitrage « CDR-Tapie » (1), lequel avait abouti en 2008 à lui verser 403 millions d’euros pour régler son litige avec le Crédit Lyonnais, l’homme d’affaires (77 ans) est rejugé. Et ce, à nouveau aux côtés de Stéphane Richard, l’actuel PDG du groupe Orange, qui était à l’époque des faits le directeur de cabinet de la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. Car le parquet de Paris avait fait appel de cet arbitrage privé, sur des soupçons de « fraudes », d’ »escroquerie » et « détournement de fonds publics » au détriment de l’Etat. Autrement dit, Bernard Tapie aurait volé le contribuable. Stéphane Richard avait été mis en examen en juin 2013 pour « escroquerie en bande organisée » et à nouveau en mai 2015 pour, cette fois, « complicité de détournement de fonds publics par une personne privée ». Entre ces deux prononcés de mises en examen, Christine Lagarde avait été mise en examen, elle aussi, pour « négligence » mais sans aucune peine, alors que son ex-directeur de cabinet n’a de cesse de clamer depuis son innocence en assurant « n’avoir fait qu’exécuter la décision ministérielle d’aller à l’arbitrage ».

Des affaires à ministre, puis de la politique aux médias
Quinze mois après la relaxe des six prévenus prononcée en faveur de Bernard Tapie, celui-ci doit à nouveau se défendre devant la cour d’appel de Paris des suites politico-financières d’une affaire qui remonte aux années 1990, celle de la revente d’Adidas par le Crédit Lyonnais en 1994 avec une confortable plus-value. L’homme d’affaire, qui avait vendu le fabricant d’articles de sport à l’ex-banque publique l’année précédente, l’accuse de l’avoir floué. Il était alors député national, avant d’être nommé ministre de la Ville par François Mitterrand, puis il deviendra député européen. A l’affaire « Adidas », s’était ajoutée au même moment l’affaire « VA-OM » (corruption dans le football) pour laquelle le président de l’Olympique de Marseille (OM), à l’époque Bernard Tapie, sera déchu de son mandat de député (et purgera six mois de prison ferme), ce qui le détournera à jamais de la politique malgré son éligibilité retrouvée en 2003.

« Nanard », héritier partiel du « papivore »
Après une reconversion personnelle dans le cinéma, le livre, la musique, le théâtre et la télévision (1995-2008), « Nanard » s’était relancé dans les affaires qui l’amèneront fin 2012 à entrer à 50 % dans le capital du Groupe Hersant Média (GHM), lequel possède alors La Provence, Nice- Matin, Var-Matin et Corse-Matin. GHM était le premier groupe de presse de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). C’est là que Bernard Tapie se sent pousser des ailes dans la presse française, repreneur d’une partie de l’héritage laissé par Robert Hersant, surnommé, dans les années 1970-80, « le papivore ». Son nouveau dada est désormais les médias, malgré ses relations tumultueuses avec les journalistes ; fini la politique. Quoique les deux ont souvent des rapports consanguins… Ce serait Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée nationale, qui aurait convaincu le président de la République François Hollande (4) – lequel aurait préféré y voir François Pinault (Le Point) – de laisser Bernard Tapie s’emparer en 2013 d’une partie des journaux PACA cédés par Philippe Hersant. GHM est mort, vive GBT : Groupe Bernard Tapie est devenu l’actionnaire majoritaire, à hauteur de 89 % aujourd’hui, du groupe marseillais éditant La Provence et alors détenteur de la moitié de Corse-Matin. Et ce, grâce à une hypothèque sur son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères à Paris (hôtel de Cavoye), qu’il possède depuis 32 ans maintenant (en plus de sa villa Mandala à Saint-Tropez).
Le fils aîné de Bernard Tapie, Stéphane Tapie (demi-frère de Laurent, de Sophie et de Nathalie), a été nommé il y a plus de cinq ans – en février 2015 – à « la direction des activités numériques » du groupe La Provence. Sa mission : « Accélérer les développements web autour des marques La Provence et Corse Matin, notamment en rapprochant plus encore les problématiques internet de celles des journaux », et développer « l’utilisation de la vidéo, comme outil de développement des audiences » (5). Stéphane Tapie (51 ans), qui n’a pas répondu aux questions de Edition Multimédi@, est actionnaire du groupe La Provence depuis six ans maintenant, après avoir été producteur de télévision (6), dont douze ans pour TF1 grâce aux bonnes relations de son père avec l’ancien patron de la chaîne du groupe Bouygues, Patrick Le Lay. Il est par ailleurs gérant de la société Conseil Média Numérique. C’est en 2014 que Stéphane Tapie fait ses premiers pas dans le groupe de son père, en commençant par être administrateur du quotidien insulaire Corse- Matin, dont le Groupe Nice-Matin (GNM) venait de céder à GBT ses parts. Cette même année, le fils de Nanard (7) lance « La Provence TV », au slogan « 100 % vidéo/100 % magazine », avec notamment une émission baptisée « Tapie se met à table ». Mais la chaîne, où le patriarche avait lui-même payé de sa personne en annonçant le 24 mars 2014 son ambition de « transformer La Provence en groupe multimédia », sera rapidement abandonnée (8). Aujourd’hui, Bernard Tapie risque de tout perdre. Le 30 avril dernier, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la liquidation judiciaire de ses sociétés, dont GBT et FIBT (9) , qui pourraient être vendues pour payer ses dettes : environ 461 millions d’euros, d’après le SNJ (10). Sentence dont il a fait appel. Ce verdict reste à venir. A cela s’ajoute donc le procès en cours au pénal où il risque sept ans de prison et 375.000 euros d’amende.
Quoi qu’il en soit, la vente du groupe La Provence semble inéluctable. Cet actif de poids, mais déficitaire (pertes de 3 millions d’euros en 2019), pourrait tomber dans l’escarcelle de Xavier Niel qui le détient déjà à hauteur de 11 %, et ce depuis que le groupe belge Nethys lui a vendu au printemps 2019 sa participation dans La Provence. Le milliardaire fondateur de Free – déjà copropriétaire du journal Le Monde depuis novembre 2010, de L’Obs depuis janvier 2014, de France-Antilles depuis mars 2020 et de Paris-Turf depuis juillet 2020 – est en bonne place dans la PQR (11) pour l’emporter. Xavier Niel a en effet pris en début d’année – via sa holding NJJ Presse – le contrôle du groupe Nice-Matin (12) bien implanté dans les Alpes- Maritimes (Nice-Matin, Var-Matin et Monaco-Matin). Tapie et Niel se connaissent bien, et s’apprécient, au point d’avoir voulu racheter ensemble l’été dernier le quotidien historique La Marseillaise dont la société éditrice Les Fédérés avait été placée en liquidation judiciaire le 13 juillet. Mais l’opposition des salariés à ce projet de rachat jugé hostile fut telle que les deux hommes d’affaires ont dû jeter l’éponge le 14 août dernier (13).

Concentration de la presse française
Dans ces circonstances médiatico-judiciaires, Bernard Tapie aura fréquenté de très près les actuels patrons d’Orange et de Free, respectivement Stéphane Richard et Xavier Niel. Ce dernier a comme beau-père Bernard Arnault, propriétaire, lui, du Parisien, des Echos et bientôt de Challenges, tout en étant actionnaire de L’Opinion. L’ancien ministre de la Ville aura ainsi contribué à la concentration de la presse en France. Le site web du quotidien Le Monde et la chaîne de télévision de L’Equipe avait annoncé, respectivement le 31 octobre 2019 et le 28 août 2020, sa mort… Procès, cancers, nécrologies : rien ne lui aura été épargné. L’ancien président de l’OM résiste en jouant les prolongations. @

Charles de Laubier