Pierre Louette devient président de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) pour tenir tête aux GAFA

L’Alliance de la presse d’information générale (Apig), qui réunit depuis deux ans « la presse quotidienne et assimilée » en France, a un nouveau président : Pierre Louette, PDG du pôle médias de LVMH et ex-dirigeant d’Orange. Et ce, au moment où le bras de fer « presse-GAFA » est à une étape historique, sur fond de crises.

C’est le 8 octobre, lors de l’assemblée générale de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), que Pierre Louette (photo) – PDG du groupe Les Echos-Le Parisien (pôle médias de LVMH) et ancien directeur général délégué d’Orange – en est devenu président. Sa désignation, sans surprise, et pour un mandat de deux ans, était attendue, étant le seul candidat pour succéder à Jean-Michel Baylet (1) à la tête de cette alliance créée il y a deux ans (2) par les quatre syndicats historiques de « la presse quotidienne et assimilée » : SPQN (3), SPQR (4), SPQD (5) et SPHR (6), soit un total de 300 journaux d’information politique et générale. Coïncidence du calendrier : c’est aussi le 8 octobre que la Cour d’appel de Paris a donné raison à l’Autorité de la concurrence qui, en avril dernier, avait enjoint Google « dans un délai de trois mois, de conduire des négociations de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse sur la rémunération de la reprise de leurs contenus protégés ». Selon le gendarme de la concurrence, un médiateur pourrait être désigné, mais Google a dit le 7 octobre qu’il était disposé à un accord. La nomination de Pierre Louette à la présidence de l’Apig intervient aussi au pire moment pour la presse française, qui traverse une crise structurelle qui perdure depuis les années 1990 : généralisation d’Internet, érosion du lectorat papier, baisse des recettes publicitaires, sous-capitalisation, concentration aux mains d’industriels, …

La presse française est sinistrée voire en faillite
Les journaux sont en plus confrontés à une crise conjoncturelle aigüe provoquée par la pandémie du coronavirus, dont la deuxième vague augure le pire : fermeture des kiosques mis en difficulté depuis le confinement, baisse du nombre des kiosquiers justement, faillite de la distribution des journaux imprimés, … La presse est donc sinistrée, sinon en faillite. Pas sûr que le total des 483 millions d’euros d’aides supplémentaires accordés par le chef de l’Etat – lequel avait reçu le 27 août à l’Elysée « une délégation » de l’Apig – sorte la presse française de l’ornière, secteur qui touche déjà plus de 800 millions d’euros par an d’aides d’Etat. Environ 22 % de ce demi-milliard supplémentaire ont déjà été budgétés fin juillet dans les « mesures d’urgence », notamment par un crédit d’impôt de 30 % pour les abonnements à un journal d’information politique et générale (8), et les 78 % à venir seront étalés sur deux ans – « jusqu’en 2022 » – pour notamment, dit le gouvernement, « accompagner les transitions écologique et numérique du secteur ».

En plus des 800 M€ d’aides d’Etat annuelles
Une partie de la rallonge de 483 millions d’euros passera par le ministère de la Culture et son Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), dont « les crédits seront fortement augmentés pour un total de 50 millions d’euros » (contre 16,5 millions de dotation initiale), ainsi que par un plan de transformation des imprimeries à hauteur de 18 millions d’euros par an. En outre, « une aide pérenne sera instaurée en faveur des services de presse en ligne d’information politique et générale, à hauteur de 4 millions d’euros par an », avait précisé le trio Macron-Le Maire-Bachelot (9). Dans la foulée de ce plan de secours additionnel sans précédent en faveur de la presse française – donc en plus de presque 1milliard d’euros d’aides d’Etat annuelles –, le président de la République a promis à la filière en souffrance que « l’Etat continuera de s’engager, au niveau national comme au niveau européen, pour la bonne application du droit voisin des éditeurs de presse et pour une meilleure régulation du marché de la publicité en ligne ».
Cela fera un an fin octobre qu’entrait en vigueur la loi française instaurant un droit voisin au profit des éditeurs de presse et des agences de presse (10). Avec ce premier texte législatif, la France ne manque pas une occasion de revendiquer être le premier pays des Vingt-sept à avoir transposé dans son droit national la directive européenne « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » (11). Elle prévoit des négociations entre, d’une part, les éditeurs et agences de presse qui peuvent autoriser ou interdire la reprise de leurs contenus, et, d’autre part, les plateformes numériques, en vue d’un « partage de la valeur ». Mais aussitôt que les discussions se sont ouvertes entre l’Apig et Google en France, aussitôt elles se sont soldées par un échec. Sur ses moteurs de recherche (dont Google Actualités), le géant du Net veut remplacer les snippets (vignettes) affichant extrait, photo ou vidéo – pour les journaux qui n’acceptent pas la gratuité de cet aperçu – par quelques mots seulement. Les éditeurs français, eux, accusent Google de vouloir contourner l’esprit de la loi en ne voulant pas tous les rémunérer. Le point de blocage est là. Saisie en novembre 2019 par l’Apig, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) et l’Agence France-Presse (AFP), l’Autorité de la concurrence avait le 9 avril dernier ordonné à Google (12) de négocier « dans un délai de trois mois » avec la presse généraliste. Google avait fait appel pour tenter d’annuler cette décision, sans que ce recours ait été suspensif du compte à rebours. Mais, à fin juilletdébut août, les nouvelles négociations n’ont pas eu plus de succès que les précédentes. En conséquence, début septembre, l’Apig, le SEPM puis l’AFP ont annoncé avoir chacun ressaisi le gendarme de la concurrence pour « non-respect de l’injonction ». « Google n’a pas négocié de bonne foi [et] nous a proposé une extension des discussions, ce qu’on a refusé car celles-ci ont tourné en rond », a affirmé Fabrice Fries, PDG de l’AFP… dans une dépêche AFP. La balle est à nouveau dans les mains de l’Autorité de la concurrence, confortée par l’arrêt du 8 octobre qui condamne en plus Google « aux dépens et à payer » 60.000 euros répartis entre l’Apig, le SEPM et l’AFP.
Qu’il est loin le temps où une précédente association de la presse généraliste, l’AIPG (13), pactisait avec Google en signant en grande pompe le 1er février 2013 à l’Elysée – avec François Hollande – un accord pour créer en France un « fonds pour l’innovation numérique de la presse » (Finp) doté de seulement 60 millions d’euros sur trois ans. Une aumône (14). Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) en critiqua la portée (15). Le « Digital News Initiative » (DNI) qui prit la suite du Finp, au niveau européen cette fois mais pour seulement 150 millions d’euros étalés sur trois ans (16), ne fit guère fait mieux. Parallèlement au dialogue de sourds de cet été, l’Apig annonçait le 30 juillet avec VG Media, la puissante société allemande de gestion collective des droits d’auteur et les droits voisins des médias outre-Rhin (télévision, radio, presse, numérique), la cocréation d’« une nouvelle société de gestion collective, ouverte à tous les éditeurs de presse européens ». Ce projet franco-allemand a été salué par Emmanuel Macron. Pas de quoi, semble-t-il, impressionner Google qui continue de raisonner mondialement malgré les exigences locales des éditeurs de presse en France, en Allemagne ou encore en Australie.

Google, Apple et Facebook ont « mauvaise presse »
Le PDG de Google (depuis plus de cinq ans), Sundar Pichai, qui est aussi le PDG de la maison mère Alphabet (depuis près d’un an), a mis sur la table le 1er octobre 1 milliard de dollars pour nouer des partenariats avec des éditeurs de journaux du monde entier. « Cet engagement financier, notre plus important à ce jour (17), permettra aux éditeurs de créer et de sélectionner du contenu de haute qualité (…). Google News Showcase [« Vitrine d’actualités », ndlr] est un nouveau produit qui bénéficiera à la fois aux éditeurs et aux lecteurs », a-t-il lancé sur son blog (18). Quelques journaux en Europe, tels que les allemands Der Spiegel, Stern, Die Zeit et le Handelsblatt, ou des britanniques, ont déjà signé ce nouveau partenariat aux côtés de 200 autres publications dans le monde. Sur un autre terrain, l’Apig se bat – avec d’autres organisations d’éditeurs de presse en Europe – contre Apple et ses 30 % de commission (19) que les éditeurs de presse jugent « excessivement élevé, inéquitable et discriminatoire ». Prochaine cible : Facebook, comme en Australie. @

Charles de Laubier

« Crépuscule », le pamphlet politique qui jette une lumière crue sur une oligarchie médiatique

L’avocat Juan Branco démontre comment trois milliardaires et magnats des médias – Bernard Arnault (Le Parisien, Les Echos, …), Xavier Niel (Free, Le Monde, L’Obs, …) et Arnaud Lagardère (Paris Match, Le JDD, Europe 1, …)
– ont orchestré dans l’ombre la montée au pouvoir d’Emmanuel Macron.

« Le président [de la République] qui veut légiférer sur les fake news est lui-même le produit d’une immense fake news. (…) Emmanuel Macron transparaît dans ce récit comme le produit d’une manipulation de l’opinion », écrit le journaliste Denis Robert dans la préface qu’il consacre au livre « Crépuscule », de l’avocat Juan Branco (photo), paru le 21 mars dernier aux éditions Au diable Vauvert et Massot.

« Le futur président de la République ! » (Niel, 2014)
Dans ce pamphlet politico-médiatico-télécoms, l’auteur y « dénonce et expose les preuves d’une OPA commise sur la démocratie par des oligarques puissants, en
faveur d’intérêts de caste, et comment le président Emmanuel Macron en fut à la fois
la créature et l’instrument ». Juan Branco y entreprend de lever le voile sur les « amis » d’Emmanuel Macron qui l’ont aidé à devenir président de la République. Ces amis-là sont Bernard Arnault, le PDG du groupe LVMH et propriétaire des quotidiens Le Parisien et Les Echos, Xavier Niel, le fondateur de l’opérateur télécoms Free et copropriétaire du Monde et de L’Obs, ainsi qu’Arnaud Lagardère, patron de Paris Match, du Journal du Dimanche (Le JDD) et d’Europe 1.
Cet ouvrage-citoyen jette en même temps une lumière crue sur des milliardaires qui détiennent en France – cas unique au monde (1) – des pans entiers des médias, dont l’indépendance est mise à mal. « Dans un pays où 90 % de la presse est entre les mains de quelques milliardaires, l’exposition de la vérité est affaire complexe. (…) La capacité à dire et se saisir du réel n’a cessé, par ces corruptions, pour les dirigeants comme pour les populations, de se dégrader. (…) La prise de l’information par quelques individus obsédés par l’idée de soi a distordu la vie de la cité (…) », déplore Juan Branco au début de son livre. L’auteur de « Crépuscule » l’affirme pour y « avoir, de l’intérieur, assisté » : « Emmanuel Macron a été “placé” bien plus qu’il n’a été élu.
Et la presse a agi en ce domaine avec complicité, la complicité que l’on ne peut qu’attendre de ceux qui, eux-mêmes placés, subissant cure d’amaigrissement sur
cure d’amaigrissement, n’auront cessé de bêler à leur indépendance par peur de perdre leur place, plutôt que de s’indigner ». Juan Branco relate notamment une première rencontre qu’il a eue en janvier 2014 avec Xavier Niel, lequel l’avait invité « comme
il le fait régulièrement avec des jeunes gens qu’il considère être appelés à de hautes fonctions ». L’hôte est alors âgé de 24 ans, normalien, docteur en droit, chercheur à l’université Yales et auteur en 2010 d’un premier ouvrage intitulé « Réponses à Hadopi » après avoir milité contre la loi Hadopi (2). Le patron de Free est alors déjà à la fois copropriétaire depuis novembre 2010 du journal Le Monde et tout juste coactionnaire majoritaire de L’Obs (depuis janvier 2014). Xavier Niel, treizième fortune professionnelle de France d’après Challenges (3), est réputé non seulement pour intenter des procès à des journalistes, mais aussi pour contrôler financièrement des médias pour, at- il dit, « ne pas être emmerdé ». Il est en outre gendre de Bernard Arnault – le plus fortuné de France et d’Europe, et quatrième mondial (4) – après s’être uni à Delphine Arnault, l’héritière dont il a une fille Elsa née en 2012. Xavier Niel invite donc Juan Branco à déjeuner place de la Madeleine. Et ce dernier de raconter notamment deux de leurs échanges. Le premier : « Je l’entretiens des dangers d’avoir investi dans la presse,
d’un mélange des genres qui risque de l’effondrer. Il balaye d’un revers de main mes réserves, se raidit et découvre pas à pas, là où je croyais encore à une forme d’entièreté, le cynisme d’un être prêt à tout pour ses intérêts ». Second propos rapporté par Juan Branco : « Sur le point de me quitter, il tient cependant à me montrer son téléphone : un certain Emmanuel Macron vient de lui écrire. “Le futur président de la République !”, me dit-il. Nous sommes en janvier 2014. Je le regarde, sévère. Son sourire s’éteint ». Cette prémonition intéressée se réalisera effectivement lors de l’élection présidentielle de 2017, grâce à l’entremise de Jean-Pierre Jouyet qui fut secrétaire général de la présidence de la République sous François Hollande.

Jean-Pierre Jouyet et l’Inspection de finances
C’est cet « homme de l’ombre », Jean-Pierre Jouyet, qui fait intégrer à l’Elysée le jeune Macron, dont il est proche avec l’homme d’affaires millionnaire Henry Hermand (5) et Xavier Niel. « Jean-Pierre Jouyet et l’Inspection des finances propulsent Emmanuel Macron au moment où celui-ci pensait sa carrière politique en berne. Le duopole Niel-Arnault, au mépris de toute règle démocratique, sponsorise. Les médias s’alignent », relate Juan Branco. Le jeune protégé Macron, énarque, inspecteur des finances et banquier d’affaires chez Rothschild & Co devient ainsi secrétaire général adjoint du cabinet du président (mai 2012-juillet 2014), avant que Jean-Pierre Jouyet n’annonce son entrée au gouvernement comme ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (août 2014-août 2016). Il a 36 ans. C’est d’ailleurs au cours de ces deux dernières années ministérielles, où il est donc aussi en charge du numérique, que Edition Multimédi@ rencontrera Emmanuel Macron. Juan Branco a écrit « Crépuscule » en octobre 2018, avant de mettre en ligne le mois suivant sur son blog du Monde la première version de son manuscrit. Les Gilets jaunes, eux, lancent leur « Acte I » le
17 novembre. Son brûlot se propage sur Internet comme une traînée de poudre, téléchargé des dizaines de milliers de fois, faisant de ce jeune avocat (29 ans ; il aura 30 ans en août prochain) l’un des plus célèbres « lanceur d’alerte » sur les réseaux sociaux. Les médias institutionnels, eux, le tiennent à distance.

«Mimi » et « Crépuscule » inquiètent le pouvoir
Malgré cet intérêt confirmé des internautes, les éditeurs contactés – pour leur
proposer de faire paraître le livre dans sa version finalisée et augmentée – refuseront
le manuscrit. Au même moment, Juan Branco fait l’objet d’une plainte de la porte-
parole du parti LREM, la députée Aurore Bergé pour incitation à la « haine » et à la
« violence » ! Un autre livre intitulé « Mimi » trouvera, lui, un éditeur qui le publiera en octobre 2018 : Grasset, filiale d’Hachette Livre, partie intégrante du groupe d’Arnaud Lagardère, également propriétaire de Paris Match et du Journal du Dimanche et d’Europe 1. Ce livre inquiète la présidence « jupitérienne », mais pas trop. Et l’auteur
de « Crépuscule » de relever : « Explosant les opaques frontières jusqu’ici dessinées au nom de l’intimité par une presse compromise et dominée, le texte qui a rompu les frontières classiques de l’oligarchie, “Mini”, oeuvre de deux journalistes d’investigation [Jean-Michel Décugis et Marc Leplongeon] et d’une romancière [Pauline Guéna], mettait étrangement en lumière, à la rentrée 2018, une des principales pièces de la “fabrique du consentement” qui a permis la victoire d’Emmanuel Macron, à travers
un matraquage inédit, quasi-physique, qui fut imposé par une certaine caste aux Français ». Le livre « Mimi » enquête sur Michèle Marchand, professionnelle de la communication et de la presse people, mise au service du couple Macron jusqu’à l’Elysée.
Cette « Mimi » au passé sulfureux apparaît comme une « pièce centrale d’une entreprise de communication mise en place avec de Xavier Niel [qui a rencontré “Mimi” grâce à un avocat commun lors de leurs passages respectifs en prison au début des années 2000, ndlr], dans le but de faire connaître et adouber par le peuple français
un inconnu absolu qui venait d’être coopté par les élites parisiennes : Emmanuel Macron ». Il y est révélé que Xavier Niel et Emmanuel Macron sont amis de longue date, ce que les médias n’avaient pas voulu faire savoir aux Français. «Le premier a mobilisé sa fortune et son réseau pour faire élire le second (…). Que Xavier Niel soit le propriétaire du groupe Le Monde, mais aussi de L’Obs et possède des participations minoritaires dans la quasi-totalité des médias français, y compris Mediapart [fondé par Edwy Plenel et auteur du “Droit de savoir”, ndlr], n’est probablement pas pour rien dans le fait que nos journalistes n’aient jamais révélé ces liens d’amitié, et a fortiori le fait que ces liens aient nourri la mise à disposition de certaines des ressources d’un milliardaire au service de M. Macron », reproche Juan Branco. Il rappelle au passage que Xavier Niel a aussi pris des participations dans bon nombre de nouveaux médias tels que Bakchich, Atlantico, Causeur, Next Inpact ou encore Terraéco. Le patron de Free aurait acheté le silence voire l’autocensure de médias qu’il ne s’y serait pas pris autrement. «On est en droit de s’étonner qu’il ait fallut attendre septembre 2018 (lorsque les jeux sont faits) pour que les liens entre l’un des plus importants oligarques de notre pays
et son président aient été révélés », poursuit l’auteur qui pointe les éventuels conflits d’intérêts. Cette campagne de communication orchestrée par Niel et Marchand s’est notamment traduite par près d’une quarantaine de couvertures de Paris Match et du JDD (publiés par le groupe d’Arnaud Lagardère), ainsi que de L’Obs (copropriété de Xavier Niel) consacrées à Emmanuel et Brigitte Macron. Et encore, le livre « Mimi »
ne s’attarde pas sur les liens Niel- Macron que seul le journaliste indépendant Marc Endeweld avait révélés sur dans son livre « L’ambigu Monsieur Macron », paru en 2015 chez Flammarion (6). Pas plus que n’est soulevé le problème démocratique que cela pose au pays. Il faut dire que « Mimi » est publié chez Grasset, une des nombreuses maisons d’édition détenues par Arnaud Lagardère, lequel, estil indiqué dans
« Crépuscule », a été client d’Emmanuel Macron lorsque celui-ci fut à la banque Rothschild.
Le « petit Paris » est décidément petit. Arnaud Lagardère mettra son conseiller spécial Ramzi Khiroun au service de Macron devenu ministre.Xavier Niel, lui, offrira en outre son école informatique 42 et sa Station F pour start-up, inaugurées respectivement
en mars 2013 et en juin 2017, comme tribune à Emmanuel Macron devenu président. Entre temps, celui qui est encore ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique s’offre en janvier 2016 une sorte pré-campagne présidentielle au CES de Las Vegas, grand-messe de la hightech, sur des fonds confiés sans appel d’offres à l’agence Havas par Business France (BF). En outre, Juan Branco fait remarquer que « la fortune de Xavier Niel est directement dépendante des décisions de nos gouvernants ». Exemple : François Fillon, alors Premier ministre de Nicolas Sarkozy, avait décidé – contre l’avis de ce dernier et en « renvers[ant] une première décision négative de l’Arcep » – d’octroyer en 2009 la quatrième licence de téléphonie mobile (UMTS) à
Free – « faisant exploser la capitalisation boursière de Free, dont M. Niel est encore propriétaire à plus de 50% ».

Macronie : donnant-donnant, limite corruption
Dans cette saga d’oligarques qui a porté au pouvoir le jeune Macron (39 ans lorsqu’il est élu chef de l’Etat français), Patrick Drahi, autre milliardaire, propriétaire d’Altice/SFR devenu en plus lui aussi magnat des médias (Libération, L’Express, BFM, …), a également fait le jeu d’Emmanuel Macron. Ce dernier, lorsqu’il fut secrétaire général adjoint de l’Elysée, lui a demandé de la part de François Hollande de sauver le quotidien Libération. Ce que fit Patrick Drahi à l’été 2014 – Bernard Mourad s’en occupera pour lui et deviendra conseiller de Macron. Ce qui aurait permis à Altice
de racheter SFR au nez et à la barbe de Bouygues… @

Charles de Laubier

Presse en ligne : les journalistes veulent 50 % des recettes du futur « droit voisin »

Google News, Facebook, MSN, Yahoo News et autres agrégateurs d’actualités vont devoir payer leur écot à la presse en ligne qu’ils utilisent. Mais, en Europe, les éditeurs seront titulaires de ce droit voisin – pas les journalistes qui recevront « une part appropriée » de ces revenus. La moitié ?

« Le principal syndicat des journalistes, le SNJ (1), d’abord hostile à l’instauration d’un droit voisin, y est aujourd’hui favorable », rappelle la députée (LREM) Fannette Charvier, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale, selon ses propos rapportés dans le rapport du député (Modem) Patrick Mignola (photo) du 30 avril sur la proposition de loi sur la création
d’« un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse ».

Une « part égale » comme « part appropriée »
C’est sans compter sur le fait que le SNJ et la Fédération européenne des journalistes (FEJ), dont il est membre, ne veulent pas que ce droit voisin soit versé entièrement aux éditeurs de presse, lesquels devront reverser leur quotepart à leurs journalistes dans le cadre d’accords d’entreprises. Les journalistes – ils sont 35.047 dotés d’une carte de presse en France – sont déçus par l’article 3 de la proposition de loi qui prévoit en effet un « droit à une part appropriée et équitable de la rémunération », mais dont « les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés sont fixées dans des conditions déterminées par un accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif ».
Le compte risque donc de ne pas y être.
Avec le SNJ-CGT et la CFDT-Journalistes, la FEJ – représentant pas moins de 320.000 journalistes en Europe et elle-même membre de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) – et le SNJ appellent à « aller plus loin, en prévoyant dans la loi un partage égal entre les éditeurs et les auteurs du revenu administré dans le cadre d’un système de gestion collective ». Les organisations de journalistes demandent que soient « concomitantes (…) la détermination des clés de répartition de la rémunération entre plateformes et éditeurs d’une part, et entre éditeurs et journalistes d’autre part » (2). De son côté, le député (LFI) Michel Larive met en garde le 9 mai : « L’article 3 ne pose aucune condition permettant aux journalistes de percevoir un seuil minimal de
20 %, 30 % ou encore 50 % de rémunération » (3). Sur la même longueur d’onde,
la Société civile des auteurs multimédias (Scam) a regretté le même jour que « le Parlement [soit] sur la mauvaise voie ». Elle « s’inquiète vivement du sort que ce texte s’apprête à réserver aux journalistes, photographes, dessinateur-rices de presse ». Cette société de gestion collective, qui rassemble 40.000 auteurs, dénonce le fait que ce futur droit voisin ne soit envisagé qu’au profit des éditeurs de presse. « La part réservée aux journalistes serait, quant à elle, renvoyée à des accords collectifs (ou accords d’entreprise). Ce choix fragilise la situation des journalistes alors que les organismes de gestion sont les plus à même de gérer la part de rémunération qui leur revient », regrette la Scam présidée par Hervé Rony. Qui garantira aux journalistes un paiement équitable et en toute transparence d’une juste rémunération ? D’autant que la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (4), publiée au JOUE du 17 mai 2019, prévoit que « les auteurs dont les œuvres sont intégrées dans une publication de presse devraient avoir droit à une part appropriée des revenus que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation de leurs publications de presse » (considérant 59).
Pour éviter que les journalistes ne soient les dindons de la farce, la député (LR) Constance Le Grip avait déposé le 26 avril un amendement pour éviter un « décalage » entre la proposition de loi française et la directive européenne. Elle a proposé que « la part des journalistes soit liée au niveau de la rémunération perçue par les entreprises de presse » et que « cette “part appropriée” [soit déterminée en prenant] en considération le montant des droits d’auteur perçus par les journalistes », et enfin
qu’« en l’absence d’accord, le pouvoir réglementaire pourrait fixer les niveaux de rémunération » (5). Mais lors de l’examen en commission des affaires culturelles et
de l’éducation de l’Assemblée nationale, le 30 avril, Patrick Mignola lui a demandé de retirer son amendement.

Journalistes : quel « mécanisme de secours » ?
Le rapporteur de la proposition de loi « Droit voisin » lui a expliqué que Laurence Franceschini – ex-directrice de la DGMIC du ministère de la Culture, actuelle médiatrice du cinéma et l’auteure du rapport de février 2018 remis au CSPLA (6) sur l’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse – avait évoqué « la possibilité
que ce mécanisme de secours dans la négociation [entre les journalistes et leurs employeurs] s’insère dans le cadre de la Commission des droits d’auteur des journalistes (CDAJ) ». Le dialogue avec elle devrait donc se poursuivre. A suivre… @

Charles de Laubier

Alors que son fondateur Julian Assange est victime d’un harcèlement judiciaire, Wikileaks fait de la résistance

L’Australien Julian Assange, fondateur de Wikileaks, n’aura jamais autant défrayé la chronique depuis son arrestation le 11 avril à l’ambassade d’Equateur à Londres où il était réfugié depuis sept ans. Il est accusé de « piratage informatique » par les Etats-Unis qui demandent son extradition. Mais rien n’arrêtera Wikileaks.

Son fondateur Julian Assange (photo) aura beau être accusé, harcelé, arrêté, détenu arbitrairement, menacé d’extradition à la demande des Etats-Unis ou encore victime en Angleterre d’une condamnation « disproportionnée » (1) – comme l’a qualifiée le 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse, le comité des droits de l’homme de l’ONU –, cela n’empêchera pas le site « multi-national » d’informations Wikileaks de continuer à exister
et à révéler secrets, scandales, désinformations, corruptions ou compromissions. Créé en 2006 par l’Australien né Julian Hawkins (du nom de sa mère qui s’est ensuite remariée), le média indépendant le plus redouté des puissants de la planète continue à divulguer des données censées ne pas être rendues publiques – avec l’aide de lanceurs d’alertes préservés par l’anonymat et le chiffrement de leurs envois. « Wikileaks se spécialise dans l’analyse et la publication de grands ensembles de données de documents officiels censurés ou bien restreints concernant la guerre, l’espionnage et la corruption. Jusqu’à présent, plus de 10 millions de documents et d’analyses associées ont été publiés », indique Wikileaks sur son site web principal. Ses révélations ne cessent de déstabiliser et de provoquer des remous à travers le monde – surtout aux Etats-Unis.

« Wikileaks, j’adore Wikileaks ! » (Trump, en 2016)
Donald Trump, à qui l’on demandait le 12 avril dernier son avis sur l’arrestation la veille à Londres de Julian Assange, a dû botter en touche : « Je ne sais rien de Wikileaks, ce n’est pas mon affaire ». Alors que trois ans plus tôt, lors de la campagne présidentielle américaine, il s’était montré enthousiaste à la suite de la publication par Wikileaks – en juillet puis octobre 2016 – de plusieurs milliers de contenus d’e-mails embarrassants du Parti démocrate et surtout ceux du directeur de campagne d’Hillary Clinton : « Wikileaks, j’adore Wikileaks ! », s’était alors exclamé Donald Trump…
« Je suis juste un grand fan », avait-il ensuite tweeté en janvier 2017 une fois président des Etats-Unis. Jusqu’à ce que Wikileaks publie par la suite des documents compromettants pour la CIA, l’agence centrale de renseignements et d’opérations clandestines américaine, selon lesquels le Département de la Justice (DoJ) avait relancé secrètement une procédure contre Julian Assange pour « association de malfaiteur en vue de piratage informatique » – ce pourquoi le fondateur de Wikileaks a été inculpé en mars 2018 et fait maintenant l’objet d’une demande d’extradition afin d’être jugé aux Etats-Unis.

Caillou dans la chaussure de l’oncle Sam
La justice américaine l’accuse de conspiration en ayant aidé la soldat américano-britannique Chelsea Manning – ex-analyste informaticienne du renseignement militaire américain (3) – à obtenir un mot de passe de la Défense. Celui qui est toujours directeur de la publication (publisher) du site d’investigation le plus célèbre du monde n’est en revanche pas poursuit à ce stade pour publication de documents confidentiels ni pour espionnage. Pourtant, le directeur de la non moins célèbre Central Intelligence Agency – qui était alors Mike Pompeo, devenu il y a un an le 70e secrétaire d’Etat
des Etats-Unis d’Amérique (l’équivalent du ministre des Affaires étrangères) – s’était emporté en accusant publiquement Wikileaks d’être un « service de renseignement
non étatique hostile » !
Le média en ligne de Julian Assange s’était déjà mis à dos le pays de l’oncle Sam
en publiant à partir de juillet 2010 des centaines de milliers de documents militaires classés secret-défense de la guerre en Afghanistan, puis des « câbles » (télégrammes) diplomatiques américains compromettants sur les activités et les bavures de l’armée américaine lors de la guerre en Irak (4). A la suite de ces divulgations sans précédent, l’Australien s’était réfugié en 2012 à l’ambassade d’Equateur à Londres pour ne pas tomber dans les mains de la justice américaine – prête à tout pour incarcérer le journaliste, qui refuse d’être extradé vers la Suède, laquelle pourrait à son tour le remettre aux Etats-Unis. « L’enjeu pourrait être une question de vie ou de mort pour Monsieur Assange », a prévenu le 2 mai Kristinn Hrafnsson, le journaliste d’investigation islandais et rédacteur en chef de Wikileaks depuis septembre 2018, après en avoir été le porte-parole. Le 7 mai, Julian Assange (47 ans) a eu la visite en prison de l’actrice Pamela Anderson qui a appelé à lui « sauver la vie ».
Outre son bras de fer avec la plus grande puissance mondiale, le cybermilitant a maille à partir avec Google à qui il reproche sa duplicité. En 2018, Julian Assange a publié
« Google contre Wikileaks. L’histoire secrète de ma confrontation avec le président
de Google [Eric Schmidt, ancien PDG de Google qu’il vient de quitter en mai, ndlr] », publié aux éditions Ring. Le différend remonte à 2012, lorsque que le géant du Net a permis aux autorités américaines d’accéder aux courriers électroniques de Kristinn Hrafnsson et deux autres journalistes de Wikileaks. Et ce, à la suite de mandats émis cette année-là – dont Wikileaks a publié les copies –, mais « contestables » au regard du Privacy Protection Act américain qui protège les médias des intrusions judiciaires.
« Consternés », les trois journalistes avaient reproché en janvier 2015 à Google d’avoir tardé à les en avertir (fin décembre 2014 seulement). Si, par ailleurs, le site web de Wikileaks mentionne toujours ses médias et organisations partenaires de la première heure (5), tels que Le Monde, Libération, Mediapart (France), Der Spiegel (Allemagne), The Guardian (Grande-Bretagne), El País (Espagne), L’Espresso (Italie), The New York Times, Washington Post (Etats-Unis), ainsi que Reporters sans frontières (RSF), beaucoup ont pris leurs distances par la suite. Certains journaux ont reproché au lanceur d’alertes d’avoir rendu publics des documents bruts au risque de mettre en danger des « sources » dans des pays.
Certains de ses confrères de par le monde semblent avoir oublié que Wikileaks a reçu dès 2008 le « New Media Awards » de l’hebdomadaire britannique The Economist et en 2009 le « Media Awards » d’Amnesty International. Julian Assange, qui a été proposé en 2011 (par le député norvégien Snorre Valen) pour le Prix Nobel de la Paix (6), a été désigné personnalité de l’année 2010 par le magazine américain Time (7) et a reçu la même année du quotidien Le Monde le Prix du choix des lecteurs pour la personnalité de l’année. Parmi d’autres récompenses, le patron de Wikileaks a reçu en 2013 le
« Courage Award for the Arts » de la part de la Japonaise Yoko Ono (8), la femme de feu John Lennon, le guitariste des Beatles.
Aux yeux du grand public, Julian Assange reste une icône de la liberté d’informer et
le plus emblématique des lanceurs d’alertes – avec Edward Snowden, Hervé Falciani
et bien d’autres de plus en plus nombreux. La fréquentation du site web principal – wikileaks.org, aux multiples sites miroirs afin de déjouer les tentatives de neutralisation – dépasse les 2 millions de visites par mois, selon le trafic relevé par Similarweb, dont 30 % provenant d’abord des Etats-Unis, 10 % du Royaume-Unis et 5 % de France.

Financement par dons et produits dérivés
Le modèle économique de Wikileaks, site web édité par l’organisation à but non lucratif Sunshine Press Productions créée en 2010 en Islande, ne s’appuie ni sur la publicité
ni sur des abonnements. Ses sources de revenus proviennent de dons (https://lc.cx/Donate) : « Vos dons financent les projets Wikileaks, le personnel, les serveurs et l’infrastructure de protection ». Ce que l’on sait moins, c’est que Wikileaks fait du e-commerce de produits dérivés à sa marque média (t-shirts, stickers, polos, coques de smartphone, etc.) via le site web wikileaks.shop géré par la société Courageous Merchandise, basée au Canada. @

Charles de Laubier

Le technophile milliardaire Serge Dassault a financé la numérisation et la diversification du groupe Figaro

Que serait devenu le groupe Figaro si Serge Dassault n’avait pas consacré depuis près de 15 ans une (petite) partie de sa fortune aux développements numériques et à la diversification de ce fleuron libéral de la presse française ? L’héritier milliardaire a misé sur la technologie, la politique et les médias.

« Soucieux de donner un espace aux idées libérales,
il soutint avec ardeur le développement du Figaro, emmenant le groupe vers la diffusion numérique et une diversification réussie, dans le respect du pluralisme ». Cet hommage appuyé à Serge Dassault (photo) – décédé le 28 mai 2018 à 93 ans – n’est autre que celui du président de la République. Comme Emmanuel Macron, ils sont nombreux à souligner les investissements numériques qu’aura permis l’industriel de l’aéronautique et homme politique en tant que
« président du groupe Figaro », en l’occurrence PDG de Dassault Médias, devenu Groupe Figaro. Y sont également administrateurs, entre autres : Nicole Dassault (son épouse), Olivier Dassault et Thierry Dassault (deux
de ses fils), comme le montre encore le début de « l’ours » du quotidien
Le Figaro. Dépendant de la holding familiale Groupe Industriel Marcel Dassault (GIMD), que présidait Serge Dassault, cette entité Dassault Médias inconnue du grand public – dont l’héritier de l’industriel Marcel Dassault était président du conseil d’administration – avait remplacé il y a sept ans
« la Socpresse ». Ce groupe avait été vendu en 2004 (70 titres (1), dont Le Figaro) par les héritiers de Robert Hersant – l’ancien « papivore » de la presse française – à Serge Dassault. C’est à partir de ce passage de flambeau que ce dernier – milliardaire qui aime sans compter (cinquième fortune
de France) – entamera – via Société du Figaro SAS qu’il présidait là aussi –
la modernisation du Figaro, sa numérisation et sa diversification.

« Passionné de technologie » tourné vers le digital
« Internet, le mobile, le premium, Figaro Live, les nouvelles formes de publicité : le passionné de technologie comprenait d’instinct les enjeux du futur. Il avait fait aussi le constat que, dans le monde si bouleversé des médias, Le Figaro devait s’appuyer sur une diversification forte, un portefeuille d’activités digitales en croissance. Avec l’acquisition de CCM Benchmark et de ses sites Internet [Journal du Net, L’Internaute, Copains d’avant, Comment ça marche, ndlr] qu’il avait personnellement souhaitée, le groupe Figaro est ainsi devenu en 2016 le premier groupe média digital français par son audience », ont écrit Marc Feuillée et Alexis Brézet, respectivement directeur général et directeur des rédactions du Figaro, dans leur édito de l’édition du 29 mai dernier – dont la Une fut parée de noir. Ce mardi matin-là, Serge Dassault leur avait donné rendez-vous – comme chaque semaine, « un rite » – pour évoquer avec eux l’actualité mais aussi parler « des affaires du journal : les ventes, la publicité, les développements futurs, les investissements… ».

Un groupe multimédia diversifié
Le père Marcel avait rêvé d’influence politico-médiatique avec Jour de France dans les années 1950 ; le fils Serge le fera avec Le Figaro après avoir tenté de le faire avec Valeurs Actuelles de 1998 à 2007 (2), quitte à user de pressions sur la rédaction sur fond de censures et de conflits d’intérêts au regard de ses multiples activités industrielles (ventes de Rafale, de Mirage
et de Falcone compris). En tant qu’ingénieur « qu’il n’a jamais cessé d’être » (diplômé de Supaero) et héritier des fleurons technologiques français que sont Dassault Aviation et Dassault Systèmes (fondés par son père respectivement en 1929 et 1981), le feu homme de presse a su accompagner financièrement la mutation de son groupe de médias vers Internet.
« Qu’il s’agisse de l’aéronautique, de la haute technologie numérique, de la communication, notre passion reste intacte. (…) Le groupe Dassault détient aujourd’hui le groupe Figaro, numéro 1 de son secteur en France, présent dans la presse quotidienne et les magazines, mais aussi sur Internet », écrit d’ailleurs le PDG défunt dans son éditorial encore en ligne sur le site web institutionnel (3). Par ailleurs, l’industriel décrit ainsi sa filiale média : « Le groupe Figaro est un éditeur multimédia, dont la production s’étend de la presse écrite aux contenus et supports numériques. (…) Le Figaro.fr est le premier site d’actualité en France, avec près de 7 millions de visiteurs uniques chaque mois. Il est également le premier groupe de presse sur les mobiles, avec notamment les applications chainemeteo.com et figaro.fr ». Celui qui fut directeur de la rédaction du Figaro de 2004 à 2007 témoigne de l’intérêt de Serge Dassault pour la chose numérique : « Serge Dassault ayant une formation d’ingénieur, il était attentif à toutes ces évolutions technologiques. Ayant des réflexes d’industriel, il a permis au groupe Figaro d’investir et de faire l’acquisition de sites web, pendant que j’étais là et ensuite – que ce soit dans l’info elle-même ou dans la transformation digitale de tout le métier des petites annonces, un des piliers du groupe », confie Nicolas Beytout (4) à Edition Multimédi@. Serge Dassault avait fait siennes les communications électroniques, en envoyant régulièrement e-mails et SMS à partir de son smartphone et de sa tablette. Ce polytechnicien à la fibre high-tech veillait autant au contenu libéral de droite de son quotidien Le Figaro, dans lequel l’ancien sénateur LR et ancien maire de Corbeil-Essonnes (5) se fendait d’un édito très politisé pour ses vœux de nouvel an (6), qu’aux développements numériques de son journal.
A force de diversification, le quotidien Le Figaro ne pèse plus que 20 %
des 550 millions d’euros du chiffre d’affaires du groupe en 2017, depuis la finalisation fin 2015 de l’acquisition de CCM Benchmark (7) – soit près de dix ans après avoir revendu le groupe L’Express au belge Roularta (lequel
le cèdera par la suite à Patrick Drahi).
En 2018, d’après les indications données mi-février par Marc Feuillée, directeur général du groupe Le Figaro, le chiffre d’affaires du groupe devrait atteindre 620 millions d’euros (en hausse de 13 % par rapport à
l’an dernier) et le résultat net (non dévoilé par le groupe) « devrait rester positif ». Le vaisseau amiral Le Figaro, qui vise 100.000 abonnés numériques payant (« premium ») d’ici l’an prochain, contre plus de 80.000 aujourd’hui, lancera au second semestre un nouveau site web Lefigaro.fr plus adapté à la mobilité. Selon l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM, ex-OJD), Lefigaro.fr arrive en deuxième position (derrière Orange.fr) des audiences de sites web d’actualité en France (versions fixe et mobile) avec 96,7 millions de visites sur le seul mois d’avril. Mais l’application mobile, elle, n’est qu’en sixième place avec 24,5 millions de visites (smartphones et tablettes). Son empire aéronautique avec Dassault Aviation s’étend, lui, jusqu’à la conception assistée par ordinateur : Dassault Systèmes est numéro un français des éditeurs de logiciels et numéro deux européen (3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017 et 31,7 milliards d’euros de valorisation boursière au 04-06-18)).

Charles Edelstenne à la tête du Figaro
Maintenant que Serge Dassault est mort, la succession prévue depuis 2014 prévoit que ce soit Charles Edelstenne (80 ans) – depuis 2000 président de Dassault Aviation – qui prenne automatiquement la présidence de GIMD dont il était jusqu’alors directeur général. C’est lui qui est désormais président de Groupe Figaro (ex- Dassault Médias).
Quant à Olivier Dassault (61 ans), un des huit administrateurs du groupe média et par ailleurs aussi politicien (député LR) prendra-t-il à l’avenir le relais médiatique de son père ? @

                                                                                                      Charles de Laubier