Culture : la Convention de 2005 apprivoise Internet

En fait. Du 5 au 7 juin, au siège de l’Unesco à Paris, s’est tenue une nouvelle conférence autour de la Convention de 2005 sur « la protection et la promotion
de la diversité des expressions culturelles ». Il s’agit notamment d’adapter à l’ère numérique ce texte ratifié par 45 pays et l’Union européenne.

En clair. « Promouvoir la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique ». L’Unesco, organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, poursuit depuis plus de six ans maintenant (1)) l’objectif d’étendre la Convention de 2005 à Internet. Cela passe par une feuille de route (2) et des directives dites opérationnelles (3) à mettre en oeuvre en 2020 et 2021. Il s’agit d’adapter les politiques publiques culturelles aux domaines du digital, au moment où des questions se posent sur la réforme de la régulation des médias, la concentration des contenus et des plateformes numériques, l’impact des algorithmes dans l’accès aux contenus culturels, ou encore sur l’intelligence artificielle pour la créativité.
« L’un des principaux défis consiste à renforcer la production nationale afin de parvenir à un équilibre entre les contenus locaux, régionaux et internationaux », pointe l’Unesco, actuellement dirigée par la Française Audrey Azoulay (4). Autrement dit, comment éviter que les GAFAN ne remportent la bataille des contenus dans le monde et n’uniformise la culture. D’autant que les Etats-Unis, patrie des géants du Net, ne sont pas signataires de la Convention de 2005 ! Par ailleurs, les Américains exigent d’inclure les services audiovisuels et culturels dans les accords de libre-échange qu’ils signent, alors que des pays comme la France au sein de l’Union européenne le refusent catégoriquement pour préserver une certaine « exception culturelle » (5). La Convention de l’Unesco doit en outre réaffirmer le principe de neutralité technologique et le droit souverain des Etats de formuler, d’adopter et de mettre en oeuvre « des politiques et mesures en matière de protection et de promotion de la diversité des expressions culturelles dans l’environnement numérique ». En creux, il faut éviter, d’après l’Unesco, que les pouvoirs publics ne perdent justement le pouvoir de financement et d’influence dont ils jouissent dans le monde créatif au profit de grands acteurs privés et globaux. Quant au Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC), institué par la Convention de 2005, il finance des projets dans plus de 54 pays en développement – notamment dans le cinéma, l’audiovisuel et l’art numérique – mais son budget (7,5 millions de dollars investis depuis 2010), est très limité : seuls 2% des projets soumis sont financés. @

Entre Série Mania de mars et CanneSéries d’avril, les webséries peinent à sortir de l’ombre

Malgré la bulle des séries qui agite le paysage audiovisuel, les webséries ont
du mal à se frayer un chemin dans le nouveau monde de la production et de la diffusion. Les festivals des séries ne leur donnent pas assez de visibilité, sauf
si la websérie a inspiré une série – à l’image d’« Osmosis ».

Avant de devenir une série que diffuse Netflix depuis le 29 mars, « Osmosis » était à l’origine une websérie créée par Audrey Fouché (photo) et produite par Arte Creative en 2015. L’histoire racontée par cette série part d’une application algorithmique qui garantit avec certitude de trouver l’âme soeur, grâce à un… implant avalé puis logé dans le cerveau. La marque Osmosis n’a pas été cédée à Netflix par la société de production Newen (filiale du groupe TF1) qui en est propriétaire, mais elle est louée en licence
de marque au géant mondiale de la SVOD pour lequel Newen a produit la série
« Osmosis » (1).

Webcréation, parent pauvre des festivals Netflix a acheté cette série pour le monde entier, avec des fenêtres de droits de diffusion sur plusieurs années. « Osmosis » est
la troisième production française financée par la firme de Reed Hastings, après
« Marseille » et « Plan Coeur ». Cette success story d’une websérie devenue l’une
des séries la plus en vue dans le monde entier (8 épisodes de 45 minutes) illustre la convergence de deux mondes de la création, a priori distincts. « Osmosis » a été sélectionné au festival Séries Mania (qui s’est tenu à Lille du 22 au 30 mars derniers). Pour autant, ne cherchez pas la websérie sur le site web d’Arte où elle était disponible via Arte.tv/osmosis ; elle n’est malheureusement plus disponible. Seul le premier épisode est resté disponible sur les sites webs d’AlloCiné (2) et de Vimeo (3), tandis que le sixième épisode est encore dans un coin d’Arte.tv (4). Ne cherchez pas non plus de webséries à Séries Mania ; elles n’ont pas le droit de cité dans la capitale des Hauts-de-France. Pas plus qu’elles n’intéresseront le festival CanneSéries qui se déroule sur la Croisette du 5 au 10 avril, parallèlement au MipTV. Quant au Festival de Cannes, dont la 72e édition se tiendra du 14 au 25 mai, il ne s’intéresse qu’aux oeuvres cinématographiques de long métrage et à condition qu’elles soient diffusées dans les salles de cinéma. En revanche, la 14e cérémonie des Globes de Cristal, qui a eu lieu
à Paris le 4 février dernier, a récompensé des personnalités dans les catégories cinéma, musique, art vivant, littérature, télévision et… webséries. Parmi ces dernières, « Loulou » (saison 2), créée par Marie Lelong et Alice Vial (Arte Créative/La Onda Productions), a reçu le trophée en tant que meilleure websérie. Une autre reconnaissance de la websérie est venue du Festival des créations télévisuelles de Luchon, qui s’est déroulé du 6 au 10 février : le Prix de la websérie attribué par le public est allé à « Jean 2 Mahj la série » (Shaolin Shadow, YouTube) réalisée par Michel Nogara ; le Prix de la websérie dans la compétition « web & digital » est allé à « F++K » (Kiwi Collectif Créatif) réalisée par Simon Dubreucq. Plus récemment, le 18 mars à Paris au Trianon, les 25e Prix de la Procirep ont été remis notamment – pour le Prix du producteur animation – à la société Doncvoilà Productions (Virginie Giachino, Joris Clerté) qui produit la saison 2 de la websérie « La petite mort » pour France Télévisions. La 8e édition du Marseille Web Fest, qui s’est tenue du 18 au 20 octobre derniers, a lui aussi fait honneur à une websérie, « Gimel », réalisée par Assaf Machnes et Miki Fromchenko et ayant obtenu le Prix de la meilleure réalisation et le Prix « Coup de cœur-Première ».
Ce même festival de la cité phocéenne a aussi décerné le Prix « Coup de Cœur-La Provence » à la websérie « Les Engagés », créée par Sullivan Le Postec, ainsi que le Prix de meilleure série SACD pour « Yasmina & Rim », réalisée par Antoine Desrosières, une websérie adaptée de son film « A genoux les gars » sorti en juin 2018 et présenté au Festival de Cannes 2018 dans la section « Un certain regard ». Comme quoi, si la websérie « Osmosis » a inspiré une série, un film peut aussi inspirer une websérie. Il y a deux ans, au Festival Séries Mania 2017, le Prix de « la meilleure série digitale » avait été décerné à la saison 1 de « Loulou », la websérie cofinancée par Arte Créative et La Onda Productions, laquelle avait également reçu en 2018 le Prix du public et une mention du jury (pour l’interprétation du casting) au Festival de Luchon.

Webséries, marchepied pour le long-métrage ?
« On ne se disait pas au départ qu’on allait le vendre à une chaîne : on était plus sur une histoire pour YouTube… Je ne connaissais pas du tout le digital, mais un monde
de liberté s’est ouvert à nous. C’est un peu une affaire familiale : mon cousin est le producteur de Loulou. Il venait de monter sa société de production lorsqu’il a eu le pitch par hasard – il était en coworking avec Alice Vial [auteure et co-créatrice de la websérie ndlr]. Ça lui a plu et il s’est lancé avec nous. On a fait une campagne de financement participatif et on a tourné 5 épisodes avec 15 000 euros… », a raconté en 2018 au CNC la comédienne Louise Massin, alias Loulou, l’une des trois créatrices de « Loulou » (avec Marie Lelong et Géraldine de Margerie). Elle n’excluait pas à terme un long métrage. Le CNC soutient la plupart des webséries mentionnées, notamment à travers son fonds d’aide aux créateurs vidéo sur Internet, baptisé « CNC Talent » et créé en octobre 2017.

Des aides financières tous azimuts
Ce fonds est dédié aux projets en première diffusion gratuite sur Internet et aide les créateurs vidéo sur Internet d’œuvres d’expression originale française de tous formats avec un travail de scénarisation, dont les webséries. « L’aide à la création est plafonnée à 30.000 euros et chiffrée à partir d’un devis fourni par le porteur de projet. Attention,
la proportion de l’apport d’aide publique ne pourra excéder 50 % du budget total prévisionnel, conformément à la règlementation européenne », précise le CNC. Parmi d’autres webséries aidées par le CNC, il y a « Une séance presque parfaite » lancée par le magazine Première en collaboration avec les Youtubeurs Axel Lattuada, Fabrice et Marc de Boni de la chaîne « Et tout le monde s’en fout ». Depuis le 13 février dernier et chaque deuxième mercredi du mois, le magazine sur le cinéma publie sur son site web un nouvel épisode consacré à la culture cinématographique. En complément du fonds « CNC Talent » et dans le prolongement de l’ancien « Fonds nouveaux médias », l’organisme du boulevard Raspail a lancé en octobre 2018 le Fonds d’aide aux expériences numériques – surnommé « Fonds XN ». D’emblée, ce nouveau fonds est doté de 3 millions d’euros et soutient des oeuvres audiovisuelles innovantes fondées sur une démarche de création interactive et/ou immersive telles que la réalité virtuelle, la réalité augmentée, les narrations interactives conçues pour le Web ou les écrans mobiles (5).
De leur côté, la SACD et France Télévisions ont lancé en 2016 le Fonds Web Séries afin de favoriser l’émergence de talents, d’écriture et de formats de webséries.
« Destiné aux nouveaux talents comme aux auteurs confirmés de web séries, ce fonds est une aide à l’écriture de séries courtes, feuilletonnantes, prioritairement imaginées pour une pratique en mobilité, tournées vers l’innovation dans sa pratique des formats, des styles et des genres de fiction. La copie privée est une source de financement capitale pour les auteurs », explique la SACD. L’an dernier, pour la 3e édition, 14 lauréats ont été désigné en mai comme « Alien Ura », de Marc Bruckert et Etienne Labroue, « La petite fille qui rêvait d’être un lama » de Pablo Pinasco, ou encore « Pop Voyance », de Marion Dupas. « Ce fonds Web Séries est une première. C’est la première fois que la SACD s’associe à un grand groupe de télévision pour favoriser l’émergence de nouvelles créations », précise encore la société de gestion collective des droits d’auteur. Mais la 4e édition de ce Fonds Web Séries ne semble pas au programme cette année. Par ailleurs, France Télévisions a aussi lancé début 2018 une offre numérique gratuite, baptisée France TV Slash (6), qui rassemble webséries, documentaires et reportages à destination des jeunes adultes jusque sur les réseaux sociaux et plateformes vidéo. On y trouve des webséries telles que « Les Haut-parleurs », « Human Postcards », « Selfiraniennes » ou encore « Putain de nanas ». Fin 2018, le groupe public de télévisions lançait en plus « Culture Prime », un média social culturel 100 % vidéo pour la génération « Millennials » (7). France Télévisions dispose aussi de Studio 4, une plateforme de nouvelles écritures, qui a produit par exemple
« Zérostérone », une websérie réalisée par Nadja Anane et produite par la société de production La Dame de Coeur (pour Studio 4). Ne disposant pas du système de compte automatique, cette websérie d’anticipation a bénéficié de l’aide sélective à la production audiovisuelle du CNC. A noter que la 7e édition des SMA Awards, organisée le 11 décembre dernier par NPA Conseil, a récompensé parmi les meilleures réalisations numériques de l’année 2018 la websérie documentaire « La Grande Explication » produite par l’Ina avec la productrice Amandine Collinet et l’auteureréalisatrice Flore-Anne d’Arcimoles. Les 10 épisodes de la saison 1 de cette websérie, qui revient en 5 minutes à chaque épisode sur les événements qui ont marqué l’Histoire, sont diffusés sur les plateformes digitales de FranceTV Education, TV5Monde, RTS archives et Ina.fr, ainsi que sur les réseaux sociaux de Facebook, Instagram, IGTV et YouTube. Une deuxième saison est prévue fin avril pour les révisions du baccalauréat 2019. L’apparition des premières webcréations remonte à 2009, il y a dix ans. Cela a commencé par des webdocs, ces premières écritures interactives du monde non-linéaire. Après avoir créé « Addicts », qui fut l’une des toute premières webfictions d’Arte, la scénariste et réalisatrice d’histoires interactives, Camille Duvelleroy, en réalisé depuis une quinzaine d’oeuvres (bandes-dessinée, contes interactifs, documentaires mobiles, webfictions, …).

Des webséries pour les plateformes mobile
Aujourd’hui, les nouvelles plateformes vidéo pour mobiles commencent à miser sur des webséries. L’an dernier, l’une d’entre elles, Blackpills (fondée il y a près de deux ans avec le soutien de Xavier Niel, patron de Free) a financé et diffusé « The Show », du réalisateur Jan Kounen. Cette websérie tourne en dérision les GAFA et met en garde contre leur emprise sur la vie privée. Mais Blackpills, à l’instar de Brut et de Loopsider, mise encore essentiellement sur les vidéos – plus facilement monétisables par la publicité (8). Les webséries mériteraient une plateforme dédiée. @

Charles de Laubier

Moteurs de recherche : Qwant a-t-il les moyens de ses ambitions européennes face à Google ?

Start-up française financée par la Caisse des dépôts (CDC) et start-up franco-allemande (avec Axel Springer à son capital) financée par la Banque européenne d’investissement (BEI), Qwant manque de fonds pour poursuivre son développement – avec son partenaire… Microsoft.

Passée la campagne médiatique orchestrée lors de l’inauguration des nouveaux locaux parisiens de Qwant le 14 juin dernier, avec la visite du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, place aux interrogations sur les ambitions affichées de ce moteur de recherche français à concurrencer Google en Europe. Fêtant ses cinq ans cette année, la société cofondée par Eric Léandri (photo), son actuel président (1), a-t-elle les moyens – notamment financiers – de ses ambitions ? On peut en douter au regard de son capital social qui est seulement de… 27.714,92 euros.

Une prochaine grosse levée de fonds
En cinq ans, Qwant – contraction de « Quantity » et «Want » – a levé près
de 50 millions d’euros – dont 25 millions d’euros auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI) en en octobre 2015 et 15 millions d’euros auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) en janvier 2017, près de 5 millions d’euros auprès du groupe de médias allemand Axel Springer, son actionnaire historique depuis juin 2014. Mais cela ne suffit pas pour prétendre concurrencer Google en Europe. La direction de Qwant n’exclut donc pas une nouvelle levée de fonds qui pourrait porter cette fois sur 100 à 200 millions d’euros, d’après l’agence Reuters. Autrement dit, le moteur de recherche d’origine française pourrait passer à la vitesse supérieure, notamment avec une « V4 » en vue, et avoir les coudées franches pour grignoter des parts de marché à Google.
Pour l’heure, outre Eric Léandri qui garde la majorité des droits de vote
au sein de Qwant SAS (2), les deux principaux actionnaires sont la CDC à hauteur de 20 % et le groupe de médias allemand Axel Springer à 18,4 % depuis son entrée au capital en juin 2014. En lui accordant son prêt convertible en actions, la Banque européenne d’investissement (BEI) a voulu « permettre à cette start-up franco-allemande [de par la présence d’Axel Springer au capital, ndlr] d’étendre son offre en Europe et ainsi développer un moteur de recherche hautement performant, respectueux
de la vie privée de ses utilisateurs comme de la neutralité des résultats de recherche ». L’annonce de ce financement européen (3) avait d’ailleurs été faite lors de la grande conférence numérique franco-allemande qui a eu lieu le 28 octobre 2015 à l’Elysée, en présence de… Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique. Pour son lancement il y a cinq ans, le 4 juillet 2013, Qwant avait bénéficié d’un financement de départ de 2,8 millions d’euros. Ces fonds, bien que modestes, lui ont permis de recruter et d’ouvrir de nouveaux locaux à Paris. Qwant est passé en cinq ans d’une vingtaine de personnes à 160 personnes, dont une vingtaine d’ingénieurs au sein de l’entité Qwant Research dirigée par David Scravaglieri, avec une dernière recrue de taille : Tristan Nitot, ancien de Mozilla Europe, en tant que « vice-président advocacy » pour promouvoir le moteur de recherche européen auprès des utilisateurs et développeurs. Cette croissance interne (avec présence en Allemagne, Italie, et Espagne) ainsi que les investissements dans de multiples services – ceux déjà lancés (Quant Music, Qwant Junior, Qwant Sports, Qwant Games, Qwant Mobile, …) ou ceux attendus en septembre (Qwant Mail, Qwant Maps, Qwant Pay, Qwant Med & Surgery, Qwant Sécurité civile, …), ainsi que Qwant Masq (gestionnaire de données personnelles stockées sur le terminal de l’utilisateur) – ont eu raison de la trésorerie disponible. Sans parler de l’achat de nouveaux serveurs pour faire face à l’afflux des utilisateurs et à la suite d’une panne momentanée des équipements existants. Résultat : les comptes de l’entreprise sont déficitaires cette année, pour un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros en 2017. Eric Léandri a expliqué mi-juin que Qwant visait les 10 millions de chiffre d’affaires cette année, puis les 30 millions d’euros l’an prochain avec un retour promis à l’équilibre financier. Ses revenus proviennent essentiellement de la publicité faite sur les résultats des recherches, en partenariat avec Microsoft et ses « annonces » via son propre moteur de recherche Bing. Seuls les mots-clés indiqués par les utilisateurs sont pris en compte pour les publicités en correspondance : pas de publicité ciblée ni de cookies. «Un utilisateur rapporte 60 euros par an à Google. Nous, c’est 12 euros », a indiqué Eric Léandri.

Partenariat avec l’américain Microsoft
Car Qwant a beau être « made in France » et « French Tech », voire franco-allemand aux yeux de la BEI, il n’en a pas moins pour partenaire majeur l’américain Microsoft, non seulement en s’appuyant sur le système publicitaire de Bing mais aussi pour l’indexation du Web. « Certaines parties du Web ne sont pas encore parfaitement indexées. Dans l’attente, notre partenariat avec Microsoft Bing nous permet de compléter nos résultats », reconnaît la start-up parisienne. @

Charles de Laubier

L’intelligence artificielle devient une affaire d’Etat

En fait. Le 29 mars, le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé que la France allait consacrer à l’intelligence artificielle (IA) 1,5 milliard d’euros d’ici à 2022 (la fin de son quinquennat). Le 28 mars, le rapport du député (LREM) Cédric Villani sur l’IA a été publié. Il souligne le retard de l’Europe.

En clair. L’Etat français devient un peu plus « technocratique ». C’est tout juste s’il ne ferait pas de l’intelligence artificielle (IA) une cause nationale. Dans son discours au Collège de France (1), le 29 mars, le chef de l’Etat a fait part de sa décision de constituer « un hub de recherche au meilleur niveau mondial en IA, grâce à la mise
en place d’un programme national », afin de faire de la France « l’un des leaders » dans ce domaine assez conceptuel et complexe. Pour financer cette ambition, Emmanuel Macron débloque des « crédits publics » à hauteur de 1,5 milliard d’euros sur cinq ans (2018-2022). Une bonne partie proviendra du Fonds pour l’innovation de rupture, constitué en janvier dernier au sein de l’établissement public Bpifrance et doté, lui, de 10 milliards d’euros issus de ventes d’actifs Engie et Renault effectuées au second semestre 2017 (pour 1,6 milliard d’euros) et de titres EDF et Thales (8,4 milliards d’euros). Ce fonds a déjà prévu d’allouer 70 millions d’euros par an à des
start-up de la « deep tech » : deep learning, deep mining, et bien sûr le deep AI. A
ne pas confondre avec le « Deep Web » ou le « Dark Net », qui constituent la face cachée du réseau où se mêlent bonnes intentions et malversations (2). Pour le financement de start-up spécialisées dans l’IA, 100 millions d’euros leur seront consacrés dans les prochains mois. A part le fonds de Bpifrance, d’autres sources publiques seront mis à contribution telles que le Plan d’investissement dans les compétences, et le Fonds pour la transformation de l’action publique. Il s’agit aussi d’endiguer la fuite des cerveaux, la France étant reconnues pour ses mathématiciens
et ses informaticiens.
Mais ces 1,5 milliard d’euros de « crédits publics » restent somme toute très modestes par rapport, par exemple, aux 22 milliards de dollars que la Chine a prévu d’investir d’ici 2020 dans l’IA. Les Etats-Unis, eux, sont à la pointe avec les GAFAM qui ont fait de l’IA leur fonds de commerce. Mais Emmanuel Macron table sur l’engouement qu’il espèce susciter en France, malgré le retard de l’Hexagone et celui de l’Europe (3), en attirant les investissements d’entreprises privées pour développer ce qu’il appelle
« l’écosystème IA » : ont déjà répondu à l’appel Samsung (centre de recherche IA), Fujitsu (idem), Microsoft (formation), Google (chaire), IBM (recrutements), et DeepMind, filiale d’Alphabet (laboratoire). @

Opérateurs télécoms et plateformes vidéo fustigent les taxes pour financer l’audiovisuel et le cinéma

Opérateurs télécoms et acteurs du Net sont vent debout contre les politiques qui tentent de les faire payer plus pour financer respectivement l’audiovisuel public (hausse de taux) et le cinéma (nouvelle taxe). Les deux mesures ont été rejetées lors des débats en cours sur le projet de loi de Finances 2017.

Les opérateurs télécoms et les plateformes vidéo ne seraient-ils pas devenus les vaches à lait des industries audiovisuelles et cinématographiques ? C’est à se le demander au vu des taxes qui ont été proposées dans le cadre du projet de loi de Finances 2017, lequel est débattu à l’Assemblée national jusqu’au 4 novembre.

Taxe « YouTube » et taxe « Copé »
Pour les plateformes vidéo, « qu’elles soient établies en France ou hors de France », la commission des Finances de l’Assemblée nationale avait adopté le 12 octobre dernier une « taxe YouTube » de 2 % sur les revenus publicitaires et de vidéo la demande (VOD) de ces acteurs du Net. La taxe était même portée à 10 % pour les œuvres pornographique ou incitant à la violence. Le CNC (1), dont la présidente Frédérique Bredin milite depuis longtemps pour cette taxe (2), devait recevoir 70 millions d’euros de cette taxe, le restant allant au budget de l’Etat. Pour les opérateurs télécoms, la même commission des finances avait décidé d’augmenter la taxe « Copé » prélevée sur leur chiffre d’affaires pour financer l’audiovisuel public, passant ainsi de 1,3 % à
1,4 % pour rapporter l’an prochain environ 355 millions d’euros (contre 320 millions en 2016). Cette taxe, surnommée aussi TOCE (3), a été instaurée en mars 2009, d’abord de 0,9 %, puis de 1,2 % en 2015 et 1,3 % en 2016, afin de financer France Télévisions après la suppression de la publicité en soirée. Accroître ce taux évitait d’augmenter la redevance audiovisuelle de 2 euros de la redevance audiovisuel en limitant cette hausse à 1 euro.
Mais le 21 octobre, la création de la « taxe YouTube » et la hausse de la « taxe Copé » ont été respectivement rejetée et refusée par les députés lors des débats. Seul l’adoption d’un amendement du gouvernement prévoit d’augmenter de 25,5 millions d’euros le plafond de la TOCE – donc inchangée au niveau de l’assiette – affectée à France Télévisions.
Avant d’en arriver là, les réactions des intéressés ne s’étaient pas faites attendre, via leur organisation professionnelle respective. La Fédération française des télécoms (FFTélécoms), qui regroupe Orange, SFR, Bouygues Telecom et dix autres, auxquels s’était associé ponctuellement Free (Iliad n’étant toujours pas adhérent…), avait fait
part dès le 14 octobre de leur « grand inquiétude » à propos de la « nouvelle hausse
de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (…) pour financer France Télévisions au détriment des priorités fixées par le gouvernement en matière d’aménagement numérique des territoires ». Pour les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), il fallait choisir entre les taxer pour financer l’audiovisuel public et les inciter à déployer le très haut débit en France. « Cet effort supplémentaire de plusieurs dizaines de millions d’euros se rajoute aux 1,8 milliard d’euros qui auront été acquittés par les opérateurs depuis la création de cette taxe [TOCE] en 2009 jusqu’à cette année, montant cumulé qui représente l’équivalent de 3,8 millions de prises en fibre optique
ou d’environ 18.000 installations d’antennes 4G », a calculé la FFTélécom, présidée
par Régis Turrini, directeur des affaires réglementaires du groupe Altice et secrétaire général de SFR (4).
L’Association des services Internet communautaires (Asic), dont sont membres Google (et sa filiale YouTube), Dailymotion (Vivendi), PriceMinister (Rakuten), AOL et Yahoo (tous les deux détenus par Verizon), ainsi que Facebook, Deezer (Access Industries), Microsoft ou encore Allociné (Fimalac), s’était pour sa part dite « inquiète du retour, chaque année depuis neuf ans à la même époque, au moment de l’examen du projet de loi de Finances, de propositions tendant à mettre en oeuvre une taxation spécifique pour Internet ».

Financer des films pour la salle ou le Net ?
L’Asic, présidée par Giuseppe de Martino, par ailleurs directeur général délégué de Dailymotion, s’était en outre interrogée le 12 octobre sur la cohérence de cette volonté politique de mettre en oeuvre une nouvelle taxation des plateformes d’hébergement de vidéos au regard de la chronologie des médias : « Taxer les revenus des créateurs sur les plateformes de partage de vidéos au profit de l’industrie cinématographique soulève de nombreuses interrogations. D’une part, elle va vraisemblablement consister à demander à la jeune création, aux auteurs naissants d’abonder le CNC et ainsi financer les prochains films français qui sortiront, d’abord et en exclusivité au cinéma ». Les acteurs du Net préféraient que soient plutôt mis en place des mécanismes incitant l’industrie du 7e Art à exploiter ses films – et à « ne pas les laisser dormir sur des étagères » – en profitant de la puissance des différentes plateformes vidéo pour toucher un nouveau public. Face aux opérateurs télécoms et aux acteurs Internet,
les industries culturelles et leurs ayants droits s’étaient frottées les mains, tout en applaudissant ces deux taxes… avant de déchanter.

Les industries culturelles ont exulté
Avant que la « taxe YouTube » ne soit finalement rejetée, l’Union des producteurs
de cinéma (UPC), qui revendique être « le premier syndicat de producteurs cinématographiques en Europe » avec près de 200 producteurs de films membres, avait « remercié » le 14 octobre les députés d’avoir instauré la taxe de 2 % sur les plateformes vidéo pour, selon eux, « réparer une inéquité de régulation aboutissant à ce que ces opérateurs ne contribuent pas au financement des œuvres qu’ils mettent ainsi à disposition, contrairement aux autres diffuseurs de telles œuvres [tels que France Télévision ou Canal+, ndlr] ». La Société des réalisateurs de films (SRF) s’était elle aussi « réjoui[e] de l’adoption en commission des finances d’un amendement visant à créer une taxe sur les revenus notamment publicitaires ou de parrainage des plateformes vidéo sur Internet, de YouTube à Netflix », tout en se félicitant alors de
« ce premier pas fondamental pour enrayer la spirale de l’évasion fiscale des géants du Web ». Quant à l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA) et au Syndicat des producteurs de films d’animation (SPFA), ils avaient ensemble fait part le même jour de « leur profonde satisfaction » concernant la « taxe YouTube » qui « renforce
le cercle vertueux par lequel tout opérateur qui tire profit de la mise à disposition des œuvres audiovisuelles et cinématographiques doit contribuer au financement de la création à venir ». Les deux organisations s’étaient félicitées que cette taxe de 2 % soit étendue à l’ensemble des modes de consommation en ligne des films et des séries, après la taxe sur les services de VOD payante à l’acte et de SVOD établis en France
et celle – en cours de validation par la Commission européenne – visant les services équivalents installées hors de France (voir encadré ci-dessous). La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), forte de plus de 58.500 auteurs associés, s’était également « réjoui[e] » de l’adoption de cette taxe de 2 % qui, à ses yeux, faisait coup double. « Ce dispositif est un instrument utile et adéquat pour lutter contre l’optimisation fiscale des géants de l’Internet et pour moderniser le financement de la création audiovisuelle et cinématographique ». C’est en outre, pour la société de gestion collective des droits, une mesure qui permettait d’étendre aux plateformes vidéo en ligne la taxe de 2 % qui existait déjà depuis 1992 sur les ventes physiques de vidéo
(K7 vidéo, puis DVD/Blu-ray) et depuis 2013 sur la VOD. De son côté, la Société civile des auteurs multimédias (Scam) – qui gère les droits de plus de 38.100 ayants droits associés – avait aussi salué cette « taxe YouTube » comme « une décision positive »
et « une question d’équité ». Et d’ajouter alors : « Les revenus des plateformes gratuites proviennent de la publicité dont le montant est valorisé pour une large part par les œuvres audiovisuelles. A l’instar des chaînes de télévision et des opérateurs ADSL, il est logique qu’elles soient soumises au même régime fiscal et contribuent au financement de la création via le CNC ».

25,5 M€ en plus pour France Télévisions
Dans un second communiqué, la Scam avait tenu à faire part de sa « stupéfaction » quant à la limitation de la hausse de la redevance audiovisuelle à 1 euro (au lieu de
2 euros initialement prévus) contre une augmentation de la « taxe Copé » à 1,4 % :
« L’augmentation de 0,1 % de la taxe sur les opérateurs télécoms votée dans la foulée pour tâcher de préserver l’équilibre financier du COM [Contrat d’objectifs et de moyens de France Télévisions, ndlr] ne saurait pour autant assurer sa stabilité dans la durée. Les recettes de cette taxe ne sont pas affectées intégralement au financement de l’audiovisuel public ». La société civile des Auteurs- Réalisateurs-Producteurs (ARP) s’est félicitée le 22 octobre des 25,5 millions d’euros supplémentaires accordés à France Télévisions. @

Charles de Laubier

ZOOM

Les taxes « vidéo » de la France sous l’œil de Bruxelles
La « taxe YouTube » actuellement débattue au Parlement français devra, pour être adoptée définitivement, être notifiée à la Commission européenne. Cette dernière avait déjà été saisie d’une précédente taxe : celle concernant les services de VOD et SVOD installés en dehors de l’Hexagone. Lors des Rencontres cinématographiques de Dijon (RCD), Anna Herold, en charge du droit d’auteur et des plateformes auprès du commissaire européen « Economie numérique » Günther Oettinger, a indiqué que ce décret « anti-contournement » (5) serait finalement validé. Il aura fallu attendre deux ans, depuis que la loi de Finances rectificatif pour 2013 a en effet prévu l’extension de la « taxe vidéo » de 2% aux opérateurs de (S)VOD tels Netflix, iTunes ou bientôt Amazon Prime Video qui opèrent d’un autre pays européen. Si le premier décret dit
« SMAd » de novembre 2010 avait été validé (6), il n’en a pas été de même pour ce seconde décret « SMAd » de décembre 2010. Bruxelles avait envoyé à la France un courrier daté du 28 janvier 2013 pour lui signifier qu’elle ne cautionnait pas ce second décret qui n’a jamais été appliqué à ce jour ! @