Les applis mobiles ne sont plus la chasse gardée des jeux, mais leur monétisation reste encore aléatoire

Le chiffre d’affaires mondial des « appli mobiles » va croître de 22 % en moyenne par an, de 69,7 milliards de dollars en 2015 à 188,9 milliards en 2020, selon la société de conseil App Annie. Mais derrière cet eldorado des apps, concurrentes du Web, très peu d’éditeurs tirent leur épingle du jeu.

Si vous n’êtes pas un éditeur de jeu vidéo, vous avez peu de chance aujourd’hui de faire du chiffre d’affaires avec votre application mobile. Il ressort en effet de l’étude d’App Annie, que les jeux représentent encore la majeure partie du chiffre d’affaires généré par les « applis » dans le monde : 66 % des 69,7 milliards de dollars de revenus en 2015, soit 46 milliards de dollars (1). Difficile donc dans le monde impitoyable des applis mobiles de tirer son épingle du… jeu. C’est une question de « monétisation ».

Les jeux fremium en tête
La principale porte d’entrée des « apps » se trouve dans le fremium qui, comme son nom l’indique (free pour gratuit et premium pour prime), consiste à attirer les mobinautes vers la version gratuite de l’application avant de lui proposer de payer une version moins limitée (en niveaux, en bande passante, en durée d’utilisation, en espace de stockage, …) ou bien des options à régler dans l’application elle-même (in-app).

Le succès planétaire de Pokémon Go illustre bien la stratégie du fremium, qui, dans
le jeu vidéo, s’est commué en free-to-play. D’après la société d’analyses AppsFlyer, environ 5 % des utilisateurs de ces jeux freeto- play font des achats dans l’appli (in-app) pour une dépense de près de 10 dollars par mois en moyenne. Les détenteurs de terminaux sous iOS d’Apple sont même plus dépensiers avec plus de 15 dollars par mois en moyenne, tandis que ceux sous Android de Google sont plus économes avec
à peine plus de 7 dollars par mois. Bien que les petits ruisseaux fassent les grandes rivières, ces petites dépenses in-app ne suffiront pas seules à Niantic, l’éditeur de Pokémon Go, pour franchir cette année la barre du 1 milliard de dollars de recettes. Pour y parvenir, l’entreprise de John Hanke table aussi sur les lieux sponsorisés que des annonceurs et/ou des commerçants proposent aux chasseurs de Pokémon avec l’espoir que ces derniers deviennent clients (2). S’inscrivent en tête de cette stratégie payante du freemium : l’éditeur japonais Mixi, dont le studio XFlag a développé
« Monster Strike », l’éditeur finlandais Supercell qui a développé « Clash of Clans » (Softbank a revendu en juin dernier sa participation de 73,2 % à Tencent), et l’éditeur américain Machine Zone (MZ) qui édite « Game of War – Fire Age ». Les bonus tels que les speed-ups (gagner du temps ou des niveaux), les objets virtuels (outils, armes, ou atouts) et les upgrades (versions améliorées) mettent du beurre dans les épinards des jeux mobiles.
Si la publicité intégrée dans les applis constitue la première source de revenu en 2015 (40 milliards de dollars environ) et devrait le rester d’ici à 2020 (110 milliards), les prévisions d’App Annie montrent que le freemium va renforcer sa seconde position entre 2015 (20 milliards de dollars) et 2020 (60 milliards). En revanche, les modèles d’applications payantes – téléchargeables moyennant paiement mais sans achats intégrés (comme « Grand Theft Auto: San Andreas », « Facetune » et « Terraria »)
–  ou « paidmium » – comprenez téléchargeables moyennant aussi paiement mais cette fois avec achats intégrés (comme « Minecraft Pocket Edition », « Minecraft: Story Mode » et « Ghost Blows Out the Light 3D ») – resteront très minoritaires sur le marché mondial des apps. Ensemble, le téléchargement payant et le paidmium progresseront moins vite que la publicité et le freemium : leur total de chiffre d’affaires qui était d’à peine 5 milliards de dollars en 2015 ne dépassera pas les 10 milliards en 2020. Bien que ce montant ne soit pas négligeable, cela reste très peu.

Montée des abonnements
Pour les achats intégrés (in-app) , les formules d’abonnements font de plus en plus recette et représentent aujourd’hui environ 15 % du chiffre d’affaires généré sur les app stores. « Différentes catégories sont concernées, notamment le streaming musical (Spotify et Pandora Radio), le streaming vidéo (Netflix et HBO Now) et la rencontre (Tinder). Apple et Google ont opéré des changements en juin 2016 qui devraient stimuler davantage les abonnements. L’App Store Apple et Google Play ont augmenté la part de chiffre d’affaires reversée aux éditeurs pour les abonnements, qui sont désormais ouverts à toutes les catégories d’apps sur iOS, y compris les jeux »,
précise l’étude, en constatant que le succès rapide des abonnements tient en partie à leur adéquation avec certaines catégories et approches freemium (NYTimes, Netflix, Spotify, …).
De son côté, le cabinet d’étude Gartner a constaté que les transactions in-app généraient 24 % de dépenses en plus par rapport aux applications au téléchargement payant.

iOS dépense plus qu’Android
Selon cette enquête publiée en mai dernier, il ressort que les mobinautes déboursent en moyenne 9,20 dollars par trimestre dans des transactions in-app, contre 7,40 dollars dans le « paid-for apps ». « Cela confirme qu’une fois les utilisateurs ont confiance en l’application mobile pour leur apporter de la valeur ajoutée sans avoir à payer préalablement, alors ils trouvent plus facile de dépenser in-app », commente Stéphanie Baghdassarian, directrice de recherche de Gartner en France. En revanche, la publicité intégrée dans les applis n’a pas prouvé qu’elle apportait de la valeur ajouté à l’utilisateur : seulement 20 % des personnes interrogées par Gartner déclarent cliquer souvent sur des publicités contenues dans les apps ; elles sont surtout près de 66 %
à dire qu’elles ne cliquent pas sur ces publicités.
Les applications mobiles étaient jusqu’à récemment la chasse gardée des éditeurs
de jeux vidéo, lorsque ce n’était pas des médias et des industries du divertissement. Les autres acteurs, notamment les entreprises de différents secteurs professionnels (banques, services, administrations, …), ont encore du mal à se convertir au mobile. Selon App Annie, la part des éditeurs d’apps « hors-jeux » devrait augmenter significativement dans le chiffre d’affaires total des applis mobiles dans le monde,
pour passer de 34 % en 2015 (24 milliards de dollars) à 45% en 2020 (85 milliards
de dollars).
Au total, App Annie prévoit une croissance de 270 % du chiffre d’affaires net généré par les applications mobiles dans le monde en cinq ans. Avec un rythme moyen annuel de 22 %, ce marché passera de 69,7 milliards de dollars en 2015 à 188,9 milliards en 2020. « Cette croissance est due à deux facteurs : d’une part, la forte hausse du temps passé dans les apps, les utilisateurs ayant doublé leur temps d’utilisation au cours des deux dernières années, et, d’autre part, le doublement du nombre d’utilisateurs de smartphones et de tablettes dans le monde, qui devrait s’élever à 6,2 milliards en
2020 », explique l’étude d’App Annie. Les applis devraient en outre profiter du fait que le Web est, depuis octobre dernier selon StatCounter, désormais plus consulté à partir de terminaux mobiles que des ordinateurs. C’est une première mondiale.
En termes de durée d’utilisation des applis, la croissance est exponentielle : les mobinautes passent plus de temps sur les apps de communication, suivies des
réseaux sociaux, des jeux, et des médias/vidéo. Les catégories médias et vidéo sont même en passe de surpasser les jeux en temps passé. Mais d’autres secteurs d’activité s’approprient à leur tour les applis, comme le transport et le commerce, dont le temps passé explose (bien que partant de très bas). « Les marchés matures comme les Etats-Unis et le Japon sont en pleine transition, passant d’une phase de croissance des téléchargements à une phase d’utilisation accrue et de développement du chiffre d’affaires des apps », indique App Annie. Sans surprise, l’écosystème d’Apple (iOS) génère le plus de chiffre d’affaires en 2015 (41 milliards de dollars) et devrait conserver cette première place d’ici à 2020 (99,3 milliards). Cette prédominance de la marque à la pomme s’explique non seulement pas le fait que iOS est reste bien positionné sur les marchés matures, notamment aux Etats-Unis et en Europe, mais aussi parce que sa clientèle est plus « aisée » financièrement. Quant à Android (Google Play et app stores Android tierces), il arrive en seconde position des écosystèmes mais croît plus vite que iOS grâce à une présence sur les marchés matures et émergents.
Et encore, l’« app économie » est sous-estimée dans la mesure où beaucoup de transactions financières se font en dehors de l’appli. C’est le cas par exemple du m-commerce initié par une appli mais finalisé à l’extérieur. Exemples : eBay ou Uber. Les apps peuvent aussi apporter de la valeur ajoutée à un service existant en dehors de l’app économie, contribuer à accroître la notoriété des marques, fidéliser les clients, réduire les coûts ou encore améliorer le parcours client. L’impact économique des apps dépasse largement leurs frontières numériques, et les wearables (vêtements et montres connectés) ainsi que les objets connectés (dans tous les domaines) sont en passe d’étendre le domaine des applis.La rançon de la gloire des applis est l’hyper-compétitivité de ce marché très privé qui rivalise avec le Web ouvert. « The Web is dead » (3), lançait déjà le magazine Wired en 2010. Six ans plus tard, le World Wide Web vit toujours mais la vague des applis propriétaires et la désormais prédominance des terminaux mobiles sont en passe de le reléguer au second plan.

Jusqu’à l’« app-surdité »
Cet engouement pour les applis peut parfois tourner à l’« app-surdité », comme a cherché à l’illustrer l’organisme norvégien de protection des consommateurs en dénonçant les 32 heures qu’il lui a fallu pour lire sans discontinuité les conditions générales d’utilisation (les fameuses CGU) de seulement 33 applications mobile (4). Résultat : 31 heures 49 minutes et 11 secondes ont été nécessaires ! Si le nombre des applis dépasse 1,5 million dans le monde, l’institut de mesure d’audience ComScore avait démontré que les mobinautes n’en privilégient que quelques-unes et le taux d’abandon reste très élevé. @

Charles de Laubier

Donald Trump, élu 45e président des Etats-Unis, pourrait remettre Internet sous tutelle américaine

Le candidat Républicain à l’élection présidentielle américaine s’était opposé à la fin de la tutelle des Etats- Unis sur l’Icann, l’organisme de gestion mondiale de l’Internet. Elu le 9 novembre dernier 45e président des Etats-Unis, Donald Trump pourrait dénoncer la nouvelle gouvernance en place depuis le 1er octobre.

« Les Etats-Unis ne devraient pas remettre le contrôle de l’Internet aux Nations Unies et à la communauté internationale. Les Etats-Unis ont créé, développé et déployé l’Internet libre et ouvert sans censure gouvernementale – une valeur fondamentale enracinée dans l’amendement sur la liberté d’expression de notre Constitution. La liberté d’Internet est maintenant en danger avec l’intention du président [Barack Obama, en fonction jusqu’en janvier 2017, ndlr] de céder le contrôle à des intérêts internationaux, parmi lesquels des pays comme la Chine et la Russie, qui ont de nombreux antécédents dans la tentative d’imposer une censure en ligne. Le Congrès [composé aux Etats-Unis du Sénat et de la Chambre des représentants, ndlr] doit agir, ou la liberté d’Internet sera perdue pour de bon, dans la mesure où il n’y aura plus aucune façon de le rendre grand de nouveau une fois qu’il sera perdu ». C’est ainsi que Donald Trump s’est dit farouchement opposé au plan de Barack Obama de, selon son successeur, « livrer le contrôle américain d’Internet à des puissances étrangères ». Ces propos ont été rapportés le 21 septembre dernier par
son porte-parole Stephen Miller, directeur politique de sa campagne et auteur de nombre de ses discours. Mais depuis que Donald Trump a été élu le 9 novembre président des Etats-Unis, le communiqué faisant état de son opposition à la fin de
la tutelle américaine sur le Net a été supprimé du site web Donaldjtrump.com, mais Google en avait gardé une trace que Edition Multimédi@ a retrouvée (1)…

Internet s’est émancipé le 1er octobre 2016 des Etats-Unis
Son adversaire, la candidate Démocrate Hillary Clinton – battue au finish contre tous les pronostics, les sondages et la plupart des médias – s’était, elle, prononcée en faveur de cette émancipation de l’Internet. Une fois en fonction à la Maison Blanche,
à partir du 20 janvier 2017, Donald Trump pourrait tenter de remettre en cause la fin
du contrat qui est intervenu le 1er octobre dernier entre l’Icann (2) , l’organisation chargée de l’attribution des noms de domaine sur Internet, et le Département américain du Commerce (DoC), via son agence NTIA (3). Surtout que les Républicains qui ont porté Donald Trump au pouvoir conservent dans la foulée le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat. Cette majorité parlementaire sur laquelle il pourra s’appuyer au Congrès sera un atout maître pour le nouveau président des Etats-Unis.

La Silicon Valley hostile à Trump
Cette émancipation de l’Icann de l’emprise américaine pour une gouvernance de l’Internet plus mondiale fut l’aboutissement d’un processus engagé et accepté par Washington en 2014. C’est sous la pression internationale que l’administration américaine s’est résolue à passer le flambeau. La fin de la tutelle américaine avait d’ailleurs été précipitées par l’affaire Snowden – du nom de l’ancien collaborateur informatique de la CIA et de la NSA qui a révélé mi-2013 l’espionnage mondial
pratiqué illégalement par les États-Unis. Née en 1998, l’Icann – société privée de droit californien, sans but lucratif et reconnue d’utilité publique – vient ainsi de couper le cordon ombilical avec les Etats-Unis pour devenir depuis le 1er octobre dernier une organisation indépendante et à gouvernance multilatérale – comprenez mondiale.

Son rôle est vital pour l’Internet car c’est elle qui supervise l’allocation et le maintien
des codes et systèmes de numérotation uniques de l’Internet tels que les racines des noms de domaine et les adresses IP – fonctions historiques qu’assurait l’Iana (4), département de l’Icann en vertu d’un contrat avec le DoC qui est arrivé à échéance le 20 septembre dernier. Le transfert aurait dû initialement intervenir au 30 septembre 2015, mais les résistances parlementaires ont été fortes au Congrès américain.
« La transition ne consiste pas pour le gouvernement américain à remettre Internet
à n’importe quel pays, entreprise ou groupe. La vérité est que personne, y compris
les Etats- Unis, n’a “un contrôle d’Internet” à remettre. La communauté des parties prenantes, qui a parfaitement coordonné depuis le début les systèmes de noms de domaine et d’adressage d’Internet, continuera à le faire ainsi », a tenu à mettre au
point l’Icann dirigée depuis le mois de mai par le Suédois Göran Marby qui a succédé à l’Egypto-libano-américain Fadi Chehadé au poste de PDG de l’organisation désormais indépendante (5).
Il s’agit aussi d’assurer la continuité avec Verisign, la une autre société privée américaine, basée à Reston dans l’État de Virginie, chargée de diffuser sur les treize serveurs dits « racines » du Net présents dans le monde toutes les modifications et mises à jour de la « zone racine » : le coeur du Net pour que le Web fonctionne. Paradoxalement, malgré sa position pour un « Internet libre » sous l’emprise – ou l’empire – des Etats-Unis, le milliardaire Donald Trump n’a jamais été en odeur de sainteté dans la Silicon Valley, pourtant fief de l’Icann et des GAFA. Il faut dire qu’en marge de ses propositions pour revoir de fond en comble la cybersécurité du pays,
via une « Cyber Review Team » à mettre en place (oubliant au passage son appel
cet été aux hackers russes pour retrouver les e-mails perdus d’Hillary Clinton…), le candidat Républicain est allé jusqu’à proposer de « fermer une partie d’Internet pour des raisons de sécurité » !
A part quelques critiques envers des entreprises hightech emblématiques – Apple pour fabriquer ses appareils à l’étranger (6), AT&T-Time Warner comme « une trop grande concentration de pouvoir dans trop peu de mains » (7), et Amazon à propos du niveau de ses impôts –, Donald Trump n’a pas vraiment mis le numérique au coeur de son programme présidentiel. Cette lacune et par ailleurs son racisme lui ont valu l’hostilité de ténors de la Silicon Valley tels que les (co)fondateurs d’Apple, Facebook, Twitter, Wikipedia, eBay et Flickr (respectivement Steve Wozniak, Dustin Moskovitz, Evan Williams, Jimmy Wales, Pierre Omidyar et Caterina Fake), parmi 150 chefs d’entreprises high-tech qui ont signé l’été dernier une lettre ouverte pour mettre en garde l’Amérique : « Trump serait un désastre pour l’innovation » (8).
William Kennard, ancien président de la FCC, et Tim Wu, professeur de droit à la Columbia University qui a théorisé le principe de neutralité du Net (Trump a critiqué ce principe en 2014), sont aussi signataires. D’autres, comme Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, et Jeff Bezos, le fondateur PDG d’Amazon et propriétaire du Washington Post, se sont déclarés contre Trump. Cela n’a pas empêché Google ou Facebook
de financer la campagne du magnat de l’immobilier… Finalement, l’ultralibéral
« libertarien » tendance anarchiste de droite Peter Thiel, milliardaire cofondateur de PayPal et investisseur de la première heure dans Facebook (dont il est membre du conseil d’administration), fut quasiment le seul dans la Silicon Valley pro-Démocrate
à se féliciter de la victoire de Donald Trump, candidat qu’il a soutenu publiquement.

Le ticket gagnant de Peter Thiel
Le 31 octobre, devant le National Press Club, Peter Thiel a même dénoncé
« l’aveuglement » de la Silicon Valley quant à la situation réelle de l’Amérique.
Dans une interview dans Le Monde daté du 27 février dernier, il déclarait, à propos de
« grande stagnation » de l’économie : « Il faut trouver une solution, sinon les réponses seront apportées par des personnes comme la présidente du Front national, Marine Le Pen, ou par le candidat à l’investiture républicaine aux Etats-Unis, Donald Trump ». Dont acte. @

Charles de Laubier

Plateformes collaboratives : à la recherche d’un développement équilibré et durable

Le modèle disruptif des plateformes collaboratives recherche son modèle de régulation. Plusieurs Etats européens, dont la France, ont pris des mesures encadrant le développement de ces plateformes collaboratives. Les préoccupations sont fortes sur les droits et les obligations de ces acteurs.

Par Christophe Clarenc (photo) et Martin Drago, cabinet Dunaud Clarenc Combles & Associés

La Commission européenne a publié en juin dernier une communication présentant « un agenda européen pour l’économie collaborative » (1). Sous ce vocable d’économie collaborative (ou d’économie de partage), elle appréhende
« des modèles économiques où des plateformes collaboratives qui créent un marché ouvert pour l’utilisation temporaire de biens et de services souvent produits ou fournis par des personnes privées ».

Un « brouillage des limites »
La Commission européenne distingue les trois catégories d’acteurs concernés : les prestataires de services partageant leurs actifs ou ressources, qui peuvent être des personnes privées proposant leurs services sur une base occasionnelle (« pairs »)
ou des prestataires intervenant à titre professionnel (« prestataires de services professionnels ») ; les utilisateurs de ces services ; et les plateformes en ligne
(« intermédiaires ») mettant en relation ces prestataires et ces utilisateurs et facilitant leurs transactions (« plateformes collaboratives »).
La Commission européenne introduit sa communication en soulignant : d’un côté, l’essor important de l’économie collaborative en termes de transactions, de parts de marchés et de revenus (2), ainsi que l’intérêt d’en favoriser le développement au regard de sa capacité contributive à la croissance et à l’emploi ; de l’autre côté, les multiples problèmes auxquels se retrouvent confrontés les opérateurs de marché en place et surtout les fortes incertitudes soulevées concernant les droits et obligations des acteurs de cette nouvelle économie. Elle reconnaît que l’économie collaborative génère un
« brouillage des limites » entre consommateurs et fournisseurs, entre salariés et travailleurs indépendants, entre fournisseurs professionnels et fournisseurs non professionnels, entre services de base de la société de l’information et services sous-jacents ou connexes, ce qui suscite une certaine incertitude sur les règles applicables. Sa communication vise à réduire cette incertitude et à assurer un « développement équilibré et durable » de l’économie collaborative au sein de l’Union européenne (UE) en apportant une série d’« orientations non contraignantes sur les modalités selon lesquelles il conviendrait d’appliquer le droit de l’UE en vigueur », et ce, afin de traiter les « problèmes- clés » (3) auxquels les pouvoirs publics et les acteurs du marché
sont confrontés.
La Commission européenne vise aussi et surtout à prévenir « une fragmentation réglementaire découlant d’approches divergentes au niveau national ou local » et à éviter « les zones grises réglementaires ». Ce qu’elle souligne dans son communiqué de presse du 2 juin : « Si nous laissons notre marché unique se fragmenter au niveau national voire au niveau local, l’Europe tout entière risque d’être perdante. […] Nous invitons les Etats membres à réexaminer leur réglementation sur la base de ces orientations, et nous sommes disposés à les aider dans ce processus ». Plusieurs
Etats membres, dont la France (voir encadré page suivante), ont en effet pris des mesures d’encadrement des plateformes en ligne. Les orientations de la Commission européenne sur les « exigences à satisfaire pour accéder au marché » distinguent les prestations de services par des professionnels, les prestations de services de pair à pair et les plateformes collaboratives.

Accès au marché
S’agissant des prestations de services par des professionnels, elle rappelle les limites et conditions posées par les libertés fondamentales du traité et de la directive
« Services » de 2006 (4).
Concernant les prestations de services de pair à pair, elle souligne que la législation de l’UE ne définit pas expressément à quel stade un pair devient un prestataire de services professionnels et que les Etats membres utilisent des critères différents pour distinguer services professionnels et services de pair à pair. Elle admet l’utilité de seuils (éventuellement sectoriels) fixés de manière raisonnable.
S’agissant des plateformes collaboratives, elle distingue entre la fourniture des services de base de la société de l’information proposés à titre d’intermédiaire entre les prestataires de services sous-jacents et leurs utilisateurs, tels que définis et régis par la directive « Commerce électronique » de 2000 (5), la fourniture de services d’assistance aux prestataires des services sous-jacents (facilités de paiement, couverture d’assurance, services après-vente) et la fourniture en propre de services sous-jacents (par exemple services de transport ou services de location de courtes durée).

Responsabilité des plateformes
A propos des services fournis par ces plateformes, la Commission européenne rappelle tout d’abord que les services de base de la société de l’information ne peuvent être soumis à aucun régime d’autorisation préalable ou à toute autre exigence équivalente. Elle indique ensuite que la fourniture de services sous-jacents peut être soumise aux exigences d’autorisation de la réglementation sectorielle correspondante et qu’une plateforme collaborative exerçant un contrôle ou une influence importants sur le prestataire de service sous-jacent doit pouvoir être considérée comme fournissant
le service sous-jacent. Elle précise enfin que la fourniture de services d’assistance
ne constitue pas en soi la preuve de l’existence d’un contrôle ou d’une influence importants, mais que « plus les plateformes collaboratives gèrent et organisent la sélection des prestataires sous-jacents ainsi que la manière dont ces services sous-jacents sont fournis, plus il devient évident que la plateforme collaborative peut être considérée comme fournissant elle-même également les services sous-jacents ».

Les orientations de la Commission européenne sur les « régimes de responsabilité » des plateformes collaboratives distinguent également entre les services intermédiaires de la société de l’information et les services connexes, accessoires ou sous-jacents. Les services intermédiaires de la société de l’information bénéficient de l’exemption
de responsabilité sur les informations stockées telle que prévue dans la directive commerce électronique, dès lors que le service conserve un caractère purement technique, automatique et passif sans contrôle ni connaissance des informations.
Cette exemption s’applique ainsi aux plateformes collaboratives pour leurs prestations de services d’hébergement. Elle est cependant limitée à ces prestations et ne s’applique pas à leurs services connexes, accessoires et sous-jacents. @

ZOOM

Le France encadre l’économie du partage depuis 2014
• Par la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur interdisant « tout service de mise en relation de personnes avec des particuliers qui se livrent au transport routier de personnes à titre onéreux sans être
des entreprises de transport routier ou des taxis, des véhicules motorisés à deux ou trois roues ou des voitures de transport avec chauffeur » (6) – interdiction attaquée devant la Commission européenne par la société Uber ( le 17 février 2015. Uber devait faire de même contre
l’Allemagne et l’Espagne.
• Par la loi « Macron » du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, introduisant dans le Code de la consommation une obligation d’information, de loyauté et de transparence à l’égard de « toute personne dont l’activité consiste à mettre en relation, par voie électronique, plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service » (8) ;

• Par la loi de finances pour 2016, du 29 décembre 2015, prévoyant que ces intermédiaires « sont tenues [depuis le 1er juillet 2016, ndlr] de fournir, à l’occasion de chaque transaction, une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales qui incombent aux personnes qui réalisent des transactions commerciales par leur intermédiaire » (9) ;

• Par le projet de loi pour une République numérique (qui doit encore être adopté définitivement en septembre au Sénat) envisageant de soumettre les plateformes à une obligation d’information « loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation », à l’obligation de faire « apparaître clairement l’existence d’une relation contractuelle avec la personne référencée, d’un lien capitalistique avec elle ou d’une rémunération à son profit, dès lors qu’ils influencent
le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés » et à une obligation de déclaration à l’administration fiscale un ensemble d’informations concernant leurs utilisateurs « présumés redevables de l’impôt en France au titre des revenus qu’ils perçoivent par l’intermédiaire de la plateforme » (10) ;

• Par le rapport Terrasse sur l’économie collaborative remis en février 2016 au Premier ministre (11) , soulignant notamment que le régime juridique prévu par la directive sur le commerce électronique semble « de plus en plus inadapté au rôle actif que jouent les plateformes » et que « le régime de responsabilité des plateformes doit être redéfini au niveau européen ». @

Services : Internet dépasserait les télécoms en 2025

En fait. Le 18 avril, l’Idate a indiqué sur son blog que le marché mondial des services Internet et télécoms pourrait doubler d’ici 2025 – par rapport à 2015 – pour atteindre les 3.000 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Dans un des
quatre scénarios, les télécoms seront même dépassées par Internet.

En clair. A l’issue de la décennie 2015-2025, et pour la première fois dans l’histoire,
les services Internet pourraient représenter en valeur un marché supérieur à celui des services télécoms. C’est ce qui ressort de l’étude « Digital Economy 2025 » de l’Idate publiée récemment. En effet, dans l’un des quatre scénarios avancés par cet institut, Internet génèrera en 2025 un chiffre affaires supérieur (51 %) à celui des télécoms
(49 %) sur un total de près de 3.000 milliards d’euros au niveau mondial. Ce serait
une première, comparé à aujourd’hui où les télécoms pèsent encore 75 % des 1.500 milliards d’euros générés en 2015 par les services télécoms et Internet. Ce scénario, baptisé « Open », illustre le mieux l’érosion des services télécoms qui afficheront une croissance annuelle moyenne de seulement 2,4 % par rapport aux services Internet bondissant de 15 % par an. Cette nouvelle économie numérique – basée sur l’intermédiation en ligne (moteurs de recherche, publicité en ligne, commerce électronique, …) ou l’agrégation de contenus (vidéo en partage ou à la demande, boutiques d’applications, médias numériques, …) – prendra le pas sur les télécoms
où l’accès constitue la majeure partie des revenus. Ce scénario plausible, où les services Internet deviendront le premier moteur du monde digital, sera favorable notamment au RTB (Real-Time Bidding), le segment de marché hyperdynamique
de la publicité ciblée, ainsi qu’à l’Internet des objets (IoT) et aux nouveaux services
et modèles économiques. Selon cette hypothèse, « le marché Internet est tiré par l’innovation et la concurrence tandis que les télécoms se recentrent sur la connectivité, la distribution et whole-sale, en proposant des services spécialisés », explique Christoph Pennings, directeur d’études, sur le blog de l’Idate le 18 avril (1). Ce scénario « Ouvert » correspond ainsi à une économie numérique dont l’écosystème serait intéropérable, sans couture et ouvert selon trois grandes orientations open access, open innovation et open data.
Même si les trois autres scénarios de l’Idate maintiennent au contraire les services télécoms en première position, à savoir à 54 % dans l’hypothèse « Mall » (plateforme commerciale), 58 % dans « Automated » (automatisation) et 60 % dans « Trust » (confiance), tous confirment que le transfert de valeur des télécoms vers l’Internet s’accélère (2). @

Pierre Moscovici, commissaire européen, préfère une « fiscalité globale » à une « fiscalité numérique »

Le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, Fiscalité et Douanes était l’invité le 25 janvier de l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF). Il s’est notamment exprimé sur la ficalité numérique dans le plan anti-optimisations fiscales des multinationales présenté le 28 janvier.

« Il y a une question qui nous agite parfois lorsque l’on parle avec nos collègues Andrus Ansip et Günther Oettinger [respectivement commissaire européen en charge du Marché unique numérique, et commissaire européen à l’Economie et à la Société numériques, ndlr], c’est de savoir si l’on doit avoir un développement spécifique de la fiscalité du numérique ou si l’on doit englober le numérique dans une approche plus large et plus moderne. Je suis plutôt partisan de la deuxième option. Cela fait aussi partie du débat que l’on va avoir sur la TVA [voir encadré ci-dessous] », a répondu Pierre Moscovici, à une question de Edition Multimédi@ sur la fiscalité des géants du Net, devant l’AJEF. Et le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, Fiscalité et Douanes d’ajouter : « Je suis plutôt favorable à une fiscalité globale, une approche globale, qui soit adaptée au monde où nous vivons et à l’économie numérique, au lieu de faire une fiscalité numérique. Je trouve que cela toujours très compliqué et cela risque d’être dépassé assez vite ».

Google, Apple, Amazon, Facebook, …
Pierre Moscovici s’est ainsi exprimé le 25 janvier dernier, soit l’avant veille de l’adoption le 27 janvier par le collège des Vingt-huit de la Commission européenne d’un « Paquet BEPS (1) » de lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales tous secteurs confondus, présenté publiquement le lendemain. Ces propositions législatives contre les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices de certaines entreprises doivent transposer à toute l’Europe le plan BEPS (2) de l’OCDE (3) dévoilé en octobre 2015 et approuvé dans la foulée par les ministres des Finances des pays
du G20. Le Parlement européen s’est lui aussi prononcé, dans une résolution du 16 décembre dernier, en faveur de ces mesures au nom de la transparence fiscale des entreprises. La Commission européenne a présenté son « Paquet BEPS » (4), en vue de partir en guerre contre l’évasion fiscale déguisée en « optimisation » et de faire oublier le scandale « LuxLeaks » de 2014 provoqué par le favoritisme fiscal du Luxembourg à l’égard de certaines grandes entreprises.
Des multinationales sont déjà dans le collimateur de l’Union européenne, lorsqu’elles ne le sont pas aussi au niveau des Etats membres. Google, qui est en redressement fiscal en France, a annoncé le 23 janvier s’être engagé auprès de la Grande-Bretagne de payer 172 millions d’euros d’arriéré fiscal sur les dix dernières années ; Apple devra de son côté s’acquitter de 318 millions d’euros au fisc italien au titre de l’impôt sur les sociétés entre 2008 et 2013. Amazon, Facebook et d’autres géants du Net sont également sous surveillance ou en redressement fiscal. « J’ai la conviction très profonde que la révolution de la transparence fiscale ne s’arrêtera pas. Vous évoquiez tel ou tel géants du numérique qui s’apprêtaient à payer des arriérés. Il m’est arrivé de rencontrer telle ou telle entreprises de ce secteur et d’autres aussi : ils ont pris conscience qu’aujourd’hui l’évitement des règles et les combats d’arrière-garde ne servent à rien. Pour la transparence, nous irons jusqu’au bout. Non seulement nous avons transposé le plan BEPS, mais maintenant nous allons aller légèrement plus loin que BEPS – un processus qui continuera », a prévenu Pierre Moscovici, devant l’AJEF. Selon une récente étude du Parlement européen, le manque à gagner serait compris entre 50 et 70 milliards d’euros par an. Pour y remédier, la Commission européenne propose une directive de lutte contre l’évasion fiscale et une recommandation sur les conventions fiscales contre les pratiques abusives. @

Charles de Laubier

ZOOM

TVA globale ou TVA « numérique » ?
Avoir une fiscalité spécifique au numérique ou englober le numérique dans une approche fiscal globale ? « Cela fait aussi partie du débat que l’on va avoir sur la TVA », a indiqué Pierre Moscovici, devant l’AJEF. Le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, Fiscalité et Douanes (5) a pris l’exemple de la TVA sur les ebooks, que la France soumet à tort depuis avril 2012 à la TVA réduite (5,5 %) comme l’édition papier (6), ou sur la presse numérique : « Je suis saisi d’un certain nombre de demandent comme celle de la presse française (3) ou la presse belge. Et je comprends tout à fait que, dans le modèle économique des journaux d’aujourd’hui, l’on veuille éviter de pénaliser le numérique. Mais qui doit décider ça ? Est-ce que c’est une liste qui doit être décidée à Bruxelles ou est-ce que nous devons renvoyer sur les Etats membres ? Cela fait partie des sujets qui restent encore à trancher, notamment dans le “paquet TVA” que nous préparons pour plus tard ». @