FL Entertainment dans le « divertissement numérique » : Stéphane Courbit joue la complémentarité Banijay-Betclic

Si l’entrée en Bourse à Amsterdam le 1er juillet dernier est une réussite pour le groupe FL Entertainment, cofondé par son président Stéphane Courbit, reste à savoir si la stratégie qui « combine deux entreprises complémentaires et prospères », Banijay et Betclic, convaincra les investisseurs sur le long terme.

FL Entertainment (FLE) se revendique à la fois comme « un leader mondial dans la production de contenu indépendant et la plateforme de paris sportifs en ligne à la croissance la plus rapide en Europe grâce à ses activités Banijay et Betclic Everest Group ». Présidé par l’entrepreneur français Stéphane Courbit (photo), qui en est également le principal actionnaire via sa holding personnelle Financière Lov, le groupe a l’ambition d’être un acteur global du divertissement « combinant deux activités complémentaires et prospères : Banijay et Betclic Everest ». Autrement dit, réunir la production audiovisuelle et les paris sportifs en ligne aurait un sens stratégique. Le point commun entre ses deux activités, qui n’ont a priori rien à voir et relèvent du mariage de la carpe et du lapin, réside dans le fait qu’il s’agit dans les deux cas de « divertissement numérique », selon l’expression du nouveau groupe FLE. Ensemble, ces deux activités pour le moins très différentes et relevant de deux règlementations très spécifiques (l’audiovisuel d’un côté et les jeux d’argent en ligne de l’autre) ont généré au total près de 3,5 milliards d’euros de chiffres d’affaires sur l’année 2021, dont plus de 80 % pour la partie audiovisuelle. Au 31 décembre dernier, l’ensemble affiche une perte nette de 73,4 millions d’euros et un endettement de plus de 2,2 milliards d’euros – soit 3,7 fois le résultat d’exploitation, lequel est indiqué à 609 millions d’euros sur 2021.

Courbit cornaqué par Bolloré, Lacharrière et Arnault
Stéphane Courbit (57 ans) est l’un des plus discrets hommes d’affaires milliardaires français, où la modestie se le dispute à l’ambition, sur fonds de méfiance vis-à-vis des médias (rares interviews). La 70e fortune de France (1) cherche à se hisser au niveau des Vincent Bolloré, Marc Ladreit de Lacharrière et autres Bernard Arnault qu’il côtoie sans mondanités, entre autres personnalités comme Nicolas Sarkozy. Adepte des parties de poker, il joue gros dans cette opération boursière rendue possible par la « coquille vide » néerlandaise Pegasus Entrepreneurial Acquisition Company Europe, une Spac (2) créée spécialement pour absorber FL Entertainment afin de lever des fonds en Bourse. Ce montage alambiqué a permis au nouveau groupe du serial-entrepreneur d’être coté à Amsterdam sur l’Euronext depuis le 1er juillet et de lever 645 millions d’euros, dont 38,7 % provenant de la holding familiale de Stéphane Courbit (Financière Lov, avec sa femme et ses enfants) qui détient 46,95 % du capital de FLE et 72,64 % des droits de vote.

Direction à Paris, portefeuille à Amsterdam
Cotée à la Bourse de la capitale des Pays-Bas, la nouvelle entreprise n’en est pas moins dirigée de France, à Paris, rue François 1er. Sont aussi au capital : le groupe Vivendi de Vincent Bolloré (déjà actionnaire de Banijay) qui est le deuxième plus gros actionnaire avec 19,89 % du capital de FLE, le groupe Monte Carlo SBM International (déjà actionnaire de Betclic) à hauteur de 10,9 % du capital de FLE, la holding d’investissement Fimalac de Marc Ladreit de Lacharrière (déjà détenteur de 8,34 % du capital de Financière Lov) qui est entré à hauteur de 7,7 % de FLE, tandis que De Agostini via DeA Communications (déjà actionnaire de Banijay) a pris 4,99 % du nouvel ensemble. Ont aussi participé à la levée de fonds : Exor, la holding de la famille Agnelli, descendants du fondateur de Fiat ; Ario, le véhicule d’investissement de Didier Le Menestrel ; la Financière Agache, la holding familiale de Bernard Arnault (LVMH) ; Tikehau Capital, un fonds d’investissement (en cheville avec la Financière Agache dans le montage de la Spac Pegasus, ayant apporté ensemble 50 millions d’euros) ; et l’assureur Axa.
Fort de cet actionnariat éclectique, la gouvernance du nouveau groupe est, elle aussi, diversifiée et sous tutelle d’un conseil d’administration de onze membres : des associés Pierre Cuilleret, Diego De Giorgi et Jean-Pierre Mustier de la holding Pegasus, au conseiller Alain Minc, en passant par Eléonore Ladreit de Lacharrière (fille du milliardaire), François Riahi (directeur général de Financière Lov), ou encore Hervé Philippe (l’actuel directeur financier du groupe Vivendi).
Dans son prospectus d’introduction en Bourse, FL Entertainment se dit « ouvert à explorer toute possibilité dans l’espace de divertissement qui pourrait compléter ses activités existantes de production et de distribution de contenu, et de paris sportifs et de jeux en ligne ». La plateformisation de l’économie numérique, avec l’émergence fulgurante de Netflix ou de Disney+, a poussé Stéphane Courbit à passer à la vitesse supérieure. Quinze ans après avoir créé Banijay via Lov Group (les initiales du prénom de ses enfants Lila, Oscar et Vanille), présenté comme « le plus grand producteur mondial indépendant de contenus » (120 sociétés de production dans 22 pays), le taiseux veut accélérer dans l’audiovisuel sans frontières en pleine croissance et en cours de concentration. Il y a une carte à jouer pour FL Entertainment qui a donc vocation à faire des acquisitions en surfant sur les opportunités de croissance externe, à l’instar de ce qu’a fait Mediawan – cofondé par Pierre-Antoine Capton, Matthieu Pigasse et Xavier Niel – qui fut lancé en décembre 2015 sous la forme d’une Spac (3) (*) (**). Banijay était déjà rompu aux acquisitions : Air Productions, Bunim Murray, Screentime, Zodiak Media, 7Wonder, Good Times, ITV Movie, et, en 2019 pour environ 2 milliards d’euros, le néerlandais Endemol Shine Group, producteur pionnier de la téléréalité et de jeux télévisés. FLE permet de continuer à croître encore plus globalement pour produire bien plus pour les chaînes de télévision et pour les plateformes de SVOD, ces dernières devant désormais – dans les Vingt-sept – consacrer au moins 30 % de leur catalogue à des oeuvres européennes.
Le marché mondial de la production de contenu – boosté par la montée en charge d’Amazon Prime Video, Paramount+, HBO Max ou encore Apple TV+ – est estimé à plus de 200 milliards d’euros, d’après PwC, qui table sur une croissance de près de 5 % par an. Par exemple, Pitchipoï Productions et Montmartre Films (filiales de Banijay) ont produit pour Netflix « The Spy » et pour Amazon Prime « Flashback ». FLE veut aussi accroître l’acquisition de droits de propriété intellectuelle (4) pour détenir plus de contenus à son catalogue, audiovisuel (130.000 heures de programmes télévisés) mais aussi musique et jeu vidéo comme « All Against One ».
Mais que vient faire Betclic dans cet attelage ? Quinze ans après avoir créé Mangas Capital Gaming, renommé ensuite Betclic Everest Group, Stéphane Courbit est convaincu que la plateforme qu’il détenait à 50 % avec la Société des bains de mer (SBM) de Monaco, peut jouer la complémentarité dans le « divertissement numérique ».

Diversifier l’offre de streaming de Betclic
La plateforme Betclic est vouée à s’étoffer et proposer aussi d’autres contenus en streaming : « Pour faire face à la concurrence de nouveaux entrants sur le marché des paris sportifs en ligne, Betclic doit constamment offrir aux joueurs de nouveaux produits et services, tels qu’un large éventail de jeux, une variété de méthodes de paris – prélive ou live – ou une offre de streaming [et/ou de live streaming, ndlr], ainsi que des conditions de jeux et de compétitions plus attractives », peut-on lire dans le prospectus boursier (5). Le marché mondial du jeu en ligne devrait croître d’environ 10 % par an, à 115 milliards d’euros à fin 2027, selon Grand View Research. Lors de son premier jour de cotation, le groupe était valorisé 4,7 milliards d’euros : c’est descendu à un peu plus de 4,5 milliards le 7 juillet 2022. @

Charles de Laubier

Le marché de la SVOD (sans pub) semble saturé ; des plateformes s’ouvrent à l’AVOD (avec pub)

The Walt Disney Company l’a confirmé le 4 mars : sa plateforme Disney+, jusqu’à maintenant par abonnement (SVOD), offrira aussi à partir de fin 2022 un accès peu cher financé par la publicité (AVOD). La pression des annonceurs est tellement forte que même Netflix pourrait céder à son tour.

« L’élargissement de l’accès à Disney+ pour un public plus large et à un prix plus bas est avantageux pour tout le monde – les consommateurs, les annonceurs et nos conteurs », a justifié Kareem Daniel (photo), président de Disney Media and Entertainment Distribution (DMED), lors de la confirmation faite le 4 mars du lancement d’ici fin 2022 aux Etats-Unis et courant 2023 pour le reste du monde – d’une offre moins chère de Disney+ financée par de la publicité. Et Rita Ferro, présidente en charge de la publicité chez DMED d’ajouter : « Depuis son lancement, les annonceurs réclament à cor et à cri la possibilité de faire partie de Disney+ » (1).

Disney cède à la pression des annonceurs
La pression des annonceurs en quête d’espaces sur les services de streaming vidéo, encore très dominés dans les foyers par les plateformes par abonnement et sans publicités (SVOD), est telle que The Walt Disney Company a dû céder aux sirènes des marques. Pourtant, en juin 2021, devant des investisseurs réunis par le Credit Suisse, le PDG du groupe, Bob Chapek, avait écarté l’idée d’une offre financée par la publicité (AVOD) : « Nous n’avons pas de tels plans maintenant. Nous sommes satisfaits des modèles que nous avons en ce moment », avait-t-il assuré (2).
Neuf mois après, c’est le contraire. C’est surtout le moyen d’espérer engranger plus rapidement des abonnés, certes low cost, afin de parvenir à son objectif d’atteindre lors de son exercice 2024 (clos fin septembre) de 230 à 260 millions d’abonnés au total à Disney+, soit cinq ans après son lancement aux Etats-Unis. Pour le mythique conglomérat du divertissement et major d’Hollywood, qui fêtera son centenaire en octobre 2023, ce serait la consécration de son déploiement mondial réussi dans le streaming – sous la houlette de Bob Chapek, successeur de Bob Iger depuis plus de deux ans maintenant (3). La date de lancement et le prix allégé par rapport aux 7.99 dollars par mois actuels (ou 8,99 euros) seront connus dans le courant de l’année. Conséquence de l’ouverture dès cette année de Disney+ à l’AVOD, outre le fait que Disney+ Hotstar (4) fasse déjà de la publicité en Inde et en Asie du Sud-Est, ce marché mondial de l’« Advertising Supported Video on Demand » devrait largement dépasser les 66 milliards de dollars en 2026, selon Digital TV Research : « Je pense que les nouvelles prévisions seront supérieures, mais nous les publierons en mai prochain », indique Simon Murray, son analyste principal, à Edition Multimédi@. Autrement dit, dans quatre ans, les revenus en termes d’abonnements de l’AVOD devraient pouvoir plus que doubler par rapport aux 3,7 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2021 dans les 138 pays observés. Les Etats-Unis demeureront sans surprise à la tête de ce marché, suivis par la Chine, le Japon, le Royaume-Uni ou encore l’Inde (voir tableau page suivante).
Digital TV Research pourrait devoir revoir encore à la hausse ses prévisions si Netflix se décidait à son tour à franchir la clôture pour aller voir du côté de l’AVOD si l’herbe y est vraiment plus verte… Ce que le numéro un mondial de la SVOD au logo rouge n’exclut pas. C’est du moins ce qu’a laissé entendre son directeur financier, Spencer Neumann, à la conférence « Technology, Media & Telecom » de Morgan Stanley le 8 mars dernier : « Ne jamais dire jamais, a-t-il répondu à ce sujet. Ce n’est pas quelque chose dans notre plan en ce moment. [Mais] ce n’est pas comme si nous avions la religion d’être contre la publicité. (…) Il est difficile pour nous d’ignorer que les autres le font, mais pour l’instant cela n’a pas de sens pour nous » (5). Cette réponse de Normand ressemble à celle que faisait Bob Chapek, le patron de Disney, il y a neuf mois…
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, pourrait ne pas laisser son rival Disney+ prendre trop d’avance sur ce terrain publicitaire, d’autant que le rythme des nouveaux abonnés ad-free (sans pub) au « N » rouge a ralenti au cours des derniers trimestres, entraînant l’action de la firme de Los Gatos (Californie) dans une chute de plus de 40 % depuis le début de l’année.

Netflix et Amazon Prime Video ralentis
Un accès à Netflix moins coûteux que l’abonnements actuels – de 9,99 dollars à 19,99 dollars par mois, ou de 8,99 euros à 17,99 euros – permettrait peut-être d’inverser la tendance baissière. Plus globalement, en l’état des offres ad-free et des forces en présence, les prévisions montrent que Netflix devrait être dépassé par Disney+ en 2028, d’après Digital TV Research. La montée en puissance des plateformes HBO Max, conjuguée à la plateforme Discovery+ une fois que Warner Bros. Discovery sera opérationnel cette année (6), et Paramount+ (Paramount Global, ex- ViacomCBS), devrait néanmoins pressuriser le parc d’abonnés des deux leaders.
Si l’on rajoute Peacock lancé il y a près de deux ans par NBCUniversal, filiale de Comcast, la question de l’encombrement du marché de la SVOD – proche de la saturation – reste posée dans un marché toujours en croissance. A cette prolifération de l’offre de plus en plus chère, s’ajoute le casse-tête des mots de passe (7), avec le risque de pousser certains à préférer le piratage au légal.

L’AVOD, menace sur les chaînes TV
Selon Digital TV Research, les abonnements mondiaux à la SVOD augmenteront de 550 millions entre 2021 et 2027 pour atteindre 1,75 milliard. La Chine et les Etats- Unis représenteront ensemble près de la moitié (48 %) de ce total mondial dans cinq ans. « Certains ont affirmé récemment que le marché américain de la SVOD était au point de saturation. Même si nous nous attendons à une certaine décélération pour les acteurs plus établis [Netflix et Amazon Prime Video, ndlr], il reste encore beaucoup à faire pour les plateformes plus jeunes comme Disney+, Paramount+ et HBO Max », a nuancé Simon Murray le 17 février dernier. La vidéo à la demande financée par la publicité n’est pas nouvelle. YouTube et Dailymotion sont les plateformes pionnières dans ce domaine. La plate-forme Hulu, lancée la même année que celle de la mise en ligne de Netflix (en mars 2 0 0 7 ) e t d é tenue aujourd’hui majoritairement par Disney (depuis avril 2019) aux côtés de Comcast, s’est développée d’abord avec de la publicité. Des formules d’abonnements ont ensuite été proposées, comme Hulu + Live TV. Peacock joue sur les deux tableaux : de la publicité sur les options « Free » et « Premium », et ad-free avec « Premium Plus ». Quant aux service HBO Max, jusqu’alors faisant partie de WarnerMedia (groupe AT&T), il ne voulait pas entendre parler de publicités. Du moins jusqu’à l’an dernier, se décidant à rajouter une option ad-supported. Et une fois que HBO Max et Discovery+ auront fusionnés, SVOD et AVOD pourraient cohabiter. Selon un rapport de Tubi (le service de streaming gratuit de Fox), entre 20 % et 46 % des foyers américains – selon le nombre d’abonnements SVOD par foyers (de un à cinq ou plus) – regardent aussi des services d’AVOD (8).

140 millions d’Américains ciblés
Aux Etats-Unis, le cabinet d’études et d’informations eMarketer a montré le 10 mars dernier (9) que les plateformes vidéo avec publicités attirent plus de 140 millions d’Américains en 2022, soit 41,6 % de la population étatsunienne. Ses prévisions tablent sur 171,5 millions d’Américains en AVOD d’ici 2026, soit près de la moitié de la population (49,5 %). Sur fond de bataille entre les ad-free et les adsupported, ce sont les chaînes de télévision le plus souvent nationales – payantes et gratuites – qui pourraient être les victimes collatérales de l’avancée de ces acteurs OTT (Over-the-Top) globaux. @

Charles de Laubier

La plateforme Twitch de live gaming et de VOD, filiale d’Amazon, fête ses 10 ans diversifiée et médiatique

La firme fondée par Jeff Bezos parle peu ou pas – dans ses rapports annuels – de sa filiale Twitch, rachetée en août 2014 pour près de 1 milliard de dollars. Pourtant, avec plus de 100 millions d’utilisateurs (gamers en tête), la plateforme de streaming vidéo – lancée il y a 10 ans – s’impose dans la galaxie Amazon.

Lancée officiellement en version bêta aux Etats- Unis le 6 juin 2011, la plateforme de live streaming Twitch, qui s’est imposée en une décennie dans la diffusion en direct ou à la demande de jeux vidéo et de compétitions d’e-sport, a su séduire à ce jour plus de 100 millions d’utilisateurs dans le monde – dont 2,5 millions connectés en permanence. Sont venus se greffer ces derniers temps des programmes de musique (sous forme de concerts, de spectacles en ligne ou de festivals), des contenus créatifs, des émissions de médias ou encore des défilés de mode.
Twitch fut un spin-off d’un bouquet de chaînes vidéo en ligne baptisé Justin.tv, cofondé cinq ans plus tôt par Emmett Shear (photo), mais fermé par la suite au profit de Twitch que ce dernier dirige encore aujourd’hui comme CEO (1) de Twitch Interactive (2). L’idée originelle de Justin.tv était de s’inspirer de la télé-réalité, notamment en diffusant en lifecasting chaque moment de la vie de l’autre cofondateur, Justin Kan. Mais très vite, la diffusion en continue de vidéos s’est imposée – à commencer par celle de jeux vidéo en streaming où les gamers diffusent, regardent et discutent pour partager leurs performances et leurs passions.

Désormais plateforme de divertissement mondiale
En 2014, la société mère de Justin.tv a été rebaptisée Twitch Interactive, en s’inspirant de l’expression twitch gameplay qui désigne les jeux vidéo enregistrant le temps de réponse du joueur au tir, au combat ou au sport. En août de la même année, Amazon s’en empare pour près de 1 milliard de dollars (3) – au nez et à la barbe de Google qui était aussi intéressé. La firme de Jeff Bezos ne cesse depuis de diversifier les contenus de Twitch.tv pour en faire une plateforme de divertissement mondiale et de jouer des synergies avec son service d’abonnement Prime, incluant Prime Video et Amazon Music. Ces derniers temps, les médias sont venus étoffer ses contenus dans différents pays.
« Le deuxième plus grand nombre de partenaires dans la zone EMEA sont français », a indiqué Damian Burns, vice-président de Twitch pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord dans le cadre d’une enquête sur « la guerre du live » parue en mars dernier dans Le Monde (4). Twitch, c’est plus de 6 millions de streamers en direct chaque mois dans le monde et près de 30 millions de visiteurs par jour. Et environ la moitié de toutes les heures regardées sur Twitch viennent d’Europe.

Présidentielle française sur Twitch
La France est un des pays les plus actifs sur Twitch, où les émissions politiques s’installent en prévision de la présidentielle de mai 2022. Radio France fait sa rentrée avec notamment le duo d’humoristes Pastureau-Vizorek en live sur Twitch. Chez BFMTV, des éditorialistes vont être amenés à « twitcher » en direct dans le cadre de grandes soirées de débats. France Télévisions n’est pas en reste, le groupe public s’étant lancé en début d’année dans un premier live streaming sur Twitch avec le journaliste-animateur Samuel Etienne, lequel s’était rodé durant les premiers confinements de 2020 avec le live twitch #OnVousRépond et « La matinée est tienne » (avec parmi les invités : François Hollande puis Jean Castex).
Le 10 septembre prochain, Mediapart organise un débat entre les candidats à la primaire écologique qui sera retransmis simultanément sur les chaînes Twitch de ses journalistes-chroniqueurs-vidéastes Usul et Ostpolitik. Le talk-show d’actualité politique devient tendance sur Twitch, où « le 1er streamer politique sur #Twitch » (dixit), s’est installé en 2015 avec sa chaîne « Accropolis » devenue « Jean Massiet ». Ce dernier avait organisé en 2019 un « Grand Débathon » sur Twitch, en collaboration avec le vidéaste HugoDécrypte en écho au grand débat national au cours duquel le Premier ministre Edouard Philippe à l’époque et neuf autres ministres avaient répondu pendant une dizaine d’heures aux questions de jeunes et de journalistes. Plus récemment, en juin, ce même Jean Massiet a lancé sur Twitch une émission politique, intitulée « Backseat », dont le nom provient du backseat gaming : le fait pour un non-joueur de suivre, commenter et critiquer un joueur en pleine action. Des personnalités politiques se mettent de plus en plus à « twitcher » en direct, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon qui a lancé en mai 2020 sa chaîne « Twitchons ». Autre exemple : la chaîne Public Sénat avait déployé il y a un an son programme « QAG » (questions d’actualité du gouvernement) sur Twitch à l’occasion des élections sénatoriales. A l’heure où la démocratie française est mise à mal par l’abstentionnisme massif, aller chercher les plus jeunes (électeurs ou futurs) sur les réseaux sociaux dans le cadre de la prochaine présidentielle devient tendance. Cette « politisation » de Twitch n’est cependant pas du goût de tous ses utilisateurs : début mars, le premier « chat » de la chaîne d’information en continue d’Altice avait été la cible de réactions négatives, la communauté des gamers regrettant cette dérive vers la « propagande gouvernementale » susceptible d’attirer l’attention du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur Twitch. Est-ce pour renforcer cette emprise médiatique que Boris Lecoeur a été remplacé il y a un an par Stephan Hadinger à la présidence de la filiale française de Twitch ? Quoi qu’il en soit, la filiale « live streaming » d’Amazon entend s’inscrire dans le nouveau paysage médiatique français sur Internet, là où oeuvrent déjà les YouTube, Loopsider, Brut, TikTok et autres Instagram très prisés des 15-35 ans.
Pour autant, le fonds de commerce de Twitch reste les jeux vidéo en ligne et l’e-sport. Là encore, la France est aux avant-postes des événements en live gaming comme l’illustre le rendez-vous caritatif (5) annuel « Z Event » dont l’édition 2021 – la sixième – est attendue impatiemment après le succès de celle d’octobre 2020 durant laquelle les streamers ont récolté le montant record de 5,7 millions d’euros en un marathon de parties de jeux vidéo de 50 heures durant un weekend (6). Le président de la République Emmanuel Macron avait même salué la performance des gamers. L’e-foot fait aussi des émules. L’Olympique de Marseille (OM) a lancé sa chaîne Twitch. La Ligue de football professionnelle (LFP) a fait de même pour toucher « une cible affinitaire football » – selon l’expression utilisée le 6 juillet dernier par Sébastien Vandame, directeur des partenariats de la LFP lors du rendez-vous professionnel « Game On ! » au Parc des Princes à Paris (7). Le sport est le contenu qui explose le plus sur Twitch : + 1.300 % de croissance en un an !
Parmi les intervenants ce jour-là : Melissa Simoni (photo ci-contre), directrice commerciale France et Bénélux de Twitch depuis deux ans, après avoir été durant cinq ans chez Twitter, en charge notamment de la publicité. « Twitch est le principal service de streaming interactif pour le jeu vidéo, le sport et la musique, c’est 2,5 millions de connectés en permanence, a-t-elle indiqué au “Game On !”. C’est une communauté, un lien entre le streamer et ses fans qui interagissent en live sur la maison des gamers». Amazon y pousse aussi ses propres jeux vidéo tels que « New World » et « Lost Ark ». Et Melissa Simoni de préciser au regard des recettes publicitaires : « Pour les annonceurs, la principale opportunité, c’est l’audience, celle de la GenZ et des Millennials. Ils sont connectés et ne regardent pas la télévision traditionnelle. Lorsqu’elle est sur Twitch, cette audience est captive, immergée. La publicité est très bien acceptée : 64 % des viewers reconnaissent acheter le produit d’une marque mise en avant par un streamer ! Nous travaillons avec toutes les industries (auto, luxe, banque etc.) ».

Cyberharcèlement : #ADayOffTwitch
Cette success story est cependant entachée de cyberharcèlement, de cyberracisme ou de cybermysogynie. Ce qui lui a valu le 1er septembre 2021 de faire l’objet d’un boycott ce jour-là de la part de nombreux streamer pour protester contre ces dérives en ligne. L’hashtag #ADayOffTwitch a été largement respecté pour faire prendre conscience du problème, tandis que le #TwitchDoBetter appelait la plateforme de streaming d’Amazon à mettre en place des solutions pour endiguer le fléau. @

Charles de Laubier