La Convention de l’Unesco fait un pas vers le numérique

En fait. Le 20 octobre 2015, la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles fête ses 10 ans. Selon les informations de Edition Multimédi@, la France, le Canada et la Belgique proposent une
« directive opérationnelle transversale » sur le numérique.

En clair. Ce n’est pas plusieurs « directives opérationnelles » sur le numérique que proposent la France et le Canada, rejoints par la Belgique, mais une seule « directive opérationnelle transversale » pour « une mise en oeuvre de la convention relative à
la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique ». Edition Multimédi@ s’est procuré – et met en ligne – le projet de texte porté pour l’instant par ces trois pays qui l’ont approuvé avant le 10 octobre, en vue de
le présenter au Comité intergouvernemental de l’Unesco qui se réunira du 14 au 16 décembre prochain. Mais c’est seulement en… juin 2017 que cette directive opérationnelle transversale sur le numérique sera soumise pour adoption à la Conférence des parties. Le rythme de l’Unesco n’est décidément pas celui de la révolution numérique !
La proposition franco-canado-belge, conforme au principe réaffirmé de neutralité technologique, s’articule sur trois axes : les politiques publiques « adaptées à l’écosystème numérique » (financement de la création, accessibilité des contenus culturels, répartition équitable de la valeur ajoutée, protection des droits des créateurs, promotion des offres légales, meilleures indexation et reconnaissance des contenus, …) ; la coopération internationale (accessibilité renforcée de toutes les cultures, circulation sur les réseaux des expressions culturelles endogènes « négligées par l’économie numérique », coopération autour de la création en ligne et de la coproduction/co-création d’oeuvres en réseau, attention particulière aux demandes de financement de la culture numérique (1), …) ; les échanges de biens et services culturels numériques (promouvoir la Convention de l’Unesco dans les accords de commerce, dont le futur TTIP, mettre en oeuvre des politiques et programmes culturels adaptés, …).
Reste à savoir si cette directive opérationnelle numérique à caractère non contraingnant pour les Etats – résultat du lobbying des ayants droits via l’influente Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle (FICDC) et de son bras armée français CFDC/SACD, soucieux de défendre le droit d’auteur et d’exclure la culture et l’audiovisuel des accords de libre-échange (lire EM@82, p. 7 et EM@89, p. 4) – sera bien accueillie par les GAFA et autres acteurs numériques qui n’ont pas participé à son élaboration. @

Jean-Noël Tronc (Sacem) veut que la Cisac devienne une force de combat face aux acteurs du Net

Le directeur général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) va engager dès 2014 au niveau mondial un « combat » face à Google, Amazon ou encore Apple pour défendre – avec toutes les industries
de la création – l’exception culturelle et la taxe pour copie privée.

Par Charles de Laubier

Jean-Noël Tronc-EM@A la tête de la Sacem depuis juin 2012, Jean-Noël Tronc (photo) part en croisade pour défendre au niveau mondial l’exception culturelle et la rémunération pour copie privée.
Pour cela, il va s’appuyer sur la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), laquelle représente 227 sociétés de gestion collective – dont la Sacem – réparties dans 120 pays et gère les droits de 3 millions d’artistes dans le monde pour un montant total annuel de perceptions de plus de 7,5 milliards d’euros (dont 4,5 milliards rien qu’en Europe).

Musique, cinéma, média, livre, jeu, …
« J’essaie de contribuer à ce que cette Cisac nous serve dans les trois à cinq années
qui viennent d’étendard mondial, en mobilisant les créateurs de tous les pays, pour des opérations comme la pétition ‘’Tous pour la musique’’. On peut organiser un combat front contre front », a lancé Jean-Noël Tronc, invité d’honneur le 19 décembre dernier
du Club audiovisuel de Paris.
Il s’agit pour toutes les industries culturelles – musique, cinéma, presse, livre, jeux vidéo, arts graphiques et plastiques, spectacle vivant, télévision et radio – d’instaurer un rapport de force avec les Google, Amazon, Apple et autres géants de l’Internet. « Il y a une prise de conscience mondiale sur ce que j’ai dénoncé publiquement comme étant ‘l’exception numérique’ « , s’est félicité le patron de la Sacem.
Il prévoit de faire des propositions avec la Cisac dès l’automne 2014, « prochain rendez-vous important pour les cinq prochaines années », après les élections en mai du nouveau Parlement européen et en septembre ou octobre du président de la Commission européen. Ce sera aussi l’occasion pour Jean-Noël Tronc, instigateur du 1er Panorama des industries culturelles et créatives en France commandité à EY (Ernst & Young) et publié en novembre dernier par le lobby culturel France Créative (1), d’en publier un autre portant cette fois sur l’Europe entière – en attendant de faire ensuite
« un panorama mondial ». Fort du succès de la pétition en faveur de « l’exception culturelle » signée au début de l’été dernier par 4.878 artistes et créateurs, essentiellement français (2), il a convaincu le conseil d’administration de la Cisac, réuni à Madrid les 11 et 12 décembre dernier, de lancer une nouvelle offensive de ce type en juin 2015 avec toutes les industries culturelles, « en engageant les artistes et les créatifs dans un combat au niveau mondial ». L’année 2015 correspondra en outre aux dix ans de la signature à Paris de la Convention sur la diversité culturelle que l’Unesco a entrepris d’adapter au numérique (3). La Cisac, créée en 1926 et basée en France
– à Neuilly-sur-Seine comme la Sacem – sera le fer de lance planétaire de ce combat.
Mais pour Jean-Noël Tron, il y a urgence car « au rythme où vont les choses, une bonne partie de ce qui fait les industries culturelles aura sauté dans trois à cinq ans au niveau européen » et « si on veut arrêter d’être dans une position défensive, il faut que l’on fasse des propositions ». Parmi les trois à cinq propositions – « pas plus » – qu’il compte porter au niveau européen et mondial figure en tête la copie privée. « La copie privée, c’est l’avenir du sujet du numérique pour tous les Européens. Cela rapporte
500 à 600 millions d’euros par an au niveau européen et cela devrait en rapporter 2 milliards ». A la Sacem, et au Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (Gesac), dont il est vice-président, il a fait de la taxe pour copie privée à l’ère du numérique son cheval de bataille. « Lorsque je suis arrivé à la Sacem, il était à peu près claire que la [rémunération pour] copie privée était morte, alors que c’est le premier vrai système de financement de la culture à partir du numérique, le seul qui vaut la peine que l’on se batte : pas la peine d’inventer de nouveaux impôts, des taxes sur les terminaux connectés », a-t-il plaidé (4). Les industries culturelles, excepté la presse préférant la taxe sur les terminaux connectés préconisée en France par le rapport Lescure, souhaiteraient étendre la taxe copie privée
à Internet, cloud inclus.

Réforme de la directive « DADVSI »
« Le mal, c’est la directive ‘’Commerce électronique’’ ! Résultat, les acteurs d’Internet
sont pour une part intouchables. (…) Il faut que l’on bouge, en imaginant un dispositif
dans l’esprit peut-être de la copie privée. Car la copie, c’est le stockage qui traite de la question des intermédiaires techniques d’Internet », a avancé Jean-Noël Tronc. Mais dans l’immédiat, il faudra que la Sacem, la Gesac et la Cisac répondent d’ici le 5 février aux 80 questions sur la révision de la directive «DADVSI » (5), la Commission européenne envisageant plus d’exceptions aux droits d’auteur dans le monde
numérique et une réforme… de la copie privée. @

Charles de Laubier

L’Unesco veut adapter au numérique la Convention sur la diversité culturelle, menacée d’obsolescence

Du 10 au 13 décembre, le comité intergouvernemental de l’Unesco chargé de la mise en oeuvre de la Convention de 2005 sur la diversité culturelle s’est, pour la première fois, interrogé sur l’impact du numérique. Objectif : préparer des « directives opérationnelles » pour les 10 ans du texte en 2015.

Par Charles de Laubier

Jean Musitelli« La France a présenté un document faisant un point sur l’impact des technologies numériques sur la diversité culturelle et ouvrant des pistes de réflexion sur la façon de mettre en oeuvre les dispositions
de la Convention de l’Unesco [sur la protection et la promotion de
la diversité des expressions culturelles] dans l’univers numérique »,
a indiqué Jean Musitelli (photo), conseiller d’Etat et ancien ambassadeur à l’Unesco (1997-2002), dans un entretien à Edition Multimédi@.

Des « directives opérationnelles » en vue
« Pour prendre en compte le numérique, il faudra adopter un certain nombre de ‘’directives opérationnelles’’ qui sont à la Convention ce que les décrets sont à la loi. Notre objectif est qu’en 2015, année où l’on célèbrera le 10e anniversaire de cette Convention, nous ayons débouché sur ces directives opérationnelles », nous précise Jean Musitelli, qui corédigea l’avant-projet de la Convention sur la diversité culturelle (2003-2004).

Il y a urgence car la Convention de l’Unesco, signée le 20 octobre 2005 à Paris, est
en passe de devenir obsolète face à Internet. Le fait qu’elle s’en tienne à préciser dans son article 4 « quels que soient les moyens et les technologies utilisés » ne suffit plus. Lorsque la Convention de l’Unesco entre en vigueur, le 18 mars 2007, la vidéo à la demande (VOD), la télévision de rattrapage, les jeux vidéo en ligne, la radio numérique
ou encore la TV connectée n’existaient pas encore, et la musique en ligne n’avait pas encore donné toute sa mesure. L’Unesco va en tout cas devoir adapter la Convention, notamment en concertation avec les géants du Net que sont les « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon et les autres) presque tous inexistants il y a huit ans. Dissocier les biens culturels et audiovisuels de la libéralisation mondiale en général et de la délinéarisation numérique en particulier a-t-il encore un sens à l’heure où triomphe l’Internet universel sans frontières (2) et où se multiplient les accords de libreéchange entre pays ou régions du monde (3) ? S’il n’est pas question a priori de changer une virgule de la Convention de 2005, le Comité intergouvernemental pour la protection et
la promotion de la diversité des expressions culturelles (c’est sa dénomination exacte) devra, à l’aune de l’Internet, adopter plusieurs directives opérationnelles dans des domaines aussi variés que la régulation du numérique et le financement de la création,
la résorption de la fracture numérique des pays en développement, la prise en compte des contenus culturels numérique dans les accords commerciaux bi ou multilatéraux,
le statut et la rémunération des artistes dans l’environnement Internet, sans éluder les questions de l’interopérabilité des plates-formes et de la neutralité du Net. A cela s’ajouterait la mise en oeuvre d’un Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC). « Ces directives opérationnelles auront un caractère contraignant pour les
Etats signataires pour que la diversité culturelle ne soit pas noyée dans le numérique », prévient Jean Musitelli (4). Seul problème : les Etats-Unis, patrie des GAFA, ne sont pas signataires de la Convention de l’Unesco ! Et dans les négociations en cours avec l’Union européenne en vue d’un accord de libre-échange, ils souhaitent que les services audiovisuels et culturels soient abordés – comme le compromis du 14 juin dernier le prévoit (5).
En guise de travaux préparatoires, l’Unesco a remis en juin dernier un rapport intitulé
« Réflexion préliminaire sur la mise en oeuvre de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles à l’ère numérique » (6). Son auteure, la Canadienne Véronique Guèvremont, professeure de droit et fondatrice du Réseau international des juristes pour la diversité des expressions culturelles (Rijdec), presse l’Unesco d’« agir promptement » pour une « mise en oeuvre de la Convention de 2005 à l’ère numérique », tout en évitant une « réflexion cloisonnée » (7).

Adapter d’ici 2015 la Convention avec les GAFA
C’est dans cet esprit-là que l’Unesco devrait avancer, comme l’a assuré Jean Musitelli, lors de l’Assemblée des médias à Paris le 2 décembre : « Nous avons relancé à l’Unesco le chantier de la diversité culturelle pour mesurer l’impact du numérique, positif ou négatif, sans diaboliser personne [Google étant à la table ronde représenté par Carlo d’Asaro Biondo, lire p. 4, ndlr]. Ce que nous voulons, c’est que l’économie numérique ne cannibalise pas la création culturelle, ne siphonne pas les contenus et n’empêche pas la diversité de s’épanouir », a expliqué celui qui fut aussi, de 2009 à 2012, membre de l’Hadopi. @

Charles de Laubier

Accord de libre-échange : l’Europe et les Etats-Unis pourraient faire « diversité culturelle » commune

Les négociations pour un accord de libre-échange transatlantique démarreront
« avant les vacances d’été ». L’audiovisuel et la culture, s’affranchissant des frontières via Internet, pourraient en faire partie, malgré l’hostilité des tenants
de l’« exception culturelle », notamment en France.

Economie numérique aidant, les Etats-Unis veulent inclure l’audiovisuel et les industries culturelles dans le prochain accord commercial bilatéral avec l’Union européenne. Mais certains pays des vingt-sept, France en tête, ne veulent pas que les secteurs qui relèvent pour eux de l’« exception culturelle » – à savoir l’audiovisuel et la culture (cinéma, télévision, musique ou encore édition compris) – en fassent partie.

Quid des quotas et des subventions ?
C’est un sujet hautement sensible, surtout en France près de vingt ans après que les accords du GATS (1) – entrés en vigueur le 1er janvier 1995 – aient exclu l’audiovisuel
du libre-échange sur le commerce et les services. Le futur accord « US-UE » pourrait, selon certains, remettre en cause cet acquis préservé par la convention de l’Unesco (2) de 2005, sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, signée depuis par 125 pays – pas les Etats-Unis. Mais le commissaire européen en charge du Commerce, Karel De Gucht, a tenté de rassurer : « L’accord entre les Etats-Unis et l’Europe ne changera pas de force les pratiques courantes entre les Etats membres [de l’Union], lesquels continueront de pouvoir soutenir leurs industries culturelles et le secteur audiovisuel en particulier, à travers notamment les quotas de diffusion ou les subventions tels que prévus dans les directives européennes actuelles ». Il est ainsi intervenu le 12 mars, jour où la Commission européenne a approuvé le projet de mandat pour qu’il puisse négocier avec les Etats- Unis. Le Conseil européen, auquel va être transmis ce projet de mandat accompagné d’un projet de directives de négociation, doit encore donner son feu vert. La France a encore quelques semaines pour convaincre d’autres pays européens – dont l’Allemagne – d’exclure l’audiovisuel de ces prochaines négociations. Le 15 mars, François Hollande a déclaré : « Je veux que ces domaines [normes sanitaires et services audiovisuels] soient exclus du champ de la négociation ».
Mais Barack Obama, président des Etats-Unis, et José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, tiennent à ce partenariat transatlantique « sans entraves » (3) qui pourrait ensuite « contribuer à l’élaboration de règles mondiales pouvant renforcer le système commercial multilatéral ». Et ils le veulent « dans les plus brefs délais » pour gagner rapidement 0,4 % (pour les Etats-Unis) et 0,5 % (pour l’Europe) de hausse du PIB.
Cela suppose d’ouvrir aussi leurs marchés à de « nouveaux secteurs », et pourquoi pas l’audiovisuel et les industries culturelles, dont le cinéma (4), de plus en plus transfrontaliers. En outre, des discussions « US-UE » engagées dès 2005 sur les droits de propriété intellectuelle (5) vont s’intensifier : il s’agit notamment d’« aider l’industrie
dans la légitimation de l’accès d’importants fournisseurs de services Internet au contenu protégé par le droit d’auteur » (6).
Mais, devant cette abolition des frontières culturelles entre le Vieux continent et le Nouveau monde, ses opposants veulent convaincre la commissaire européenne, Androulla Vassiliou, en charge de la Culture, d’exclure expressément l’audiovisuel de la négociation. Les Coalitions européennes pour la diversité culturelle (CEDC) – groupement informel créé en 2005 – craignent, quant à elles, que cette libéralisation ne « rend[e] caduques les politiques mises en place en faveur de la diversité culturelle, notamment
les mesures de quotas et de soutien financier ». Parmi elles, la Coalition française pour
la diversité culturelle – créée en 1997 sous le nom d’association ADRIC (7) et présidée par la SACD (8) – craint que, face à la puissante industrie audiovisuelle américaine,
« l’exception culturelle [ne soit] réduite à peau de chagrin ». Le 18 février dernier, elle affirmait que « les Etats- Unis souhaitent rattacher une partie des services audiovisuels au secteur des nouvelles technologies pour mieux exclure l’application des règles de la diversité culturelle et militent, en effet, pour un détachement de la vidéo à la demande [VOD], TV de rattrapage, etc… du secteur audiovisuel classique ». Ainsi, selon la Coalition française, « par le jeu subtil des définitions, les ‘’nouveaux services audiovisuels’’ pourraient ainsi être libéralisés ».

Internet perçu comme Cheval de Troie
Quant à l’exception culturelle, « elle n’aurait plus vocation qu’à s’appliquer à la distribution des œuvres via les médias traditionnels, mais ne vaudrait plus pour la diffusion des œuvres par Internet, qui représentera à l’avenir l’essentiel de ces services ».
Et d’ajouter : « Cette démarche de libéralisation reviendrait également à rendre difficile toute modernisation du financement de la création en protégeant les acteurs importants
de l’Internet américains (Apple, Facebook, Amazon, Google, etc…) d’une ‘’exception culturelle 2.0’’ ». @

Charles de Laubier