Le digital sera la 1re source de revenus des auteurs

En fait. Le 7 novembre, la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) a publié son rapport 2019 sur les collectes mondiales des droits des créateurs (musique, audiovisuel, arts visuels, spectacle vivant et littérature) : 9,65 milliards d’euros en 2018, dont 1,64 milliard d’euros via le numérique.

En clair. Au rythme où va leur croissance – près de 30 % en un an, à 1,64 milliard d’euros grâce aux succès des services de streaming musical et de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) –, les revenus issus du numérique devraient dans quelques années devenir la première source de rémunération des créateurs. La première région du monde qui s’apprête à franchir le Rubicon est l’Asie-Pacifique (Japon, Corée, Chine, inde, Australie, …). « Après des années de croissance régulière, en 2018, le secteur numérique génère 26,3 % des revenus, soit presque autant que la catégorie TV et radio [27,5 %, ndlr]. Si cette tendance se poursuit, l’Asie-Pacifique pourrait être la première région au monde à voir que le numérique devienne la première source de revenus des créateurs », indique la Cisac (1) dans son rapport.
Ce basculement historique du centre de gravité des droits des créateurs en Asie-Pacifique vers le numérique devrait, selon l’estimation de Edition Multimédi@, intervenir dès cette année 2019. Le poids des droits collectés issus de l’exploitation digitale des œuvres atteint en effet 26,3 % des revenus de cette région du monde. Ce ratio en Asie-Pacifique est même deux fois plus élevé qu’en Europe où le numérique ne pèse que 13,3 % de la collecte européenne. La seconde région, qui pourrait voir à son tour le numérique devenir première source de revenus collectés par les sociétés de gestion collective des droits d’auteur, est le Canada-Etats-Unis : la part des revenus du numérique y est déjà de 20,8 %. Et contre toute attente, l’Afrique affiche le troisième ratio le plus important – 14,7 % – en faveur du numérique, devant les 14,4 % de l’Amérique Latine et, on l’a vu, les 13,3 % de l’Europe (2). Alors même que le Vieux Continent reste encore largement la première région contributrice en termes de collectes globales (56,4 %, à 5,4 milliards d’euros en 2018), devant les régions Canada- Etas-Unis (22,6 %) et Asie-Pacifique (14,8 %).
Certes, mis à part l’Asie-Pacifique, on en est encore loin du basculement global vers le numérique des droits collectés : la télévision et la radio (39,2 %), le direct live (concerts et de festivals) et la musique d’ambiance (28,6 %), continuent de générer l’essentiel de la collecte mondiale. Viennent ensuite le numérique (17 %), les CD et la vidéo sur support physique (6,8 %) ; la copie privée (3,8 %) et autres (4,6 %). A suivre. @

Le Web fête ses 30 ans dans une certaine fébrilité, sur fond de velléités de son inventeur Berners-Lee

Ce sont les 30 ans du Web en mars et les 25 ans du World Wide Web Consortium (W3C) en octobre, tandis que la Web Conference tiendra sa 25e édition du 13 au 17 mai prochains à San Francisco. Mais les bonnes intentions de son créateur,
le Britannique Tim Berners-Lee, semblent vaines.

Le 12 mars 1989, le physicien britannique Tim Berners-Lee (photo) inventait un « système de gestion décentralisé de l’information » avec des liens hypertextes pour cliquer sur des mots-clés afin d’aller d’une page à l’autre (1). Le Web était né au sein du Cern (2) basé à Genève, rejoint par l’informaticien belge Robert Cailliau l’année suivante (3) (*) (**), avant que l’outil documentaire en ligne ne soit rendu accessible en avril 1993 au grand public, lequel, sept mois après, pourra l’utiliser avec le tout premier navigateur, Mosaic.

« Tim » veut rendre le Web plus « Solid »
Le World Wide Web est ainsi né il y a 30 ans en Suisse, ou plus précisément en France puisque le chercheur Tim Berners-Lee avait indiqué que son bureau était en réalité situé dans le « Building 31 » localisé sur le territoire français (4) à quelques mètres
de la frontière suisse ! Le Web compte aujourd’hui, à février 2019 selon Netcraft : près de 1,5 milliard de sites web (1.477.803.927 précisément), environ 230 millions de noms de domaine (229.586.773) et plus de 8 millions d’ordinateurs supportant le Web (8.366.753). Et depuis les années 2000, la Toile est concurrencée ou complétée – c’est selon – par les applications mobiles, qui, selon App Annie, sont plus de 6 millions sur les « App Store » d’Apple (iOS) et de Google (Android). Le Web est devenu universel, avec plus de 4,2 milliards d’internautes dans le monde.
Mais le réseau des réseaux est en péril à en croire Tim Berners-Lee, qui veut « changer radicalement » le Web avec son projet de « web décentralisé » baptisé Solid – pour Social Linked Data. Ce projet est hébergé par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et sponsorisé par le Qatar, via son Computing Research Institute, et MasterCard. L’objectif est de garantir « une véritable propriété des données et une meilleure protection de la vie privée » grâce au découplage du contenu de l’application elle-même. De plus, « parce que les applications sont découplées des données qu’elles produisent, les utilisateurs seront en mesure d’éviter le verrouillage des fournisseurs, d’obtenir une commutation harmonieuse entre les applications et les serveurs de stockage de données personnelles, sans perte de données ou de connexions
sociales », est-il expliqué (5). Comme Solid n’est pas une initiative philanthropique,
Tim Berners-Lee a lancé en octobre 2018 sa propre start-up baptisée Inrupt pour rentabiliser son projet, comme il l’explique lui-même : « J’ai donc pris un congé sabbatique du MIT, réduit mon engagement quotidien avec le World Wide Web Consortium (W3C) et fondé une société appelée Inrupt où je vais guider la prochaine étape du Web d’une manière très directe. Inrupt sera l’infrastructure permettant à Solid de prospérer. Sa mission est de fournir une énergie commerciale et un écosystème pour aider à protéger l’intégrité et la qualité du nouveau Web construit sur Solid ». En 2009, l’inventeur du Web avait dit : « Nous n’avons pas encore vu le Web tel que je l’avais envisagé ». Dix ans après, il en est au même point. Mais avec Solid, il espère que le futur Web devient un web de lecture-écriture de données – et non pas seulement de documents – où les utilisateurs pourront « interagir, innover, collaborer et partager ». Sans le dire explicitement, Tim Berners-Lee s’attaque en fait aux GAFA et au « modèle actuel où les utilisateurs doivent transmettre des données personnelles à des géants numériques en échange de la valeur perçue ». Et d’ajouter : « Ce n’est pas dans notre intérêt ». Le projet de recherche Solid, assorti de sa start-up, entend donc « rétablir l’équilibre – en donnant à chacun de nous le contrôle complet sur les données, personnelles ou non, de manière révolutionnaire » (6). Cela se fera par des « POD » – Personal Online Data store (POD). Mais l’initiative du chercheur fondateur du Web arrive un peu tard, l’Europe ayant été aux avant-postes de la protection des données
et de la vie privée sur Internet – avec l’entrée en vigueur le 25 mai 2018 du RGPD (7).

Un « contrat pour le Web » : utopique ?
Certains doutent du succès de Solid. « Je pense que ça ne va pas marcher. Il faut faire avec le contexte actuel. Ceux qui ont décidé du Web et qui décident de son futur et de comment les choses vont évoluer, ce sont les GAFA », a déclaré le chercheur français Daniel Charnay, ingénieur au CNRS, qui se présente comme le co-créateur des premiers serveurs et pages web en France. Alors, sortir le Web des griffes des GAFA ? L’idée de Tim Berners-Lee, qui avait évoqué l’an dernier un « contrat pour le Web » (8) pour lutter contre les fake news, semble plus relever de l’utopie que d’un projet réaliste. @

Charles de Laubier

Les œuvres créées par intelligence artificielle peuvent-elles être protégées par le droit d’auteur ?

C’est quasiment un no man’s land juridique : les outils d’intelligence artificielle, qu’ils soient logiciels et/ou robots, sont à l’origine de créations artistiques (musique, peinture, vidéo, …). Mais leurs « œuvres de l’esprit » peuvent-elles
être protégées par le droit d’auteur ? La réponse est complexe.

Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle – que nous désignerons, par anthropomorphisme, sous le nom de robot – investit tous les domaines de notre vie. Ces robots ont une capacité de traitement sans commune mesure et une aptitude à dégager et à exploiter les enseignements tirés du Big Data. Ils interviennent déjà (ou sont utilisés) dans le domaine culturel. Récemment, le robot Yumi est entré dans l’histoire comme le premier chef d’orchestre à conduire un ténor (1) dans l’une des « premières œuvres lyriques robotisées ». Un robot allemand (2), lui, peint à manière des peintres célèbres. Tandis que le robot E-David (3) peint librement des tableaux. Quant au robot Shimon (4), il improvise sur de la musique jazz.

Création originale et droit d’auteur
C’est cette production robotique, aujourd’hui parcellaire, qui interroge. La question qui se pose est de savoir si cette « production » peut être protégée juridiquement au titre du droit d’auteur. Afin d’échanger quelques idées sur ce sujet complexe, on doit se demander si la production en question – émanant d’une intelligence artificielle et/ou de tout autre robot – est une oeuvre de l’esprit qui est protégeable au titre du droit d’auteur ? Dans l’affirmative : qui serait titulaire du droit d’auteur ? Le droit protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (5). Le droit ne définit pas ce qu’est une oeuvre de l’esprit ; il en donne une liste non limitative. En résumé, une oeuvre de l’esprit se définit comme une création intellectuelle originale réalisée sous une forme. On peut donc retenir trois critères : une création intellectuelle (l’intervention de l’esprit humain est en principe une condition) ; l’originalité (l’expression juridique de la créativité de l’auteur, définie comme l’empreinte de sa personnalité (6)) ; une forme (l’oeuvre de l’esprit n’est protégée que si elle est matérialisée). A l’inverse, une simple idée n’est pas protégeable. On peut donc dire que « l’originalité constitue l’âme de l’oeuvre, la forme étant son corps » (7). Cette définition n’est pas simple à appliquer. Prenons un paysage naturel qui n’appartient à personne. Il n’est pas, en soit, protégé par le droit d’auteur.
Il n’a pas été créé par un homme en particulier. Par contre, sa représentation par l’homme (qu’elle soit photographique, picturale, etc.) peut faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur. La question est donc de savoir si la production d’un robot,
à la supposer originale et mise en forme, peut être considérée comme une oeuvre de l’esprit. A priori, on serait tenté de répondre immédiatement par la négative car les robots n’ont pas d’esprit. En est-on sûr ? On doit s’interroger sur ce qu’est un « esprit ». Le Larousse propose huit définitions possibles !
Partons du postulat que l’esprit est un souffle créateur, et donc qu’il produit une création. On doit d’abord distinguer la création de l’intelligence. On sait que le robot est au moins doté d’une intelligence et, dorénavant, avec une capacité supérieure à celle dont nous disposons. Cependant, ces deux notions sont à distinguer : l’intelligence, c’est comprendre ce qui existe ; la création, c’est produire ce qui n’existe pas. De plus, il ne faut pas confondre la création et la technique : un homme qui serait capable de réciter un livre en entier à l’endroit puis à l’envers ne serait pas forcément un auteur.
Il serait au mieux un bon technicien de la mémoire. Il faut donc distinguer la création
de la simple technique qui peut, elle aussi, faire l’objet d’une protection mais sur un fondement autre que celui du droit d’auteur. La question est donc de savoir si un robot est capable de créer de manière autonome. Il conviendra de faire cette recherche au cas par cas. Ce qui est certain, à ce stade, c’est que toute production d’un robot n’est pas, par nature, éligible au statut d’oeuvre de l’esprit. D’abord, une production réalisée par un robot qui serait la reproduction à l’identique d’une oeuvre déjà existante ne serait pas qualifiée d’oeuvre mais plutôt de contrefaçon. Qu’en est-il d’une production nouvelle ?

Le pastiche est reconnu par la loi
Revenons à notre chef d’orchestre Yumi (qui ne pourrait aspirer qu’au statut d’interprète). On nous apprend que « le robot a été programmé de manière à ce que ses bras reproduisent exactement les gestes du chef d’orchestre, puis ses mouvements ont été enregistrés et affinés à l’aide d’un logiciel » (8). Dans ces conditions, le fait que le robot ait été programmé ne devrait pas lui permettre de revendiquer un statut d’autonomie car, en réalité, le robot ne fait qu’exécuter des lignes de programme.
De même, le robot allemand qui peint un paysage à la manière de Van Gogh, Turner, Munch, Picasso ne fait qu’appliquer un programme pour reproduire, par exemple un paysage en fonction des caractéristiques créées par un autre peintre (9). Une telle production pourrait être qualifiée de pastiche, genre reconnu par la loi (10) et obstacle
à la qualification de la contrefaçon d’une oeuvre.

Vers une oeuvre de l’esprit robotique ?
Plus complexe est le cas de Shimon, le robot musicien car il est prétendu qu’il improvise (11). En réalité, ce robot écoute les morceaux joués par les musiciens humains ; il les enregistre, puis, à partir de là, il improvise une harmonie en suivant
la gamme dans laquelle les musiciens jouent. On pourrait prétendre qu’il n’y a pas
de création mais juste une analyse technique d’une oeuvre humaine existante et une reproduction dans « l’esprit de ». À ce jour, et probablement fort heureusement, aucun ingénieur n’est capable d’analyser le processus de création artistique de l’esprit humain et donc de le traduire en algorithmes. Les robots ne font donc que copier la création humaine. Admettons cependant que cela soit un jour possible. Dans ces conditions, qui serait l’auteur de cette oeuvre de l’esprit robotique ? Qui serait, dans ce cas, le titulaire du droit d’auteur ?
La loi précise que « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre est divulguée » (12). Là encore, il n’est pas évident qu’un robot puisse revendiquer la qualité d’auteur. Ce texte pose encore un implicite sous-jacent qui est que l’auteur doit être une personne physique. Il n’existe pas, à ce jour, un exemple de droit d’auteur attribué à un non humain. Prenons le cas de ce singe (un lointain cousin !) qui, en 2001 dans la jungle indonésienne, a pris l’appareil photo d’un photographe professionnel laissé de côté et qui s’est pris, par hasard en photo (13). Il s’agit probablement du premier selfie animalier. La photo a fait le tour des réseaux sociaux. Elle a été vendue par le propriétaire de l’appareil à une agence
de photo qui a tenté de s’opposer à sa diffusion sur Internet. La question s’est donc posée de savoir à qui appartenait les droits d‘auteur. En principe les droits d’auteur appartiennent au photographe et non au propriétaire de l’appareil photo. Or, celui qui
a pris la photographie, c’est le singe. C’est donc lui qui devrait en être l’auteur. Or, un singe ne peut ni être auteur, ni céder ni revendiquer ses droits ! On sait que le droit est capable de créer une fiction juridique. Elle l’a fait pour les personnes morales avec lesquelles on ne déjeune jamais même si elles payent souvent l’addition (14). Dans un rapport récent, le Parlement européen a appelé la Commission européenne à examiner, évaluer et de prendre en compte la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables de réparer tout dommage causé à un tiers (15). Même si cette personnalité juridique était attribuée aux robots, cela règlera-t-il le problème en termes de droits d’auteur ?
On rappellera que les animaux disposent pourtant d’une reconnaissance (16) et d’une protection juridique. Cela n’en fait pourtant pas des auteurs au sens du Code de la propriété intellectuelle (CPI). De plus, comment ferons nous pour connaître la volonté réelle du robot quant à l’usage ou à l’exploitation de son oeuvre ? De sa diffusion gratuite ou pas ? En cas d’exploitation payante, comment le robot pourra-t-il exprimer, de manière autonome, sa volonté quant à la fixation du montant des droits d’auteur ?
Si on lui ouvre un compte bancaire, comment pourra-t-il en profiter ? Ne risque-t-on pas, à vouloir faire reconnaître aux robots une personnalité juridique, d’en faire, en réalité des marionnettes conduites par certains humains ? Lorsque l’obstacle de la qualification d’oeuvre et de la reconnaissance du statut d’auteur seront franchis, il restera donc un nouvel obstacle de taille : connaître la volonté libre et éclairée du
robot sur les conditions d’exploitation de son oeuvre ainsi que sur l’usage des droits patrimoniaux qu’il aura retiré de son exploitation.

Protéger le mystère de la création
Nous savons, avec l’écrivain André Dhôtel, que ce qui distingue l’homme des robots
« ce serait que les robots ne se promènent jamais » (17). Le statut d’être humain est unique. Parmi cette unicité figure le mystère de la création qui reste entier, et c’est peut-être cela que nous devons protéger. Sommes-nous si pressés de faire des robots des êtres pensants, sensibles intelligents et rationnels ?
Gageons que lorsque nous y arriverons, la première chose sensée que feront les
robots sera de dominer ou de faire disparaître la race humaine. En effet, comment
une intelligence supérieure pourrait-elle tolérer ces êtres humains prétentieux qui
ne cessent de se massacrer entre eux, de s’affamer, de s’exploiter ou de détruire
la nature ? @

Auteur du livre « Numérique :
de la révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.

Adobe fête ses 35 ans en pleine forme grâce à ses acquisitions et à la croissance de ses abonnements

L’éditeur de logiciels de création, cofondée il y a 35 ans par Charles Geschke et John Warnock, a basculé avec succès dans le cloud pour y vendre par abonnements ses célèbres logiciels – Photoshop, Acrobat, Illustrator, … Son PDG, Shantanu Narayen, dispose d’une trésorerie confortable pour d’éventuelles nouvelles acquisitions.

Charles Geschke vient d’avoir 78 ans, le 11 septembre dernier. C’est le cofondateur avec John Warnock du numéro un des logiciels graphiques Adobe Systems – il y aura 35 ans en décembre de cette année. Photoshop, Acrobat, Illustrator, InDesign, Dreamweaver, Flash, …, mais aussi le langage PostScript : tous ces outils de création sont reconnus et utilisés mondialement dans la création,
le développement, les médias, le marketing, la communication et l’audiovisuel. Bien qu’il n’ait plus de fonctions opérationnelles dans le groupe depuis son départ à la retraite en 2000, Charles Geschke en a été néanmoins président du conseil d’administration jusqu’en janvier dernier.
Depuis le début de l’année, Shantanu Narayen (photo) lui a succédé tout en conservant ses fonctions de directeur général d’Adobe qu’il assume depuis décembre 2007. Cet Indien de 54 ans, né à Hyderabad, fêtera l’an prochain ses 20 ans chez Adobe Systems.

Au total, selon les calculs de Edition Multimédi@, Adobe investi en moins de dix ans quelque 4 milliards de dollars dans sa croissance externe (Omniture, Day Software, Demdex, Auditude, Efficient Frontier, Neolane, Fotolia
et TubeMogul).

Abonnements dans le cloud : 80 % du chiffre d’affaires
Il est à la tête d’une icône de la Silicon Valley (à San José), ni start-up mais multinationale ni licorne mais cotée en Bourse, qui prévoit de dépasser cette année les 7 milliards de dollars de chiffre d’affaires – à 7,24 milliards, selon le consensus d’analystes financiers – grâce à une croissance attendue de 23 % sur un an. Adobe Systems, dont le siège administratif est depuis dix ans situé dans le petit paradis fiscal américain qu’est l’Etat du Delaware, devrait aussi accroître sa rentabilité par rapport au résultat net affiché en 2016 et en hausse de plus de 85 % à 1,1 milliard de dollars.
Pour une entreprise du logiciel qui a survécu à 35 ans de grandes révolutions, aussi bien des technologies que des écosystèmes (d’Internet au cloud), c’est une belle performance. Adobe affiche – au 29 septembre 2017 – une capitalisation boursière
de 72,3 milliards de dollars au Nasdaq à New York, avec une action passée d’environ 30 dollars il y a cinq ans à près de 150 dollars aujourd’hui. En un an, le titre a bondi de 40 %. Ayant pris à temps le tournant de la dématérialisation des logiciels, Adobe est passé avec succès de la vente packagée en magasins à la vente d’abonnements en ligne grâce au mode Software-as-a-Service (SaaS) et maintenant le cloud computing. Depuis janvier dernier, la fameuse Creative Suite – incluant Photoshop, Acrobat, InDesign, Illustrator, Premiere Pro ou encore Typekit – n’est plus commercialisée.
La version 6, disponible depuis cinq ans, a été la dernière à être vendue en boîte.

Abonnements en cloud : 80 % des revenus
Cette année marque donc pour Adobe le basculement complet de son modèle économique dans le nuage informatique. Avec Creative Cloud, ses applications mises
à jour sans surcoûts sont désormais disponibles « exclusivement » via un abonnement (de 23,99 à 66,99 euros par mois) qui comprend aussi des services de tutoriels, des modèles intégrés ou encore – via Adobe Stock et Fotolia – 60 millions d’images, d’illustrations vectorielles, de vidéos et d’éléments en 3D – tous libres de droits. Adobe Sensei marque aussi l’offensive de la firme de San José dans la création complexe à partir d’intelligence artificielle (IA), de marchine learning et de deep learning. Adobe table ainsi sur ses revenus annuels récurrents – ou ARR pour « Annualized Recurring Revenue » – afin de pérenniser sa rentabilité. Les abonnements dépassent pour la première fois cette année les 80 % du chiffre d’affaires annuel (contre 78 % en 2016, par rapport aux 50 % de 2014) et le secteur des médias numériques y contribuent à plus des deux-tiers (plus de 3,3 milliards de dollars en 2016). A la fois présent dans
les médias numériques et le marketing digital, le groupe dirigé par Shantanu Narayen s’adresse à une vaste clientèle, ce qui en fait sa force : créateurs, graphistes, web designers, photographes, cinéastes, développeurs d’applications, professionnels des médias, éditeurs, agences de communication, mais aussi responsables marketing, publicitaires ou encore annonceurs. Adobe est du coup devenu un acteur majeur du
Big Data, avec plus de 90 trillions de transferts de données par an revendiqués.

Mais l’éditeurs des créateurs entend aussi séduire plus que jamais le grand public, comme l’a expliqué le PDG Shantanu Narayen le 19 septembre dernier, lors de la présentation de ses résultats financiers « record » pour le troisième trimestre : « Nous sommes en train de nous étendre dans l’espace créatif bien au-delà de notre base loyale de professionnels. Que cela soit pour “designer” un blog personnel ou pour produire un film court, les capacités de Creative Cloud se développent pour s’adresser aux besoins des jeunes d’aujourd’hui, des experts en médias sociaux et des créatifs enthousiastes, tout en repoussant plus loin les frontières technologiques pour nos pros créatifs les plus exigeants ». Ayant rencontré ses premiers succès sur les ordinateurs de bureau des graphistes professionnels, Adoba a su élargir sa base de clientèle au grand public, doté de tablettes et smartphones. Par exemple, Photoshop se décline en plusieurs applications mobiles telles que Photoshop Sketch, Photoshop Mix, Photoshop Lightroom ou encore Photoshop Fix. Mais c’est dans la création vidéo qu’Adobe voit la demande exploser avec pour les professionnels Premiere Pro, mais aussi Premiere Clip pour « créer des films à la volée à partir d’un smartphone » ou Adobe Spark pour
« créer des publications et graphismes pour les réseaux sociaux, des récits web et des vidéos animées », sans oublier des outils de réalité virtuelle et le 360 degrés renforcés par l’acquisition en juin dernier de la technologie Skybox intégrée dans Premiere Pro
et After Effects. La prochaine conférence annuelle Adobe Max, du 18 au 20 octobre prochains, révèlera son lot de nouvelles versions et applications. Elle devrait aussi sonner le glas du logiciel Flash Player qu’Adobe arrêtera définitivement en 2020 : l’annonce de la fin de ce lecture de vidéo – de moins en moins utilisés sur les navigateurs web – a été faite fin juillet. La croissance de Document Cloud, le pendant de Creative Cloud, permet à Adobe de capitaliser sur son célèbre logiciel Acrobat, devenu standard international dans la création et la lecture de documents, et sur son format PDF créé il y a maintenant 25 ans. Avec Adobe Scan, le PDF s’est aussi démocratisé sur les mobiles. Pour les entreprises, Adobe Sign permet la signature électronique de documents.
Dans le marketing digital, cette fois, où l’on retrouve des outils de communication,
de publicité et de mesure d’audience, la concurrence est plus rude puisqu’Adobe se retrouve face à aussi bien IBM, Oracle ou Salesforce ou SAP que Google ou Yahoo. Mais ses acquisitions successives ces dernières années lui permettent de réaliser 30 % de son chiffre d’affaires dans cette activité. Sa plus grosse acquisition fut celle en 2009 d’Omniture, société spécialisée dans les logiciels de mesures d’audience publicitaire sur Internet, pour 1,8 milliard de dollars. Elle fut suivie pas plusieurs achats de moindre ampleur entre 2010 et 2012 (Day Software, Demdex, Auditude et Efficient Frontier). En 2013, Adobe s’est emparé pour 600 millions de dollars de la société française Neolane spécialisée dans le marketing digital. Puis, après avoir racheté en 2015 Fotolia pour 800 millions de dollars, Adobe a jeté son dévolu l’an dernier sur TubeMogul, un éditeur de logiciel de publicité programmatique, en déboursant 549 millions de dollars.

1,7 Mds $ de cash : nouvelles acquisitions ?
Au total, selon les calculs de Edition Multimédi@, Adobe a investi en moins de dix ans quelque 4 milliards de dollars dans sa croissance externe. Et sa marge de manœuvre reste aujourd’hui intacte ; sa trésorerie a même grossi ces derniers mois en passant
de 1 milliard de dollars fin 2016 à 1,7milliard de dollars de cash disponible au 1er septembre dernier. @

Charles de Laubier

Le financement de la création française face au Net

En fait. Le 23 janvier, la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, a réaffirmé son soutien (financier) à la création audiovisuelle (fictions, animations, documentaires) lors du 28e édition du Festival international de programmes audiovisuels (Fipa) à Biarritz. Contre les géants du Net ?

En clair. « Mon ambition pour le secteur audiovisuel passe par une production indépendante forte. (…) Elle ne peut se construire sans les éditeurs de chaînes, dont
le rôle dans la diffusion des œuvres françaises et l’accès du public à ces œuvres doit rester central face à la puissance de marché des opérateurs du Net ». Décidément,
le financement de la création française – qu’elle soit ici audiovisuelle, et/ou cinématographique – est de plus en plus présenté par les pouvoirs publics et les professionnels de la culture comme une arme pour contrer les acteurs du Net aux ambitions accrues dans la fiction notamment (investissement et diffusion).

C’est du moins le sentiment que donne en creux le discours que Fleur Pellerin a prononcé au dernier Fipa (1). « La création française, c’est pour les diffuseurs français [les chaînes de télévision françaises] le moyen de différencier leur offre de programmes de celle des géants du Net », a-t-elle encore précisé. Sans les nommer, Netflix, Amazon, iTunes/Apple ou encore Google/YouTube – ce qu’elle appelle ces « nouveaux acteurs peu voire pas régulés » – apparaissent plus que jamais comme des concurrents étrangers pour les chaînes de télévision françaises qui éprouvent des difficultés grandissantes à faire face à leurs obligations d’investissement dans la création audiovisuelle et cinématographique. D’autant que les éditeurs de ces chaînes sont à la peine : « Le marché publicitaire TV a fortement décru ces dernières années, et les acteurs français sont soumis à la concurrence grandissante d’opérateurs [Internet] non régulés », a insisté la ministre de la Culture et de la Communication en pointant à nouveau du doigt les géants du Net. Canal+, France Télévisions, TF1, M6, qui sont les plus grands pourvoyeurs en France du financement de la production audiovisuelle et des films de cinéma ne cessent de se plaindre de cette « concurrence déloyale » que leur feraient les « GAFA » non soumis aux mêmes obligations d’investissement dans la création qu’eux. Cela fait d’ailleurs plus d’un an que la France a adopté – dans la loi de Finances rectificatif pour 2013 – l’extension de la « taxe vidéo » (2) non seulement aux opérateurs de SVOD (3) installés en France mais également à ceux (comme Netflix, iTunes, Jook Video ou bientôt Amazon Prime) qui opèrent d’un autre pays européen. Notifiée à Bruxelles, cette mesure attend toujours un feu vert. @