Pour la première fois, la TV sur ADSL est dépassée

En fait. Le 9 avril, l’Arcep a publié son observatoire des marchés des télécoms en France au quatrième trimestre 2020. Selon les constatations de Edition Multimédi@, le nombre d’abonnements donnant accès à la télévision par l’ADSL (prise téléphonique) est pour la première fois dépassé par les autres accès TV (FTTH, câble, satellite, …).

En clair. C’est une première historique : la France ne compte plus, au 31 décembre 2020, que 11.048.000 abonnements triple play incluant l’accès à la télévision par l’ADSL, ou, par extension, « xDSL » comprenant le très haut débit VDSL2. Cet accès TV couplé à l’abonnement Internet sur la paire de cuivre téléphonique, et le plus souvent doté de la fonction téléphone, vient d’être dépassé – à la fin du quatrième trimestre de l’an dernier – par le nombre d’abonnements donnant accès à la télévision mais via cette fois la fibre optique (FTTH), le câble ou encore le satellite : soit 11.146.000 dans ce cas.
Bien que cela se joue à une courte tête, la tendance est irréversible puisque les abonnements « TV/ADSL » continuent leur déclin (-12,3 % en un an) tandis que les autres abonnements « TV/autres accès » affichent, eux, une croissance annuelle à deux chiffres (+ 29,3 % l’an dernier). La technologie numérique ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line), créée dans les années 1980 par deux Américains – Joseph Lechleider pour le « A » et John Cioffi pour la partie « DSL » (1) (*) (**) –, reste cependant encore l’accès majoritaire des Français au haut débit : 15.303.000 abonnements à fin 2020, ce qui fait un taux encore aujourd’hui de 72,2 % d’entre eux à recevoir aussi les chaînes de télévision par leur « box » connectée à leur bon vieux fil téléphonique. Plébiscité par la plupart des Français pour son haut débit de qualité et le prix du triple play à 30 euros par mois popularisé en premier par Free (2) en novembre 2003, l’ADSL a rendu – et continue de rendre – de fiers services à Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, ainsi qu’aux éditeurs de chaînes distribuées sur les « box » en mode IPTV (3). La télévision sur ADSL a atteint son apogée en 2017 avec 14.263.285 abonnements incluant la réception de chaînes, contre seulement 5.874.122 accès couplés via les autres technologies : le FTTH alors encore émergent (fin 2020 le nombre d’abonnés à la fibre à domicile a dépassé pour la première fois la barre des 10 millions (10.361.000 abonnés), et le câble ou le satellite peu ou pas couplés.
Au global, tous types d’accès confondus, le taux des Français qui reçoivent la télé via leur « box » poursuit sa progression pour atteindre 72,5 % au 31 décembre 2020 – soit un gain de 1,2 point en un an. Ce taux n’a jamais été aussi élevé, illustrant par ailleurs l’érosion de la diffusion hertzienne de la TNT. @

Légère hausse du tarif du dégroupage : l’Arcep ne voulait pas de « rente temporaire au profit d’Orange »

Pour tenter d’inciter les Français à basculer du réseau ADSL/VDSL2 (cuivre) vers le réseau FTTH (fibre), le régulateur propose d’augmenter le tarif du dégroupage total que facture Orange – soit 1,1 milliard d’euros en 2019 – aux autres opérateurs télécoms qui louent la boucle locale téléphonique. Mais pas trop…

La rente historique de l’ex-France Télécom ne va pas grossir. Non seulement en raison d’une hausse très modérée du tarif 2021-2023 proposée par l’Arcep, mais aussi et surtout parce que le nombre de ligne en dégroupage total en France ne cesse de décliner. C’est ce que montrent les chiffres du rapport financier 2019 d’Orange (publié en avril dernier) : sur les 29,2 millions de lignes téléphoniques fixes gérées par l’opérateur télécoms historique (en baisse de 5,6 % sur un an, passant sous la barre des 30 millions), 9,7 millions d’entre elles étaient en dégroupage total (en chute de 9,9 % en an, passant sous la barre des 10 millions). Selon les calculs de Edition Multimédi@, le dégroupage total du réseau de cuivre a donc rapporté à Orange l’an dernier un total hors taxe de 1,1 milliard d’euros en 2019 (à raison de 9,46 euros par mois et par ligne), contre 1,2 milliard d’euros en 2018 (à raison de 9,31 euros par mois et par ligne).

Consultation publique jusqu’au 12 octobre prochain
Alors que l’ex-France Télécom, aujourd’hui dirigé par Stéphane Richard, réclamait une augmentation de deux à trois euros par ligne de cuivre louée, le régulateur des communications électroniques présidé par Sébastien Soriano (photo) ne lui a concédé un gain d’à peine une vingtaine de centimes d’euros : le tarif de chaque ligne téléphonique louée par les opérateurs alternatifs (SFR, Bouygues Telecom et Free principalement) à l’opérateur télécoms historique (aujourd’hui Orange) passera de 9,46 euros hors taxe par mois à 9,65 euros par mois pour la période 2021-2023 (après celle de 2018-2020 qui va s’achever). Toujours selon nos calculs, en tenant compte d’une probable baisse de 10 % du nombre de lignes en dégroupage total (à 8,7 millions de lignes), le chiffre d’affaires correspondant attendu pour l’an prochain serait de tout juste 1 milliard d’euros. Si l’Arcep n’a pas accédé à la demande du détenteur de la boucle locale de cuivre, c’est notamment parce qu’elle craignait « la création d’une rente temporaire au profit d’Orange » en cas Continuer la lecture

La fibre optique pour tous, initialement prévue à fin 2022, pourrait ne pas être réalité fin 2025

La fibre optique pour tous à domicile n’est pas pour demain. Initialement promis sur tout le territoire d’ici fin 2020, le fameux FTTH « à 100 % » aura du mal à tenir son nouvel objectif fixé à fin 2025. La crise sanitaire a freiné les déploiements de prises. De plus, les Français ne se précipitent pas pour s’abonner.

« Nous accélérerons en particulier tous les projets sur les réseaux qui permettent de structurer et de développer nos territoires [comme le] déploiement du très haut débit », a promis Jean Castex (photo), le nouveau Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale le 15 juillet dernier. Mais la France s’en donnera-t-elle les moyens financiers ? « Pour passer du Plan France Très haut débit 2022 à la généralisation du FTTH, 5,4 milliards d’euros seraient nécessaires pour généraliser la fibre partout en France d’ici 2025, sans oublier de fournir du très haut débit d’ici là aux personnes connectées tardivement », a chiffré Etienne Dugas, président d’Infranum, lors des 14èmes Assises du Très haut débit, organisées par l’agence Aromates le 2 juillet dernier.

Le FTTH pèse la moitié des 11 Mds€ demandés
Fédération des entreprises partenaires des territoires connectés, Infranum fut créée fin 2012 sous le nom de Fédération des industriels des réseaux d’initiative publique (Firip) pour accompagner le « Plan France THD ». Elle regroupe plus de 200 entreprises – bureaux d’études, opérateurs, intégrateurs, équipementiers, fournisseurs de services, etc. – représentatives de la filière des infrastructures numériques. Ensemble, avec un total de 13.000 entreprises actives en France, ces acteurs des réseaux représentent un poids économique de 52 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 280.000 emplois. « La crise actuelle, d’une ampleur sans précédent, a impacté toute la filière des infrastructures numériques, en particulier le déploiement de la fibre », a expliqué Etienne Dugas. Les 5,4 milliards d’euros nécessaires, selon Infranum, pour mener à bien le déploiement de la fibre optique partout sur le territoire français d’ici cinq ans représentent à eux seuls près de la moitié des 11,2 milliards d’euros estimés indispensables par la filière comme « plan de relance », dont 7 milliards à prendre en charge par les pouvoirs publics.
Et encore : sur ces 5,4 milliards d’euros pour la généralisation du FTTH, 150 millions d’euros seront tout de même alloués à des technologies alternatives pour atteindre les objectifs du très haut débit pour tous à fin 2022. D’après les chiffrages effectués par les cabinets EY (Ernst & Young) et Tactis pour Infranum, quelque 3 milliards d’euros devraient à la charge de la filière et les 2,4 milliards restants – soit plus de 60 % – financés par les pouvoirs publics que sont l’Etat, les collectivités et le financement européen dans le cadre du plan européen de relance (voir tableau ci-dessous ). Pour accélérer le mouvement et rattraper ainsi le retard accumulé durant les mois de confinement, la filière suggère de « mettre en place des actions “coup de poing” dès cet été pour reconstituer l’outil de production nécessaire à la poursuite du déploiement de la fibre et au raccordement ». Le FTTH a été rattrapé par le covid-19. Après « une activité fortement réduite durant le confinement », en particulier dans les territoires des réseaux d’initiative publique (« zones RIP »), mais sans qu’il n’y ait pas eu d’arrêt d’activité, les déploiements ont repris de façon « significative » depuis le 11 mai, premier jour de déconfinement progressif. Pour autant, prévient la fédération de la filière des infrastructures numériques, « un retour est prévu à seulement 90 % d’activité nominale dès septembre à cause du maintien des mesures de protection indispensables » – contre seulement 40 % à 50 % d’activité durant le confirment et 75 % lors de la reprise actuelle. Quoi qu’il en soit, selon Infranum, « le déploiement du très haut débit à fin 2022 pourrait ne pas être achevé à temps avec le mix technologique initialement prévu ». Et comme « le plan actuel laisserait environ 3 millions de foyers et entreprises qui ne disposeraient pas du FTTH, un plan de généralisation s’avère indispensable ».

Trop de fibres raccordables sans abonnés
L’étude EY-Tactis estime en outre que la production du déploiement d’une prise de fibre optique a accusé un surcoût de 17 % à 23 % en période confinement, de 11 % à 17 % dans la période en cours de reprise, et 4 % à 8 % à partir de septembre lors de la période de « postreprise » durant laquelle les mesures de distanciation sont maintenues. « Ces surcoûts sont des moyennes et peuvent présenter des variations locales importantes », est-il précisé. Où en est-on précisément dans les déploiements de la fibre optique ? Lors des 14èmes Assises du Très haut débit, Julien Denormandie, alors encore ministre de la Ville et du Logement, s’est voulu confiant : « Un chiffre m’interpelle beaucoup : à mi-2017, il y trois ans, 9 millions de Français étaient raccordables à la fibre. Selon les projections de l’Association des villes et collectivités multimédias (Avicca) à fin 2022, ce seront 31 millions de Français qui seront raccordables en FTTH. En cinq ans, on aura donc multiplié par trois ce nombre ». Pour l’heure, d’après les derniers chiffres disponibles de l’Arcep au 31 mars 2020, le nombre de prises FTTH « raccordables » s’élève à 19,5 millions en France. D’ici fin 2022, il reste donc encore 11,5 millions de prises de fibre raccordables à déployer en deux ans et demi (une trentaine de mois seulement). « L’année 2019 a été une année de tous les records, avec le déploiement de 4,8 millions de prises FTTH raccordables [contre 3,2 millions en 2018 et 2,6 millions en 2017, ndlr] », s’est félicité le ministre (voir tableau ci-dessous). Tout en assurant : « D’aucune manière que ce soit, les objectifs ne sont remis en cause : du bon débit pour tous fin 2020 [8 Mbits/s, ndlr] et du très haut débit pour tous fin 2022. Il s’agit de retrouver le rythme de la dynamique qui était le nôtre juste avant le covid-19, même si 2020 ne sera pas aussi bon que 2019 ».
Julien Denormandie n’a cependant pas mentionné l’ultime objectif fixé par Emmanuel Macron en juillet 2017, à savoir « la fibre pour tous à fin 2025 »… Quoi qu’il en soit, après fin 2022, il restera du pain sur la planche de la filière puisque le parc de logements et/ou locaux à raccorder en France ne cesse d’évoluer – zones très denses, zones dites AMII (à manifestation d’intention d’investissement) et zones dites RIP (réseaux d’initiative publique) confondues : de 39,7 millions de logements/locaux en 2019, ce parc total atteindra 41,1 millions de logements/locaux en 2022, puis 42,4 millions en 2025. Pour autant, la prise raccordable ne fait pas l’abonné. Au 31 mars 2020, l’Arcep compte 7,6 millions d’abonnés FTTH sur le total de 19,5 millions prises raccordables. Ce ne fait qu’un taux de 39 % de fibres raccordables vraiment utilisées. « On ne parle pas suffisamment du taux de pénétration, la différence entre le raccordable et le raccordé (…). Cela doit être un de nos chantiers dans les prochains mois », a prévenu le ministre. Généraliser la fibre en France aura coûté – investissements publics et privés conjugués – de 30 à 35 milliards d’euros. Il reste à convaincre tous les Français de son utilité. @

Charles de Laubier

Diffusion TV via des applications OTT : le combat continue entre distributeurs et éditeurs de chaînes

Depuis le différend d’il y a six ans entre Play Media, pionnier de la diffusion de chaînes en ligne, et France Télévisions – affaire qui s’est soldée par le rejet du « must carry » –, la question de la distribution des chaînes de télévision par des distributeurs Internet a été reposée par Molotov.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

La révolution numérique a modifié les attentes des consommateurs, notamment dans la manière de regarder la télévision. Aux côtés de l’offre disponible sur les réseaux classiques (TNT, satellite, câble et ADSL/VDSL2), la distribution de la télévision connaît une nouvelle étape avec les applications OTT (Over-the-Top) – lesquelles sont par définition indépendantes de tout opérateur télécoms, mais pas forcément des éditeurs de chaînes. Cette offre permet d’accéder, par le biais d’un portail unique, à des contenus issus de différentes chaînes de télévision linéaire sur tous les écrans et appareils connectés.

Affaire « Play Media » : pas de must carry
Molotov.tv figure parmi les applications OTT les plus connues. Son éditeur Molotov (1) propose un modèle freemium, à savoir un service gratuit assorti de services payants améliorés. La plateforme permet d’accéder gratuitement aux services de télévision linéaire ainsi qu’à des fonctionnalités complémentaires, parfois payantes, notamment : de recherche, de rattrapage, de projection sur un écran de télévision ou parfois de reprise de programmes depuis le début, ou d’enregistrement. Côté « consommateurs », Molotov revendique plus de 10 millions d’utilisateurs enregistrés après seulement trois annèes d’existence (2). Côté « contenus », Molotov offre une expérience associant dans une même interface les programmes linéaires et non-linéaires de plus de 170 éditeurs et chaînes de télévision. L’éditeur a notamment conclu des contrats de distribution expérimentaux avec M6 (le 5 juin 2015 pour une durée initiale de deux ans qui s’est poursuivie jusqu’au 31 mars 2018) et avec TF1 (le 23 octobre 2016 pour une durée initiale de 14 mois qui s’est poursuivie jusqu’au 30 juin 2019). A partir de 2017, TF1 puis M6 ont informé Molotov qu’ils allaient restructurer les conditions de distribution de leurs services, en exigeant une rémunération pour le droit de distribuer leurs chaînes de la TNT en clair et services associés. Des négociations distinctes se sont engagées entre les chaînes et Molotov. Faute d’accord, M6 a mis fin à la reprise de ses chaînes à compter du 31 mars 2018 et TF1 à compter du 1er juillet 2019. Molotov a considéré que l’absence d’accord entre les parties ne résultait pas d’un processus contractuel normal. L’échec des négociations serait lié au lancement concomitant d’une plateforme concurrente. En effet, parallèlement aux négociations, M6 et TF1 ont créé avec France Télévisions (FTV) une plateforme dénommée Salto, dont l’activité est, d’une part, la distribution – dans le cadre d’offres payantes – de services de télévision et de médias audiovisuels à la demande, et d’autre part, l’édition d’une offre de vidéo à la demande par abonnement. La création de Salto a été autorisée par l’Autorité de la concurrence le 12 août 2019 sous réserve d’exécution d’engagements.
La rivalité entre les chaînes de télévision, lesquels ont des accords de distribution rémunérateurs avec les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), d’une part, et les purs distributeurs de services OTT sur Internet, d’autre part, n’est pas nouvelle. Ce qui différencie principalement les applications des éditeurs de chaînes (comme TF1 ou M6 (3)) des simples distributeurs OTT (comme MyCanal et Molotov), c’est qu’elles ne proposent que leurs propres chaînes, ce qui limite forcément l’attractivité de leurs services. Pour se différencier, les éditeurs de chaînes proposent donc des fonctionnalités spécifiques comme des avant-premières, des programmes exclusifs, des prolongements de leurs émissions-phare et le start-over (4) qu’elles n’autorisent pas toujours chez leurs concurrents OTT. La particularité de l’application Salto est de regrouper plusieurs éditeurs de chaînes.
Cette concurrence entre applications OTT d’un pur distributeur et d’un éditeur de chaînes s’est déjà retrouvée devant les tribunaux. En 2014, FTV, constatant que ses programmes étaient proposés – sans son autorisation – par la société Play Media sur le site Playtv.fr pour un visionnage en direct et un accès à la télévision de rattrapage, l’a assignée en concurrence déloyale (FTV offrait déjà ce service sur son site Pluzz). Play Media a revendiqué pour les modes de diffusion sur Internet l’obligation de diffusion des chaînes publiques transmises par voie hertzienne, dite « must carry » (5), conçue pour les modes de diffusion historiques (hertzien, câble, satellite). Sur ce motif, Play Media a demandé qu’il soit enjoint à FTV de conclure un contrat l’autorisant à diffuser ses programmes.

Accord contracturel OTT-chaîne nécessaire
Après cinq années de procédure et de nombreuses décisions (6), il a été jugé que le distributeur Play Media ne pouvait pas se prévaloir de l’obligation de must carry dès lors que « l’existence de relations contractuelles nouées avec l’éditeur de services de communication audiovisuelle est une condition de la mise en œuvre de l’article 34-2 ». Il est donc définitivement tranché que la reprise d’une chaîne par un distributeur OTT nécessite un accord contractuel avec l’éditeur de ladite chaîne. Ce type d’accord aboutit souvent, mais encore faut-il qu’il soit recherché de bonne foi. Par exemple, depuis un accord d’une durée de trois années conclu en octobre 2019, Molotov peut intégrer dans ses offres les chaînes du groupe Altice, à savoir BFMTV, RMC Découverte, RMC Story, BFM Business, BFM Paris, BFM Lyon et i24 News (en français, en anglais et en arabe).

La bataille du freemium et du premium
Le distributeur Molotov a considéré que l’échec des négociations avec TF1 et M6 avaient pour cause des pratiques contraires aux règles de concurrence nationales et à celles de l’Union européenne. Selon Molotov, TF1 et M6 auraient rompu de manière brutale et abusive les accords expérimentaux conclus, entre chacun des deux groupes et Molotov. M6 aurait, via l’adoption de nouvelles conditions générales de distribution (CGD), tenté d’imposer à Molotov la distribution de ses chaînes et services aux consommateurs exclusivement dans le cadre d’offres payantes, ce que Molotov juge incompatible avec son modèle d’affaires freemium. De son côté, TF1 aurait tenté d’imposer à Molotov les conditions de son offre « TF1 Premium » qui consiste à apporter des services à valeur ajoutée tels que ceux fournis à des FAI pour leur « box (replay enrichi ou étendu, start-over, cast, 2e écran ou multiécrans, 4K, avant-premières, etc. (7)).
Le comportement de TF1 et M6 serait lié à la création de l’entreprise commune Salto, qui est un futur concurrent de Molotov. Toujours selon la société Molotov, ces faits constituaient une tentative abusive d’éviction de son application et attestaient également de l’existence d’une collusion anticoncurrentielle entre TF1 et M6. Molotov serait en outre dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de TF1 et de M6, situation dont celles-ci auraient abusé par leur comportement. La société Molotov a donc saisi l’Autorité de la concurrence le 12 juillet 2019. Par une décision en date du 30 avril 2020, l’Autorité a débouté intégralement Molotov de ses demandes dès lors que Molotov n’apportait pas d’éléments suffisamment probants à l’appui de ses allégations.
• Premier grief : l’allégation d’abus de position dominante collective. Selon l’Autorité de la concurrence, ni la saisine ni le dossier d’instruction ne comportent d’éléments suffisamment probants susceptibles de démontrer l’existence d’une position dominante détenue collectivement par les groupes FTV, TF1 et M6. En particulier, rien ne permet d’affirmer que les groupes FTV, M6 et TF1, pris collectivement, soient susceptibles de pouvoir « agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs ».
• Deuxième grief : l’allégation d’abus de dépendance économique. Molotov soutenait que les chaînes des trois groupes historiques (M6, TF1 et FTV) représentent collectivement 70 % de l’audience de la télévision linéaire gratuite et sur la part de la durée de visionnage totale des utilisateurs de Molotov attribuable aux chaînes des groupes TF1 et M6. L’Autorité a rappelé que selon la jurisprudence La démonstration d’un tel état de dépendance doit donc être faite au cas par cas pour chacune de ces relations (d’abord Molotov/TF1 puis Molotov/ M6) et non collectivement (Molotov/M6/TF1).
• Troisième grief : l’allégation d’entente horizontale concernant la création de Salto. Molotov soutient que les chaînes ont adopté de concert vis-à-vis de Molotov un comportement visant à restreindre sa capacité à exercer une pression concurrentielle sur leur plateforme future. Selon l’Autorité de la concurrence, le nouveau positionnement de TF1 et de M6 consistant à demander une rémunération s’explique d’abord par l’évolution du paysage audiovisuel. Il s’explique aussi, comme le font valoir TF1 et M6, par l’existence de manquements contractuels répétés de Molotov, dont des factures impayées, l’absence de fourniture mensuelle du nombre d’utilisateurs et d’envoi de données détaillées sur l’utilisation de la fonctionnalité d’enregistrement. L’Autorité de concurrence en conclut que la saisine et les éléments au dossier ne contiennent aucun élément tendant à démontrer l’existence d’un accord de volonté, explicite ou tacite, entre les groupes TF1 et M6 ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, en excluant Molotov du marché.
• Quatrième grief : la restriction verticale alléguée du fait d’une clause dite de « Paywall » (8) contenue dans les CGD du groupe M6 qui aurait été illégale. C’était l’atout de Molotov qui avait eu gain de cause sur ce fondement devant le tribunal de commerce de Paris (9). Or, selon l’Autorité de la concurrence, en l’absence de démonstration de l’existence d’un accord de volonté entre M6 et Molotov, et donc de l’entrée en vigueur de cette clause, toute analyse sous l’angle des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est, par définition même, exclue.

TF1, FTV et M6 sous surveillance
Molotov, dans une précision (10), considère que sa situation de distributeur s’est améliorée dès lors que l’introduction de son action (en juillet 2019) aurait conduit l’Autorité de la concurrence à assortir l’autorisation donnée à Salto en août 2019 d’engagements obligatoires qui doivent dans des « conditions équitables, raisonnables et non-discriminatoires » permettre à tous les distributeurs, dont Molotov, de distribuer les chaînes des groupes mères de Salto, à savoir TF1, FTV et M6. Molotov a déclaré qu’elle veillerait à ce que ces éditeurs ne vident pas de leur portée les engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de l’Autorité et qu’elle n’hésiterait pas à engager toute procédure nécessaire dans le cas contraire… Depuis le 3 juin, Salto a commencé à faire ses premiers pas en version bêta fermée (11). Prévu initialement au printemps, son lancement a été reporté à l’automne. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre « Numérique :
de la révolution au naufrage ? », paru en 2016 chez Fauves Editions.

Pourquoi Martin Bouygues a appelé à repousser les enchères 5G à fin 2020-début 2021 : était-il prêt ?

« Bouygues Telecom ouvrira son réseau 5G à l’été 2020 », promettait la filiale du groupe Bouygues dans son rapport annuel 2019 publié le 24 mars. Mais dans une tribune du 23 mai, Martin Bouygues a créé la surprise en prônant le report des enchères. Le PDG devra s’en expliquer le 10 juin devant le Sénat.

Martin Bouygues (photo), PDG du groupe éponyme, a-t-il pris la crise du coronavirus comme prétexte pour appeler le gouvernement et le régulateur à surseoir à l’organisation des enchères pour l’attribution des fréquences 5G ? C’est ce que beaucoup se demandent tout bas, tant sa tribune publiée le 23 mai dans Le Figaro a surpris tout son monde, à commencer par le régulateur lui-même qui a fait part de son étonnement.

« MB » ne dit mot sur Huawei, et pourtant…
« Je pense qu’il faut être pragmatique : la situation du pays, qui se relève avec difficulté d’un terrible cauchemar sanitaire humain et économique, commande de repousser de quelques mois supplémentaires l’attribution des fréquences 5G. (…) Il faut repousser à la fin de cette année ou au début de 2021 la mise aux enchères des fréquences 5G tout simplement parce que le monde économique d’aujourd’hui n’est plus du tout le même que celui qui prévalait début mars, lorsque les conditions de l’enchère ont été fixées », a lancé « MB » (1). La France, « pas totalement convaincue par les arguments » de ce dernier (2), va décider mi-juin si ces enchères 5G – initialement prévues le 21 avril dernier – se tiendront fin juillet ou, si l’urgence sanitaire l’exige, en septembre. Ce qui est surprenant, c’est que le PDG du groupe Bouygues, fleuron du CAC 40, se fait en outre l’écho de la méfiance et du scepticisme du frange de la population à l’égard de la 5G : « Je le regrette, mais c’est ainsi. Il y a ceux qui sont persuadés, sans aucun fondement scientifique, que la 5G serait dangereuse et on assiste même à une montée inquiétante des thèses complotistes expliquant que la 5G aurait un rôle dans la diffusion du coronavirus ! ».
Sur le site web du FigaroVox où fut mise en ligne dès le 22 mai sa tribune, les internautes du quotidien conservateur y sont allés de leurs commentaires – plus de 300 – après cette volte-face. L’un des derniers commentaires (posté le 26 mai) relève implicitement que Martin Bouygues n’évoque pas du tout le débat sur la cybersécurité soulevé à propos de l’équipementier chinois Huawei, auprès duquel Bouygues Telecom se fournit déjà pour sa 4G et pour ses tests 5G. « Monsieur Bouygues utilise Le Figaro pour parvenir à ses fins. Ce n’est pas une opinion qu’il nous livre là mais la défense de son groupe. Et il défend cette position parce que Bouygues n’est pas prêt, ni financièrement, ni techniquement. Il aurait dû pourtant savoir que baser son infrastructure sur la technologie Huawei était un risque. Ce risque, il l’a pris en connaissance de cause. Qu’il assume. Nous n’avons pas de temps à perdre à cause du groupe Bouygues », a ainsi réagi Anonymous33. Le PDG n’avait-il pas déclaré le 20 février qu’interdire Huawei créerait « des distorsions de concurrence entre les opérateurs », et trois mois plus tôt, le 18 novembre 2019, prévenu devant le Medef que si Bouygues Telecom ne pouvait pas aussi se fournir auprès du chinois, cela reviendrait à « rétrofiter » (remettre en état) son réseau mobile ? «MB » n’en dit mot. Depuis la promulgation en août 2019 de la loi française « anti-Huawei » (3), qui soumet à autorisation préalable du Premier ministre l’exploitation de tout équipement mobile étranger et logiciel associé, le gouvernement veut exclure Huawei du cœur des réseaux 5G mais tarde à agréer les opérateurs. Ce qui ne fait pas les affaires de Bouygues Telecom ni celles de SFR, tous deux ayant fait le choix du chinois. « Si nous étions (…) dans l’obligation d’utiliser un autre équipementier que Huawei, dans les zones où nous avons des équipements 4G Huawei actuels, nous serions obligés de les démonter et de réinstaller des équipements, ce qui a un effet de coût et de délai », avait prévenu en février Martin Bouygues (4). Trois mois plus tard, le PDG invoque le covid-19 pour justifier le retard. Dans les commentaires en ligne, un dénommé Kezakoo y va de sa petite pique : « Gêné aux entournures par l’embargo sur Huawei… Ben faut commander chez Nokia ou Ericsson, Francis [le prénom du père de Martin Bouygues, ndlr] ». Maper34, lui, s’interroge : « La Chine nous a fait un beau cadeau avec le coronavirus. Avons-nous des raisons, nous, de leur faire des cadeaux, 5G et autres ? Pour qu’ils se moquent encore de nous ? ».

Retarder, se tirer une balle dans le pied ?
Mais des voix s’élèvent pour appeler «MB » à ne pas retarder la 5G. « La 5G est au contraire un élément-clé pour désenclaver certains territoires et réduire la fracture entre zone fibre-ADSL-bas débit. Il y a un intérêt économique concret, qui va bien au-delà de suivre son émission sur son téléphone ; c’est de l’investissement structurel, pas du confort », plaide Alexsedlex. Et Caton001 d’ironiser : « Bouygues pense à son petit seau, sa petite pelle, son petit râteau et sa petite tirelire. Le problème est que la 5G participe à la révolution industrielle et que retarder son introduction constituerait un handicap pour notre industrie ». @

Charles de Laubier