Les écosystèmes play-to-earn séduisent le jeu vidéo, où éditeurs et joueurs sont gagnants

P2E : trois lettres qui pourraient rapporter gros aux joueurs assidus. Perdre son temps à jouer en ligne ou gagner des revenus en jouant ? L’ère du play-to-earn a vraiment commencé en 2021 et se confirme cette année. Les « récompenses » sont payées en jetons non fongibles (NFT) ou en cryptomonnaies.

Grâce à la technologie chaîne de blocs, ou blockchain, l’industrie du jeu vidéo est en train d’étendre son domaine de la lutte aux play-to-earn (P2E) voire au create-to-earn (C2E) : jouer et créer pour gagner des récompenses ou des rémunérations. L’appât du gain aidant, de nombreux éditeurs – historiques comme le français Ubisoft ou start-up comme la vietnamienne Axie Infinity et la française The Sandbox financées par des levées de fonds – ont entrepris de surfer sur cette tendance aux promesses lucratives. Mais il reste à en démocratiser l’usage.

Blockchain Gaming, NFT et… hacking
Ubisoft a lancé en décembre 2021 la plateforme Quartz (1) en version bêta. « C’est l’endroit où vous pouvez acquérir des Digits, les premiers NFT d’Ubisoft, jouables dans un jeu HD stockés sur la chaîne de blocs Tezos », explique le groupe fondé par les frères Guillemots (2). Les jetons non fongibles Digits offrent plus de contrôle au joueur : « Alors qu’ils sont d’abord et avant tout des objets jouables, les Digits vous permettent de mettre vos objets en vente auprès d’autres joueurs éligibles, quand vous voulez et au prix que vous définissez. De même, vous pouvez acheter de nouveaux articles directement auprès d’autres joueurs. Toutes ces transactions auront lieu sur les marchés tiers autorisés, Rarible.com ou Objkt.com, pas sur Ubisoft Quartz ». Les premiers Digits sont jouables sur la version PC de « Tom Clancy’s Ghost Recon Breakpoint », un jeu vidéo à gros budget de tir tactique en ligne sorti en 2019 et disponible sur la plateforme de distribution Ubisoft Connect.
Les Digits proposés sont en nombre limité, chacun numéroté, et peuvent représenter un objet de collection unique et jouable dits « cosmétiques » dans le jeu. Ceux-ci peuvent aller des véhicules in-game aux armes sous la forme de pièces d’équipement (une arme, un vêtement, un casque, …). Les objets en jeu ne sont plus censés rester dans l’inventaire du joueur. Ubisoft entend ainsi « récompenser les joueurs les plus loyaux » plutôt que « des spéculateurs » (dixit Nicolas Pouard, en charge de l’innovation chez Ubisoft). C’est en tout cas la première major du jeu vidéo à se lancer, avec Quartz, dans le Blockchain Gaming (3) et le play-to-earn. Et ce, malgré l’accueil plutôt frais réservé par des gamers et certains développeurs à l’annonce de Quartz l’an dernier. Par ailleurs, le groupe Ubisoft dirigé par Yves Guillemot (photo de gauche) a notamment investi dans la start-up vietnamienne Sky Mavis qui a développé en 2018 Axie Infinity, un jeu P2E basé sur la blockchain Ethereum et précurseur des jeux à NFT. Lors d’un premier tour de table, elle avait levé près de 150 millions de dollars avec l’aide de Marc Andreessen (4) et Ben Horowitz via leur fonds Andreessen Horowitz, alias A16z (5). Ce qui a valorisé Sky Mavis 3 milliards de dollars. Axie Infinity est un jeu de combat où les joueurs collectionnent des créatures certifiées par NFT et appelées Axies qu’ils élèvent (ces petits monstres se reproduisent) et combattent, ou revendent (en spéculant sur les plus rares), pour obtenir des récompenses en mode play-to-earn sous forme de cryptomonnaie. Les joueurs peuvent aussi acquérir des terrains virtuels. Dans l’univers effervescent du Blockchain Gaming, ce jeu est considéré comme le plus important projet. A février 2022, d’après Forkast, Axie Infinity – qui revendique quelque 2,8 millions de joueurs actifs chaque jour en moyenne – a franchi la barre des 4 milliards de dollars de ventes dans son écosystème (6). Le bien le plus cher s’est vendu 820.000 dollars (7).
« Axie est un jeu animalier numérique axé sur la communauté qui remplace le modèle de jeu traditionnel violent, et permet aux joueurs de gagner de l’argent tout en luttant, en élevant et en construisant un royaume avec leurs amis. Axie est inspiré par des jeux classiques comme Pokémon, Neopets ou Tamagotchi. », décrit Trung Nguyen (photo de droite), le cofondateur et directeur général d’Axie Infinity (le studio Sky Mavis ayant été, lui, cofondé par Aleksander Leonard Larsen, Jeffrey Zirlin). Mais, fin mars, ce crypto-jeu de combats virtuels a été victime d’un cyber piratage bien réel des détenteurs du wallet Ronin, dont le butin des hackers s’élève à 620 millions de dollars (8). Comme pour regagner la confiance des gamers, l’éditeur a lancé début avril un jeu free-to-play appelé « Origin » (9).

Les « toqués » du token
Sur le P2E, un NFT Axie peut être utilisé pour générer un maximum de 10.000 dollars de revenus. Au delà, il faut la signature d’un accord de licence officiel. Les revenus peuvent provenir soit de « fan-art », c’est-à-dire une œuvre (tokenisée ou physique), réalisée par un fan et s’inspirant d’un ou de plusieurs personnages, d’une scène ou de l’univers numérique lui-même, soit de marchandises (t-shirts, sweats/hoodies, tasses, etc.). Avec son écosystème playto- earn, ou play & earn, Axie se définit comme un nouveau type de jeu « partiellement possédé et exploité par ses joueurs ». Les gamers peuvent gagnez des jetons AXS – Axie Infinity Shards – en jouant, et les utiliser pour décider de l’avenir du jeu. Ces tokens sont le ciment de toute la communauté Axie. « Les détenteurs d’AXS pourront réclamer des récompenses s’ils mettent en jeu leurs jetons, jouer et participer à des votes-clés sur la gouvernance du jeu », est-il expliqué dans les règles du jeu. Les AXS sont disponibles sur les plateformes d’échange décentralisé de cryptomonnaies Binance ou Uniswap.

Un « bac-à-sable » lucratif
Les métavers, eux aussi, tendent à intégrer dans leurs univers virtuels immersibles un écosystème P2E voire create-to-earn (C2E). C’est le cas de l’écosystème The Sandbox, qui, comme son nom le suggère, est un jeu vidéo de type « bac-à-sable » s’appuyant sur la blockchain Ethereum pour les transactions de bien virtuels ou les récompenses. Ce métavers fut développé au départ – il y a dix ans – par la société française Pixowl et édité par Bulkypix. Ce jeu, créé d’abord pour mobile, fut revendu en 2018 à la société hongkongaise Animoca Brands, mais les deux fondateurs français – Arthur Madrid et Sébastien Borget – restent respectivement directeur général et directeur des opérations. Ce dernier est président de la Blockchain Game Alliance (BGA). Sur son smartphone ou son ordinateur (PC ou Mac), le joueur peut créer sur The Sandbox son propre univers à travers l’exploration de ressources (eau, sol, foudre, lave, sable, …), d’humains et d’engins, le tout dans un univers 3D aux graphismes similaires à ceux de Minecraft ou de Roblox. Il peut aussi enregistrer les mondes qu’il a créés et éventuellement les télécharger dans une galerie publique. The Sandbox, dont la version « Alpha Saison 2 » vient d’être lancée (10), peut récompenser jusqu’à 1.000 dollars en jetons « Sand », propre à ce jeu décentralisé, avec le nouveau pass. C’est au cours de l’année 2024 que la totalité des tokens « Sand », à savoir 3 milliards, seront en circulation dans ce métavers, contre un peu plus de 1 milliard en mars 2022 – où l’on compte à ce stade 20.307 propriétaires possédant au total 170.968 jetons (11).
En outre, le 16 mars dernier, la banque internationale HSBC (basée à Hong Kong et à Shanghaï) a annoncé qu’elle ouvrira aux communautés virtuelles du monde entier du métavers The Sandbox de nombreuses possibilités financières et sportives. Par exemple, HSBC va acquérir une parcelle de « Land », un bien immobilier virtuel dans ce métavers, qui sera développé pour interagir et se connecter avec les amateurs de sports, d’esport et de jeux vidéo. HSBC n’est pas le premier partenaire du « bac-à-sable » en 3D puisque de nombreuses autres marques (plus de 200 à ce jour) se sont déjà lancées dans l’aventure tels qu’Ubisoft, Adidas, Warner Music Group, Atari, Gucci ou encore Cryptokitties (12). Le français Ubisoft, encore lui, a annoncé début février qu’il rejoint The Sandbox pour permettre aux joueurs d’intégrer des personnages et des objets de la série de jeux « Les Lapins crétins » (Raving Rabbids en anglais). Outre ce partenariat autour de cette franchise multimédia, Ubisoft aura son propre « Land » comme destination de divertissement proposant des expériences interactives. Les deux fondateurs français de The Sandbox ont conçu ce métavers intégrant P2E et C2E avec l’idée que ce jeu en 3D pourrait être à terme en-tièrement géré par sa communauté en tant qu’organisation autonome décentralisée de type DAO (Decentralized Autonomous Organization).
Selon la Blockchain Game Alliance (BGA), le play-to-earn associé au Blockchain Gaming est une nouvelle étape majeure pour l’industrie des jeux vidéo. Les consommateurs auront plus de contrôle sur les jeux et en récolteront les bénéfices. Cette tendance va créer de nouvelles opportunités de chiffre d’affaires, dont profiteront aussi les joueurs. «68% de nos membres affirment que le play-to-earn a été le principal moteur de la croissance de l’industrie », indique la BGA dans son rapport 2021 (13). En Asie, notamment, les thèmes de metaverse et de play-to-earn sont les plus discutés en ligne (réseaux sociaux et moteurs de recherche) ainsi que dans les médias. « Avec le play-to-earn permettant de gagner la propriété d’objets ou d’actifs, les joueurs deviendront une partie intégrante du système plutôt que des consommateurs passifs. Les jeux de blockchain seront l’outil le plus puissant pour amener les crypto-curieux au Web3 et convertir l’intérêt en participation », assure Supreet Raju, cofondateur de OneRare, un jeu de « métavers alimentaire » (14), cité par la BGA. Le P2E et le C2E, boostés à la blockchain et au métavers, pourraient donc « disrupter » l’industrie du jeu vidéo en redonnant la main aux joueurs et en les rémunérant pour leur activité dans le jeu.

De la consécration du farming
Le play-to-earn ou le create-to-earn tirent leur origine de la pratique du farming, laquelle consiste dans un jeu vidéo en ligne – notamment ceux dits massivement multi-joueurs ou MMORPG (15) comme l’historique « World of Warcraft » – à passer du temps à jouer et à rejouter pour accumuler des gains, de l’argent, des objets, ou de l’agilité en s’entraînant sans cesse et en améliorant sa performance afin de monter en niveau et de s’enrichir. Avec la multiplication des P2E, dont on peut citer aussi Polychain Monsters, Alien Worlds, Mobox, Bomb Crypto, Mist, Illivium, Sorare ou encore Neoland (sur la blockchain Solana), les opportunités sont nombreuses (16) mais… « le temps c’est de l’argent » est limité. @

Charles de Laubier

Puissance informatique et régulation « virtuelle » : les métavers vont poser des problèmes

Il y a 30 ans, l’auteur américain de science-fiction Neal Stephenson inventait le « metaverse » pour décrire un monde virtuel dans son roman « Snow Crash ». Aujourd’hui, ces univers immersibles en 3D misent sur le très haut débit et l’ultra haute définition pour tenter de devenir cette fois réalité.

La loi de Moore – inventée en 1965 par le cofondateur et président émérite d’Intel, Gordon Moore (93 ans depuis le 3 janvier), pour expliquer que la densité d’une puce en transistors double tous les deux ans – n’avait pas imaginée la montée en puissance des métavers. Ce néologisme – en anglais « metaverse » – est la contraction de meta qui signifie « au-delà » et d’universe pour « univers : il fut inventé par Neal Stephenson dans un roman de science-fiction paru en 1992 « Snow Crash » (Le Samouraï Virtuel). Soit cinq ans après que Gordon Moore ne quitte ses fonctions de PDG d’Intel…

Métavers mondial = puissance x 1.000
« Ces dernières années, le métavers est venu représenter une convergence utopique d’expériences numériques alimentée par la loi de Moore – une aspiration à permettre des environnements virtuels et de réalité augmentée riches, en temps réel et interconnectés à l’échelle mondiale, qui permettront à des milliards de personnes de travailler, jouer, collaborer et socialiser de façon entièrement nouvelle. En effet, le métavers peut être la prochaine plateforme informatique majeure après le World Wide Web et le mobile », prédit Raja Koduri (photo), l’actuel vice-président chez Intel, dans une tribune publiée en décembre dernier.
Mais, selon ce vétéran ingénieur informaticien américain, né en Inde, « l’informatique réellement persistante et immersive, à grande échelle et accessible en temps réel par des milliards d’êtres humains, exigera (…) une augmentation de 1.000 fois de l’efficacité informatique par rapport à l’état actuel de la technique » (1). Cela en prend le chemin, puisque la puissance des micro-processeurs et des ordinateurs s’achemine allègrement – « au cours des cinq prochaines années », avance Raja Koduri – vers l’informatique dite « zettascale », à savoir des supercalculateurs capables de traiter de l’ordre de 1 zettaflop à la seconde. Le zetta est la suite logique, en ordre décroissant, du peta, de l’exa, du tera, du giga et du mega. Cela dépasse l’entendement mais pas l’imagination des concepteurs de métavers. « Nous croyons que le rêve de fournir un pétaflop de puissance de calcul et un pétaoctet de données en une milliseconde à chaque Humain sur la planète est à notre portée », affirme celui qui est aussi directeur général de la division Accelerated Computing Systems and Graphics (AXG) créée l’an dernier au sein d’Intel et spécialisée dans la croissance de l’informatique et du graphisme haute performance.
Raja Koduri pense même que l’on est « à l’aube de la prochaine grande transition de l’informatique qui permettra une informatique persistante et immersive à grande échelle », au croisement des films d’animation, des jeux vidéo aux graphismes hyperréalistes, de la retransmission en live streaming en temp réel et à très haut débit, de la réalité virtuelle (VR) et de la réalité augmentée (AR), le tout avec des interactions aux temps de latence rendues imperceptibles. « L’explosion des technologies de la finance numérique décentralisée inspire des modèles économiques qui encouragent tout le monde à jouer un rôle dans la création de ces métavers », s’enthousiasme l’expert d’Intel qui compte bien répondre à la demande de ces univers immersibles en leur apportant des « blocs de construction ».
Car pour faire entrer les internautes dans ces métavers, il faudra que le réseau social immersible, comme le futur Meta envisagé par l’ex-Facebook, soit capable de proposer des avatars convaincants et créés dans leurs moindres détails (vêtements, cheveux, couleurs de peau réalistes, …) – « tous rendus en temps réel et basés sur des données de capteurs capturant des objets 3D du monde réel, les gestes, l’audio et bien plus encore ». Bref, la convergence numérique des mondes réel et virtuels est en marche.

Des internautes aux « métanautes »
Si le vice-président d’Intel mesure les limites de l’informatique d’aujourd’hui pour faire face à ces ambitions « métaverses » (« notre infrastructure informatique, de stockage et de réseau n’est tout simplement pas suffisante pour concrétiser cette vision »), il fait l’impasse sur les conséquences « carbone » pour l’environnement et le climat. Car, à l’instar du minage de milliers de cryptomonnaies dans le monde, l’émergence des métavers ne manqueront pas d’être énergivores et de forts contributeurs à l’émission de gaz à erreur de serre, au trou dans la couche d’ozone et au réchauffement climatique (2). A moins que les futurs Big Meta ne s’engage dès leur « écoconception » à limiter leur dégagement de CO2 dans l’atmosphère.
C’est à se demander s’il ne faudra pas appeler les internautes virtualisés des « métanautes ». Facebook, dont la maison mère Meta Platforms se veut aux avant-postes, nourrit l’espoir de convertir ses près de 3 milliards d’utilisateurs (cumul du réseau social historique avec Instagram, WhatsApp et Messenger) à son futur réseau social immersif.

Un marché mondial bien réel
La firme de Mark Zuckerberg a déjà commencé à investir – « des milliards de dollars » – dans son métavers qu’est en train de bâtir la nouvelle division Facebook Reality Labs (FRL), laquelle va présenter des comptes financiers séparés à partir des résultats à venir du quatrième trimestre 2021. « Nous nous attendons à ce que notre investissement dans Facebook Reality Labs réduise d’environ 10 milliards de dollars notre budget opérationnel global en 2021 », a déjà prévenu David Wehner, le directeur de Meta Platforms (3), anciennement « Facebook, Inc. » jusqu’à fin octobre 2021. Facebook a commencé à se faire les dents en proposant un univers collaboratif de travail baptisé « Horizon Workrooms », disponible gratuitement pour les casques de réalité virtuelle Oculus (hérités de l’entreprise fondée en 2012 et rachetée par le numéro un des réseaux sociaux deux ans plus tard pour 2 milliards de dollars).
Facebook n’est pas le seul, loin de là, à être attiré par les sirènes des métarvers, mais c’est le premier GAFAM à s’être engagé à investis massivement dans un réseau social immersif en 3D. Microsoft est aussi un géant du Net en embuscade, depuis la firme de Redmond a racheté en septembre 2014 la société suédoise Mojang et la franchise de son jeu de construction en ligne massivement multi-joueur et immersif Minecraft pour 2,5 milliards de dollars (4). A l’instar de Facebook, Microsoft va lancer « Mesh », plateforme virtuelles intégrée à son logiciel de visioconférencesTeams.
D’autres acteurs ont déjà développé leur métavers et détiennent une longueur d’avance sur la firme de Menlo Park, comme les éditeurs de jeu vidéo Roblox et Epic Games (Fortnite). Le fabricant des micro-processeurs graphiques Nvidia a déjà lancé sa propre plateforme, Omniverse, qui fut ouverte en version bêta en décembre 2020. Le chinois Baidu s’installe dans le métavers avec XiRang. Ses compatriotes Tencent, Alibaba et ByteDance fourbissent leurs armes. Il y aussi des pionniers comme Second Life (5), Decentraland voire World Of Warcraft (le jeu de rôle en ligne massivement multijoueur ou MMORPG édité par Blizzard Entertainment). Des startup se positionnent sur ce marché potentiel, telles que The Sandbox dont le métavers est basé sur la blockchain Ethereum comme l’est celui de Cryptovoxels. Bien d’autres initiatives immersives en 3D comme le britannique Somnium Space ou le français Kinetix. La 55e édition du CES (6) de Las Vegas, qui s’est tenue début janvier, a fait la part belle à ces univers parallèles avec leurs capteurs, casques, avatars, lunettes, haptiques, sensations, secondes peaux, boîtiers, etc. Tout un équipement pour entrer de plain-pied dans la science-fiction.
Ce nouvel eldorado du numérique est en passe de constituer un marché potentiel aux perspectives bien réelles. Selon le cabinet d’études britannique Strategy Analytics, les transactions dans les métavers et les jeux en immersion 3D pourraient atteindre la somme colossale de 42 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2026, contre 6,1 milliards l’an dernier. Ces mêmes analytes tablent sur 3,7 milliards de dollars d’ici cinq ans rien qu’en dépenses des internautes et recettes publicitaires dans les mondes de réalité étendue dits XR, pour Extended Reality. De son côté, le cabinet d’étude indien Marketysers Global Consulting (Reports And Data) évalue le marché mondial du métavers à des niveaux stratosphériques : plus de 872,3 milliards de dollars en 2028.
« Le – ou les – métavers restent néanmoins des dispositifs numériques où l’extension du domaine de la collecte des données pourrait s’avérer problématique si leur développement n’est pas maîtrisé », s’est inquiété Régis Chatellier (7), responsable d’études prospectives à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Selon lui, une immersion et une intégration plus ou moins complètes entre le terminal d’accès et l’univers virtuel réduit la capacité individuelle à échapper à la collecte de données, quand bien même le cadre réglementaire européen du RGPD s’appliquera aux métavers. Qu’est-ce qui relèvera de la confidentialité des correspondances privées et de la vie privée à protéger de l’avatar et de son alter-ego ?

Des « méta-problèmes » en perspective
« Meta est une très belle illustration du “méta-problème” de Facebook. (…) Je suis aussi très inquiète (…). Le métavers a besoin de beaucoup de capteurs et de données biométriques sur les personnes », avait fait part Frances Haugen, ancienne ingénieure chez Facebook devenue lanceuse d’alerte, lors de son audition – bien réelle celle-là – devant deux commissions sénatoriales le 10 novembre dernier. @

Charles de Laubier

Metaverse : Facebook Horizon dans le sillage de Second Life, pionnier des univers virtuels

Plus de sept ans après avoir racheté le fabricant de casques de réalité virtuelle Oculus, Facebook a lancé le 19 août une version bêta gratuite de « Horizon Workrooms ». C’est la première pierre de son futur metaverse, un de ces univers virtuels dont Second Life fut le plus médiatique pionnier.

Profitant de l’explosion du télétravail et du distanciel en ces temps de crise sanitaire et de confinements, la firme de Mark Zuckerberg a lancé – via sa filiale Facebook Technologies (ex-Oculus VR) – la version bêta ouverte de « Horizon Workrooms », un univers collaboratif de travail disponible gratuitement pour les casques de réalité virtuelle Oculus Quest 2, lesquels sont disponibles depuis près d’un an. L’annonce a été faite le 19 août sous la marque Oculus (1), héritée de l’entreprise fondée en 2012 et rachetée par Facebook deux ans plus tard pour 2 milliards de dollars.

Seconde vie de Second Life
Workrooms, où les utilisateurs casqués peuvent se réunir dans une même salle de travail virtuelle, est une première étape de ce que pourrait être le metaverse promis par Facebook – comprenez un univers virtuel – et compatible avec le monde réel. Ce réseau social en réalité virtuel (Social VR World) existe en fait depuis un an maintenant, en version bêta là aussi. Il s’appelle « Facebook Horizon », présenté il y a deux ans (2), et n’est accessible depuis août 2020 que sur invitation (3). « Notre mission est de créer des liens significatifs entre les gens et de favoriser un fort sentiment de communauté pour tous ceux qui se joignent à Horizon », explique Facebook. Cet espace a des allures de metaverse, du nom du monde virtuel popularisé par Neal Stephenson (photo), auteur américain de science-fiction, dans son roman « Snow Crash » paru en 1992 et toujours disponible chez Penguin Random House (4).
Ce roman futuriste met en scène un hacker livreur de pizzas, qui a accès au « métavers » (métaverse en anglais, contraction de meta qui signifie « au-delà » et de universe pour univers) où foisonne tout un monde futuriste du savoir en lien ou pas avec la réalité. Metaverse est une anticipation de ce que sera le Web mais en version 3D et en VR (Virtual Reality), à l’instar de Second Life créé en 2003 par la société californienne Linden Lab, alias Linden Research. Gratuit, cet univers virtuel – où évoluent les avatars des utilisateurs disposant de leur propre monnaie virtuelle, le Linden dollar (L$) – a eu son heure de gloire durant ses cinq premières années jusqu’au lancement de nouveaux mondes parallèles concurrents potentiels créés à l’initiative de deux géants : Lively de Google (finalement fermé à la fin de ma première année en 2008) et Home de Sony (également abandonné mais sept ans après). A son apogée, « SL » a dépassé en octobre 2008 les 17 millions de « Resi’s », le petit nom de ses résidents. Son économie a généré jusqu’à 400 millions de dollars en une année. Passé le buzz médiatique du milieu des années 2000, Second Life a ensuite entamé une seconde vie plus discrète (5) et son patron cofondateur Philip Rosendale fut remplacé sur fond de crise interne. Malgré son déclin, Second Life survit encore aujourd’hui et s’est ouvert en 2014 à l’Oculus Rift (déjà aux mains de Facebook), mais sans succès. En juillet 2020, Linden Research et sa filiale de paiement Tilia ont annoncé leur acquisition (6) par un groupe d’investisseur dirigé par Randy Waterfield et Brad Oberwager. Depuis, ce dernier est devenu le président exécutif de Linden Lab. Le 19 août dernier, le jour même où Oculus annonçait la version bêta d’« Horizon Workrooms », Linden Research a annoncé un accord avec l’éditeur de bandes dessinées Zenescope Entertainment, en collaboration avec la principale agence de licences numériques, Epik. Objectif : donner vie à l’univers sombre et tordu de Grimm en tant que métavers Zenescope à l’intérieur de Second Life. « L’expérience virtuelle comprend Cendrillon (alias Cindy, dans “Cinderella: Serial Killer Princess”), principal personnage d’une mini-série de six épisodes. Le monde immersif est plein de jeux, de surprises cachées, d’objets de collection virtuels exclusifs et de marchandises trouvées uniquement dans Second Life », précise le créateur de SL (7).
En outre, la crise sanitaire a en outre profité au pionnier des mondes virtuels qui a vu son audience revigorée. L’amorce du metaverse de Facebook – via son entité FRL (Facebook Reality Labs) – devrait aussi réactiver l’attrait pour les mondes virtuels, à l’heure du très haut débit et de l’ultra-haute définition.

Repousser les limites du réel
Les conditions sont réunies pour un rebond des univers virtuels d’avatars, en conjonction avec la réalité – qu’elle soit augmentée, holographique ou encore téléportée. Les smartphones sont limités à l’Internet mobile. Les métavers, eux, repoussent les limites à l’aide de casques de VR ou de lunettes de AR (Augmented Reality). Mark Zuckerberg, qui parle de « Graal des interactions sociales », en a fait son nouveau cheval de bataille (8). Mais il n’est pas le seul : Second Life est à nouveau en embuscade, tandis que la plateforme de jeux vidéo Roblox et le célèbre jeu coopératif de tir et de survie « Fortnite » (édité par Epic Games) n’ont pas attendu pour lancer leur metaverse (9). @

Charles de Laubier

Comment Snap mise sur la réalité augmentée pour augmenter réellement son ARPU

La « camera company » Snap, qui fêtera ses dix ans cet été, a dévoilé pour la première fois son audience mensuelle : un demi-milliard d’utilisateurs. Reste à augmenter leur monétisation, mais pas seulement le faire pour la réalité… Du grand spectacle en vue.

En France, d’après Médiamétrie, Snapchat compte 24,9 millions de visiteurs uniques rien que sur avril 2021, en par hausse de 2,6 % par rapport au moins précédent. L’Hexagone pèse donc à peine 5 % de l’audience mondiale de 500 millions d’utilisateurs mensuels, nombre revendiqué le 20 mai par la « camera company » américaine Snap qui fêtera ses dix ans d’existence cet été. C’est d’ailleurs la première fois que son cofondateur Evan Spiegel (photo) livre une audience mensuelle, s’étant contenté auparavant à mentionner de temps en temps le nombre quotidien de « snapchatteurs » dans le monde : 280.000 au premier trimestre 2021, contre 229 millions un an plus tôt.

Le « RoW » dépasse les Etats-Unis et l’Europe
Snap réussit tant bien que mal à monétiser cette base croissante d’utilisateurs par la publicité en ligne principalement, que cela soit avec des « Snap Ads » ou des « AR Ads » (1). Comme pour les opérateurs télécoms, Snap parle en ARPU – revenu moyen par utilisateur – pour mesurer au plus près le retour sur investissement auprès de son public. Ainsi, sur le premier trimestre 2021, ce taux de monétisation a atteint 2,74 dollars par utilisateur. C’est mieux que les 2,02 dollars d’il y a un an, mais moins bien que les 3,44 dollars du précédent trimestre. Sur deux ans, la croissance de l’ARPU trimestrielle de Snap fait du yoyo (2). Selon les données publiées le 24 avril dernier, c’est en Amérique du Nord, Etats-Unis en tête (3), que ce taux de monétisation est le plus élevé : 5,94 dollars par utilisateur en moyenne. C’est quatre fois plus que l’ARPU obtenu en Europe (4) : 1,48 dollars. Et même plus de six fois celui généré dans le reste du monde : 0,93 dollar.
Or, la croissance du parc d’utilisateurs se fait plus dans le reste du monde (Inde, Chine, Australie, …) pour un total qui vient de dépasser la barre des 100 millions d’utilisateurs quotidiens (à 111 millions précisément). Ce « RoW » (5) est en croissance sur un an de près de 30 % et pèse maintenant plus lourd que l’Amérique du Nord augmentant d’à peine plus de 5 % (à 93 millions d’utilisateurs) et bien plus que l’Europe en hausse, elle, de 10 % (à 77 millions). Ainsi, la plus forte croissance de la base d’utilisateurs de Snapchat se fait là où l’ARPU est encore le plus faible (6). Cela n’empêche pas le réseau aux clichés, apprécié des adolescents et des jeunes adultes (5 milliards de « snaps » par jour en moyenne), de démarrer l’année sur les chapeaux de roues : « Nous avons commencé en 2021 en réalisant notre chiffre d’affaires le plus élevé sur un an [en hausse de 66 % à 769,5 millions de dollars sur le premier trimestre 2021, ndlr], et en ayant le plus haut taux de croissance des utilisateurs actifs quotidiens depuis trois ans [280 millions, en hausse de 22 %], tout en générant un flux de trésorerie disponible (free cash flow) positif [126 millions de dollars] pour la première fois en tant qu’entreprise cotée en Bourse [à New York depuis mars 2017]», s’est félicité Evan Spiegel le 24 avril dernier. Mais le réseau social Snap, inventeur des « stories » éphémères, est à la croisée des chemins pour sa dixième année d’existence : soit l’entreprise californienne (7) continue de jouer les second-rôles face à Facebook (plus de 3 milliards d’utilisateurs, Instagram, Messenger et WhatsApp compris) et à être distancée par TikTok (800 millions d’utilisateurs), soit elle se diversifie avec une innovation susceptible de lui donner un second souffle. C’est dans la réalité augmentée que Evan Spiegel voit l’avenir. Snap exploite le filon de la réalité augmentée depuis plus de six ans, d’abord en proposant de faire des clichés personnalisables avec des effets visuels, des « autocollants » (stickers, bitmoji, avatars), des géofiltres (lieux où se trouve le snappeur).
La fonction « Lens », elle, a été lancée en septembre 2015 pour permettre aux utilisateurs d’ajouter des effets en temps réel à leurs clichés (photos et vidéos) grâce à la détection du visage. Cette fonction AR a été étendue en avril 2017 aux «World Lenses » pour « métamorphoser le monde autour de [soi] et de donner vie à des personnages » (8) par la réalité augmentée et des rendus 3D.

Snap voit l’avenir à grands « Spectacles »
Mais pour passer aux grands « Spectacles », Snap mise sur les lunettes connectées. Malgré les ventes mitigées de la première paire des Spectables commercialisée à partir de 2017, Snap persévère : le 20 mai a été présentée une nouvelle génération de lunettes (9), de réalité augmentée cette fois. Elles ne sont pas encore mises en vente, mais réservées aux créateurs de contenus AR ayant à leur disposition Lens Studio (10). Autonomes par rapport au smartphone, les Spectables sont fabriquées avec éléments fournis par la société britannique WaveOptics. Le lendemain, Snap confirmait sur CNBC l’acquisition de cette start-up pour 500 millions de dollars (11). @

Charles de Laubier

Le chinois Bytedance, à la tête du réseau social TikTok (ex-Musical.ly), serait valorisée 75 milliards de dollars

La start-up chinoise Bytedance, créée en 2012 par Zhang Yiming, fait un carton chez les 11-14 ans avec son réseau social musical TikTok (ex-Musical.ly). Les jeunes s’y amusent ; les parents s’en émeuvent. Négociant une levée de fonds,
la société aurait une valorisation supérieure à celle d’Uber.

Si les BATX sont à la Chine ce que les GAFA sont aux Etats-Unis, c’est à se demander si le « B » des BATX – normalement Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (1) – ne va pas devenir Bytedance, tant cette start-up chinoise commence à faire de l’ombre aux autres géants du Net de l’Empire du Milieu. Les GAFA aussi en tremblent, de voir cette entreprise pékinoise fondée en 2012 par Zhang Yiming (photo) rencontrer un réel succès dans le monde avec plus 500 millions d’utilisateurs rien que pour son réseau social TikTok.

Créativité spontanée et expression libre
Bytedance s’est fait très rapidement un nom grâce à l’application Musical.ly (60 millions d’utilisateurs) que l’entreprise a rachetée il y a un an (en novembre 2017) pour la fusionner avec sa propre application TikTok en août dernier. Selon le New York Times
et le Wall Street Journal, qui ont évoqué des discussions en vue d’une levée de fonds de 3 milliards de dollars, cette « unicorn » chinoise pourrait se retrouver avec une valorisation supérieure à celle d’Uber : 75 milliards de dollars. Le nom Musical.ly
– créé par la start-up éponyme basée à Shanghai (Chine) et Santa Monica (Californie) – disparaît au profit de TikTok. Jusqu’alors concurrentes, ces deux applications pour mobile ont rencontré un franc succès auprès des préados, qui se sont donnés le mot dans leur collège. Très populaire en Chine, TikTok est ainsi parti à la conquête des jeunes – souvent des filles – aux Etats-Unis et en Europe.
Les collégiennes s’y donnent à coeur joie en faisant de la figuration musicale, de la création de mini-comédies musicales, du playback, de la danse, des sketches, des reprises de scènes cultes de films ou de séries, le tout sous forme de vidéos courtes de 15 secondes (avec filtres, synchronisations, 3D ou encore défis à relever), à partager avec leurs fans. La synchronisation de lèvre (lip sync) fait coïncider la créativité de l’enfant avec la musique grâce au machine learning et à l’intelligence artificielle. C’est bon enfant, étonnant de créativité, éloquent de spontanéité, et le résultat parfois surprenant. Bref, l’on comprend que les préados soient conquis(es). En France, TikTok (ex-Musical.ly) revendique 2,5 millions d’utilisateurs. Selon un baromètre « BornSocial » de l’agence Heaven, réalisé en partenariat avec l’association Génération Numérique, Snapchat et Instagram sont toujours en tête des réseaux sociaux utilisés par les 11-14 ans, mais TikTok s’est hissé au troisième rang, juste devant WhatsApp, reléguant Facebook en cinquième position, et encore plus loin Twitter.
Comme pour la plupart des réseaux sociaux, l’inscription y est interdite au moins de 13 ans, pourtant de plus en plus nombreux. L’usage de TikTok en France est en croissance de plus de 12 points entre 2017 et 2018 dans les classes de 5e. L’applications est
« très largement féminine » (62 % des filles en 5e déclarent être inscrites). « Malgré leur jeune âge, les pré-adolescents développent une vision et un usage mature des plateformes sociales. Les réseaux sociaux sont perçus comme une commodité de communication. L’adoption des fonctionnalités de diffusion éphémère leur permet une expression libre, sans contrainte de surveillance », relève Génération Numérique (2). Cette association, reconnue d’utilité publique, forme aux « bons usages » d’Internet à destination des enfants et des adolescents.
Pour autant, des voix parentales mettent en garde contre les risques, selon eux,
de perversion, d’exhibitionnisme, de narcissisme, ou encore de harcèlement que constituerait TikTok. « Très axé sur l’image, le réseau social pousse ses utilisateurs à l’exhibition et peut pour les plus fragiles, avoir des conséquences dramatiques. Les jeunes utilisatrices imitent leurs stars préférées (danseuse, chanteuse…) et adoptent des postures sexualisées et de fait, inadaptées à leur jeune âge », s’inquiète l’association e-Enfance (3). Et la Police nationale d’appeler à la vigilance : « Votre ado utilise #TikTok ? Attention, il est peut-être la cible de propositions sexuelles mal intentionnées. S’il en est la victime, rendezvous en commissariat pour porter plainte. L’auteur encourt deux ans de prison et 30.000 euros d’amende » (4). Mais aucun alarmiste n’oserait interdire cette application populaire.

TikTok, mais aussi Toutiao, Xigua Video, …
Bytedance n’a pas que TikTok comme plateforme. Sa première application se nomme Toutiao, que l’on pourrait traduire par « headlines », un agrégateur d’information et microblogging très prisé en Chine, avec son pendant international TopBuzz. Même principe que pour TikTok : le recours à des algorithmes de machine learning. Bytedance édite aussi Xigua Video (clips vidéo) ou encore News Republic (agrégateur de vidéos). Au total, Bytedance totalise 800 millions d’utilisateurs dans le monde. @

Charles de Laubier