Radio numérique terrestre : le DAB+ reste méconnu du public faute d’une réelle volonté politique

zolpidem Alors, que la radio voit son audience baisser et ses auditeurs vieillir, la radio numérique terrestre pourrait lui redonner un second souffle auprès des jeunes. Hélas, la politique de soutien envers elle – pour faire connaître le DAB+ – laisse à désirer. Alors pourquoi attendre un « livre blanc » ?

Un « livre blanc » pour préparer le basculement à terme de la FM au DAB+ ? « Les radios indépendantes souhaitent s’associer à la rédaction d’un livre blanc sur le DAB+ proposée par le président de l’Arcom pour (…) accélérer le développement attendu du DAB+ », a déclaré le Sirti, le syndicat des radios indépendantes (170 membres, 9 millions d’auditeurs) présidé par Christophe Schalk (photo de gauche), le 25 janvier. Ce jour-là, lors d’une table-ronde au Sénat sur « L’avenir de la radio à l’heure du DAB+ », Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom (1), a proposé de travailler sur un « livre blanc » sur la radio (2).

Eviter que la radio IP ne tue le DAB+
« Nous souhaitons aboutir avant la fin de l’année. Plus tôt dans la mesure du possible », indique à Edition Multimédi@ Hervé Godechot, membre de l’Arcom et président du groupe de travail « radios et audio numérique ». S’agit-il d’un énième rapport sur la radio, alors qu’il y aurait plutôt urgence à accompagner dès maintenant les radios indépendantes dans le DAB+ ? Surtout que la « RNT », qui est à la radio ce que la TNT est à la télévision, s’est lancée en France il y a près de neuf ans (3). Les grandes radios privées (RTL, NRJ, Europe 1 et RMC/BFM) avaient tout fait pour mettre des bâtons dans les roues de la RNT, avant de finalement l’adopter (4).
Les radios indépendantes, elles, y ont toujours cru et ont été les pionnières à émettre en DAB+. « Les radios indépendantes sont massivement impliquées dans le déploiement du DAB+ en France ; 75 % d’entre elles sont aujourd’hui diffusées via cette norme de diffusion radio [qui] couvre à présent 50 % du territoire. (…) Pourtant, il faut franchir un pas supplémentaire très vite. Le média radio a besoin d’être accompagné dans la transition numérique de sa diffusion hertzienne », a insisté le Sirti à l’occasion de la table-ronde au Sénat. Même son de cloche pour le Syndicat national des radios libres (SNRL), présidé par Emmanuel Boutterin (photo de droite), qui représente des radios associatives – au nombre de 700 sur tout le territoire (1,4 million d’auditeurs). « Certains poussent, notamment les GAFA, vers le tout-IP. C’est donc pour nous tous un défi industriel. Il faut réussir le passage au DAB+. Nous avons un défi considérable de l’équipement des ménages et des véhicules. (…) Et pour relever ce défi, il faut accompagner les éditeurs, simplifier leurs démarches et les soutenir financièrement, notamment les radios locales associatives en partie subventionnées depuis la loi de 1986 et son article 29 », a plaidé le président du SNRL. Les éditeurs de radios – qu’ils soient publics ou privés, locaux ou nationaux – promeuvent tous désormais la radio numérique terrestre à travers l’association « Ensemble pour le DAB+ », créée il y un peu plus de six mois (en juillet 2022), domiciliée au siège du Sirti et présidée par Charles-Emmanuel Bon (directeur de la distribution et des projets stratégiques de Radio France). Problème : le budget alloué à cette association nationale de promotion du DAB+ est cinq fois inférieur à ce qui était attendu au départ : 200.000 euros versus 1 million d’euros prévus initialement.
Alors, comment faire connaître auprès du grand public les avantages de la « RNT » si les moyens de communication, de publicité et de marketing ne suivent pas ? Les Français méconnaissent encore les atouts de la radio en DAB+ : gratuite, universelle, fiable, mobilité, qualité, peu énergivore, … « Elle offre également pour l’auditeur une diversification de son offre radiophonique, tout en préservant la souveraineté et une diffusion régulée », ajoute le Sirti. Encore faut-il inciter les auditeurs à l’adopter. C’est là que le bât blesse : « Il faut arrêter de vendre dans les magasins de la camelote chinoise, où des postes DAB+ commencent à 19 ou 29 euros et qui dégoûte l’auditeur du DAB+, s’est insurgé Emmanuel Boutterin devant les sénateurs. Il faut donc réguler cette distribution et adopter des normes de qualité sur les récepteurs, et, par la massification, faire baisser leur prix pour que l’ensemble des ménages puissent s’équiper à domicile ». Concernant les véhicules, que les constructeurs ont l’obligation depuis le 1er janvier 2021 de « primo-équiper » en DAB+, entre 2 millions et 3 millions le sont à ce jour en France.

Appel au soutien de la puissance publique
Les acteurs de la radio numérique terrestre appellent aussi à l’aide l’Etat pour la double diffusion (FM et DAB+) qui engendre des coûts difficiles à supporter – surtout pour les indépendants. « Faut-il mettre de l’argent sur la table comme l’avait fait Jacques Chirac pour la TNT ? », demande aux sénateurs le président du SNRL. Le Sirti, lui, demande « un crédit d’impôt pour la double diffusion, ou un dispositif d’aides directes à l’image (…) du fonds de soutien à l’expression radiophonique ». Les radios espèrent qu’elles seront… écoutées. Le législateur attendra sûrement le livre blanc avant de les aider. @

Charles de Laubier

Les podcasts attirent de plus en plus d’auditeurs : ce marché va faire basculer l’écoute audio

Ils sont 17,6 millions de personnes en France à avoir écouté des podcasts chaque mois, d’après Médiamétrie. Les audiences sont parfois tellement élevées qu’on n’en croit pas ses oreilles. Edition Multimédi@ prévoit qu’en 2023 l’écoute audio se fera majoritairement en ligne.

Pour Edition Multimédi@, il est probable qu’en 2023 la poussée de l’audience des podcasts – notamment sur smartphones – fasse basculer la majorité (51 %) de la consommation audio globale sur Internet, contre 48 % l’an dernier. La radio en direct – sur la FM et/ou en DAB+ – s’arrogeait en 2022 encore 53 % du total de l’écoute audio dans la journée.

2023, année de bascule vers l’audio online
Mais au cours de 2023, elle pourrait devenir minoritaire par rapport à l’écoute en ligne qui deviendra majoritaire (streaming musical, radio à la demande/podcasts replay, musique perso hors CD et vinyles, podcasts natifs hors radio et livres audio confondus). Mais les plateformes de streaming musical – de Spotify à YouTube, en passant par Apple Music, Amazon Music, Deezer ou encore Qobuz – seront encore largement dominants sur l’audio online. La diversification de certaines d’entre elles dans la diffusion de podcasts va augmenter le poids de ces derniers dans l’audience online globale (voir graphique ci-dessous). La consommation de podcasts augmente continuellement, au point que l’on se demande si le binge-listening ne va pas être à l’audio se qu’est le binge-watching à la vidéo. Rien qu’en France, la progression du nombre de personnes écoutant des podcasts chaque mois a progressé en 2022 de 17 % pour atteindre les 17,6 millions d’auditeurs (soit un gain de 2,6 millions d’adeptes en un an). C’est l’institut de mesure d’audience Médiamétrie qui l’indique dans son étude « Global Audio ». Autrement dit, 36,1% des internautes déclarent écouter au moins un podcast par mois en 2022.
Si l’on regarde sur trois ans, le nombre d’auditeurs de podcasts a même bondi de plus de 60 % (voir graphique page suivante). Sont pris en compte aussi bien les podcasts dits « replay » (de contenus audios déjà diffusés à la radio) que des podcasts dits « natifs » (créations audio originales). Cette « radio à la demande » – expression qui relève cependant d’un abus de langage puisque de nombreux podcast sont produits en dehors de toute radio – complète ou concurrence la radio en direct (FM ou via Internet), les services de streaming musical (gratuit et par abonnement), les livres audio (physiques et numériques), ou encore l’écoute musicale de bibliothèques personnelles (CD, MP3, achat de titres, vinyle, …). Les podcasts ont de plus en plus l’oreille des auditeurs. « Les adeptes de podcasts sont plutôt fidèles : près de la moitié d’entre eux (47 %) concentrent leur consommation sur leurs podcasts favoris, généralement de 1 à 3 podcasts par semaine », a constaté Médiamétrie. Et ils sont tout de même 89 % à écouter entre la moitié et l’intégralité du podcast. Sur l’ensemble des auditeurs, la moitié d’entre eux (56 %) pratiquent une écoute régulière, dont 20 % très régulière. La Génération Z (15- 27 ans) est encore plus régulièrement à l’écoute, avec un taux de 61 %. A la fidélité et à assiduité, s’ajoute un accroissement : 85 % des auditeurs de podcasts écoutent autant ou plus de podcasts qu’un an auparavant.

Mesure site-centric avec liens tagués
Médiamétrie fait aussi remarquer que les podcasts se partagent en famille pour 64 % des parents auditeurs qui les font écouter à leurs enfants. Quant aux modes d’accès aux podcasts, ils sont pour 76 % des auditeurs les sites web ou les applications mobiles des éditeurs de radio, suivis des plateformes vidéo et des réseaux sociaux où ils découvrent plus volontiers de nouveaux contenus. Mais qu’écoutent au juste en podcasts les 17,6 millions d’auditeurs ? « Lorsque les Français écoutent des podcasts, c’est avant tout pour e divertir, se détendre. En effet, que ce soit pour les podcasts radios ou natifs, l’humour se classe numéro 1 des genres les plus consommés. Mais les podcasts sont aussi un moyen d’étendre ses connaissances ou encore de s’informer, selon les adeptes qui placent les podcasts d’actualité en deuxième place de leurs thématiques préférées », relève Médiamétrie. La dernière mesure en date des podcasts par Médiamétrie porte sur le mois de décembre 2022, durant lequel près de 182 millions de podcasts français ont été écoutés ou téléchargés dans le monde, dont 142 millions – soit 78 % – d’entre eux l’ont été en France.
L’institut de mesure d’audience publie le volume d’écoutes des éditeurs qui ont souscrits à son « eStat Podcast » pour leurs podcasts préalablement diffusés (replay) et/ou des podcasts natifs (originaux). La méthodologie consiste à comptabiliser l’ensemble des contenus audio écoutés directement en streaming ou téléchargés sur la majorité des supports d’écoute (plateformes, sites web, applications mobiles, …). « Les indicateurs sont établis à partir de la technologie site-centric [trafic enregistré sur le support lui-même, ndlr], explique Médiamétrie.
Cette technologie consiste à intégrer un tag placé dans le lien de téléchargement et n’ayant pas d’incidence sur l’expérience utilisateur. Des filtrages sont effectués chaque mois afin d’exclure les téléchargements abusifs. En outre, afin d’éviter de comptabiliser deux fois un même podcast, les téléchargements intervenant dans l’heure qui suit un premier appel à téléchargement sont également exclus ».

Le poids des éditeurs radios et télés
Ainsi, en décembre 2022, France Inter est le premier éditeur – parmi les souscripteurs de Médiamétrie – en termes de podcasts, avec plus de 45 millions d’écoutes et/ou de téléchargements (dans le monde) parmi des titres tels que « Affaires sensibles », «C’est encore nous », « Géopolitique », « La Bande originale », ou encore « Grand bien vous fasse ». Arrive ensuite en seconde position RTL avec plus de 32 millions d’écoutes et/ou de téléchargements (toujours dans le monde), avec des titres tels que « Les grosses têtes », « Laurent Gerra », « L’heure du crime », « Le journal RTL », ou encore « Ça peut vous arriver ». Sur la troisième marque du podium, c’est France Culture avec plus de 32 millions (mais à 42.114 écoutes du second), avec « Philosophie », « Les Pieds sur terre », « Le Feuilleton », « LSD », ou encore « Le Cours de l’histoire ». Médiamétrie liste au total 19 éditeurs de podcasts qui sont des radios ou des télévisions. Si l’on prend les podcasts titre par titre, le trio de tête est composé de « L’AfterFoot » (édité par RMC) avec plus de 18,7 millions d’écoutes et/ou de téléchargements, « Les Grosses têtes » (RTL) avec plus de 16,9 millions, « Hondelatte raconte » (Europe 1) avec plus de 9,3 millions. Médiamétrie liste ainsi une trentaine de titres (1).

Le « Top » des podcasts par l’ACPM
En revanche, le classement de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM) – ex-OJD – est plus diversifié et important en nombre, avec sur le même mois de décembre 313 titres mesurés. Les trois premiers sont : « Les actus du jour Hugo Décrypte » avec plus de 1,3 million de téléchargements (monde) dans le mois pour 456 épisodes, édités par l’influenceur Hugo Decrypte ; « Transfert » avec plus de 1,1 million pour 233 épisodes par Slate ; et « Métamorphose, éveille ta conscience ! » avec plus de 1 million pour 601 épisodes par Métamorphose. L’ACPM dresse aussi une liste de 63 marques de podcasts (2), dont le trio de tête : Binge Audio (3) avec plus de 1,8 million de téléchargements sur décembre 2022 du monde entier, Studio Minuit avec plus de 1,7 millions de téléchargements, et Slate avec plus de 1,4 million. L’actualité de Hugo Decrypte arrive, elle, en quatrième position avec plus de 1,3 million de télécharge-ments en ce mois de décembre 2022.
Ces milliers d’épisodes bénéficient d’une force de distribution que sont les plateformes de podcasts telles que Spotify, Apple Podcasts, Google Podcasts, Deezer et autres. Depuis 2020, des accords de droit d’auteur ont été négociés et signés (4), avec la Scam, la SACD ou encore la Sacem (5). De son côté, le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) propose désormais aux éditeurs un nouveau mandat pour englober les rediffusions de leurs podcasts lorsque ceux-ci sont repris par des entreprises ou des organismes – via ou pas des prestataires de veille informationnelle (6) – dans leurs panoramas de presse par exemple. @

Charles de Laubier

La Chine est le premier pays à s’attaquer aux « deepfake », ces contenus hyper-truqués à l’IA

Depuis le 10 janvier 2023, en Chine, le règlement « Deep Synthesis Provisions » est entré en vigueur pour réguler voire interdire les « deepfake » créés à l’aide de l’intelligence artificielle en détournant textes, images audios et/ou vidéos. Ces créations hyperréalistes prennent de l’ampleur.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a expliqué l’an dernier dans une vidéo qu’il avait capitulé face aux russes et qu’il appelait les soldats de son pays à déposer les armes (1). L’acteur américain Morgan Freeman s’est exprimé en 2021 sur la chaîne YouTube néerlandaise Diep Nep pour dire : « Je ne suis pas Morgan Freeman. Ce que vous voyez n’est pas réel » (2). Car ces vidéos et de nombreuses autres postées sur les réseaux sociaux – lorsque ce ne sont pas des textes, des images ou des podcasts – sont des « deepfake », des contenus entièrement manipulés et détournés à l’aide de l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage machine (AM).

La Chine devance les USA et l’UE
Le résultat est vraisemblable et bluffant. L’année 2023 pourrait être celle de l’explosion de ces vidéos truquées hyperréalistes. Les Etats-Unis ont commencé à légiférer par endroits (Californie, New York, Virginie, Texas) contre les abus des deepfakes – nom composé de deep learning et de fake news. Le Parlement européen devrait bientôt examiner en séance publique la proposition de règlement « Artificial Intelligence Act » (3) mise sur les rails il y a vingt mois (4). Mais c’est la Chine qui vient de devancer l’Occident en faisant entrer en vigueur le 10 janvier 2023 un règlement applicable à l’ensemble de l’Empire du Milieu.
Le texte composé de 25 articles est surnommé le « Deep Synthesis Provisions » (5) et s’applique désormais à toute la filière des fournisseurs de « synthèse profonde » (deepfake). Son entrée en vigueur est l’aboutissement d’un processus qui avait commencé après un discours du président Xi Jinping (photo) devant le Politburo en octobre 2021 où il mettait en garde contre « les symptômes malsains et incontrôlés » de l’économie numérique. C’est le Cyberespace Administration of China (CAC), en cheville avec les ministères de l’Industrie et des Technologies de l’information (MIIT) et de la Sécurité publique (MPS), qui a été à la manoeuvre. Le CAC a été chargé d’élaborer ce règlement « Deep Synthesis Provisions », dont la première version a été publiée il y a un an (fin janvier 2022) à l’occasion d’une consultation publique d’un mois. La version finale a été publiée fin novembre dernier. « Les services qui offrent un dialogue intelligent, des voix synthétisées, la génération de visages, des scénarios de simulation immersive, etc., pour générer ou modifier considérablement la fonction du contenu d’information, devraient être marqués de façon significative pour éviter la confusion ou l’identification erronée du public. », explique le CAC dans un communiqué du 11 décembre (6). La Chine définit la technologie de synthèse profonde comme celle qui utilise l’apprentissage profond (deep learning), la réalité virtuelle et d’autres algorithmes synthétiques pour produire du texte, des images, de l’audio, de la vidéo, des scènes virtuelles ou en 3D, et d’autres informations réseau. Les fournisseurs de services de synthèse approfondie sont tenus de désigner les entreprises qui offrent des services, logiciels et supports techniques. La responsabilité incombe aux prestataires de services de synthèse profonde en matière de sécurité des données et de protection des informations personnelles, de transparence (notamment en établissant des lignes directrices, des critères et des processus pour reconnaître les informations fausses ou préjudiciables), et de gestion de contenu et étiquetage (étiquettes ou logos).
Les dispositions du règlement « Deep Synthesis Provisions » s’appuient sur un règlement « Online Audio and Video Information Services » (7) de 2019 qui interdit sur Internet l’utilisation de photos, d’audios et de vidéos générés par ordinateur pour produire ou diffuser des fausses nouvelles. Mais comme dans le reste du monde, il sera difficile de faire la part des choses, entre fake news et parodie. La censure chinoise ajoute une corde à son arc.
Quoi qu’il en soit, Pékin prend très au sérieux la menace des deepfakes, y compris des algorithmes (8), à l’heure où la bataille commerciale exacerbée avec Washington fait rage sur fond de guerre en Ukraine déclenchée par sa voisine et amie la Russie.

La notion de « contenus illicites » du DSA
En attendant l’adoption du règlement « Artificial Intelligence Act », l’Europe s’est dotée du Digital Services Act (DSA) qui entre en vigueur en 2023. Il prévoit notamment que les plateformes numériques « lutte[nt] contre la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques, pour la société, de diffusion d’informations trompeuses » (considérant 9), la notion (vague ?) de « contenus illicites » étant mentionnée dans au moins huit articles du DSA (9) – mais sans qu’il y soit question explicitement de deepfake. Avec son « Deep Synthesis Provisions », la Chine a pris de l’avance et pourrait être suivie par d’autres pays autoritaires. @

Charles de Laubier

L’industrie de la musique a du mal à s’attaquer au fléau des « fake streams » : l’opacité domine

Cela fait des années que la fraude au streaming musical est détectée sans que ce fléau des « fake streams » ne soit stoppé. Et ce, au détriment de la rémunération des artistes relégués dans le classement. Cela pourrait représenter jusqu’à 30 % de l’audience des musiques écoutées en ligne.

En 2021, le total du chiffre d’affaires généré par le streaming musical dans le monde atteignait 16,9 milliards de dollars. C’est devenu la principale source de revenus de l’industrie de la musique enregistrée, soit plus de 65 % du total (numérique, physique, droits voisins et synchronisation confondus), d’après la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), dirigée par Frances Moore (photo). Mais, selon différentes sources, de 5% à 30 % en volume de la musique en streaming relèveraient de fausses écoutes – les « fake streams ».

845 millions de dollars captés illégalement ?
Impossible à ce stade de savoir ce que cela représente en valeur en raison de l’opacité des plateformes de streaming musical (Spotify, Deezer, Apple Music, Amazon Music, …). Si les fake streams devaient représenter ne serait-ce que 5 % du chiffre d’affaires du streaming musical dans le monde, cela correspondrait à… 845 millions de dollars de captés illégalement au détriment d’autres artistes relégués mécaniquement dans le volume de streams. Pire : en appliquant 10 % en valeur, l’addition de la fraude aux clics dépasserait largement les 1,5 milliard de dollars !
Cette extrapolation faite par Edition Multimédi@ est bien sûr invérifiable, mais elle n’est pas invraisemblable tant les fake streams ont pris de l’ampleur aux dires de la filière musicale. En juillet 2019, dans le magazine américain Rolling Stone, un label affirmait que « 3 % à 4% des flux mondiaux sont des flux illégitimes, représentant environ 300 millions de dollars de recettes potentielles perdues qui sont passées de sources légitimes à des sources illégitimes et illégales » (1). Depuis, les « fermes à clics » et la « manipulation de streams » ont proliféré pour augmenter l’audience de titres : logiciels robotisés (bot, botnet) ou personnes physiques rémunérée pour générer du clic. Au niveau mondial, le taux de 30 % a même été avancé par la filière musicale, notamment cité par le journaliste Sophian Fanen, cofondateur de Les Jours et auteur de l’enquête au long cours sur « La fête du fake stream» (2). Il nous précise cependant : « Il ne s’agit que d’une estimation, et [ce taux de 30 %] ne concerne que la nouveauté. Les faux streams ne fabriquent pas de l’argent ; ils font grossir artificiellement la masse globale de streams à partir de laquelle les plateformes rémunèrent la filière à partir de leurs revenus mensuels (qui varient) ». En France, où l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) est montée au créneau le 6 décembre pour appeler « à un sursaut du secteur et des pouvoirs publics face à ce phénomène désastreux à l’ampleur grandissante », le taux de fake streams se situerait entre 5% et 10 % des écoutes quotidiennes, d’après ElectronLibre. L’UPFI a adressé une lettre à sa centaine de membres et labels indépendants (Believe, Harmonia Mundi, PlayTwo, Wagram Music, …) pour « condamne[r] fermement et sans équivoque le principe de manipulation des écoutes, rappelant qu’elle relève d’une tricherie (…), un artiste ayant acheté des streams capte une rémunération qui lèse l’ensemble des artistes » (3). Elle estime en outre que l’Arcom (4) serait « légitime » pour réguler le streaming et « recueillir les plaintes contre les acteurs fournissant des prestations d’achat de streams ».
Contacté par Edition Multimédi@, le directeur général de l’UPFI, Guilhem Cottet, rappelle qu’en mai 2021 un amendement avait été déposé dans ce sens au Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi « Régulation et protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique », celle-là même qui a fondé l’Arcom. Bien qu’il ait été retiré, cet amendement (5) soutenu par la filière musicale proposait que l’Arcom puisse avoir des pouvoirs d’enquête et de « lutte contre la manipulation de diffusions en flux ». Ses agents habilités et assermentés pourraient « constater les faits susceptibles de constituer une infraction ». « En parallèle, rappelle aussi Guilhem Cottet, les organisations de producteurs avaient adressé un courrier à Roselyne Bachelot (6) pour la sensibiliser sur ce dossier : à la suite de cela, elle avait missionné une étude du Centre national de la musique (CNM), qui devrait être publiée début 2023 ». Au lieu de juin 2022…

Spotify dit lutter contre les manipulations
Le CNM bute sur la non-divulgation des données d’écoutes par les plateformes de streaming. C’est le cas du numéro un mondial de la musique en ligne Spotify qui affirme pourtant auprès de ses actionnaires et investisseurs – le groupe de Stockholm est coté à la Bourse de New York (Nyse) – prendre très au sérieux les fake streams : « L’échec à gérer et corriger efficacement [par des algorithmes et manuellement] les tentatives de manipulation des flux pourrait avoir une incidence négative sur nos activités, nos résultats d’exploitation et notre situation financière », prévient-il dans son dernier rapport annuel. @

Charles de Laubier

Pour pallier la disparition des cookies, la publicité contextuelle cherche à s’imposer dans le monde

La fin prochaine des cookies, et autres traceurs publicitaire intrusifs sur les terminaux des internautes pris pour cibles, a ouvert la voie à la publicité contextuelle. C’est aussi une alternative à l’exploitation des données personnelles des utilisateurs. Des adtech comme Seedtag relèvent le défi.

« La publicité contextuelle est une technique publicitaire qui vise à diffuser sur un support (web, télévision) des publicités choisies en fonction du contexte dans lequel le contenu publicitaire est inséré », définit la Cnil sur son site web (1). Avantage : le ciblage contextuel ne nécessite pas d’avoir des informations sur la personne regardant la publicité, ni de collecter des données personnelles la concernant. Bref, c’est l’arme anti-cookie et anti-data par excellence. Des adtech comme l’espagnole Seedtag s’en sont fait une spécialité, devançant notamment le champion français des cookies, Criteo (2), qui tente de pivoter dans le contextuel.

Seedtag, « n°1 mondial » du contextuel
La start-up Seedtag, fondée en 2014 par deux anciens de chez Google, Jorge Poyatos (photo de gauche) et Albert Nieto (photo de droite), a créé une intelligence artificielle contextuelle – baptisée Liz – qui permet aux annonceurs de « toucher les consommateurs en fonction de leurs intérêts sans utiliser aucune donnée personnelle ». Ayant son siège social à Madrid, cette licorne en puissance se déploie à l’international, tant en Europe qu’aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. Fin juillet, elle a annoncé avoir levé 250 millions d’euros auprès du fonds américain Advent International. Celui-ci rejoint d’autres investisseurs institutionnels déjà présents dans Seedtag, à savoir Oakley Capital, Adara Ventures et All Iron Ventures. Objectif : « Faire évoluer le secteur de la publicité digitale à plus grande échelle », notamment outre-Atlantique.
Seedtag se revendique déjà comme étant « le numéro un en Europe et en Amérique Latine dans la publicité contextuelle ». S’étant d’abord développé dans la publicité intégrée au sein des images illustrant des articles (in-image advertising), Seedtag a ensuite élargi son offre à la vidéo (outstream) et aux bannières (display). Pour se hisser à la première place de ce marché dynamique, la start-up madrilène rachète certains de ses concurrents : la société italienne AtomikAd est tombée dans son escarcelle en novembre 2020, suivie de l’allemand Recognified en février 2021, puis du français KMTX en juillet 2022. En plus de son IA contextuelle, Liz, Seedtag ajoute ainsi des cordes à son arc pour mieux cibler les internautes sans recourir aux cookies ni exploiter leurs données, ni les suivre à la trace dans leurs navigations sur le Web. Ses outils alternatifs vont du placement in-content jusqu’à l’automatisation des performances marketing (apprentissage automatique). « En diffusant des publicités dans le contenu, nous tirons pleinement parti de l’attention des utilisateurs : selon l’eye-tracking [oculométrie en français, à savoir le suivi des mouvements des yeux sur un écran, ndlr] les publicités intégrées au contenu captent l’attention plus rapidement et la retiennent plus longtemps ».
Cette optimisation du ciblage publicitaire cookie-free est obtenue par la « lecture » approfondie des contenus des pages pour obtenir le meilleur résultat pour l’annonceur. De grandes marques telles que Microsoft, LG, Heineken, Nestlé, Renault, Unilever, Levi’s, Forbes, Marie-Claire, Vanity Fair ou encore Sky Sport font partie du portefeuille de clients de Seedtag. Par exemple, la filiale française dirigée par Clarisse Madern a renouvelé en début d’année des partenariats avec des éditeurs tels que CMI (Elle, Marianne, Télé 7 jours, …), Prisma Media (Capital, Gala, Geo, …), Lagardère Publicité News et Reworld Media.
En mai dernier, avec l’appui d’une étude de l’institut marketing Nielsen réalité auprès de 1.800 consommateurs au Royaume-Uni, Seedtag a démontré que le ciblage contextuel était bien plus accepté que le ciblage utilisant leurs données personnelles : « Les consommateurs étaient 2,5 fois plus intéressés par la publicité contextuelle que lorsqu’il la publicité n’est pas ciblée. De plus, les résultats ont montré que les personnes qui ont vu des publicités contextuelles étaient 32 % plus susceptibles de passer l’action après avoir vu la publicité. Les consommateurs ciblés en fonction du contexte se sont sentis 40 % plus enthousiastes à l’égard de la catégorie [du message publicitaire] que ceux ciblés sur le plan démographique et 28 % plus enthousiastes que ceux ciblés uniquement en raison de leur intérêt dans la catégorie » (3).

Les navigateurs deviennent cookieless
En début d’année, dans le cadre de ses tests pour sa solution alternative « Privacy Sandbox », Google avait annoncé la fin des cookies tiers sur son navigateur Chrome d’ici à fin 2023 (4), au lieu de 2022 initialement prévu. Alors qu’Apple avec Safari et Mozilla avec Firefox sont déjà cookieless (5), la filiale d’Alphabet a dû prolonger les tests : « Nous avons maintenant l’intention de commencer à éliminer progressivement les cookies tiers dans Chrome dans la seconde moitié de l’année 2024 », a-t-elle indiqué le 27 juillet dernier (6). @

Charles de Laubier