Légère hausse du tarif du dégroupage : l’Arcep ne voulait pas de « rente temporaire au profit d’Orange »

Pour tenter d’inciter les Français à basculer du réseau ADSL/VDSL2 (cuivre) vers le réseau FTTH (fibre), le régulateur propose d’augmenter le tarif du dégroupage total que facture Orange – soit 1,1 milliard d’euros en 2019 – aux autres opérateurs télécoms qui louent la boucle locale téléphonique.

La rente historique de l’ex- France Télécom ne va pas grossir. Non seulement en raison d’une hausse très modérée du tarif 2021-2023 proposée par l’Arcep, mais aussi et surtout parce que le nombre de ligne en dégroupage total en France ne cesse de décliner. C’est ce que montrent les chiffres du rapport financier 2019 d’Orange (publié en avril dernier) : sur les 29,2 millions de lignes téléphoniques fixes gérées par l’opérateur télécoms historique (en baisse de 5,6 % sur un an, passant sous la barre des 30 millions), 9,7 millions d’entre elles étaient en dégroupage total (en chute de 9,9 % en an, passant sous la barre des 10 millions).

Certains clients préfèrent le cuivre à la fibre Selon les calculs de Edition Multimédi@, le dégroupage total du réseau de cuivre a donc rapporté à Orange l’an dernier un total hors taxe de 1,1 milliard d’euros en 2019 (à raison de 9,46 euros par mois et par ligne), contre 1,2 milliard d’euros en 2018 (à raison de 9,31 euros par mois et par ligne). Alors que l’ex-France Télécom, aujourd’hui dirigé par Stéphane Richard (photo de gauche), réclamait une augmentation de deux à trois euros par ligne de cuivre louée, le régulateur des communications électroniques présidé par Sébastien Soriano (photo de droite) ne lui a concédé un gain d’à peine une vingtaine de centimes d’euros : le tarif de chaque ligne téléphonique louée par les opérateurs alternatifs (SFR, Bouygues Telecom et Free principalement) à l’opérateur télécoms historique (aujourd’hui Orange) passera de 9,46 euros hors taxe par mois à 9,65 euros par mois pour la période 2021-2023 (après celle de 2018-2020 qui va s’achever). Toujours selon nos calculs, en tenant compte d’une probable baisse de 10 % du nombre de lignes en dégroupage total (à 8,7 millions de lignes), le chiffre d’affaires correspondant attendu pour l’an prochain serait de tout juste 1 milliard d’euros. Si l’Arcep n’a pas accédé à la demande du détenteur de la boucle locale de cuivre, c’est notamment parce qu’elle craignait « la création d’une rente temporaire au profit d’Orange » en cas de hausse significative du tarif du dégroupage des lignes téléphoniques et en raison de « l’existence [d’]aléas ». Les aléas que le régulateur évoque résident dans le fait que « certains [clients] se montrent réticents face aux travaux d’installation de la fibre » et que « l’offre et la demande des marchés de détails ne basculent pas vers la fibre dans certains cas », lorsque ce n’est pas « une frange de clients [qui] préfèrent le cuivre ou refusent une migration pour des raisons non tarifaires ». Dans son projet de décision – soumis à consultation publique jusqu’au 12 octobre prochain (1) –, le régulateur estime tout de même que « la hausse du tarif du dégroupage cuivre pourrait être à même d’inciter les opérateurs tiers à migrer plus rapidement leur clientèle vers l’infrastructure fibre pour éviter de leur faire subir une hausse des prix de détail sur le cuivre ».
Comparée au reste de l’Europe, d’après le cabinet indépendant de « renseignements réglementaires » Cullen International (utilisé par l’Arcep), la France se situe en sixième position des pays européens les plus chers en matière de tarifs du dégroupage total, derrière la Finlande, la Suisse, l’Irlande, l’Allemagne et le Danemark. Et largement au-dessus de la moyenne de l’Europe qui est de 8 euros hors taxe par mois et par ligne de cuivre. Les pays les moins chers sont, par ordre décroissant tarifaire : le Slovénie, la Macédoine du Nord, la Lituanie et la Turquie – la Bulgarie et la Roumanie n’étant pas régulées (voir graphique ci-contre). « Les niveaux tarifaires ainsi déterminés ne sont pas dépositionnés par rapport aux niveaux pratiqués au sein des pays européens. Parmi les principaux autres pays européens (Allemagne, Royaume- Uni, Italie, Espagne), la fourchette des niveaux tarifaires se situe entre 8,50 euros par mois et 11,19 euros par mois », constate le régulateur. @

Charles de Laubier

User-Generated Video (UGV) : la directive SMA ne doit pas tuer ni la liberté d’expression ni la créativité

La nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) vient
d’être promulguée au JOUE du 28 novembre. Mais, afin d’épargner la liberté d’expression et la créativité, la Commission européenne consulte encore en
vue de publier « le plus rapidement possible » des « lignes directrices ».

Le 14 novembre, les présidents respectifs du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne ont signé la nouvelle directive concernant « la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de l’évolution des réalités du marché ». Cette directive dite SMA (services de médias audiovisuels), qui fut définitivement adoptée le 6 novembre,
a été publiée le 28 novembre au Journal Officiel de l’Union européenne (JOUE). Ce texte communautaire – en français ici (1) – doit maintenant être obligatoirement transposé par les Etats membres « au plus tard le 19 septembre 2020 ».

Une menace pour les droits fondamentaux
Mais le plus délicat reste à venir pour les régulateurs audiovisuels nationaux tels que
le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en France. Les YouTube, Dailymotion et autres plateformes vidéo (Facebook, Snapchat, Musical.ly/TikTok, …) sont en effet désormais visés – comme les services de télévision traditionnels et les services de diffusion à la demande (replay et VOD) – par la nouvelle directive SMA censée protéger les mineurs contre les contenus préjudiciables comme la pornographie et protéger tous les citoyens européens contre la haine et les propos racistes, ainsi qu’en interdisant tout contenu incitant à la violence et au terrorisme. Or la question la plus sensible est celle de la définition des User-Generated Video (UGV), qui sont aux plateformes vidéo en particulier ce que les User-Generated Content (UGC) sont à Internet en général. Autrement dit, la liberté d’expression et la créativité des internautes et mobinautes
– rompus aux contenus créés par eux-mêmes – ne doivent pas être les victimes collatérales de la nouvelle régulation des plateformes vidéo.
La tâche des régulateurs nationaux de l’audiovisuel est d’autant moins facile que le nouveaux texte législatif européen manque de clarté, au point qu’il prévoit lui-même que la Commission européenne doit « dans un souci de clarté, d’efficacité et de cohérence de la mise en oeuvre, (…) publier des orientations, après consultation
du comité de contact, sur l’application pratique du critère relatif à la fonctionnalité essentielle figurant dans la définition d’un “service de plateformes de partage de
vidéos” ». Selon les informations de Edition Multimédi@, la Commission européenne
a tout juste commencé à discuter de ces lignes directrices lors d’une première réunion le 12 novembre dernier (2). D’après une porte-parole, Nathalie Vandystadt (photo),
« aucune date précise n’est encore prévue pour la publication des lignes directrices mais la Commission européenne compte les adopter le plus rapidement possible,
après consultation des Etats membres [comité de contact, ndlr] et un atelier sur cette question ». Car entre la théorie et la pratique, les « CSA » européens sont quelque peu démunis face à un texte sujet à interprétations – notamment vis-à-vis des UGV. « Ces orientations devraient être rédigées en tenant dûment compte des objectifs d’intérêt public général à atteindre par les mesures à prendre par les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos et du droit à la liberté d’expression », prévient le considérant n°5 de la directive SMA révisée. Les acteurs du Net, eux, étaient plutôt favorables à une autorégulation et non à une nouvelle réglementation contraignante (3). Trois pays – la Finlande, l’Irlande et les Pays-Bas – avaient même émis des réserves sur la portée de cette nouvelle directive modifiant l’ancienne directive SMA de 2010 (4). Dans leur déclaration conjointe du 18 octobre dernier, ils estiment que « la directive SMA n’est pas le cadre approprié pour réglementer les plateformes de partage de vidéos, étant donné que le reste du champ d’application de la directive couvre uniquement les services de médias audiovisuels pour lesquels le fournisseur de services a la responsabilité éditoriale du contenu du programme ». Ces trois pays du Nord de l’Europe mettent en garde contre les dérives possibles au détriment de la liberté d’expression et de la créativité, tout en justifiant qu’ils ne voteront pas pour cette directive révisée : « La réglementation proposée des plateformes de partage de vidéos est difficile à contrôler et elle peut provoquer des effets secondaires indésirables et occasionner une charge administrative disproportionnée ».

Des UGC (Content) aux UGV (Video)
Et la Finlande, l’Irlande et les Pays-Bas d’enfoncer le clou : « Nous estimons que le manque de clarté, aggravé par l’absence d’analyses d’impact et de base factuelle solide, est susceptible de compromettre la sécurité juridique dont ont besoin les régulateurs et le secteur pour mettre en oeuvre les dispositions d’une manière claire, cohérente et effective et dont a besoin le secteur pour innover. Il peut également menacer la capacité des citoyens européens à exercer leurs droits fondamentaux, en particulier leur liberté d’expression ». La convergence entre la télévision et les services Internet a profondément révolutionné le monde de l’audiovisuel et les usages, tant dans la consommation de vidéos que dans leur production par les utilisateurs eux-mêmes. La génération « Millennials » est plus encline à partager des vidéos sur les médias sociaux et les plateformes numériques qu’à rester dans le salon à regarder les chaînes linéaires. Le phénomène des UGV, souvent pétris de liberté d’expression, change la donne.

Des allures de régulation de l’Internet
La directive SMA n’a pas pour but, nous explique-t-on, de réguler les services de médias sociaux en tant que tels, mais elle devrait s’appliquer à ces services « si la fourniture de programmes et de vidéos créées par l’utilisateur en constitue une fonctionnalité essentielle ». Or le législateur européen a considéré que la fourniture
de programmes et des UGV – ces vidéos créées par l’utilisateur – constitue une fonctionnalité essentielle d’un service de médias sociaux « si le contenu audiovisuel n’est pas simplement accessoire ou ne constitue pas une partie mineure des activités de ce service de médias sociaux » (5).
Mais le diable est dans les détails : lorsqu’une partie dissociable d’un service constitue un service de plateformes de partage de vidéos au sens de la directive SMA, seule cette partie « devrait » être concernée par la réglementation audiovisuelle et uniquement pour ce qui est des programmes et des vidéos créées par l’utilisateur.
« Les clips vidéo incorporés dans le contenu éditorial des versions électroniques de journaux et de magazines, et les images animées, au format GIF notamment, ne devraient pas être couverts (…).
La définition d’un service de plateformes de partage de vidéos ne devrait pas couvrir les activités non économiques, telles que la fourniture de contenu audiovisuel de sites web privés et de communautés d’intérêt non commerciales », peut-on lire au considérant n°6. Les « CSA » européens, réunis au sein du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA (6)), s’interrogent d’ailleurs eux-mêmes sur l’application qui doit être faire – qui plus est de façon harmonisée à travers les Vingt-huit – de cette directive SMA qui prend des allures de régulation du Net. Dans leur livre d’analyse et de discussion publié le 6 novembre (7) sur l’implémentation de la nouvelle directive SMA, les gendarmes de l’audiovisuel en Europe s’attardent sur la notion de
« service de plateformes de partage de vidéos » introduite dans le premier article de la directive révisée. Ce service de type YouTube ou Dailymotion consiste en « la fourniture au grand public de programmes, de vidéos créées par l’utilisateur [UGV, ndlr], ou des deux, qui ne relèvent pas de la responsabilité éditoriale du fournisseur de la plateforme de partage de vidéos, dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer ». Parmi leurs 34 propositions, les membres de l’ERGA appellent la Commission européenne à fournir une orientation (guidance) afin d’aborder les questions soulevées par la définition de UGV. En substance, quelle est la différence entre une vidéo créée par l’utilisateur et un programme audiovisuel ? Les « CSA » européens veulent disposer de l’interprétation la plus compréhensible possible de la notion d’UGV afin de protéger les publics de ces plateformes vidéo, sur lesquelles sont « uploadées » par les utilisateurs des vidéos qui relèvent de la liberté d’expression et de droits fondamentaux. Toujours dans l’article 1er de la directive SMA révisée, la vidéo créée par l’utilisateur est définie comme étant « un ensemble d’images animées, combinées ou non à du son, constituant un seul élément, quelle qu’en soit la longueur, qui est créé par un utilisateur et téléchargé vers une plateforme de partage de vidéos par ce même utilisateur ou par n’importe quel autre utilisateur ». Quant à l’article 28 ter, il stipule dans le détail que « les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos relevant de leur compétence prennent les mesures appropriées pour protéger : a) les mineurs des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral (…) ; le grand public des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles comportant une incitation à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes ou un membre d’un groupe (…) ; le grand public des programmes, vidéos créées par l’utilisateur et communications commerciales audiovisuelles comportant des contenus dont la diffusion constitue une infraction pénale au titre du droit de l’Union, à savoir la provocation publique à commettre une infraction terroriste (…), les infractions liées à la pédopornographie (…) et les infractions relevant du racisme et de la xénophobie (…) ». On l’aura compris, les vidéos créées par l’utilisateur sont désormais mises sous surveillance par les plateformes du Net qui risquent bien d’appliquer le principe de précaution juridique pour ne pas tomber sous le coup de la loi.

Ni surveillance généralisée ni de filtrage ?
Afin de ne pas être en contradiction avec la directive européenne « Commerce électronique » de 2000 (8), notamment avec son article 15 (« Absence d’obligation générale en matière de surveillance ») selon lequel les Etats membres ne doivent pas imposer aux [hébergeurs] une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites », la directive SMA révisée se veut compatible. « Ces mesures n’entraînent pas de mesures de contrôle ex anteni de filtrage de contenus au moment de la mise en ligne qui ne soient pas conformes à l’article 15 de la directive [« Commerce électronique »] ». C’est à voir. @

Charles de Laubier

Arnaud Montebourg, nouveau régulateur des télécoms et nouvelle autorité de la concurrence numérique

Le ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique est depuis plus de deux ans l’un des membres du gouvernement (Ayrault puis Valls) le plus actif. Bien avant d’ajouter « Numérique » à sa fonction, il a pris des allures de régulateur des télécoms et même d’autorité de la concurrence !

(Cet article est paru le lundi 21 juillet 2014 dans Edition Multimédi@ n°106. Le lundi 25 août au matin, Manuel Valls a présenté la démission de son gouvernement. Arnaud Montebourg a annoncé qu’il ne participera pas au gouvernement ‘Valls 2’).

Par Charles de Laubier

Arnaud Montebourg« Nous souhaitons réformer l’Arcep, réduire ses pouvoirs et la remettre à sa place », lui reprochant à mots couverts le lancement de Free Mobile. Ainsi peut s’exprimer, sans langue de bois, Arnaud Montebourg (photo). Peut-être, lors de ses voeux à la Fédération française des télécoms (FFTélécoms) le 31 janvier dernier, le ministre de l’Economie, du Redressement productif
et du Numérique voulait-il faire plaisir à Orange, SFR et surtout Bouygues Telecom en parlant ainsi ?
N’envisageait-il pas déjà en 2012 de rapprocher l’Arcep et le CSA en vue de « rationaliser » la régulation des communications électroniques et de l’audiovisuel ?
Une chose est sûre, Arnaud Montebourg assume pleinement ses fonctions ministérielles qui ont été élargies le 2 avril au Numérique, au point de donner l’impression de marcher sur les plates-bandes de l’Arcep ou de l’Autorité de la concurrence, voire sur celles du CSA.

Montebourg veut unir la VOD française face à Netflix
Si les autorités administratives indépendantes sont tenues à un devoir de réserve,
ce n’est pas le cas du ministre de Bercy qui dit haut et fort ce qu’il souhaite pour les marchés des télécoms, du numérique et de l’audiovisuel.
Sa dernière intervention en date dans ce domaine fut lors de son discours fleuve du
10 juillet, à l’occasion de la présentation de la « la feuille de route du redressement économique de la France ».
Ainsi, Arnaud Montebourg n’hésite pas à outrepasser le pouvoir régalien de l’Etat en s’immisçant quelque peu dans la stratégie même des entreprises. « Avec Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture et de la Communication, nous avons demandé aux opérateurs audiovisuels et numériques français de s’unir pour offrir des plateformes alternatives aux offensives anglo-saxonnes dans la culture et le cinéma [comprenez face à l’arrivée en France de l’américain Netflix programmée pour le 15 septembre, ndlr] », a déclaré le ministre du Numérique.

Et d’ajouter : « Je m’apprête à écrire au président d’Orange, comme actionnaire, une lettre de mission lui demandant d’être le vaisseau amiral porteur de notre révolution numérique et souveraine. (…) Et nous ne répugnerons pas à nouer des alliances européennes dans ce domaine ». Arnaud Montebourg verrait-il Orange et sa filiale Dailymotion devenir les portes-drapeaux de la vidéo à la demande (VOD) française ? Sur le marché de la vidéo sur Internet en général et de la VOD en particulier, c’est
en tout cas la seconde fois en un peu plus d’un an que le ministre du Redressement productif invoque la participation de l’Etat au capital d’Orange pour intervenir dans
sa stratégie (1).

Depuis l’affaire Yahoo/Dailymotion
Déjà, au printemps 2013, le ministre du Redressement productif s’était interposé entre l’ex-France Télécom et l’américain Yahoo pour refuser que ce dernier ne prenne une participation de 75 % dans le capital de Dailymotion – détenu à 100 % par Orange.
Tout s’était joué à Bercy le 12 avril de l’an dernier, lors d’une réunion entre Henrique de Castro (Yahoo), Stéphane Richard (PDG d’Orange) et Arnaud Montebourg, ce dernier n’acceptant qu’un « partenariat équilibré » (à 50/50), sinon rien.
Conséquence : Yahoo renonçait à prendre le contrôle de la plateforme française de partage vidéo concurrente de YouTube (2). Pour garder bonne figure dans cette affaire, qui restera dans les annales de l’interventionnisme controversé de l’Etat, Stéphane Richard avait ensuite déclaré : « Dailymotion est une filiale d’Orange et non de l’Etat. C’est le groupe, sa direction et son conseil d’administration qui gèrent ce dossier. (…) Ce n’est pas à la demande de l’Etat que nous avons investi » (3).
Toujours à la recherche d’un partenaire capable de renforcer la présence de Dailymotion aux Etats-Unis, Orange s’était ensuite tourné vers Microsoft intéressé mais à condition qu’il y ait un troisième partenaire dans le tour de table. Cela aurait pu être Canal+, qui était en discussion avec Orange depuis le début de l’année, mais la filiale de télévision de Vivendi souhaitait la majorité du capital de Dailymotion. Ce que Stéphane Richard, l’homme lige de l’Etat actionnaire, n’a pas voulu concéder. Résultat, les négociations entre Canal+ et Orange ont échoué début juin. Ce qui pourrait amener à une impasse les négociations avec Microsoft.
Jusqu’où ira la « lettre de mission » adressée à Stéphane Richard pour orienter le
« vaisseau amiral » ? Arnaud Montebourg aurait déjà demandé à Orange de lancer une offre de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) concurrente de celle de Netflix
à partir du catalogue d’Orange Cinéma Séries (4), filiale commune avec Canal+. C’est aussi au nom de l’Etat actionnaire que le ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique aurait pressé Stéphane Richard d’étudier le rachat de Bouygues Telecom mis à mal par la concurrence de Free et par l’échec de sa tentative de s’emparer de SFR – finalement tombé dans l’escarcelle d’Altice- Numericable contrairement au souhait d’Arnaud Montebourg. Mais le 2 juillet, Orange jetait l’éponge en le faisant savoir par un communiqué on ne peut plus laconique : « Orange a exploré les possibilités de participer à une opération de consolidation du marché français des télécoms, et juge que les conditions que le groupe avait fixées ne sont pas réunies aujourd’hui pour y donner suite. ». En clair : « Les demandes de Bouygues étaient trop élevées et Iliad ne voulait pas aller suffisamment loin dans sa participation à une opération », a expliqué Stéphane Richard à La Tribune (5). De quoi contrarier une nouvelle fois le ministre dans sa volonté de ramener à trois au lieu de quatre le nombre d’opérateurs télécoms en France.
A moins qu’Arnaud Montebourg ait à nouveau convaincu Stéphane Richard de ne pas laisser tomber Bouygues Telecom. Car, le 5 juillet, lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, le PDG d’Orange revenait sur sa décision : « D’un point de vue concurrentiel, nous ne prendrons pas le risque de repartir sur ce dossier. Mais si quelqu’un d’autre décide de le faire et nous sollicite (…) pour, peut-être, permettre d’élaborer une offre qui peut satisfaire Bouygues, bien sûr qu’on regardera ». Autant dire qu’Arnaud Montebourg est à la manoeuvre, lui qui a fait du passage à trois opérateurs télécoms son cheval de bataille depuis plusieurs mois : « Si on revient à trois, on est plus fort que si on subsiste à quatre. (…) La concurrence par la destruction s’arrêtera si nous revenons à trois opérateurs mobiles tout en maintenant des prix bas » (6). Avec sa nouvelle casquette de régulateur, le ministre a aussi taclé au passage l’Autorité de la concurrence, dont le président Bruno Lasserre avait dit (7) qu’il avait besoin de neuf mois pour donner son feu vert au repreneur de SFR : « S’il faut neuf mois à une autorité indépendante pour prendre une décision, ça posera un problème ».

Trois opérateurs, dont un « Maverick »
D’autant que l’autorité indépendante de la rue de l’Echelle et le ministre de Bercy sont au fond d’accord, ce dernier ayant lancé lors d’une conférence des Echos le 12 juin :
« Le passage de quatre à trois opérateurs mobiles est inéluctable (…), surtout si Free
– le ‘’Maverick’’, le ‘’vilain petit canard’’ – se maintient », faisant siens les propos tenus la veille par Bruno Lasserre (8) devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF). L’Autorité de la concurrence, elle, a promis sa décision sur Altice- Numericable/SFR/Virgin Mobile à l’automne… @

Bruno Lasserre n’est pas contre un retour à un triopole, pourvu qu’il y ait « un Maverick de type Free »

Nommé il y a dix ans par décret du président de la République à la tête de ce qui s’appelait encore le Conseil de la concurrence, et entamant un nouveau mandat de cinq ans, Bruno Lasserre n’est pas hostile à un retour au triopole, à condition que Free – alias « Maverick » – empêche ou limite la hausse des prix.

Bruno Lasserre« Lorsque le Maverick [comprenez un franctireur ou un original à l’esprit libre et nonconformiste, ndlr] est un opérateur indépendant de type Free, on voit que le niveau des prix dépend beaucoup de la présence de Maverick – des gens qui ont faim et qui vont gagner coûte que coûte des parts de marché en pratiquant des prix agressifs », a expliqué le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre (photo), devant l’Association des journalistes économiques et financiers (AJEF) le 11 juin dernier.
S’il refuse de se prononcer publiquement sur les hypothèses de consolidation du marché français des télécoms – Orange- Bouygues Telecom ou SFR/Numericable-Bouygues Telecom –, il donne pourtant bien volontiers son avis à chacun des dirigeants concernés qui le lui ont déjà demandé et le sollicitent encore.

« Le passage de quatre à trois opérateurs mobiles est inéluctable. (…) Le retour à trois opérateurs ne fait pas disparaître la concurrence, surtout si Free – “le Maverick,
le vilain petit canard” – se maintient ». Arnaud Montebourg, ministre de l’Economie, du Redressement productif et du Numérique, qui a tenu ce propos lors de la conférence « Telco & Digital » des Echos le 12 juin 2014,
est sur la même longueur d’ondes que Bruno Lasserre

Pour « le risque de l’innovation et la bataille des prix »
« Je reçois des visites (…). Quand Bouygues a proposé de racheter SFR, ils sont tous venus me voir. Quand Orange a envisagé le rachat de Bouygues Telecom, évidemment que Stéphane Richard [PDG d’Orange] est venu me voir ; Martin Bouygues est venu me voir. De même qu’Iliad est venu me voir aussi. Je ne leur ai pas donné un avis mais un sentiment et une cartographie des risques », a-t-il admis.
Bruno Lasserre les a sûrement déjà prévenus de son attachement à ce Maverick, alias Free, pour préserver aujourd’hui le jeu de la concurrence, comme l’avait fait Bouygues Telecom créé il y a vingt ans. « Méfions-nous des chiffres magiques : oui, quatre opérateur c’est mieux dans l’absolu que trois. Mais l’important est la qualité et les incitations des acteurs, et notamment la présence sur le marché d’un Maverick capable de soutenir sur le long terme la dynamique concurrentielle et de ne pas préférer le confort de la rente au risque de l’innovation et de la bataille des prix. C’est primordial », a-t-il en tout cas insisté devant l’AJEF. Une chose est sûr : si Bruno Lasserre n’exclut pas un retour au triopole mobile, près de trente mois seulement après le passage à quatre opérateurs grâce au lancement de Free Mobile en janvier 2012, il reste opposé à tout retour au duopole. Quelles que soient les opérations de concentration qui lui seront soumises, un « Maverick de type Free » devra être préservé.

Eviter à tout prix un duopole
C’est ce qu’il a déjà eu l’occasion de dire en novembre 2012 lorsque Xavier Niel et Jean-René Fourtou sont chacun venu le voir pour lui demander ce qu’il pensait du projet de Free de s’emparer de SFR. « Moi, j’ai dit “Non” à une hypothèse qui m’avait été soumise informellement. C’est le rapprochement Free-SFR. Là, j’ai dit que cela ne me paraissait pas présentable, non pas tellement parce que le pouvoir de marché réuni par ces deux entreprises aurait été excessif, mais parce que j’étais convaincu que cette opération de passage à trois préfigurait une autre opération beaucoup plus problématique de passage
à deux opérateurs : en réalité, derrière cette opération [Free-SFR], ce n’était pas un passage à trois mais à un duopole parce que Bouygues Telecom n’aurait jamais résisté
à cette configuration, aussi bien sur le fixe que sur le mobile. J’ai donc dit qu’un duopole était non présentable. (…) Mais je ne l’ai pas dit publiquement », a-t-il pour la première
fois relaté. Il l’a même redit en début d’année à Xavier Niel qui a songé une nouvelle fois
à un rapprochement entre Free et SFR, avant que ce dernier ne soit racheté par Altice-Numericable. « L’Autorité de la concurrence nous a dit en privé en novembre 2012 et l’a redit il y a quelques jours que ce n’était pas possible. Si nous rachetions SFR, c’était la disparition de Bouygues Telecom », avait en effet relaté Xavier Niel le 10 mars dernier
(lire EM@98, p. 2).
Dix-huit ans après l’invention par Bouygues Telecom du forfait mobile et douze ans après l’invention par Free du forfait triple play (à 29,99 euros), Bruno Lasserre entend bien garder un « troublion » des télécoms en France, lui qui fut directeur général des PTT
dans les années 1990 et qui a « brisé le monopole » (comme il le dit) de France Télécom et SFR à l’époque. « J’ai connu beaucoup de résistance », a-t-il rappelé.
Avec le nouveau Mercato des télécoms en marche en France, où il est devenu incontournable, cet énarque – qui a fêté ses 60 ans en janvier – prend aussi une revanche sur le passé : il se voyait déjà en 1997 président de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART, devenue l’Arcep) qu’il avait contribué à créer. Mais il en fut écarté au profit de Jean-Michel Hubert.
Au cœur des tractations télécoms aujourd’hui, Bruno Lasserre se défend cependant de donner des « avis » mais plutôt un « sentiment ». « J’estime que je n’ai pas à être le faiseur de roi, ni à dire comme le paysagiste : “Là il faut planter un saule ou là un chêne”. Nous sommes les jardiniers et nous veillons à ce qu’un arbre n’étouffe pas les autres. Dans une économie de marché, les acteurs décident eux-mêmes de leur stratégie »,
a-t-il assuré. Le président de l’Autorité de la concurrence reste néanmoins un « jardinier » qui refuse le retour à un duopole de type « saule-chêne » ! Et lorsque le ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique, Arnaud Montebourg, milite pour un retour à trois opérateurs mobile au lieu de quatre, il n’y trouve rien à redire et ne voit pas cela comme un retour en arrière.
Faut-il alors voir la création de Free Mobile il y a deux ans et demi comme une erreur ?
« Non. Je ne crois qu’il faille voir ça comme un échec. La concurrence est un procédé disruptif, qui crée du désordre et qui redistribue les forces. Et il faut admettre cela. (…) Oui, il faut clairement envisager aujourd’hui le marché des télécoms à un tournant », a-t-il estimé. Et d’ajouter : « Je ne me prononce pas sur le point de savoir si une consolidation est désirable ou pas. Est-ce qu’elle est devenue inévitable ? C’est peut-être là aujourd’hui la question ». Bruno Lasserre ne pense pas pour autant qu’il y ait en France comme dans le monde un chiffre magique et que la concurrence serait une question de nombre d’opérateurs télécoms. « C’est une question de qualité et d’incitation des acteurs. Dans certains pays, le niveau des prix est plus bas à trois qu’à quatre opérateurs », a-t-il assuré.
Quoi qu’il en soit, le président préfèrerait un retour à trois par opération de rachat qu’il serait amené à examiner, plutôt que l’éviction d’un passage à trois par l’éviction du quatrième opérateur, Bouygues Telecom par exemple. « Il y a clairement un choix qu’il faut regarder en face. Comment faire en sorte que le marché ne parte pas en vrille », s’est-il inquiété.
Mais le plus dure reste à venir pour l’Autorité de la concurrence : comment être sûr que le « Maverick de type Free » puisse continuer à jouer l’aiguillon ou le lièvre sur un marché menacé quoi qu’il en soit de basculer à terme sous le joue d’un duopole ? Après avoir négocié en vain en avril la reprise du réseau mobile de Bouygues Telecom, Free se retrouve isolé face à des « opérateurs historiques ».

Le « Maverick » résistera-t-il ?
Pour Xavier Niel, le duopole existe déjà dans les faits. « Si Altice rachetait SFR,
avait-il prévenu dès le 10 mars dernier, on se retrouverait dans un scénario dans
lequel Numericable, SFR et Bouygues Telecom – grâce à l’accord de mutualisation
entre les deux derniers – feraient une seule et même entité » (lire EM@100, p. 3).
Reste donc à savoir si Iliad-Free aura les reins assez solides pour combattre une
hydre à deux têtes… @

Charles de Laubier

Comment le CSA, l’Arcep, la Cnil et le législateur mettent les médias sociaux sous surveillance

A peine ont-ils émergé dans le nouveau paysage médiatique que les médias
sociaux se retrouvent d’emblée l’objet de toutes les attentions des régulateurs et des parlementaires. La prochaine loi audiovisuelle pourrait constituer un premier pas vers la régulation d’Internet.

« Le régulateur ne doit ni stopper ni brider ces nouveaux médias, mais veiller à ce
qu’ils respectent la protection des données », a voulu temporiser Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Cnil (1). « Il ne s’agit pas d’instaurer un carcan réglementaire mais plutôt un cadre s’appuyant sur la flexibilité du droit. Pas question non plus de contrôler les contenus », a tenu à rassurer Françoise Benhamou, membre du collège de l’Arcep.
« Je ne dis pas qu’il faille transposer stricto sensu dans le monde Internet la régulation des contenus audiovisuels », a tenté de rassurer à son tour Emmanuel Gabla, membre
du CSA.

Nouveau médias : qui contrôle quoi ?
Même la sénatrice Catherine Morin-Desailly, présidente du groupe Médias et Nouvelles technologies du Sénat et auteur du rapport « Gouvernance européenne du numérique » attendu pour fin février, a voulu minimiser la portée des réflexions en cours : « Les médias sociaux sont encore un phénomène trop récent pour savoir quelle forme il prendra et quelle devra être l’évolution de la régulation et du droit existant ». Les trois régulateurs et le législateur, qui s’exprimaient le 20 décembre dernier lors des sixièmes Assises de la Convergence des médias (2), ont ainsi tenté de ne pas inquiéter leur auditoire sur leurs intentions vis à vis des médias sociaux. Le thème de leur table-ronde était, elle, sans ambiguïté : « Quelle régulation pour les médias sociaux ? ».
Un lapsus d’Emmanuel Gabla, vite rectifié, en dit long sur le regard que leur porte le CSA : « L’intrusion… L’implication des médias sociaux permet à l’utilisateur de passer de l’autre côté du miroir. Il faut que les médias classiques ne perdent pas les rames et que les chaînes gardent la maîtrise de l’antenne, dans le respect de la déontologie (3). La course à l’info et aux scoops induite par ces réseaux sociaux peut poser un problème », a-t-il mis en garde. Avec la TV connectée, le régulateur de l’audiovisuel voit l’avènement de la Social TV où vont cohabiter les contenus du public et ceux des professionnels. « Notre régulation que l’on considère comme un jardin à la française existe. Mais avec les nouveaux acteurs du Net et les magasins d’applications, il y a (comme) un trou dans la raquette (de la régulation) », a estimé Emmanuel Gabla.
La Cnil, elle, se demande si la régulation actuelle est encore pertinente à l’heure du «marketing de soi », dans la mesure où le droit à la vie publique est une nouveauté par rapport au droit à la vie privée. « Faut-il ajuster la législation ? Oui, dans certains cas »,
a clairement répondu Isabelle Falque-Pierrotin. Après la recommandation du 12 juin 2009 émise par le Groupe 29 des régulateurs européens chargés de la protection des données personnelles, la Cnil publie en janvier un avis sur l’« éducation numérique ». Et après la pédagogie, la régulation ? « La mobilisation des régulateurs vis à vis des réseaux sociaux – comme Google qui a vu ses nouvelles règles de vie privée contestées, comme Facebook qui a reculé sur la reconnaissance faciale, ou comme Instagram qui a fait marche arrière sur la propriété des photos des utilisateurs – les pousse à se mettre en conformité et à mieux informer leurs utilisateurs pour qu’ils puissent faire un choix éveillé et averti », s’est félicité Isabelle Falque-Pierrotin.
Le projet de règlement européen sur la protection des données – présenté il y a tout
juste un an par la commissaire européenne Viviane Reding (4) – veut aller plus loin
en soumettant les acteurs du Net extra-européens à la législation communautaire renforcée (5), dès lors qu’un internaute européen est concerné. Parmi les 14 propositions présentées le 5 décembre dernier par la commission de suivi des usages de la télévision connectée du CSA (6), l’une d’elle consiste à « élaborer des recommandations générales et bonnes pratiques en matière de données à caractère personnel », en y associant la Cnil.

Neutralité du Net et libertés fondamentales
Quant à l’Arcep, elle se défend de tout contrôle sur les médias sociaux et veut s’en tenir
à la neutralité de l’Internet. Françoise Benhamou a d’ailleurs fait à ce propos l’analogie avec le droit de la presse qui cherche « un équilibre entre les libertés fondamentales et
la sauvegarde de l’ordre public » (loi de 1986 sur la liberté de communication) et prévoit une neutralité dans la distribution des journaux (loi de 1947 dite « Bichet »). L’Arcep n’exclut cependant pas des points de convergence pour de « nouvelles régulations »
qui supposent « une évolution du droit ». Les médias sociaux sont donc d’ores et déjà prévenus et n’ont qu’à bien se tenir… @

Charles de Laubier