La division fintech de Meta porte le nom de Meta Financial Technologies depuis un an, et après ?

Il y a un, le Français Stéphane Kasriel annonçait sur son compte Twitter que la division fintech qu’il dirige au sein de l’ex-groupe Facebook abandonnait son nom provisoire Novi pour s’appeler Meta Financial Technologies. Malgré l’échec de Diem, une monnaie virtuelle reste à l’étude.

Stéphane Kasriel (photo) est entré dans le groupe Facebook en Californie en août 2020, à l’époque où la division des technologies financières (fintech) de la firme de Menlo Park s’appelait encore Facebook Financial (F2) que dirigeait alors le Suisse franco-américain David Marcus (ancien président de PayPal). Le Français Stéphane Kasriel est recruté pour diriger une équipe d’ingénieurs au sein de cette entité F2 qui gère tous les services financiers du géant des réseaux sociaux, notamment le portefeuille numérique Novi, les systèmes de e-paiement WhatsApp Pay ou Facebook Pay, ainsi que les transferts d’argent transfrontaliers via NoviTransferts.

Après l’échec de Diem, des tokens pour payer
Jusqu’au jour où David Marcus annonce sur Twitter, le 28octobre 2021 et juste après le changement de nom du groupe Facebook en Meta Platforms, que la branche F2 prend le nouveau nom de Novi (1), lequel nom est déjà celui du portefeuille virtuel (anciennement Calibra) qui devait être lancé avant fin 2021 pour permettre à leurs détenteurs de pouvoir y mettre des cryptomonnaies – y compris ce qui devait être la future monnaie numérique Diem indexée sur le dollars et initiée par la firme de Mark Zuckerberg au sein de l’association également dénommée Diem (ex-Libra). Mais confrontés à des obstacles réglementaires et politiques aux Etats-Unis (où tout ce qui pourrait déstabiliser le sacro-saint dollars est exclu), le projet Novi et la crypto Diem (bien que cette dernière soit «stablecoin» et arrimée à l’US dollar) se retrouvent au point mort au grand dam de David Marcus. Celui-ci annonce le 30 novembre 2021 son départ de Meta. « Je demeure toujours aussi passionné par la nécessité de changer nos systèmes de paiement et nos systèmes financiers », dira-t-il dans son tweet (2).
En janvier 2022, Le Wall Street Journal et le Washington Post révèlent l’abandon par Meta de Diem, dont les actifs ont été cédés à la banque californienne Silvergate, celle-là même – ironie de l’histoire – qui a fait faillite en mars dernier après le crypto-krach du second semestre 2022 et surtout la banqueroute retentissante de la plateforme de cryto-exchange FTX. David Marcus était aussi membre du bureau de l’association Diem, ex-Libra, laquelle avait embarqué dans son projet plusieurs entreprises parmi lesquelles la maison mère de Free, Iliad, Spotify ou encore Uber. Le « frenchie » Stéphane Kasriel succède en novembre 2021 à David Marcus à la tête de Novi, dont il annoncera le 8 mars 2022 le changement de nom pour, cette fois, Meta Financial Technologies. « Nous avons changé le nom de notre groupe de produits [Novi] en Meta Financial Technologies. Lorsque [le groupe Facebook] s’est rebaptisé, il ne s’agissait pas seulement d’adopter un nouveau nom. Il s’agissait d’embrasser notre vision de l’avenir. Il est donc normal que nous adoptions un nouveau nom pour notre activité fintech au moment où nous construisons le métavers », avait tweeté, il y a donc un peu plus d’un an maintenant (3), le nouveau directeur de Meta Financial Technologies – appelé aussi Meta FT.
C’est aussi il y a un an, le 8 avril 2022, que le Financial Times révèle le projet d’une cryptomonnaie appelée en interne « Zuck Buck » (composé du surnom de Mark Zuckerberg et de l’appellation du dollar en argot) pour être utilisée dans Facebook, Instagram et le métavers Horizon Worlds. Les « Zuck Bucks » désignaient dix ans auparavant les « Facebook Credits » utilisés comme monnaie virtuelle dans des jeux en ligne. Mais depuis, le métavers Horizon Worlds s’est transformé l’an dernier en « métaflop » (4) malgré les milliards de dollars investis par Meta. La crypto ZBUX (5) n’est pas sortie des limbes. Contactés par Edition Multimédi@, ni Stéphane Kasriel, le patron de Meta FT, ni Edward Bowles, son directeur des affaires publiques, ne nous ont répondu sur une éventuelle « metacrypto » post-Diem. Pour l’heure, Meta FT continue de travailler sur des tokens, des jetons sur le modèle des V-Bucks dans Fortnite (6) ou des Robux dans Roblox. « Pour l’instant, nous réduisons progressivement les collectibles numériques (NFT) afin de nous concentrer sur d’autres façons de soutenir les créateurs, les gens et les entreprises, a twitté Stéphane Kasriel le 13 mars dernier.

Monétiser les fans des créateurs et entreprises
« Cela reste une priorité de connecter les créateurs et les entreprises avec leurs fans et de les monétiser, afin d’avoir un impact à grande échelle, comme les messages et les opportunités de monétisation pour Reels [fonction de vidéos courtes lancée sur Instagram en 2020 pour concurrencer TikTok, ndlr] ». Mais le patron de Meta FT d’ajouter : « Nous continuerons d’investir dans les outils de fintech dont les gens et les entreprises auront besoin pour l’avenir. Nous simplifions les paiements avec Meta Pay, pour rendre les paiements et les versements plus faciles, tout en investissant dans les paiements par messagerie à travers Meta » (7) @

Charles de Laubier

Google Analytics, outil de mesure d’audience le plus utilisé au monde : toujours illégal en Europe ?

Il y a un an, la Cnil mettait en demeure une première société française éditrice d’un site web utilisant Google Analytics, jugé incompatible avec le RGPD quant au transfert des données vers les Etats-Unis. Deux autres sociétés ont été aussi épinglées sur les 101 plaintes de l’association Noyb.

Il y a plus de trois mois, Russell Ketchum (photo de gauche), directeur de Google Analytics, confirmait qu’Universal Analytics sera remplacé 1er juillet 2023 par la version 4 de Google Analytics (GA4), tandis qu’« Universal Analytics 360 » sera, lui, finalement prolongé jusqu’au 1er juillet 2024 (1), soit au-delà du 1er octobre 2023 initialement prévu (2). Quésaco ? Universal Analytics est la version basique et gratuite de l’outil de mesure d’audience le plus utilisé au monde par des sites web et des applications mobiles.

Le transfert des données vers les USA
Google Analytics détient en effet 86,1 % de parts de marché au 7 février 2023 en étant utilisé par 56,5 % de tous les sites web, selon W3Techs, suivi par Facebook Pixel et de bien d’autres analyseurs de trafic (3). « Universal Analytics 360 » est, elle, la version premium payante de Google Analytics destinée principalement aux grandes entreprises. Edition Multimédi@ a demandé à Google si GA4 répondait aux préoccupations des Européens sur la protection de leur vie privée, conformément au règlement général sur la protection des données (RGPD), et notamment aux mises en demeure prononcées par la Cnil en décembre 2021 et en décembre 2022 ? « Nous avons en effet récemment introduit de nouvelles fonctionnalités pour Google Analytics 4 qui permettent par exemple aux sites web de ne pas enregistrer ni stocker les adresses IP via GA4, ou encore de minimiser les données collectées concernant l’utilisateur, ce qui peut ainsi aider à répondre aux préoccupations d’identification des utilisateurs. Cependant, le véritable problème au cœur de tout cela reste les transferts de données entre l’Union européenne et les Etats-Unis qui manquent d’un cadre juridique stable pour les entreprises européennes et américaines », nous a répondu le géant du Net. Et d’ajouter : « Nous considérons que l’Executive Order récent[d’octobre 2022, ndlr] de la Maison Blanche est une étape importante dans ce travail » (4). De quoi rassurer les éditeurs de sites web et d’applis mobiles utilisant Google Analytics et les « Cnil » en Europe qui les surveillent voire les sanctionnent ? Rien n’est moins sûr. Il y a un an en France, le 10 février 2022, la Cnil mettait en demeure la toute première société pour non-respect du RGPD pour l’utilisation de Google Analytics pour mesurer son audience web (5). La Cnil considère implicitement que Google Analytics est ni plus ni moins illégal au regard du RGPD pour deux motifs principaux : les mesures mises en place par Google ne sont pas suffisantes pour exclure la possibilité d’un accès aux données de résidents européens ; les données des internautes européens sont donc transférées illégalement vers les Etats-Unis par le biais de ce même outil. Cette première décision de la Cnil a été publiée il y a un an, mais de façon anonymisée, pour l’exemple (6). Mais il s’agit de l’une des trois sociétés françaises utilisant Google Analytics contre lesquelles l’organisation autrichienne Noyb dirigée par Max Schrems (photo de droite) avait déposé plaintes – parmi un total de 101 plaintes (7) déposées en août 2020 – auprès des « Cnil » européennes, dénonçant des transferts illégaux de données à caractère personnel vers les Etats-Unis.
La Cnil en France avait ainsi été destinataire de trois plaintes à l’encontre de respectivement Decathlon, Auchan et Sephora. Parallèlement, concernant cette fois l’outil Facebook Connect, la Cnil était aussi saisie de trois autres plaintes à l’encontre de Free Mobile, Leroy Merlin et Le Huffington Post. Après sa première décision concernant Google Analytics, la Cnil mettra également en demeure les deux autres sites web mis en cause (parmi Decathlon, Auchan et Sephora). Ce dont se félicitera à nouveau la Noyb le 5 avril 2022 dans un communiqué où sont mises en ligne les deux autres décisions de la Cnil, là aussi anonymisées (8). Ces trois sociétés disposaient d’un délai d’un mois – renouvelable à leur demande – pour se mettre en conformité et justifier cette conformité auprès de la Cnil.
Mais la Cnil n’a pas été la première à épingler les éditeurs de services en ligne qui utilisent Google Analytics. Son homologue autrichienne – la Datenschutzbehörde (DSB) – avait ouvert la voie deux semaines avant dans une décision inédite datée du 22 décembre 2021 et considérée comme « révolutionnaire » par la Noyb (9).

L’Italie, la Grèce mais pas l’Espagne
Ce fut la première fois en Europe que l’utilisation de Google Analytics est considérée comme une violation du RGPD. D’autres décisions ont été prises par d’autres autorités en Europe – la Grèce par décision de l’APD de janvier 2022 (10) et l’Italie par décision de la GPDP de juin 2022 (11) – à l’encontre de l’utilisation de « GA ». En revanche, la « Cnil » espagnole – l’AEDP – n’a pas suivi ni ses homologues européennes ni la CEPD en publiant le 15 décembre 2022 une décision rejetant la plainte de Noyb (12). Ces premières décisions sur les 101 plaintes déposées par Noyb faisaient suite à la décision de 2020 dite « Schrems II » de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) estiment que l’utilisation des services Internet américains violait le RGPD, car les lois de surveillance américaines exigent que les Google, Facebook et autres Twitter fournissent aux autorités américaines des détails personnels sur leurs utilisateurs, mêmes Européens.

Le spectre de la loi américaine FISA
Par exemple, la loi américaine FISA – Foreign Intelligence Surveillance Act – autorise expressément la NSA – National Security Agency – à collecter les données personnelles des utilisateurs situés hors des Etats-Unis si ces data sont stockées sur des serveurs américains. Autre texte américain, présidentiel celui-ci : l’OE – Executive Order – numéro 12.333 qui renforce les services de renseignement aux Etats-Unis depuis Ronald Reagan et George W. Bush. C’est pour ces raisons que la CJUE avait annulé en 2020 l’accord de transfert « Privacy Shield » (décision « Schrems II » de 2020), après avoir annulé l’accord précédent « Safe Harbor » (décision « Schrems I » de 2015). Cela provoqua une onde de choc pour les GAFAM qui les secouent encore aujourd’hui (13). « Nous nous attendons à ce que des décisions similaires tombent progressivement dans la plupart des Etats membres de l’UE. Nous avons déposé 101 plaintes dans presque tous les Etats membres et les autorités [les « Cnil » européennes, ndlr] ont coordonné la réponse », s’était félicité Max Schrems. Il est prêt à attaquer à nouveau devant la CJUE la nouvelle décision sur le transfert des données « UE-USA » (14) publiée par la Commission européenne le 13 décembre dernier (15). Dans la foulée de la décision de la DSB en Autriche, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) – regroupant les « Cnil » européennes – avait également rendue une semaine avant une décision commune similaire (16). S’il devait y avoir sanction, le RGPD prévoit qu’elle peut aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise du Net.
C’est justement parce que Google Analytics est largement utilisé par une écrasante majorité d’éditeurs de services en ligne que la Cnil avait décidé d’anonymiser ses trois décisions. « Il ne paraissait pas utile de citer le nom d’un éditeur de site en particulier, l’usage de cet outil étant très répandu. L’objectif est que l’ensemble des responsables de traitement utilisant cet outil se mette en conformité », justifiait ainsi le gendarme des données personnelles. Il avait d’ailleurs mis en garde tous les éditeurs concernés : « Tous les responsables de traitement utilisant Google Analytics d’une façon similaire à ces organismes doivent considérer dès à présent cette utilisation comme illégale au regard du RGPD. Ils doivent donc se tourner vers un prestataire proposant des garanties suffisantes de conformité ». D’après la Cnil, les trois sociétés mises en demeure avaient établi avec Google des clauses contractuelles types, proposées par défaut. Or ces dernières ne peuvent assurer seules un niveau de protection suffisant en cas de demande d’accès d’autorités étrangères, notamment si cet accès est prévu par des lois locales. En réponse au questionnaire envoyé par la Cnil, Google a indiqué que l’ensemble des données collectées par le biais de Google Analytics était hébergé aux Etats-Unis. Néanmoins, avait mentionné le gendarme français des données personnelles le 7 juin 2022, « Google avait indiqué avoir mis en place des mesures supplémentaires d’ordre juridique, organisationnel et technique, qui ont cependant été jugées insuffisantes pour assurer la protection effective des données personnelles transférées, en particulier contre des demandes d’accès aux données par des services de renseignement états-uniens » (17).
La Cnil avait en outre fait savoir que Google avait indiqué utiliser des mesures de pseudonymisation (18), mais non d’anonymisation (19). « Google propose bien une fonction d’anonymisation des adresses IP, a constaté la Cnil, mais celle-ci n’est pas applicable à tous les transferts. En outre, les éléments fournis par Google ne permettent pas de déterminer si cette anonymisation a lieu avant le transfert aux Etats-Unis ». Autre problème que pose Google Analytics : la réidentification de l’internaute. En effet, la seule utilisation d’identifiants uniques permettant de différencier les individus peut amener à rendre les données identifiables, en particulier lorsqu’elles sont associées à d’autres informations telles que les métadonnées relatives au navigateur et au système d’exploitation.

Data et navigation : le risque de suivi demeure
De plus, l’utilisation de Google Analytics avec d’autres services de Google, notamment marketing, peut amplifier le risque de suivi. « En effet, explique la Cnil, ces services, très utilisés en France, peuvent permettre un recoupement de l’adresse IP et ainsi de retracer l’historique de navigation de la majorité des internautes sur un grand nombre de sites ». Quant au chiffrement de données par Google, il s’est avéré insuffisant car Google procède lui-même au chiffrement des données et a l’obligation d’accorder l’accès ou de fournir les données importées qui sont en sa possession, y compris les clés de chiffrement nécessaires pour les décrypter. @

Charles de Laubier

La télévision numérique terrestre (TNT) en France reste dominée par les groupes privés TF1 et M6

La TNT présente encore la meilleure alternative en France face aux plateformes globales de SVOD. Problème : les groupes privés TF1 et M6 – dont les autorisations arrivent à échéance en mai 2023 – sont toujours en position dominante. L’appel à candidature lancé par l’Arcom va les bousculer.

Les groupes TF1 et M6 ne possèdent pas seulement les chaînes éponymes historiques (TF1 et M6) mais aussi bien d’autres chaînes gratuites de la TNT : TMC, TFX, TF1 Séries Films et LCI, soit au total cinq chaînes du côté de la filiale du groupe Bouygues ; M6, W9, 6ter et Gulli, soit également cinq chaînes du côté de la filiale de RTL Group du groupe Bertelsmann. Et encore, si l’on considère les chaînes payantes de la TNT, il y a Paris Première au sein du groupe M6.

TF1 et M6 = 40 % des chaînes gratuites
Ensemble, les groupes TF1 et M6 – qui ont finalement abandonné mi-septembre 2022 leur projet de fusion (1) – cumulent dix chaînes gratuites de la TNT. Cela représente tout de même 40 % des 25 chaînes gratuites de la TNT (voir tableau ci-dessous). Mais leur position dominante – si l’on considère ce « duopole » potentiel – est surtout le fait de leur chaîne « vaisseau amiral » que sont les chaînes TF1 et M6. « Chaînes historiques lancées à l’ère de la télévision analogique, TF1 et M6 sont les deux principaux services privés en clair de la TNT. Ils se caractérisent en particulier par leur capacité à fédérer une large audience, leurs parts de marché publicitaire, la diversité des programmes qu’ils diffusent, leur contribution au renouvellement de l’offre et le poids de leurs investissements en production. Ces services bénéficient d’une exposition avantageuse aux numéros 1 et 6 dans le plan de numérotation des chaînes de la TNT », résume l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) dans son étude d’impact publiée le 17 novembre dernier (2). Ce sont justement les autorisations accordées aux sociétés Télévision Française 1 (filiale de Bouygues) et Métropole Télévision (filiale de RTL Group/Bertelsmann) pour ces chaînes gratuites TF1 et M6 qui arrivent à échéance le 5 mai 2023. L’Arcom, qui n’avait pas vu d’un très bon oeil le projet de fusion TF1-M6 en raison « des effets notables (…) sur les marchés publicitaires, de l’édition et de la distribution, ainsi que (…) de l’acquisition de programmes » (3), veut saisir cette opportunité pour redynamiser la TNT en perte de vitesse. Aussi, c’est la toute première fois que les chaînes historiques vont devoir répondre à un appel à candidatures pour les fréquences gratuites qu’elles détiennent jusque-là – et non pas se contenter d’une procédure simplifiée de nouvellement d’autorisation sur les fréquences gratuites respectives (ces fameuses ressources radioélectriques).
C’est une petite révolution dans le PAF – paysage audiovisuel français. « Ni la consultation publique, ni l’étude d’impact ne font apparaître que la situation économique actuelle du marché de la TNT gratuite s’oppose au lancement d’un appel à candidatures pour autoriser deux chaînes nationales gratuites et financées par la publicité », en a conclu l’Arcom présidée par Roch-Olivier Maistre (photo). Le régulateur de l’audiovisuel a même estimé que « compte tenu de la place de TF1 et M6 sur le marché (en termes de publicité, d’audience et de programmes notamment), l’absence de lancement de l’appel à candidatures serait dommageable pour le marché et pour le téléspectateur qui verrait l’offre mise à sa disposition se réduire ».
L’appel à candidatures – susceptible d’ouvrir la TNT à un nouvel entrant – a été lancé par l’Arcom le 7 décembre (4) et jusqu’au 23 janvier 2023 (aactnt@arcom.fr). Cela pourrait revigorer la concurrence entre les chaînes gratuites, bousculer les « rentes » de situations ou toute autre position dominante du « duopole » TF1-M6. D’autant que l’attribution des ressources rendues disponibles, à partir du 6 mai 2023 précisément, intervient au moment où la consommation de la télévision est en baisse et l’audience des téléspectateurs vieillissante. « La durée d’écoute individuelle (DEI) de la télévision a atteint un pic en 2012 (3h50), avant d’entamer une baisse, qui s’est accélérée en 2018 et 2019 » (la hausse durant la crise sanitaire n’ayant été que conjoncturelle). Le groupe TF1 a perdu 5,8 points de part d’audience entre 2007 et 2021, toutes chaînes confondues, dont les chaînes gratuites rachetées NT1 (devenue TFX) et HD1 (devenue TF1 Séries Films) ou lancées TMC (ex-Télé Monte-Carlo) qui ont limité la casse. De même, le groupe M6 a réussi à maintenir une part d’audience stable sur l’ensemble de la période grâce aux lancements de W9 et de 6ter, et à l’acquisition de Gulli. Pour autant, les chaînes TF1 et M6, avec leur part d’audience respective de 19,7 % et de 9,1 %, s’arrogent à eux deux près de 30 % de l’audience TV nationale (voir tableau ci-contre), voire 40 % avec toutes leurs chaînes.

NJJ Médias (Niel) veut jouer les trouble-fête
Les deux groupes privés dominants de la TNT pratiquent chacun la « circulation de leurs programmes » entre leurs différentes antennes respectives, ce qui contribue à leur « position importante » sur la TNT gratuite. Mais les téléspectateurs ont vieilli. « La durée d’écoute des plus de 50 ans est globalement en hausse depuis 2010 ». La moyenne d’âge de TF1 est montée à 55 ans, tandis que celle de M6 est aussi en augmentation à 49 ans. L’époque de la « ménagère de moins de 50 ans » est révolue mais la catégorie d’âge reste. Le constat est sans appel : « L’offre des services de la TNT subit depuis plusieurs années une érosion de ses audiences et un vieillissement des téléspectateurs. Ce problème d’attractivité s’accompagne d’une fragmentation des services liée à l’élargissement de l’offre TNT permis par le passage à la diffusion numérique ». Cela n’a pas empêché les groupes privés TF1 et M6 à maintenir des « positions d’importance » (dixit) au regard du reste de l’offre TNT. Le jeune public, lui, est plus attiré par les réseaux sociaux et les plateformes de SVOD que par les chaînes de la TNT.
C’est un fait à l’ère des « adolécrans » (5). « L’arrivée à échéance des autorisations des services TF1 et M6 intervient dans un contexte plus large de bouleversements majeurs du secteur audiovisuel, tant en termes d’offre que d’usages, qui trouvent notamment leur origine dans les innovations technologiques induites par la révolution numérique. Ces évolutions, qui se traduisent par une concurrence accrue sur le marché, en particulier de la part d’acteurs internationaux, sont de nature à impacter la place occupée par les acteurs locaux de la TNT dans cette offre audiovisuelle élargie », souligne l’étude d’impact de l’Arcom. Reste à savoir si NJJ Médias (NJJ Holding), présidé par le milliardaire Xavier Niel – candidat malheureux à deux reprises au rachat de M6 – répondra – à temps (6) – à l’appel à candidatures pour une nouvelle chaîne de télévision gratuite sur la TNT après avoir manifesté le 28 novembre auprès de l’Arcom (7) son intérêt. @

Charles de Laubier

 

Union européenne, Etats-Unis, Chine : la grande bataille pour le « Bigcoin » est bien engagée

Le 16 septembre, la Maison-Blanche a livré les premières réflexions de l’administration Biden sur la future monnaie numérique américaine – un « dollar digital ». Le même jour, la Banque centrale européenne a fait le point sur le projet d’« euro numérique ». La Chine devance avec son « e-yuan ».

« Le développement responsable des actifs numériques est vital pour les intérêts américains, du bien-être des consommateurs et des investisseurs pour la sécurité et la stabilité de notre système financier, et pour notre leadership financier et technologique dans le monde », a déclaré Brian Deese (photo de gauche), conseiller économique de la Maison-Blanche, lors d’une conférence téléphonique le 15 septembre. En ajoutant : « Plus que jamais, une réglementation prudente des cryptomonnaies est nécessaire si les actifs numériques sont amenés à jouer un rôle que nous croyons dans la promotion de l’innovation et le soutien de notre compétitivité économique et technologique ».

Esquisse d’une loi « CBDC » pour le 10 octobre
Depuis le 14mars 2022, le président des Etats-Unis, Joe Biden, a fait des actifs numériques « une priorité ». Dans un décret – Executive Order (EO) – signé ce jour-là de sa main et intitulé « Assurer le développement responsable des actifs numériques », le locataire de la Maison-Blanche avait demandé à différentes autorités administratives – « le secrétaire du Trésor, en consultation avec le secrétaire d’État, le procureur général, le secrétaire au Commerce, le secrétaire à la Sécurité intérieure, le directeur du Bureau de la gestion et du budget, le Directeur du Renseignement national et les responsables des autres agences concernées » – de lui remettre dans les 180 jours, soit le 10 septembre 2022, « une évaluation de la nécessité de modifications législatives pour instaurer une CBDC des Etats-Unis, si elle est jugée appropriée et dans l’intérêt national ». CBDC (Central Bank Digital Currencies) désigne les monnaies numériques de Banque centrale, c’està- dire émanant des Etats. Ce premier rapport a été présenté par la Maison-Blanche le 16 septembre, précédé la veille du briefing téléphonique de Brian Deese. « Une monnaie numérique de banque centrale des Etats-Unis (CBDC) serait une forme numérique du dollar américain. Bien que les Etats- Unis n’aient pas encore décidé s’ils allaient ou non adopter une CBDC, ils ont examiné de près les répercussions et les options de l’émission d’une telle monnaie numérique de banque centrale », a-t-il indiqué en présentant le rapport de Alondra Nelson, la directrice de l’OSTP (Office of Science and Technology Policy), bureau rattaché au cabinet de Joe Biden. Ce premier rapport de 58 pages (1) procède à une évaluation technologique d’une monnaie en faisant des recommandations mais sans dire si les Etats-Unis vont ou pas se lancer dans cette aventure (2). Prochaine étape : dans les 210 jours suivant le décret, soit le 10 octobre prochain, le président américain recevra cette fois « une proposition législative correspondante fondée sur l’examen du rapport présenté par le secrétaire du Trésor (…) et de tout document élaboré par le président de la Réserve fédérale [la Fed, ndlr]». Sans attendre, l’OSTP et la National Science Foundation (NSF), une agence indépendante du gouvernement américain et supervisée par la Chambre des représentants des Etats-Unis, ont commencé à élaborer « un programme national de recherche et développement (R&D) sur les actifs numériques », portant notamment sur la cryptographie, sur la protection des consommateurs (y compris l’inclusion financière et l’équité dans l’écosystème des actifs numériques). L’objectif est d’être en phase avec la priorité budgétaire de l’exercice 2024 fixée par Joe Biden, qui demande aux ministères et organismes fédéraux de collaborer sur les technologies essentielles et émergentes, y compris les technologies financières.
Selon l’EO n°14067, les différents rapports demandés doivent se pencher sur l’avenir des systèmes de paiement et de monnaie, « y compris les conditions qui conduisent à une large adoption des actifs numériques ». Le but est de mesurer l’influence de l’innovation technologique et les répercussions sur le système financier des Etats-Unis, ainsi que les répercussions sur la modernisation et les changements des systèmes de paiement, la croissance économique, l’inclusion financière et la sécurité nationale. Mais surtout, les rapports demandés doivent explorer la mise en place aux Etats-Unis de monnaies numériques de la Banque centrale (CBDC), en l’occurrence la Fed (Federal Reserve). Et ce, en garantissant le principe de la « monnaie souveraine » du pays, comprenez le e-dollar, tout en évaluant les avantages et les risques possibles pour les consommateurs, les investisseurs et les entreprises, ainsi que la stabilité financière et le risque systémique pour les systèmes de paiement et la sécurité nationale.

Maintenir le dollar au centre du monde
Il s’agit aussi pour Joe Biden de « mettre en valeur le leadership et la participation des Etats-Unis » dans les instances internationales concernées par les CBDC et dans les projets pilotes multinationaux de monnaies numériques auxquels participent les autres banques centrales. Dans son décret présidentiel, le président des Etats-Unis esquisse ce futur e-dollar : « Une CBDC des Etats-Unis pourrait soutenir des transactions efficaces et peu coûteuses, en particulier pour les transferts de fonds et les paiements transfrontaliers, et favoriser un meilleur accès au système financier, avec moins de risques posés par les actifs numériques administrés par le secteur privé ». Cette future CBDC américaine devrait être, selon Joe Biden, « interopérable avec les CBDC émises par d’autres autorités » et pourraient « potentiellement stimuler la croissance économique, soutenir le maintien de la centralité des Etats-Unis au sein du système financier international et aider à protéger le rôle unique que joue le dollar dans la finance mondiale ». E-euro : conclusions de la BCE début 2023 L’une des priorités de l’administration Biden est donc de maintenir le dollar américains au centre du système monétaire international. En creux, Washington veut éviter à tout prix que le dollar ne soit court-circuité par des cryptomonnaies nonétatiques telles que le Bitcoin, l’Ether ou encore le Ripple (3). En outre, Joe Biden encourage Jerome Powell, le président de la banque centrale américaine, à savoir la Fed, à lui remettre un rapport pour savoir comment les CBDC pourraient « améliorer l’efficacité et réduire les coûts des systèmes de paiement actuels et futurs » et pour continuer à « évaluer la forme optimale d’une CBDC des Etats-Unis et élaborer un plan stratégique pour la Réserve fédérale et l’action plus large du gouvernement des Etats-Unis (dans la perspective de) la mise en œuvre et du lancement possible d’une CBDC des Etats-Unis » (4). La remise de ces deux rapports – le premier sur l’évaluation de la nécessité de légiférer (remis miseptembre) et le second sur une proposition législative correspondante (à remettre le 10 octobre) –, se fait par l’entremise de l’adjoint du président américain pour les affaires de sécurité nationale (APNSA) et de son autre adjoint pour la politique économique (APEP). La commission fédérale du commerce, la FTC, ou encore l’autorité des marchés financiers – la SEC – sont, elles aussi, mises à contribution pour préparer le terrain à la création de monnaies numériques de la Banque centrale des Etats-Unis – dollar digital en tête.
Hasard du calendrier (quoique), de l’autre côté de l’Atlantique, la Banque centrale européenne (BCE) – dirigée depuis près de trois ans par Christine Lagarde (photo de droite) – a communiqué ce même 17 septembre sur le futur euro digital. Au nom de l’Union européenne, qui s’apprête à adopter un règlement dit « MiCA » sur les marchés de crypto-actifs (5), l’institution monétaire basée à Francfort a fait part de la sélection de cinq entreprises « pour développer des interfaces utilisateur potentielles pour l’euro numérique ». Le but est de tester dans quelle mesure la technologie de l’euro numérique s’intègre aux prototypes déjà développés par ces entreprises, à savoir : le géant mondial du e-commerce Amazon pour les paiements en ligne, la société italienne spécialisée dans le e-paiements Nexi pour les paiements au point de vente effectués par le bénéficiaire, l’initiative européen EPI pour les paiements au point de vente effectués par le payeur, la société française leader dans la « paytech » Worldline pour les paiements hors ligne entre pairs (peerto- peer offline payments), et l’établissement financier espagnol CaixaBank pour les paiements en ligne entre pairs (peer-topeer online payments).
La présence d’Amazon parmi ces cinq entreprises, choisies par la BCE au sein d’un pool de 54 fournisseurs de services, n’a pas manqué de soulever des interrogations sur la « souveraineté européenne » de la démarche. « Leur sélection fait suite à l’appel à manifestations d’intérêt lancé en avril 2022 pour participer à l’exercice de prototypage, a expliqué la BCE. Les 54 entreprises remplissent un certain nombre de “capacités essentielles” décrites dans l’appel, tandis que les cinq fournisseurs choisis correspondaient le mieux aux “capacités particulières” » (6). Ces cinq sociétés développeront leur prototype respectifs, dont les transactions seront simulées et traitées par l’interface et l’infrastructure dorsale d’Eurosystème, l’organe de l’Union européenne qui regroupe la BCE et les banques centrales nationales des Etats membres. Sous la houlette de Christine Lagarde, l’institution francfortoise publiera au premier semestre 2023 ses conclusions sur ses deux ans d’étude sur le projet d’euro numérique. Selon le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau qui s’est exprimé le 27 septembre, l’Eurosystème prendra une décision d’ici fin 2023, en vue d’un lancement éventuel en 2026 ou 2027. Quant à la Chine, elle a un coup d’avance sur l’Occident. Le président chinois Xi Jinping veut faire un « Grand bond en avant » numérique en voulant généraliser l’e-yuan, qui est testé depuis 2020 après des développements commencés dès 2014. Le renminbi digital – appelé officiellement Digital Currency Electronic Payment (DCEP) – a commencé à être utilisé à grande échelle dans l’Empire du Milieu à l’occasion des Jeux olympiques d’hiver qui se sont déroulés à Pékin en février 2022. Mais aucun bilan n’a été donné depuis.

Chine : l’e-yuan, futur « Bigcoin » ?
Selon Sharnie Wong, une analyste de Bloomberg Intelligence (BI), l’e-yuan ou e-CNY pourrait d’ici 2025 représenter 9% des paiements numériques en Chine (7). D’autant que Pékin a interdit le bitcoin, car trop « spéculatif ». Plus de 4,5 millions de commerçants en Chine acceptent les paiements en e-CNY grâce à l’application mobile éponyme téléchargées par millions. WeChat (Tencent) et AliPay (Alibaba) sont tenus eux aussi de faire la promotion de la crypto nationale. Pour autant, ni les Etats-Unis, ni l’Europe, ni la Chine ne veulent perdre leur pouvoir régalien étatique historique de « frapper monnaie », chahuté par le paiement mobile et les cryptomonnaies. Et chacun rêve en plus d’imposer au monde son propre « Bigcoin » somme. @

Charles de Laubier

Le marché de la SVOD (sans pub) semble saturé ; des plateformes s’ouvrent à l’AVOD (avec pub)

The Walt Disney Company l’a confirmé le 4 mars : sa plateforme Disney+, jusqu’à maintenant par abonnement (SVOD), offrira aussi à partir de fin 2022 un accès peu cher financé par la publicité (AVOD). La pression des annonceurs est tellement forte que même Netflix pourrait céder à son tour.

« L’élargissement de l’accès à Disney+ pour un public plus large et à un prix plus bas est avantageux pour tout le monde – les consommateurs, les annonceurs et nos conteurs », a justifié Kareem Daniel (photo), président de Disney Media and Entertainment Distribution (DMED), lors de la confirmation faite le 4 mars du lancement d’ici fin 2022 aux Etats-Unis et courant 2023 pour le reste du monde – d’une offre moins chère de Disney+ financée par de la publicité. Et Rita Ferro, présidente en charge de la publicité chez DMED d’ajouter : « Depuis son lancement, les annonceurs réclament à cor et à cri la possibilité de faire partie de Disney+ » (1).

Disney cède à la pression des annonceurs
La pression des annonceurs en quête d’espaces sur les services de streaming vidéo, encore très dominés dans les foyers par les plateformes par abonnement et sans publicités (SVOD), est telle que The Walt Disney Company a dû céder aux sirènes des marques. Pourtant, en juin 2021, devant des investisseurs réunis par le Credit Suisse, le PDG du groupe, Bob Chapek, avait écarté l’idée d’une offre financée par la publicité (AVOD) : « Nous n’avons pas de tels plans maintenant. Nous sommes satisfaits des modèles que nous avons en ce moment », avait-t-il assuré (2).
Neuf mois après, c’est le contraire. C’est surtout le moyen d’espérer engranger plus rapidement des abonnés, certes low cost, afin de parvenir à son objectif d’atteindre lors de son exercice 2024 (clos fin septembre) de 230 à 260 millions d’abonnés au total à Disney+, soit cinq ans après son lancement aux Etats-Unis. Pour le mythique conglomérat du divertissement et major d’Hollywood, qui fêtera son centenaire en octobre 2023, ce serait la consécration de son déploiement mondial réussi dans le streaming – sous la houlette de Bob Chapek, successeur de Bob Iger depuis plus de deux ans maintenant (3). La date de lancement et le prix allégé par rapport aux 7.99 dollars par mois actuels (ou 8,99 euros) seront connus dans le courant de l’année. Conséquence de l’ouverture dès cette année de Disney+ à l’AVOD, outre le fait que Disney+ Hotstar (4) fasse déjà de la publicité en Inde et en Asie du Sud-Est, ce marché mondial de l’« Advertising Supported Video on Demand » devrait largement dépasser les 66 milliards de dollars en 2026, selon Digital TV Research : « Je pense que les nouvelles prévisions seront supérieures, mais nous les publierons en mai prochain », indique Simon Murray, son analyste principal, à Edition Multimédi@. Autrement dit, dans quatre ans, les revenus en termes d’abonnements de l’AVOD devraient pouvoir plus que doubler par rapport aux 3,7 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2021 dans les 138 pays observés. Les Etats-Unis demeureront sans surprise à la tête de ce marché, suivis par la Chine, le Japon, le Royaume-Uni ou encore l’Inde (voir tableau page suivante).
Digital TV Research pourrait devoir revoir encore à la hausse ses prévisions si Netflix se décidait à son tour à franchir la clôture pour aller voir du côté de l’AVOD si l’herbe y est vraiment plus verte… Ce que le numéro un mondial de la SVOD au logo rouge n’exclut pas. C’est du moins ce qu’a laissé entendre son directeur financier, Spencer Neumann, à la conférence « Technology, Media & Telecom » de Morgan Stanley le 8 mars dernier : « Ne jamais dire jamais, a-t-il répondu à ce sujet. Ce n’est pas quelque chose dans notre plan en ce moment. [Mais] ce n’est pas comme si nous avions la religion d’être contre la publicité. (…) Il est difficile pour nous d’ignorer que les autres le font, mais pour l’instant cela n’a pas de sens pour nous » (5). Cette réponse de Normand ressemble à celle que faisait Bob Chapek, le patron de Disney, il y a neuf mois…
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, pourrait ne pas laisser son rival Disney+ prendre trop d’avance sur ce terrain publicitaire, d’autant que le rythme des nouveaux abonnés ad-free (sans pub) au « N » rouge a ralenti au cours des derniers trimestres, entraînant l’action de la firme de Los Gatos (Californie) dans une chute de plus de 40 % depuis le début de l’année.

Netflix et Amazon Prime Video ralentis
Un accès à Netflix moins coûteux que l’abonnements actuels – de 9,99 dollars à 19,99 dollars par mois, ou de 8,99 euros à 17,99 euros – permettrait peut-être d’inverser la tendance baissière. Plus globalement, en l’état des offres ad-free et des forces en présence, les prévisions montrent que Netflix devrait être dépassé par Disney+ en 2028, d’après Digital TV Research. La montée en puissance des plateformes HBO Max, conjuguée à la plateforme Discovery+ une fois que Warner Bros. Discovery sera opérationnel cette année (6), et Paramount+ (Paramount Global, ex- ViacomCBS), devrait néanmoins pressuriser le parc d’abonnés des deux leaders.
Si l’on rajoute Peacock lancé il y a près de deux ans par NBCUniversal, filiale de Comcast, la question de l’encombrement du marché de la SVOD – proche de la saturation – reste posée dans un marché toujours en croissance. A cette prolifération de l’offre de plus en plus chère, s’ajoute le casse-tête des mots de passe (7), avec le risque de pousser certains à préférer le piratage au légal.

L’AVOD, menace sur les chaînes TV
Selon Digital TV Research, les abonnements mondiaux à la SVOD augmenteront de 550 millions entre 2021 et 2027 pour atteindre 1,75 milliard. La Chine et les Etats- Unis représenteront ensemble près de la moitié (48 %) de ce total mondial dans cinq ans. « Certains ont affirmé récemment que le marché américain de la SVOD était au point de saturation. Même si nous nous attendons à une certaine décélération pour les acteurs plus établis [Netflix et Amazon Prime Video, ndlr], il reste encore beaucoup à faire pour les plateformes plus jeunes comme Disney+, Paramount+ et HBO Max », a nuancé Simon Murray le 17 février dernier. La vidéo à la demande financée par la publicité n’est pas nouvelle. YouTube et Dailymotion sont les plateformes pionnières dans ce domaine. La plate-forme Hulu, lancée la même année que celle de la mise en ligne de Netflix (en mars 2 0 0 7 ) e t d é tenue aujourd’hui majoritairement par Disney (depuis avril 2019) aux côtés de Comcast, s’est développée d’abord avec de la publicité. Des formules d’abonnements ont ensuite été proposées, comme Hulu + Live TV. Peacock joue sur les deux tableaux : de la publicité sur les options « Free » et « Premium », et ad-free avec « Premium Plus ». Quant aux service HBO Max, jusqu’alors faisant partie de WarnerMedia (groupe AT&T), il ne voulait pas entendre parler de publicités. Du moins jusqu’à l’an dernier, se décidant à rajouter une option ad-supported. Et une fois que HBO Max et Discovery+ auront fusionnés, SVOD et AVOD pourraient cohabiter. Selon un rapport de Tubi (le service de streaming gratuit de Fox), entre 20 % et 46 % des foyers américains – selon le nombre d’abonnements SVOD par foyers (de un à cinq ou plus) – regardent aussi des services d’AVOD (8).

140 millions d’Américains ciblés
Aux Etats-Unis, le cabinet d’études et d’informations eMarketer a montré le 10 mars dernier (9) que les plateformes vidéo avec publicités attirent plus de 140 millions d’Américains en 2022, soit 41,6 % de la population étatsunienne. Ses prévisions tablent sur 171,5 millions d’Américains en AVOD d’ici 2026, soit près de la moitié de la population (49,5 %). Sur fond de bataille entre les ad-free et les adsupported, ce sont les chaînes de télévision le plus souvent nationales – payantes et gratuites – qui pourraient être les victimes collatérales de l’avancée de ces acteurs OTT (Over-the-Top) globaux. @

Charles de Laubier