A propos Charles de Laubier

Rédacteur en chef de Edition Multimédi@, directeur de la publication.

Guerre israélo-palestinienne : baptême du feu pour le Digital Services Act au sein des Vingt-sept

Depuis le déclenchement le 7 octobre par le Hamas de la nouvelle guerre en Israël/Palestine, les réseaux sociaux dans les Vingt-sept sont sous haute surveillance, avec des rappels à l’ordre de la part de la Commission européenne qui entend lutter contre les « contenus illicites » avec son DSA.

« Nous nous trouvons dans une période marquée par le terrorisme et la guerre aux portes de l’UE. Cela s’accompagne d’une guerre de l’information, d’une vague de désinformation et de manipulation et d’ingérence de l’information étrangère. Nous l’avons vu clairement avec le Kremlin après l’agression russe contre l’Ukraine. Nous le voyons maintenant après les actes barbares du Hamas. Nous devons sécuriser notre espace d’information. C’est de la plus grande urgence », a prévenu le 18 octobre à Strasbourg la vice-présidente de la Commission européenne Véra Jourová (photo), en charge des valeurs et de la transparence.

« Plateformes, outils pour les terroristes »
Et la commissaire européenne tchèque de mettre en garde les Twitter, Facebook et autres YouTube : « Nous ne pouvons tout simplement pas accepter ce que nous voyons actuellement : les plateformes en ligne deviennent un outil pour les terroristes, un outil pour diffuser du contenu illégal antisémite et violent. L’espace d’information doit être sûr pour les citoyens européens. L’incitation au terrorisme, le discours de haine, illégal, la louange des meurtres, la désinformation peuvent déclencher la violence dans la vie réelle ». Pourtant, l’arsenal juridique de l’Union européenne, avec lourdes sanctions pécuniaires maximales à la clé en cas de non-respect des obligations, est maintenant bien fourni. Entre le règlement européen du 29 avril 2021 de lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne ou « Anti-Terrorism Online Act » (1), d’une part, et le règlement européen du 19 octobre 2022 concernant le marché unique des services numériques ou « Digital Services Act » (2), d’autre part, les réseaux sociaux et les plateformes de partage ont deux épées de Damoclès au-dessus de leur tête. Le « ATOA » et le « DSA » les menacent de sanctions financières en cas d’infractions à ces deux législations contraignantes, ou autrement dit si elles ne coopèrent pas avec les autorités compétentes des Etats membres. Ces amendes peuvent aller respectivement « jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial du fournisseur de services d’hébergement pour l’exercice précédent » (son article 18) et « jusqu’à concurrence de 6 % du chiffre d’affaires mondial annuel réalisé au cours de l’exercice précédent » (son article 74).
L’ATOA, applicable dans toute l’Union européenne depuis le 7 juin 2022, oblige que tous les « fournisseurs de services d’hébergement » (réseaux sociaux, plateformes de partage vidéo ou encore moteurs de recherche, indépendamment du pays de leur établissement principal) « retirent les contenus à caractère terroriste ou bloquent l’accès à ces contenus dans tous les Etats membres dès que possible et, en tout état de cause, dans un délai d’une heure à compter de la réception de l’injonction de retrait » (article 3). Un formulaire est même indexé à l’ATOA – publié au Journal Officiel de l’UE daté du 17 mai 2021 – pour que l’autorité compétent d’émission de l’injonction de retrait du (ou des) contenu(s) en ligne à caractère terroriste puisse(nt) être supprimé(s) – dans l’heure. De plus, le destinataire (la plateforme numérique concernée) « conserve le contenu et les données connexes qui ont été retirés ou auxquels l’accès a été bloqué, pendant une période de six mois ou davantage à la demande des autorités ou juridictions compétentes » (article 6).
Malgré cette obligation de supprimer ou de bloquer dans l’heure les contenus terroristes en ligne notifiés, la Commission européenne estime que ce règlement ATOA n’empêche pas toujours ces contenus illicites de circuler sur les réseaux sociaux après les faits de terrorisme et les cas d’apologie du terrorisme. « Nous avons vu récemment, également après le tragique attentat terroriste en Belgique [lundi 16 octobre 2023 où des vidéos ont été diffusées et partagées sur les réseaux sociaux pendant plusieurs heures, ndlr], que des efforts sont nécessaires pour rendre cette loi plus efficace. Avec le vice-président Schinas [Margaritis Schinas, commissaire européen en charge de la promotion de notre mode de vie européen, ndlr] et le commissaire Johansson [Ylva Johansson, chargé des affaires intérieures, ndlr], nous nous entretenons avec les Etats membres, Europol et Interpol pour améliorer les mécanismes de notification. Je suis également en contact avec les plateformes sur cette question », a annoncé à Strasbourg Véra Jourová (3).

« Obligations de diligence » et rapport annuel
Le DSA, applicable dans toute l’Union européenne à partir du 17 février 2024, est néanmoins applicable depuis le 16 novembre 2022 aux « très grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche en ligne » (article 33), dont la Commission européenne a officiellement dressé la liste le 25 avril 2023. Ce « Big 19 », comme Edition Multimédi@ a surnommé (4) ces grands acteurs du Net (Alibaba, AliExpress, Amazon Store, Apple AppStore, Booking.com, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing, et Google Search), ont eu jusqu’au 25 août dernier pour se mettre en règle. Ce « Big 19 » a une « obligation de diligence » (chapitre III de ce règlement) vis-à-vis des « contenus illicites » qui sont signalés à ces très grandes plateformes numériques (moteurs de recherche compris), lesquelles doivent les supprimer ou les bloquer sans tarder. En outre, chacune d’elle s’apprête à fournir à la Commission européenne leur premier rapport d’« évaluation des risques », notamment « tout risque systémique » au sein de l’UE (article 34) – puis après un rapport « au moins une fois par an ».

Liberté d’expression, victime collatérale ?
Le problème est que le DSA donne une « définition large » (son considérant 12) de la notion de « contenus illicites ». Chaque géant du Net est tenu ainsi de lutter contre « la diffusion de contenus illicites en ligne et contre les risques pour la société que la diffusion d’informations trompeuses ou d’autres contenus peuvent produire ». L’extension du domaine de la lutte se le dispute au manque de délimitation claire du champ d’intervention de la loi, au risque de porter atteinte à la liberté d’expression des Européens (5). « Nous utilisons nos structures uniques pour lutter contre la montée de la haine, de la violence et du contenu illégal en ligne. Il n’y a pas de solution miracle, il n’y a pas un seul outil pour s’attaquer à tous les problèmes. Aussi, parce que la liberté d’expression doit, est et sera protégée en ligne et hors ligne », a tenu tout de même à rassurer Véra Jourová. D’autant que cette bataille contre ces « contenus illicites », qui ne sont pas forcément générés par des criminels et des terroristes (loin s’en faut) ne relève pas, la plupart du temps, de la décision d’un juge mais d’une autorégulation privée sans qu’il y ait de véritable garde-fou judiciaire.
« Le DSA travaille main dans la main avec notre code antidésinformation (6) qui est un outil plus agile qui nous permet de réagir rapidement aux risques et aux crises en coopération avec la société civile et les plateformes, a précisé Véra Jourová. Nous utilisons une structure unique pour prendre rapidement les mesures nécessaires et améliorer les situations. […] J’ai ainsi demandé à l’Observatoire européen indépendant des médias numériques [l’Edmo, financé par Bruxelles, ndlr] de faciliter le travail au niveau opérationnel avec la commu-nauté et les plateformes d’experts ». Cet organisme de la société civile, l’European Digital Media Observatory (Edmo), a été créé en juin 2020 par l’Institut universitaire européen de Florence (Italie), le Datalab de l’université d’Aarhus à Athènes (Grèce), et Pagella Politica, un site italien dédié au fact-checking des déclarations politiques (7). Le 17 octobre, le jour-même du bombardement de l’hôpital Al-Ahli Arab au sujet duquel chaque partie du conflit israélo-palestinien se rejette la faute, l’Edmo a publié une « analyse préliminaire de la désinformation liée au conflit entre Israël et le Hamas », dont la Commission européenne a aussitôt pris connaissance. Il en ressort que « l’attaque surprise du Hamas contre des villes israéliennes à la frontière avec Gaza le matin du samedi 7 octobre 2023, ainsi que la réaction militaire suivante d’Israël, ont provoqué une vague considérable de désinformation sur toutes les grandes plateformes de médias sociaux » (8).
Le commissaire européen Thierry Breton (photo ci-dessous) a immédiatement réagi en faisant savoir le 18 octobre qu’il adressait quatre lettres aux dirigeants respectifs de X – Elon Musk (9) –, Meta (Facebook, Instagram), TikTok et YouTube (Google) pour les rappeler à l’ordre et leur rappeler que ces très grandes plateformes doivent respecter leurs obligations « DSA » depuis le 25 août. « Nous ne laisserons pas la terreur & la #désinformation nous diviser ou miner notre démocratie », a tweeté Thierry Breton (10) après son intervention à ce sujet au Parlement européen. Et le 19 octobre, la Commission européenne a ouvert trois enquêtes (demandes formelles d’informations) à l’encontre de X, Meta et TikTok, tout en demandant aux Etats membres « d’accélérer la mise en place de la gouvernance prévue par le DSA ». Et ce, sans attendre « le 17 février 2024 au plus tard » pour désigner leur « coordinateur pour les services numériques » (Digital Services Coordinator), une autorité indépendante chargée de contrôler le respect du règlement par les services en ligne établis sur leur territoire (11). A savoir pour la France : l’Arcom (12).
Mais des voix de la société civile, plus soucieuses de la liberté d’expression et de droits fondamentaux, se sont élevées contre la pression exercée par la Commission européenne. « A l’attention du commissaire européen chargé du marché intérieur Thierry Breton, nous, les organisations soussignées [une trentaine d’ONG, ndlr], vous écrivons en réponse à quatre lettres que vous avez récemment adressées à Meta, X, TikTok, et plus récemment, YouTube […] dans le contexte des conflits […] dans la bande de Gaza et en Israël », a par exemple écrit Accessnow dans une lettre ouverte datée du 18 octobre (13).

Thierry Breton en fait trop, selon 30 ONG
Et cette association internationale basée à New-York de mettre en garde Thierry Breton : « Nous sommes préoccupés par l’interprétation de la loi présentée dans ces lettres. Premièrement, les lettres établissent une fausse équivalence entre le traitement du contenu illicites du DSA et la “désinformation” […] pouvant présenter un risque important pour les droits de la personne et le discours public. […] Deuxièmement, le DSA ne prévoit pas de délais pour les suppressions de contenu […]. Troisièmement, le DSA n’impose pas aux fournisseurs de services l’obligation d’appliquer [leurs] propres politiques de façon uniforme et diligente ». La démocratie est prise en étaux entre l’ATOA et le DSA. @

Charles de Laubier

Etat de la « Décennie numérique » : le premier rapport illustre l’échec européen face aux GAFAM

La Commission européenne a publié le 27 septembre son premier rapport sur l’état d’avancement de « la décennie numérique ». Le constat est sévère : « lacunes », « retard », « insuffisance », « écart d’investissement », … Les champions européens du digital se font rares, les licornes aussi.

Lors de son tout premier discours annuel sur l’état de l’Union européenne (exercice renouvelé chaque année), le 16 septembre 2020 devant les eurodéputés, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait déclaré qu’il était grand temps de réagir face à la domination des GAFAM et de faire des années 2020 « la décennie numérique » de l’Europe qui doit « montrer la voie à suivre dans le domaine du numérique, sinon elle sera contrainte de s’aligner sur d’autres acteurs qui fixeront ces normes pour nous ». Trois ans après, force est de constater que les acteurs américains dominent encore et toujours Internet.

Champions européens du numérique ?
Dans son premier rapport sur l’état d’avancement de « la décennie numérique » 2020-2030, présenté le 27 septembre par les commissaires européens Véra Jourová (photo de gauche), vice-présidente chargée des valeurs et de la transparence, et Thierry Breton (photo de droite), commissaire au marché intérieur, la Commission européenne n’y trouve pas son compte. Le spectre des GAFAM plane sur l’Europe numérique, même s’ils ne sont pas nommés dans ce rapport. Aucun européen n’apparaît d’ailleurs parmi les six très grands acteurs du Net (les « gatekeepers ») désignés le 6 septembre dernier par la Commission européenne (1). Les américains Alphabet (Google Search/Maps/Play/ Shopping /YouTube/Android/Chrome), Amazon (Marketplace), Apple (iOS/App Store/Safari), Meta (Instagram/Facebook/ WhatsApp/Messenger) et Microsoft (Windows/LinkedIn), ainsi que le chinois ByteDance (TikTok), devront à partir du 6 mars 2024 se conformer tous aux obligations du Digital Market Act (DMA).
Auparavant, le 25 avril dernier, la Commission européenne avait publié la liste des très grandes plateformes grand public (2) tenues de se conformer, cette fois, au Digital Services Act (DSA) : sur les dix-neuf acteurs du Net ainsi désignés, seulement deux d’entre eux émanent de l’Union européenne, à savoir le néerlandais Booking, et l’allemand Zalando. Tous les autres sont soit américains : Google retenu avec cinq plateformes (Google Play, Google Search, YouTube, Google Maps et Google Shopping), Meta avec deux (Facebook et Instagram), Microsoft avec deux (Bing et LinkedIn). Amazon avec Amazon Store, Apple avec App Store, ainsi que Pinterest, Snap avec Snapchat, ByteDance avec TikTok, Twitter (devenu X) et Wikipedia. Le chinois Alibaba avec AliExpress complète ce « Big 19 » (3).
Autant dire que l’Union européenne reste colonisée, surtout par les géants américains du numérique et dans une moindre mesure par des géants chinois. Ce premier rapport du « Digital Decade » (4) ne dit mot sur la quasi-absence de champions européens du digital au sein des Vingt-sept, du moins explicitement. « Il est essentiel de progresser (…) pour favoriser la montée en puissance des acteurs numériques mondiaux européens, qui concevront les modèles économiques de demain et façonneront les technologies et applications numériques qui intègrent les valeurs européennes et contribuent aux intérêts de l’UE », est-il toujours fixé comme ambition à l’horizon 2030. Entre mars 2021 – date de la publication de la communication de la Commission européenne intitulée « Une boussole numérique pour 2030 : l’Europe balise la décennie numérique » (5) – et septembre 2023, les géants européens du Net tardent à émerger. Il y a deux ans et demi, le constat était déjà sans appel : « La position des acteurs européens est loin d’être en rapport avec le poids économique mondial de l’UE dans des secteurs technologiques clés tels que ceux des processeurs, des plateformes web et des infrastructures du nuage : par exemple, 90 % des données de l’UE sont gérées par des entreprises américaines, moins de 4 % des principales plateformes en ligne sont européennes et les puces électroniques européennes représentent moins de 10 % du marché européen ». Une autre préoccupation majeure pour la Commission européenne réside dans le secteur des fournisseurs de services de données sur le marché du cloud (services infonuagiques), « de plus en plus dominé par des acteurs non européens »malgré un contexte de forte croissance de ce marché.

Consortium EDIC, censé accélérer vers 2030
Aujourd’hui, à défaut de champions européens du numérique, et encore moins de taille mondiale capables de rivaliser avec les GAFAM et les BATX, le rapport « Digital Decade » recommande de faciliter la croissance des entreprises innovantes et d’améliore leur accès au financement, « ce qui entraîne au moins le doublement du nombre de licornes ». Et face à la déferlante de l’intelligence artificielle, popularisée par les IA génératives (ChatGPT en tête de l’américain OpenAI), elle craint aussi que les acteurs européens soient aux abonnés absents. « Les Etats membres devraient prendre des mesures politiques et affecter des ressources pour soutenir l’adoption de solutions fiables et souveraines basées sur l’IA par les entreprises européennes », recommande-t-elle. Les Vingtsept sont aussi invités à s’unir au sein du consortium EDIC (European Digital Infrastructure Consortium), créé dans le cadre du programme « Digital Decade 2030 » pour accélérer dans l’IA, le cloud et le Big Data (6).

Licornes européennes à défaut de Big Tech
La Commission européenne estime en outre que les Vingtsept peuvent mieux faire en matière de licornes, ces entreprises non cotées en Bourse mais valorisées au moins 1 milliard d’euros. « Au début de 2023, seules 249 licornes étaient basées dans l’UE contre 1.444 aux Etats-Unis et 330 en Chine. Des efforts supplémentaires importants sont […] nécessaires pour stimuler l’écosystème à grande échelle. En effet, il n’existe actuellement aucun écosystème de start-up de l’UE dans le Top 10 mondial. Le meilleur écosystème de l’UE – Berlin – s’est classé au 13e rang mondial, suivi d’Amsterdam (14e) et de Paris (18e). La situation est encore plus critique dans les technologies de pointe, y compris l’IA, où le capital-risque de l’UE est encore loin derrière les EtatsUnis ».
Mais le rapport « Digital Decade » ne désespère pas puisqu’il constate que l’Union européenne semble avoir bien progressé en ce qui concerne l’objectif « Licornes » qui table sur 498 licornes basées dans l’UE d’ici 2030. Seulement la moitié du chemin a été fait, et il reste beaucoup à faire pour faire naître un géant mondial du numérique d’origine européenne : « Si cette tendance se poursuit, l’UE devrait atteindre l’objectif de la décennie numérique concernant le nombre de licornes dans deux ans. Malgré cela, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour atteindre une position de leader sur la scène mondiale, en facilitant la croissance des entreprises innovantes de l’Union [européenne] et en améliorant leur accès au financement ». Les Etats membres sont donc encouragés à créer de nouvelles opportunités de financement telles que des fonds pour boucler des tours de table d’investisseurs (late-growth funding ou late stage, comme les fonds de fonds) afin de propulser la croissance de la start-up pour la transformer en licorne, et peut-être ensuite en Big Tech européenne. Cela peut passer par des fonds publics pour attirer des capitaux privés dans des start-up et des scale-up de haute technologie (deep tech), notamment par le biais de l’initiative européenne ETCI (European Tech Champions Initiative), qui est un fonds de fonds doté de 3,7 milliards d’euros grâce à l’implication financière de la Banque européenne d’investissement (EIB), l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et la France (7).
L’« Union » fait la force. Encore faut-il qu’émergent de tous ces financements public-privé des « GAFAM » européens capables de concurrencer les géants américains et chinois du numérique. Il reste sept ans et demi pour y parvenir d’ici 2030. La commission « von der Leyen » (2019-2024) a pris du retard (8) ; la prochaine Commission européenne (2024-2029) devra relever le défi. @

Charles de Laubier

Mark Zuckerberg prend de l’avance dans la création d’un métavers intelligent d’envergure mondiale

Le patron fondateur de Meta Platforms (ex-groupe Facebook) a étonné tout son monde en accordant fin septembre – au chercheur du MIT Lex Fridman situé à distance – une interview dans le métavers avec des avatars photoréalistes. A coût de milliards de dollars, il avance vers un métavers intelligent.

Meta Platforms ne parle pas explicitement de « métavers intelligent », mais ses investissements dans à la fois les mondes virtuels immersifs et l’intelligence artificielle en montrent la voie. La conférence Meta Connect des 27 et 28 septembre derniers a été un rendez-vous international axé sur « l’IA et les réalités virtuelle, mixte et augmentée » (1). Pour « repousser les limites de la réalité », Mark Zuckerberg (son avatar photoréaliste ci-contre) a payé de sa personne afin de donner vie à la « réalité mixte » – désignation qu’il préfère au terme réducteur « métavers ».

RL : 7,7 Mds de $ engloutis en six mois
L’ambition de « Zuck », surnom du PDG fondateur de Facebook, – rebaptisé Meta Platforms il y aura deux ans le 21 octobre prochain – est de « construire l’avenir de la connexion humaine ». Rien de moins. Depuis l’accueil plus que mitigé de son métavers Horizon Worlds (2) et la suppression de milliers d’emplois qui s’en est suivie, la maison mère de Facebook, Messenger, Instagram et WhatsApp reste une cash machine (3) et continue de dépenser des milliards de dollars via sa division Reality Labs (ex-FRL), laquelle réunit : réalité virtuelle (VR), réalité augmentée (AR), casques Meta Quest (4), visio-écrans Meta Portal et wearables, comme les lunettes connectées Ray-Ban du fabricant franco-italien EssilorLuxottica. Résultat : Reality Labs (RL) affiche plus de 7,7 milliards de dollars de pertes opérationnelles au 30 juin 2023, contre 5,7 milliards de dollars de pertes un an auparavant. Rien que sur l’année 2022, RL affichait une perte opérationnelle de plus de 15,8 milliards de dollars, contre 12,4 milliards de dollars de pertes l’année précédente.
Si, durant sa keynote du 27 septembre au Meta Connect, Mark Zuckerberg n’a pas prononcé le terme « metaverse », lui préférant « mixed reality », le groupe Meta Platforms, lui, n’en fait pas un tabou : « Nous faisons des investissements importants dans nos efforts de métavers, y compris dans le développement d’appareils de réalité virtuelle et augmentée, de logiciels pour les plateformes sociales, d’interfaces neuronales et d’autres technologies de base pour le métavers », indique le rapport financier semestriel du 27 juillet dernier (résultats au 30 juin). Et de prévenir que Reality Labs va continuer à creuser ses pertes opérationnelles, inscrivant ses efforts d’investissement sur le long terme. « Notre segment RL a réduit notre bénéfice d’exploitation global de 2022 d’environ 13,72 milliards de dollars, et nous nous attendons à ce que nos pertes d’exploitation RLcontinuent d’augmenter en 2023 et au-delà, prévient le même rapport. Nous nous attendons à ce que ce soit une initiative complexe, évolutive et à long terme, et notre capacité à soutenir nos efforts de métavers dépend de la génération de profits suffisants dans d’autres domaines de notre entreprise ». Meta pousse donc les feux dans les avatars, les chatbots (assistants conversationnels) et les stickers (images personnalisées) alimentés par des IA, de grands modèles de langage (LLM) et du machine learning (ML). Et l’interview accordée au chercheur du MIT Lex Fridman, situé à des kilomètres de distance mais avec leurs deux avatars très réalistes face-à-face (5), en a bluffé plus d’un.
Lors de cet échange retranscrit par le chercheur (6), Zuck a néanmoins prononcé plusieurs le mot « metaverse » : « La chose que vous pouvez faire dans le metaverse, qui est différente de ce que vous pouvez faire sur un téléphone, est de faire des choses où vous êtes physiquement ensemble et de participer à des choses ensemble. Et nous pourrions jouer à des jeux ». Et même si vous n’êtes pas disponible physiquement pour interagir via votre avatar photoréaliste, l’IA peut prendre le relais, comme l’a expliqué l’avatar de Zuck : « Si vous pouviez avoir une version avatar de vous-même dans le métavers et avec laquelle les gens peuvent interagir, vous pourriez définir ce genre de version d’IA où les gens savent qu’ils interagissent avec une IA, que ce n’est pas la version physique de vous (…). Une grande partie de la thèse derrière tout le métavers, c’est de donner aux gens la capacité de se sentir comme si vous étiez présent avec quelqu’un ».

Des chatbots et stickers animés par des IA
Le 27 septembre, la firme de Menlo Park (Californie) a annoncé le lancement – sur WhatsApp, Instagram et Messenger, bientôt sur les lunettes Ray-Ban Meta et les casques Quest 3 – de chatbots et de stickers rendus intelligents grâce à l’IA – Meta AI en version bêta. Des dizaines d’autres IA sont aussi activées, notamment celles conçues « avec des traits de personnalité uniques (…) interprétées par des figures culturelles et des personnalités influentes comme Snoop Dogg, Tom Brady, Kendall Jenner ou Naomi Osaka ». D’autres AI seront à la disposition d’entreprises, de créateurs et de développeurs, lesquels pourront utiliser l’AI Studio mis à disposition du grand public. @

Charles de Laubier

Un livre blanc prône la régulation du smart contract

En fait. Le 4 octobre dernier, a été divulgué par l’association Paris Place de Droit un livre blanc intitulé « Quel avenir pour le smart contract en France ? Oser la vitesse sans la précipitation », dont les coauteurs sont l’avocat Fabrice Lorvo (FTPA) et l’étudiant Timothée Charmeil (Harvard Law School).

En clair. Lors de sa « Nuit du Droit », qui a eu lieu le 4 octobre au Tribunal de Commerce de Paris, l’association Paris Place de Droit – créée en 2015 pour promouvoir la capitale de la France comme place juridique internationale – a présenté un livre blanc sur le smart contract (1). La traduction en français est « contrat intelligent » mais les auteurs la jugent « trompeuses ». « Le smart contract, tel qu’utilisé aujourd’hui, peut alors être défini comme le protocole informatique organisant l’échange automatique d’actifs dématérialisés enregistré sur une blockchain » expliquent les coauteurs Fabrice Lorvo (avocat, cabinet FTPA) et Timothée Charmeil (Harvard Law School).
Le smart contract permet ainsi de fusionner en un seul acte – certifié et authentifié sur la blockchain – la conclusion du contrat et son exécution, de supprimer l’intervention des intermédiaires comme le banquier ou l’huissier de Justice, et de rendre inéluctable la phase d’exécution du contrat lorsque les conditions sont objectivement réalisées. « En effet, souligne le livre blanc de la commission “numérique et juridique” de l’association Paris Place de Droit (2), nul ne peut empêcher l’exécution du smart contract dans les conditions prévues par le code enregistré dans la blockchain ». L’exécution est alors irréversible. Et ce, « quoi qu’il en coûte ». Si le smart contract est une réalité omniprésente, ne serait-ce que dans les conversions entre les dollars, euros et autres yen (monnaies dites « fiat », traduit « décret » en anglais car relevant de la politique monétaire des banques centrales des Etats) et les cryptomonnaies (bitcoin, ethereum, ripple, etc.), il n’en est pas moins un objet juridique non-identifié (OJNI) venant d’« un univers numérique plus complexe encore » (wallet, actifs électroniques, cryptomonnaies, blockchain, NFT (3), …).
« Théoriquement, tous les contrats d’affaires pourraient prendre la forme de smart contract. […] Malgré des avantages indéniables, le smart contract présente également des inconvénients tout aussi indéniables [cas de non-paiement, code informatique méconnu, absence de consentement, mauvais codage, litiges, anonymat, asymétrie d’information entre auteurs et mineurs, ou encore absence de norme sur les algorithmes]. Inconvénients qui nécessiteront l’adoption d’une réglementation qui semble ne pouvoir être qu’internationale », affirment les coauteurs. Si ce n’est, via le Data Act (4), européenne. @

Cybermenaces : bombe électronique à retardement

En fait. Le 14 octobre se terminent à Monaco les 23e Assises de la cybersécurité qui se sont tenues sur quatre jours. Les cyber-risques n’augurent rien de bon, tant les cyberattaques n’ont jamais été aussi redoutables avec le renfort de l’intelligence artificielle et maintenant de l’informatique quantique.

En clair. Sauve qui peut. Les responsables de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) des entreprises et administrations, et leurs dirigeants, ont du souci à se faire. Jamais les cybermenaces et les cyberattaques n’ont été aussi fortes et nombreuses dans le monde. Internet devient le premier théâtre des opérations de la criminalité, de la guerre et de l’ingérence étrangère, tant économique que géopolitique. Cybersécurité et cyberdéfense n’y suffiront pas.
Aux 23es Assises de la cybersécurité (1), à Monaco, les quelque 5.000 visiteurs – Chief Information Security Officer (Ciso) en tête – auraient préféré ne pas verser dans le catastrophisme ni dans les théories du cybercomplot. Hélas, les prévisions sont plus que jamais alarmistes. Steve Morgan, fondateur de la société d’études américaine Cybersecurity Ventures, le confirme à Edition Multimédi@ : « Depuis trois ans, nos prévisions n’ont pas changé. Les coûts mondiaux des dommages liés à la cybercriminalité augmentent de 15 % par an et atteindront 10.500 milliards de dollars en 2025, contre 8.000 milliards de dollars en 2023. C’était 3.000 milliards de dollars en 2015 » (2). Rien que pour 2023, selon nos calculs, le cybercrime mondial pèse financièrement plus de deux fois et demie le PIB de la France, et plus de mille fois le PIB de la Principauté de Monaco où se tiennent chaque année ces Assises de la cybersécurité ! « Cadence des attaques, émergence des innovations [IA, quantique, deepfake, …, ndlr], rotations dans les équipes, profils des attaquants, environnement social et géopolitique, … : le RSSI est sous pression », a confirmé en session plénière (3) Sabrine Guihéneuf, présidente d’honneur 2023 de ces assises internationales, par ailleurs directrice de la cybersécurité et de la gouvernance IT du groupe français URW (4). Certains, comme chez l’électronicien Thales, s’attendent à « l’Apocalypse quantique ». D’autres, comme chez l’hypermarchant Carrefour, craignent les IA génératives dans le retail et le e-commerce. L’équipementier télécoms américain Cisco s’attend, lui, au pire durant les JO de 2024 à Paris.
Se cyberdéfendre à armes égales contre les hackers du monde entier (cryptage et vol de données, rançongiciel, Dos/DDoS (5), hameçonnage, authentification frauduleuse, deepfake, etc.), supposent aux victimes potentielles de recourir elles aussi à l’IA et à la cryptographie quantique voire post-quantique. @