Universal Music pèse plus de 70 % de la valorisation de sa maison mère Vivendi : la Bourse en vue

Que vaudrait Vivendi sans Universal Music ? Le numéro un mondial des producteurs de musique dirigé par Lucian Grainge, atteint une valorisation de 23,5 milliards de dollars et compte pour plus des deux-tiers de la capitalisation boursière de sa maison mère. La mise en Bourse d’une partie de son capital est à l’étude pour 2018.

Par Charles de Laubier

Universal Music est maintenant valorisé 23,5 milliards de dollars, contre environ 20 milliards auparavant. Et ce, depuis que Goldman Sachs a publié fin août un rapport « Music in the air » qui revalorise la première major mondiale de la musique enregistrée – devant Sony Music et Warner Music. La banque d’investissement américaine justifie cette augmentation après avoir révisé à la hausse ses prévisions sur le marché global de la musique en ligne : le chiffre d’affaires mondial du streaming devrait bondir, selon elle, de 3 milliards de dollars en 2016 à… 28 milliards de dollars d’ici 2030, lesquels revenus seront alors générés en grande partie par 847 millions d’abonnés aux plateformes de musique en ligne (Spotify, Apple Music, Deezer, Amazon Music, …).
La major Universal Music, dont le PDG depuis 2011 est Lucian Grainge (photo), devance ainsi de 15 % la valorisation de la seconde major, Sony Music estimée à
20,1 milliards de dollars, mais surtout la plus grosse filiale du groupe français Vivendi pèse à elle seule plus de 72 % de la valorisation boursière globale de sa maison mère !

Première filiale et moitié des revenus de Vivendi
En effet, si l’on compare en euros à la date du 15 septembre, Vivendi était valorisé à la Bourse de Paris d’à peine plus de 27 milliards d’euros et sa pépite musicale aux labels prestigieux (Polydor, Capitol, Motown, Deutsche Grammophon, Blue Note, Island Records, …) de l’équivalent de 19,7 milliards d’euros. Vivendi considère depuis longtemps que sa propre capitalisation boursière est sous-évaluée au regard de la valeur de ses actifs, à commencer par sa « pépite » Universal Music qui détient 34 % de part de marché au niveau mondial sur la musique enregistrée (supports physiques ou numériques) et qui a repris le chemin de la croissance grâce au streaming et à ses abonnements.
C’est pour remédier à cette sous-évaluation que le groupe français songe à introduire en Bourse sa première filiale – première en chiffre d’affaires : 5,267 milliards d’euros
en 2016, soit presque la moitié des revenus de Vivendi ! Dépassant ainsi les 5,253 milliards d’euros de chiffre d’affaires de Canal+, Universal Music est aussi la première filiale en résultat opérationnel à 687 millions d’euros, contre 303 seulement pour Canal+.

Grainge, PDG « au moins jusqu’en 2020 »
Le président du conseil de surveillance de Vivendi, Vincent Bolloré, a confirmé le
1er juin dernier, lors de l’assemblée générale du groupe Bolloré (lequel contrôle de
fait Vivendi), qu’il étudiait une introduction en Bourse de la supermaison de disque :
« La tentation existe ; on l’étudie pour montrer la valeur d’Universal [Music] et des actifs de Vivendi. On verra bien le moment venu ; on choisira le moment le plus opportun ». Et le milliardaire breton avait ajouté ironique : « La question d’une introduction en Bourse c’est de savoir à quel moment c’est le mieux. C’est comme les soufflés au fromage, il faut les sortir au bon moment ! ». Depuis, le projet semble s’accélérer. L’agence Bloomberg a fait état début août de rencontres entre des conseillers financiers et Vivendi qui serait prêt à vendre 10 % à 20 % du capital de la major à l’occasion d’une introduction en Bourse envisagée pour 2018. Déjà, le 22 mai dernier, dans une interview au Wall Street Journal, le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine, n’avait pas exclu qu’une part minoritaire du capital d’Universal Music puisse être mise sur le marché. « Ce n’est pas une vache sacrée », avait-il lancé. Lors de l’assemblée générale de Vivendi fin avril, il avait été aussi question d’une possible introduction en Bourse d’« Universal ». A l’époque, des analystes financiers tablaient même sur la vente d’une part du capital pouvant aller jusqu’à 49 %.
Outre le fait que cette opération permettrait à la maison mère d’Universal Music d’espérer mieux valoriser les deux groupes, cela limiterait aussi l’endettement – déjà
à 5,6 milliards d’euros fin 2016 – de Vivendi qui est en train d’acquérir l’agence de publicité Havas (1). Vivendi est sollicité de longue date par des banques pour céder ou mettre en Bourse sa pépite Universal Music, allant jusqu’à décliner une offre de rachat faite en 2015 pour un montant jugé alors insuffisant de 13,5 milliards d’euros. D’après l’agence Reuters, la marque d’intérêt venait de Liberty Media, le groupe du milliardaire américain John Malone. Selon le Financial Times, une première offre sur Universal Music avait été faite en 2013 par le groupe japonais SoftBank qui avait proposé – en vain – 6,5 milliards d’euros. Il y a deux ans, le fonds américain Psam (2) – très critique sur « le flou » de la stratégie de Vivendi (3) – avait demandé à ce que la filiale Universal Music soit séparée de sa maison mère pour mieux la valoriser. Vincent Bolloré avait assuré au printemps dernier qu’il ne comptait pas vendre son joyau. D’autant que les revenus du streaming ont transformé sa filiale musicale en vache à lait (4) du groupe, au moment où l’autre filiale Canal+ est à la peine. Outre le fait d’être actionnaire minoritaire – à l’instar des autres majors – de Spotify (5) et de Deezer pour mieux faire pression sur eux (6), Universal Music dispose d’accords avec plus de 400 plateformes de streaming (Apple Music, Pandora, iHeartMedia, …). Y compris avec Amazon Music qui vient d’être lancé en France ce mois-ci. La major de Vivendi, qui s’est en outre associé à Sony Music pour lancer un service de streaming low cost en Grande-Bretagne, se félicite de voir que les trois artistes les plus « streamés » en 2016 sont tous des talents du groupe : Drake, Rihanna et Justin Bieber. Près de 60 % de ses ventes sont réalisées par les répertoires locaux dans leur pays, comme par exemple les Beatles au Royaume-Uni ou Serge Gainsbourg en France.
Autant dire que Sir Lucian Charles Grainge (57 ans) va terminer en beauté son mandat de PDG d’Universal Music, qui a débuté en 2011. Ce Britannique – nommé en novembre 2016 « Commandeur de l’ordre de l’Empire britannique » par la reine Élisabeth II et désigné au dernier Cannes Lions en mars « Personnalité média de l’année 2017 » – chapeaute les trois activités : musique enregistrée d’Universal
Music Group (UMG), édition musicale de Universal Music Publishing (UMPG) et merchandising de Bravado. Pour « accélérer la monétisation de la musique dans
le numérique, élargir la diffusion de ses contenus audio et vidéo en multipliant les partenariats avec des plateformes, et renforcer ses relations stratégiques avec les marques et les sponsors », Vivendi avait annoncé en juillet 2015 le prolongement
« au moins jusqu’en 2020 » des fonctions de Lucian Grainge. Pas question de s’endormir sur ses lauriers : « UMG tire aussi parti, avec l’aide de Vivendi, des nouvelles opportunités sur les marchés émergents (Chine, Russie, Brésil, Afrique). Dans certains de ces pays, l’évolution de la législation sur la protection du droit
d’auteur permet au groupe d’améliorer la monétisation de sa bibliothèque de contenus musicaux », est-il expliqué dans le dernier rapport d’activité.

Dailymotion, Initial et SpinnUp
Vivendi pousse aussi sa filiale musicale à se développer dans le live grâce à ses salles de spectacle et à ses partenariats avec les festivals. Et Universal Music va plus que jamais contribuer à alimenter en clips vidéo Dailymotion (7). Par ailleurs, pour la promotion de nouveaux talents, la major a lancé en septembre dernier une plateforme de découverte de jeunes artistes baptisée Initial Artist Services, ainsi que le site web SpinnUp (8) pour l’autoproduction et l’autodistribution de musiciens sur Spotify, Deezer ou iTunes. Car pas question pour la première maison de disque de se faire « ubériser ». @

Charles de Laubier