Règlement européen sur la protection des données : ce qui va changer pour les internautes

Le règlement européen sur la protection des données – proposé il y a plus de quatre ans par la Commission européenne – a été publié au J.O. de l’Union européenne le 4 mai. Il sera applicable sur toute l’Europe le 25 mai 2018. Il renforce les droits des Européens sur leurs données personnelles.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Ayant constaté l’existence d’une fragmentation dans la mise en oeuvre de la protection des données à caractère personnel dans l’Union européenne (UE), la Commission européenne a soumis le
25 janvier 2012 (1) au Parlement et au Conseil européens une proposition de règlement européen « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données ».

Renforcement des droits de la personne
Cette nouvelle législation a fait l’objet d’un accord informel en trilogue le 17 décembre 2015, et a été votée définitivement le 14 avril dernier et publiée le 4 mai au Journal officiel de l’UE. L’une des avancées majeures du règlement « Protection des données » – entré en vigueur 20 jours après sa publication (soit le 24 mai), pour être applicable dans tous les pays de l’UE le 25 mai 2018 (les entreprises ont donc deux années entières pour s’y préparer) – est sans conteste le renforcement des droits de la personne.
Dans un univers dématérialisé où tout devient possible en quelques clics, l’UE avait dans une directive, dès 1995, souhaité protéger l’individu en lui accordant un certain nombre de droits. Elle prévoyait ainsi :
• un droit à l’information qui consiste en l’obligation, pour le responsable de traitement, de fournir certaines informations énumérées dans la directive ;
• un droit d’accès qui est le droit pour la personne concernée de réclamer de la part du responsable de traitement la consultation de certaines informations portant sur ses données personnelles et sur le traitement de ses données ;
• un droit de rectification qui consiste en la possibilité pour la personne concernée
de demander la rectification, l’effacement ou le verrouillage des données qui sont incomplètes ou inexactes ;
• un droit d’opposition qui est le droit pour la personne concernée de s’opposer à
tout moment à ce que ses données fassent l’objet d’un traitement, pour des raisons légitimes. Pourtant, comme le soulignait Viviane Reding en 2012, lorsqu’elle était encore commissaire européenne à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la Citoyenneté, les citoyens « n’ont pas toujours le sentiment de maîtriser entièrement
les données à caractère personnel les concernant ».
En effet, qui n’a pas déjà reçu des publicités dans sa boîte aux lettres sans que l’on n’ait jamais ni effectué d’achats chez l’émetteur de publicités ni donné ses informations personnelles telles que les nom, prénom, et adresse ? Qui n’a pas réceptionné des appels téléphoniques inconnus dont l’objet est de promouvoir un produit, ou de vous solliciter pour un sondage téléphonique, l’interlocuteur connaissant déjà vos nom et prénom sans même que vous ne l’ayez déjà contacté de votre vie, ou sans même que les prestataires de services professionnels avec qui vous avez contracté ne vous ait prévenu de la communication de vos informations à ces tiers précisément ?
Pour remédier à ce problème de maîtrise des données, le règlement prévoit un chapitre entier sur les droits de la personne concernée, ce que ne faisait pas la directive de 1995, laquelle se contentait de placer les droits de la personne concernée dans un chapitre intitulé « Conditions générales de licéité des traitements de données à caractère personnel ».
Le renforcement des droits de la personne concernée se fait en accentuant les droits préexistants de celle-ci, par exemple en prévoyant une meilleure transparence quant
à la communication des informations relatives au traitement des données à caractère personnel, ou encore en rallongeant la liste des informations à fournir à la personne concernée.

Quatre principaux nouveaux outils
Mais surtout, le règlement européen lui octroie de nouveaux droits :
• Un droit à l’information lors de l’apparition de failles de sécurité.
Ainsi, le droit à la notification d’une violation de ses données à caractère personnel semble aujourd’hui indispensable, alors que l’on ne compte plus le nombre d’entreprises victimes de failles de sécurité relatives aux informations sur leur clientèle : noms, adresses, numéros de téléphone ou encore données bancaires se retrouvent alors publics.
• Un droit d’opposition à une mesure fondée sur le profilage.
Au-delà des failles de sécurité dont peuvent être victimes les entreprises, les internautes doivent, aussi, à leur échelle, faire preuve de vigilance. En effet, au travers des historiques de navigations, des blogs, des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche, ils dévoilent, sans souvent en avoir pleinement conscience, des pans entiers de leur vie privée. Or ces informations se révèlent souvent précieuses puisqu’elles pourront être valorisées, alimentant ainsi une véritable économie des données. En ce sens, le « profilage », destiné à évaluer et analyser certains aspects personnels afin d’orienter les publicités selon les intérêts ou de prévenir certains comportements illicites peut être source d’erreurs ou d’abus. C’est dans cet objectif que le Règlement prévoit une obligation d’information spécifique en matière de profilage ainsi que la possibilité
de s’y opposer.
• Un droit à l’« effacement » numérique.
Comme le souligne la CNIL dans son rapport d’activité 2013, « la circulation d’informations concernant une personne peut avoir de graves conséquences sur sa
vie privée et professionnelle, parfois plusieurs années après les faits ». Aussi, le Règlement européen vient consacrer un « droit à l’effacement » qui permettra à la personne concernée, selon des motifs limitativement énumérés, d’obtenir l’effacement de données personnelles la concernant et la cessation de la diffusion de ces données. La consécration de ce nouveau droit par le Règlement achève ainsi une évolution nécessaire au regard de la protection de la vie privée des citoyens européens.
• Un droit à la portabilité de ses données.
Ces nouveaux droits sont primordiaux en ce qu’ils permettent à la personne concernée d’exercer un contrôle ex post sur ses données. La personne concernée a le droit de se voir communiquer ses données personnelles par le responsable de traitement, sous un format « structuré, couramment utilisé et lisible par machine » afin de faciliter leur transfert vers un autre prestataire de services si elle le souhaite et sans que le responsable de traitement ne puisse s’y opposer. L’objectif ici est d’éviter à la personne concernée de se lancer dans une fastidieuse récupération manuelle de ses données qui pourrait l’inciter à renoncer à changer de prestataire.

« Education » et « hygiène informatique »
Ces nouveaux outils doivent cependant s’accompagner d’une part, d’une « éducation » à la protection des données, et d’autre part, de la promotion d’une certaine « hygiène informatique », selon l’expression consacrée par l’ANSSI (2), qui permettra à la personne concernée de fixer elle-même les frontières de sa vie privée.

Le règlement européen tient aussi compte de l’invalidation du « Safe Harbor » (3) (décision CJUE du 6 octobre 2015 (4). et ses conséquences en consacrant son chapitre V au transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers ou à des organisations internationales L’invalidation de cette décision a conduit la Commission européenne et le gouvernement américain à conclure un accord visant à assurer un niveau de protection suffisant aux données transférées de l’UE vers les Etats-Unis appelé « Privacy Shield ».

Articulation avec le « Privacy Shield »
Le G29 réunissant les « Cnil » européennes, qui avait publié son avis le 13 avril 2016 sur le niveau de protection des données personnelles assuré par le « Privacy Shield » (5), a cependant rappelé qu’il devrait tenir compte du règlement européen sur les données personnelles – lequel n’avait pas encore été adopté au moment de la publication du « Privacy Shield ». L’article 45 du règlement énonce les critères à prendre en compte par la Commission européenne lors de l’évaluation du caractère adéquat du niveau de protection des pays tiers à l’Union. Au nombre de ces critères,
on trouve « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la législation pertinente, tant générale que sectorielle, y compris en ce qui concerne la sécurité publique, la défense, la sécurité nationale et le droit pénal ainsi que l’accès
des autorités publiques aux données à caractère personnel (…) ».
Outre le renforcement de la sécurité juridique, on notera que le règlement vise à : réduire la charge administrative des responsables de traitement de données, faire peser davantage de responsabilité sur les sous-traitants, renforcer l’exercice effectif par les personnes physiques de leur droit à la protection des données les concernant au sein de l’UE (notamment leur droit à l’effacement et leur droit d’exiger que leur consentement préalable, clair et explicite soit requis avant l’utilisation de leurs données personnelles), améliorer l’efficacité de la surveillance et du contrôle de l’application des règles en la matière (6).
Le règlement aura d’autant plus d’impact qu’il s’appliquera, dès le 25 mai 2018, de manière uniforme dans l’ensemble des pays de l’UE, sans devoir être transposé en droit national (7). Son champ d’application s’étendra au-delà des frontières des Vingt-huit puisque, désormais, des entreprises ayant leur siège social en dehors de l’UE pourront se voir appliquer le règlement dès lors que les données qu’elles traitent concernent des résidents de l’UE, ce que ne prévoyait pas la directive. @

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris.

 

Président de Google Europe, Matt Brittin est en première ligne dans l’attente du verdict de Bruxelles en juin

Président de Google pour la région EMEA depuis décembre 2014, Matt Brittin défend bec et ongles – voire avec arrogance – les intérêts du géant du Net. Lui et la directrice des affaires publiques internationales de la firme de Mountain View, Caroline Atkinson, ont été entendus en mai à Bruxelles. Verdict imminent.

Matt Brittin 2La Polonaise Elzbieta Bienkowska, commissaire européenne
en charge du Marché intérieur et de l’Industrie, a reçu le 3mai dernier à Bruxelles le Britannique Matt Brittin (photo), président de Google Europe. Quelques jours après cet entretien d’où rien n’a filtré, ce fut au tour de l’Américaine Caroline Atkinson, directrice de la politique internationale de Google depuis janvier (après avoir été conseillère économique de Barack Obama), d’être convoquée pour rencontrer le 19 mai l’Estonien Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, chargé
du Marché numérique unique. Ces échanges au sommet annoncent un dénouement prochain de l’enquête au long cours menée depuis 2010 sur Google, accusé d’abus de position dominante en Europe avec son moteur de recherche. Il en va dans cette affaire de la crédibilité de l’exécutif européen qui a pris son temps pour l’instruire (1) (*) (**).

Bruxelles ? « De braves gens mal informés » (Matt Brittin)
Selon le Sunday Telegraph du 15 mai dernier, la firme de Mountain View (Californie) dont le siège européen est à Dublin (Irlande) pourrait écoper début juin d’une amende d’environ 3 milliards d’euros pour avoir manipulé les résultats de son moteur de recherche afin de favoriser ses propres services au détriment de ceux équivalents de la concurrence.
Si cette sanction financière se confirmait, ce serait un record – bien que la Commission européenne soit en droit de pouvoir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires global de Google, soit quelque 7,5 milliards de dollars !
Le dernier record qui pourrait être ainsi largement battu est détenu par le numéro un mondial des microprocesseurs Intel épinglé en 2013 à hauteur de 1,06 milliard d’euros pour entrave à la concurrence. L’exécutif européen n’est-il pourtant pas constitué que
« de braves gens qui essaient de s’informer sur le monde, et peut-être pourraient-ils être mieux informés qu’ils ne le sont », comme l’affirmait avec une pointe d’arrogance Matt Brittin dans une interview au Financial Times le 17 avril dernier ? « Il y a des endroits et des intérêts en Europe où le premier réflexe est de otéger le passé du futur. Il y a un travail de formation à faire ici. Nous et d’autres avons beaucoup à faire », avait-il même ajouté quelque peu méprisant.

Moteur, Android, Bermudes, …
Président de Google pour la région EMEA (2) depuis décembre 2014, cet ancien directeur de la stratégie et du numérique du groupe de presse britannique Trinity Mirror sera en première ligne lorsque le verdict de la Commission européenne va tomber. Il n’a d’ailleurs pas échappé à la Danoise Margrethe Vestager, commissaire européenne en charge de la Concurrence, que Google a – en pleine enquête anti-trust – modifié ses algorithmes pour encore plus prospérer face à ses concurrents désavantagés. A cette tactique s’est ajouté un comportement jugé dilatoire par Bruxelles pour retarder l’issue de l’enquête. Sans parler d’une réorganisation de sa gouvernance en Europe effectuée il y a plus d’un an maintenant : c’est à ce moment-là que Matt Brittin, jusqu’alors vice-président du Nord et du centre de l’Europe, a vu ses responsabilités étendues à tout le Vieux Continent. Son alter ego chez Google pour le Sud et l’Est de l’Europe, Carlo d’Asaro Biondo, bien plus connu en France, est devenu, lui, président EMEA des relations avec les partenaires commerciaux.
Et encore, cette sanction financière record qui pend au nez du numéro un des moteur de recherche – avec 95 % de parts de marché des requêtes sur l’Internet européen – pourrait être suivie ultérieurement par une autre amende portant cette fois sur le système d’exploitation Android pour smartphones. Ce deuxième front a été ouvert en avril dernier par la Commission européenne (3). « On verra où tout cela mènera. Il est normal, vu l’importance d’Android dans le panorama européen que la Commission européenne fasse des contrôles », a estimé à Paris Carlo d’Asaro Biondo, devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 22 avril. Et comme « Jamais deux sans trois », un troisième front est en outre ouvert à l’encontre de Google : la fiscalité. Matt Brittin, qui est basé à Londres, a été convoqué en février par Parlement britannique pour s’expliquer sur le peu d’arriérés d’impôts que Google s’est engagé à payer au Royaume-Uni sur dix ans (2005-2015) – seulement 167 millions d’euros (4). S’il a assuré aux députés que son groupe payait au fisc britannique 20 % d’impôt sur les sociétés, il n’a en revanche pas su dire quel salaire il touchait – provoquant l’ire de la présidente commission des comptes publics à la Chambre des communes. Google fait l’objet de redressements fiscaux dans d’autres pays européens tels qu’en France où il serait question de 1,6 milliard d’euros d’arriérés à payer – sur fond d’« enquête préliminaire pour fraude fiscale aggravée et blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée » (dixit le Parquet financier le 24 mai). Matt Brittin s’est fait connaître publiquement il y a quatre ans en défendant les pratiques d’« optimisation fiscale » de Google en Europe via une filiale aux Bermudes. Il n’a eu de cesse depuis d’expliquer que les employés britanniques de la firme de Mountain View ne s’occupent que de
« promotion », bien qu’il reconnaît le paiement à ces derniers de commissions sur les ventes conclues par la filiale irlandaise.

Quant à Caroline Atkinson, elle est directrice des affaires politiques internationales
de Google depuis le mois de mars. Basée à Washington après avoir été à la Maison Blanche, en tant que conseillère de Barack Obama pour les affaires économiques et
la sécurité nationale, cette diplomate américaine n’a sans doute pas été étrangère
aux propos lapidaires que le président des Etats-Unis avait tenus en février 2015 à l’adresse du Vieux Continent : « Nous avons possédé Internet. Nos entreprises l’ont créé, développé et amélioré de telle manière que l’Europe ne puisse pas lutter », avait-il lancé dans une interview au site web Re/code. Et à propos de l’enquête de Bruxelles sur Google : « La réponse européenne est parfois plus dictée par des intérêts commerciaux qu’autre chose ».
Pourtant, l’Europe n’est pas la seule à s’intéresser aux agissements de Google. L’autorité de la concurrence américaine, la Federal Trade Commission (FTC), se penche elle aussi sur les risques d’abus de position dominante du numéro un des moteurs de recherche. Selon le site web Politico du 11 mai, une enquête pourrait
être déclenchée à la suite d’une plainte d’une entreprise américaine. Ce n’est pas
la première fois que la FTC a des soupçons sur Google.com : en 2013, elle avait finalement renoncé à poursuivre le géant de Net faute de preuve. Le 26 avril dernier, le Wall Street Journal révélait que la FTC cherchait à savoir – à l’instar de la Commission européenne – si Google abusait de sa position dominante avec Android.

Après l’Europe, les Etats-Unis ?
« Google se livre aux mêmes pratiques anti-concurrentielles, injustes et abusives aux Etats-Unis. Nos autorités de la concurrence doivent aller de l’avant et faire leur travail, au lieu de laisser les Européens le faire pour eux », a déclaré en avril John Simpson, ancien journaliste devenu défenseur des consommateurs au sein de l’organisation américaine Consumer Watchdog. Cela n’empêche pas que l’offensive européenne contre la firme de Mountain View soit perçue aux Etats-Unis, notamment par l’influente CCIA (Computer & Communications Industry Association) dont est membre Google aux côtés de d’Amazon, eBay, Facebook, Microsoft, Yahoo ou encore Samsung, comme une attaque contre l’innovation. @

Charles de Laubier

En pleine crise de la quarantaine, Apple – la marque à la pomme – lutte contre le blettissement

Fondé en avril 1976 par Steve Jobs dans la maison familiale de Los Altos (Californie), Apple – qui devint une société en janvier 1977 – est en pleine crise
de la quarantaine. La marque à la pomme va devoir mûrir sans devenir… blette, en misant sur les services en ligne pour compenser la chute des ventes d’iPhone.

Apple est en passe d’être déchu du titre de première capitalisation boursière mondiale. Alphabet, alias Google,
a déjà réussi par deux fois depuis le début de l’année de relégué la marque à la pomme en seconde position. Le 26 mai dernier, la valorisation boursière d’Apple était de 550 milliards de dollars (à 100 dollars l’action), contre 505 milliards de dollars (à 736 dollars) pour la maison mère de Google. Le fabricant d’iPhone a quand même perdu pas loin d’un tiers de sa valeur par rapport aux 130 dollars atteints durant l’été 2015 (1). Cette « spirale baissière », comme disent les analystes financiers, risque de se poursuivre.

La pomme croquée par la concurrence
Au premier trimestre de l’année, troisième de son année fiscale, la firme de Cupertino affiche la première baisse des ventes de l’iPhone depuis son lancement en 2007 et accuse aussi le premier recul de son chiffre d’affaires global depuis treize ans. Résultat : sur les six premiers mois de son exercice en cours, le chiffre d’affaires de 126,4 milliards de dollars est inférieur de 4,6 % par rapport à la même période il y a un an. Tandis que les ventes du smartphone sont tombées à 125.972.000 unités, toujours d’octobre 2015 à mars 2016, soit une baisse de 7,1 % par rapport à la même période il y a un an. Pire : le recul des ventes se constate aussi pour les tablettes iPad, en chute de 22,5 % à 26.373.000 unités sur les six mois, et pour les ordinateurs Mac, en baisse de 7,8 à 9.346.000 unités sur la même période.
S’agit-il d’une « pause », comme aimerait le croire Tim Cook (photo), le directeur général d’Apple, ou bien est-ce le début de la fin de l’heure de gloire de la marque à la pomme ?
A force de voir ses parts de marché grignotées, Apple n’aura jamais aussi bien porté son logo qui représente une pomme sérieusement entamée, croquée… Et c’est comme si le groupe dirigé par Tim Cook depuis bientôt cinq ans subissait aujourd’hui le véritable contrecoup de la mort de Steve Jobs intervenue en octobre 2011. L’esprit d’innovation semble s’être éloigné de l’entreprise. A moins que Tim Cook ne réussisse à prouver le contraire à la conférence mondiale des développeurs d’Apple, qui se tiendra du 13 au 17 juin. Lancée il y a un an, en avril 2015, la montre connectée Apple Watch ne semble pas rencontrer le succès escompté (2). Aucun chiffre de ventes n’a – pour l’heure… – été donné par le groupe. Selon la cabinet IDC, Apple a reculé à la troisième place mondiale pour les ventes de « wearable » dont font partie les montres connectées – derrière l’américain Fitbit et le chinois Xiaomi.
Si l’iPhone reste le produit-phare d’Apple, il pourrait fêter ses dix ans d’existence l’an prochain dans une ambiance morose. Et il n’y a pas grand chose à attendre du prochain iPhone 7, attendu en septembre, pour lequel les « Applemaniques » reportent leurs achats au détriment des iPhone 6 et SE.
Tout le défi de la marque à la pomme va être de mûrir sans devenir blette. Certes, la situation de l’entreprise n’a rien d’inquiétant pour l’instant. L’activité fait encore bonne figure, malgré un net ralentissement ces derniers mois : 233,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires générés lors de la dernière année fiscale (close fin septembre 2015), pour un bénéfice net de 53,3 milliards de dollars.
Après les « révolutions technologiques » de l’ordinateur Mac dans les années 1980
et de l’iPhone des années 2000, la marque à la pomme est en quête d’une troisième innovation de grand ampleur. Il est peut probable qu’elle se trouve dans la télévision ou l’automobile, deux produits de grande consommation déjà largement utilisés depuis des décennies.

Déstabilisation par la Chine
En attendant de trouver le nouveau Graal technologique, Apple investit dans les innovations des autres. C’est le cas dans la société chinoise Didi Chuxing (ex-Didi Kuaidi), qui édite une application de réservation de véhicules de transport avec chauffer (VTC) de type Uber et de covoiturage. En y injectant 1 milliard de dollars (3), la firme de Cupertino mise sur un possible relais de croissance futur provenant de la Chine où elle rencontre des difficultés en raison de restrictions réglementaires : selon le New York Times, ses services en ligne de livres iBooks et de films iTunes Movies ont récemment dû être fermés sur décision des autorités chinoises. Pourquoi tant d’intérêt pour l’Empire du Milieu ? Parce qu’il s’agit là du second plus grand marché d’Apple, après les Etats-Unis – en attendant de conquérir l’Inde où Tim Cook vient de se rendre mais peine à se lancer. Mais les fabricants chinois de smartphones tels que Huawei et Xiaomi lui donnent du fil à retordre. Investir dans Didi est aussi un moyen pour Tim Cook de mieux connaître les géants chinois du Net (4) comme Tencent et Alibaba qui soutiennent aussi Didi (5), lequel compte 300 millions d’utilisateurs. Le service de paiement mobile Apple Pay, lancé en février en Chine, pourrait profiter de cet investissement. Les ambitions de la marque à la pomme dans la voiture autonome
– dans le prolongement de sa voiture connectée CarPlay – pourrait aussi tirer partie
de cette alliance chinoise.

Virer Tim Cook et faire des acquisitions ?
Cet investissement dans Didi semble en outre donner le coup d’envoi de la diversification stratégique du premier « A » de GAFA vers plus de services en ligne. Après iTunes, Apple Music (6) (*) (**) et Apple Pay, le groupe californien donne un coup d’accélérateur vers les plateformes numériques et l’économie du partage. A terme,
les ordinateurs, les smartphones et les tablettes qu’il fabrique pourraient devenir secondaires. D’autant que la concurrence fait rage entre les nombreux fabricants de terminaux mobiles, avec des baisses de tarifs et de marges significatives malgré des performances toujours accrues. Si l’iPhone a assuré en près d’une décennie la rentabilité du groupe de Cupertino, cela ne devrait plus être le cas à l’avenir. IBM n’a-t-il pas pris le virage des services informatiques dans les années 1990 pour retrouver des marges financières que Big Blue avait perdu en tant que fabricant d’ordinateurs de moins en moins coûteux ? Apple est en passe de subir le même sort, comme l’illustre la progression de 20 % de ses revenus trimestriels dans les services (Apple Store, Apple Music, iCloud, Apple Pay, …). Mais la concurrence est rude, face à Spotify, Google ou encore Microsoft.
La planche de salut de la multinationale californienne peut aussi se trouver du côté de la santé (7) : n’a-t-elle pas recrutée dans ce domaine Yoki Matsuoka, d’origine japonaise et spécialiste de la « neurobotique », qui fut une co-fondatrice du laboratoire futuriste de Google (X Lab) ? La réalité virtuelle pourrait aussi constituer un avenir pour Apple, voire l’intelligence artificielle.
Au 31 mars dernier, Apple détient une trésorerie colossale de 232,9 milliards de dollars ! Ce qui lui laisse une marge de manœuvre considérable pour faire des acquisitions, voire des méga-acquisitions. Car à défaut de pouvoir continuer à faire rêver en développement ses propres produits ou plateformes, il reste à racheter ceux des autres. En un an, Apple a acquis pas moins d’une quinzaine d’entreprises – la plupart des start-up.
A moins de trouver un nouveau Steve Jobs. Un analyste de Global Equities Reseach propose même de se « débarrasser » de Tim Cook, de son directeur financier Luca Maestri et de sa directrice des ventes Angela Ahrendts ! « Débarrassez-vous de ces trois personnes, et Apple reviendra à sa gloire passée », estime-t-il (8), tout en prônant le recrutement de Jon Rubinstein, exdirigeant de la division iPod, comme nouveau DG d’Apple, ainsi que de Fred Anderson comme nouveau directeur financier, ayant déjà occupé ce poste par le passé.

« Tim Cook a fait du bon boulot », avait pourtant assuré l’investisseur Carl Icahn qui
a annoncé fin avril avoir vendu toutes ses actions Apple en réalisant au passage une plus-value de 2 milliards de dollars… Ce ne serait pas l’équipe dirigeante d’Apple qui poserait problème, selon le milliardaire américain, mais plutôt la Chine dont le ralentissement économique et les décisions réglementaires ont un impact direct sur les ventes du fabricant californien. Ce qui n’effraie pas un autre milliardaire, Warren Buffet, qui a annoncé mi-mai son entrée – via sa holding Berkshire Hathaway – au capital d’Apple pour plus de 1 milliards de dollars…
Une chose est sûre : le marché chinois des smartphones est arrivé à saturation, ce
qui a un impact direct sur les ventes mondiales de ces terminaux mobiles multimédias. Selon le cabinet d’études Strategy Analytics, elles ont baissé de 3 % au premier trimestre de cette année. Si le fabricant corée Samsung reste le numéro un mondial du smartphone avec 79 millions d’unités vendues sur les trois premiers mois de l’année (en baisse de 4,5 %) pour une part de marché de 23,6 % (contre 24 % un an avant), Apple demeure en seconde position avec 51,2 millions d’unités (en chute de 16 %) pour une part de marché de 15,3 % (contre 17,7 % un an avant). Cette érosion des ventes de smartphone est également constatée par le cabinet IDC, pour se retrouver à un
peu plus de 334 millions d’unités au total sur ce même trimestre. Si le chinois Huawei conforte sa position de troisième fabricant mondial de smartphones, il est rejoint pour
la première fois pas deux autres de ses compatriotes que sont les chinois Oppo et Vivo en respectivement quatrième et cinquième places. Dans le « Top 5 » des smarphones, Apple fait ainsi figure d’intrus parmi tous ces asiatiques…

Les 10 ans de l’iPhone dans le nouveau QG ?
Quoi qu’il en soit, l’iPhone fêtera ses dix ans en 2017 et la firme de Cupertino intègrera son nouveau quartier général circulaire pharaonique sur 70 hectares et 260.000 m2 – dont le budget a explosé de 3 à 5 milliards de dollars en trois ans… @

Charles de Laubier

Pourquoi Mediawan adopte une stratégie « 3C » : convergence, consolidation et complémentarité

Qu’est-ce qui motive vraiment le nouveau trio Niel-Pigasse-Capton en lançant Mediawan à la conquête de sociétés de médias et de contenus traditionnels et/ou numériques en Europe ? La sous-évaluation de nombreux actifs, susceptibles d’être rachetés à bon prix et d’entrer dans leur triangle stratégique.

Le gourou japonais en stratégie d’entreprise, Kenichi Ohmae, a théorisé
le modèle « 3C » qui devrait permettre à toute activité commerciale de rencontrer le succès : l’entreprise, le client et la concurrence. Les cofondateurs de Mediawan (ex-Media One) – Xavier
Niel, Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton (photos) – ambitionnent de
mettre en oeuvre leur propre triangle stratégique : convergence, consolidation et complémentarité.

« La fragmentation croissante de l’audience augmente le besoin de consolidation autour de fortes marques médias ».

Presse, radio, télé, films et/ou digital
Selon eux, « la convergence dans les médias et les industries du divertissement mène à une consolidation d’acteurs existants leur permettant de combiner leurs activités complémentaires ». Et ce, dans un contexte où les médias – fragilisés par la destruction créatrice du numérique – ont leur vu leur valorisation sérieusement revue à la baisse. C’est donc le moment d’acheter ! Mediawan compte investir – d’ici à vingt-quatre mois – dans un groupe de médias à forte valeur ajoutée dans les contenus de divertissement et les médias : la presse, la radio, la télévision, les films et/ou le numérique) pour au moins 75 % des montant levés : soit pour au moins 187,50 millions d’euros sur les
250 millions d’euros levés. En mettant en oeuvre cette stratégie « 3C », le trio entend «maximiser la valeur des actionnaires en menant la transformation dans des médias européens ». En matière de convergence, ils tablent sur le fait que « la révolution numérique et la consommation mobile en croissance créent des opportunités ».
Ils constatent que « l’accès aux médias par des terminaux mobiles est le segment connaissant la plus forte croissance dans les dépenses médias mondiales et devrait devenir la plateforme numérique principale de la prochaine décennie ».

Au sein de cette convergence numérique, les trois investisseurs prennent acte des nouveaux comportements de consommation et de l’émergence de nouveau modèles économiques : « Des acquisitions physiques et des services de téléchargement, les utilisateurs sont passés aux modèles d’abonnement et de streaming (…), ce qui a permis l’émergence d’entreprises telles que Spotify ou Deezer », soulignent les cofondateurs de Mediawan. Mais cette convergence des contenus et des plateformes conduit à une concurrence accrue entre les différents acteurs. « La demande croissante de contenus médias, accessibles “n’importe quand, n’importe où”, et la quantité croissante de données, de traitement numérique et de diffusion a mené à une prolifération de plateformes de distribution dans un environnement compétitif pour lequel la qualité du contenu et l’exclusivité restent des facteurs de différenciation-clés ». Au-delà de la convergence, c’est la consolidation entre acteurs de contenus médias, traditionnels et numériques, et les industries du divertissement, qui motive les stratèges de Mediawan. « La fragmentation croissante de l’audience augmente le besoin de consolidation autour de fortes marques médias. Les acteurs industriels doivent atteindre une taille critique pour être en position de développer et de distribuer des contenus à travers des plateformes variées », estiment les dirigeants de Mediawan.
Et de poursuivre : « Les opportunités [de cibles à racheter, ndlr] sous-évaluées et le potentiel de croissance significatif existent dans le contenu médiatique traditionnel et numérique, et les industries du divertissement. La présence d’actionnaires historiques dans des entreprises de médias, désireux soit de disposer soit de transférer leurs actifs ou leurs actions, offre de nouvelles occasions pour les fondateurs et l’entreprise dans les contenus médias et les industries culturelles ».
En troisième et dernier lieu, le trio Niel-Pigasse-Capton mise sur la combinaison d’activités complémentaires dans les contenus médias traditionnels et numériques, et les industries du spectacle, afin de « maximiser la nouvelle création de valeur ». Les synergies de marques, de médias et de contenus permettent d’atteindre cette objectif.
« La fragmentation des audiences a poussé des sociétés de médias à développer des technologies de plus en plus sophistiquées pour atteindre des publics ciblés, lesquels peuvent être atteints en démultipliant les contenus simultanément et de façon complémentaire des contenus, de la distribution et des technologies », est-il expliqué.

Investissements et acquisitions
Cotée à la Bourse de Paris, mais uniquement réservée aux investisseurs professionnels, la société Mediawan a le statut de Spac (Special Purpose Acquisition Company) pour procéder à des acquisitions. A fin avril, Xavier Niel, le patron fondateur de Free via NJJ Presse, le banquier Matthieu Pigasse via Les Nouvelles Editions Indépendantes, et Pierre-Antoine Capton, via Troisième OEil, détiennent chacun 6,69 % du capital et des droits de vote de ce véhicule financier. @

Charles de Laubier

 

Films, musiques, sports, … : vers la portabilité transfrontalière des contenus en ligne

Le règlement européen sur la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne vient d’être approuvé par les ministres de la Concurrence, pour que l’accès aux œuvres culturelles et aux événements sportifs puisse se faire dès 2017 sans frontières au sein du marché unique numérique.

Les ministres européens de la Concurrence ont approuvé le 26 mai, lors d’un Conseil de l’Union européenne à Bruxelles, le règlement qu’avait présenté la Commission européenne pour instaurer dès l’an prochain la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne. Les représentants permanents
des Etats membres l’avaient validé le 13 mai. Les négociations vont pouvoir commencer avec le Parlement européen, dont le vote devrait intervenir à l’automne prochain – a priori en octobre, selon nos informations.

Du roaming mobile au roaming audiovisuel
Il s’agit de lever les restrictions qui empêchent les Européens – lorsqu’ils se rendent dans un autre pays que le leur au sein du marché unique numérique – de se voir privés d’accès aux films, aux séries télé, à la musique, aux livres numériques, aux jeux vidéo ou encore aux retransmissions sportives, pour lesquels ils ont pourtant souscrit un service en ligne dans leur pays d’origine. Comme il s’agit d’un règlement, ses dispositions seront directement applicables par les Vingt-huit. La portabilité transfrontalière des contenus sera alors une réalité en 2017, soit la même année où
les frais d’itinérance mobile dits de roaming prendront fin dans l’Union européenne. Comme l’usage des smartphones et des tablettes 3G/4G est plébiscité (surtout par
la jeune génération) pour accéder à la vidéo à la demande (VOD), à la musique en ligne ou encore aux offres illimitées de livres numériques, le besoin de « roaming audiovisuel » sans surcoût se fait plus pressant.
De quoi accélérer la mise en oeuvre du marché unique numérique dont Jean-Claude Juncker (photo), président de la Commission européenne, a fait son cheval de bataille avec Andrus Ansip et Günther Oettinger (1). Leur objectif : élargir l’accès aux contenus culturels et sportifs dans toute l’Europe. Jusqu’alors, un abonné de Netflix en France qui se rend en Allemagne ne peut pas visionner les films proposés par Netflix aux abonnés allemands. De même, celui qui a l’habitude d’utiliser un service de VOD en France ne peut pas regarder les films désirés lorsqu’il est en voyage d’affaires au Royaume-Uni par exemple. Un abonnés français à Canal+ est lui aussi cantonné à l’Hexagone. Or, pour la Commission européenne et les ministres de la Concurrence, ces situations de géo-blocages pour des questions de propriété intellectuelle ne sont plus tenables. Les Européens doivent pouvoir bénéficier de la portabilité transfrontalière des contenus qu’ils paient, quels que soient les pays de l’Union où ils se rendent. Il s’agit en même temps de permettre une meilleure circulation des contenus, d’offrir un plus grand choix aux Européens et de renforcer la diversité culturelle. La Commission européenne entend en outre améliorer la distribution transfrontalière de programmes
de radio et de télévision en ligne, en réexaminant la directive « Câble et satellite » (2). Mais les industries culturelles et leurs ayants droit ont exigé que soit prévu dans le règlement « Portabilité transfrontalière » un critère temporel, c’est-à-dire que la présence de l’utilisateurs en dehors de son pays d’origine soit provisoire (passagère
et courte). Ce critère temporel vise à éviter une trop large interprétation qui risquerait, selon eux, d’être l’équivalent d’un accès permanent transfrontalier à leurs œuvres.
Ils y voit une violation du principe de territorialité, qui leur permettent par le jeu des exclusivités géographiques d’optimiser la monétisation de leurs contenus culturels.

Pour contourner les restrictions liées aux droits d’auteur, certains utilisateurs ont recours à des VPN (3) qui leur permettent de simuler une connexion provenant de France et d’accéder ainsi aux catalogues français depuis l’étranger. Ce contournement du filtrage géographique déplait non seulement aux ayants droits, mais aussi à… Netflix, qui doit se soumettre au géo-blocage exigé par ces premiers. La plateforme mondiale de SVOD est parti en guerre contre ces réseaux privés virtuels ou les serveurs dits proxy ou unblockers en bloquant les adresses IP associées. Par exemple, le prestataire technique NordVPN permet d’accéder en Europe à Netflix aux Etats-Unis.

Netflix contre les VPN anti-blocages
« Nous faisons des progrès dans l’obtention de licences d’envergure mondiale pour
les contenus et nous offrons maintenant notre service dans 190 pays, mais nous avons encore du chemin à faire avant que nous puissions offrir aux gens les mêmes films et séries TV partout dans le monde. (…) En attendant, nous continuerons à respecter et faire respecter l’octroi de licence de contenu par zone géographique », avait prévenu
en début d’année Netflix (4). Est-ce la fin du jeu du chat et de la souris ?
Le règlement « Portabilité transfrontalière » pourrait donner un coup de frein en Europe aux VPN, lesquels seront cependant toujours prisés. @

Charles de Laubier