Rapport « Numérique et Libertés » de l’Assemblée nationale : l’Etat est appelé à garder l’équilibre

La Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique avance – dans son rapport du 8 octobre 2015 – l’idée d’« infrastructures de données essentielles » et en appelle aussi à préserver « à tout prix » la liberté d’expression sur Internet, tout en s’opposant au changement de statut des hébergeurs.

Par Winston Maxwell, avocat associé, Hogan Lovells

La Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, à l’Assemblée nationale*, a rendu son rapport le 8 octobre 2015. Ce rapport (1) a pour ambition
de poser quelques principes qui doivent guider la réflexion des parlementaires lorsqu’ils examinent différents projets de lois touchant au numérique. Plusieurs points forts ressortent de
ce rapport « Numérique et Libertés ».

Open Data et liberté d’expression
Le premier constat de la commission « Droit et Libertés à l’âge du numérique » est que la loi française est en retrait par rapport à la législation américaine ou britannique en matière d’accès aux documents administratifs. Elle préconise une transparence accrue de l’ensemble des documents administratifs. Même si la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) fait bien son travail, ses avis ne sont pas toujours suivis d’effets. Par ailleurs, la loi prévoit trop de dérogations permettant à l’administration de s’opposer à des demandes de communication de documents. La commission de l’Assemblée nationale préconise le développement d’une logique d’offre de données d’intérêt public au lieu d’une logique uniquement de demande. Elle évoque l’idée d’« infrastructures de données essentielles » qui seraient mises à la disposition du public afin de libérer toutes les potentialités de l’Open Data (2). La commission souligne que la protection des données à caractère personnel ne peut pas systématiquement faire obstacle à la communication de données intéressant la vie publique. En Suède, par exemple, les citoyens ont la possibilité de demander une
copie de la fiche de paie d’un ministre ainsi que ses dépenses de représentation en
se présentant directement auprès du ministère.
Le deuxième grand chapitre de ce rapport concerne la protection de la liberté d’expression à l’ère numérique. Le rapport « Numérique et Libertés » rappelle que la liberté d’expression protège la possibilité de s’exprimer mais également de recevoir et de trouver des informations sur Internet, sans considération de frontières. En France,
le « droit commun » de la liberté d’expression est la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi ne se limite pas à la presse, mais s’applique à l’ensemble des propos tenus sur une place publique ou sur Internet. Elle prévoit des sanctions pour tout abus de la liberté d’expression, mais ces sanctions sont soigneusement encadrées afin de préserver l’essence de la liberté d’expression en France. Pour la commission,
ce régime de droit commun de la liberté d’expression doit être préservé à tout prix sur Internet. Le régime dérogatoire de l’audiovisuel ne doit pas être exporté vers l’Internet. La régulation audiovisuelle encadre la liberté d’expression de manière beaucoup plus forte, mais cet encadrement se justifie en grande partie par l’utilisation de fréquences hertziennes, ressources publiques rares (3).
Par ailleurs, la commission s’oppose à ce que la loi de 1881 soit limitée aux seuls journalistes professionnels (4) et estime au contraire qu’il n’existe pas de liberté d’expression à deux vitesses, et qu’avec Internet et les moteurs de recherche, chaque internaute et bloggeur non professionnel participe aujourd’hui au moins autant que les journalistes à la vitalité du débat démocratique et à l’information publique. Il faut donc éviter une liberté d’expression « réservée » aux journalistes professionnels.

Pas touche au statut d’hébergeur
La liberté d’expression sur Internet est également garantie par le régime de responsabilité limitée des hébergeurs. La commission s’est déclarée hostile à tout changement dans le statut d’hébergeur. Reconnue aux Etats- Unis et en Europe, la responsabilité limitée des hébergeurs contribue à la liberté d’expression sur Internet. Le choix politique fait au début des années 2000 était de privilégier la liberté d’expression en permettant aux plateformes d’héberger toutes sortes de contenus fournis par les utilisateurs, sans crainte de voir leur responsabilité engagée. Les abus sont signalés et traités a posteriori. Certes, la distinction entre hébergeur et éditeur n’est pas toujours facile à tracer dans un environnement aussi évolutif que le numérique. Les tribunaux ont fait preuve d’une grande adaptabilité et ont su faire vivre la distinction hébergeur/éditeur et l’appliquer à de nouveaux business models. Par ailleurs, le statut d’hébergeur n’enlève rien au pouvoir du juge d’ordonner des mesures appropriées pour limiter la diffusion de contenus illicites. En résumé, la commission « Droit et Libertés à l’âge du numérique » a estimé que changer les règles sur les hébergeurs pourrait mettre en danger l’équilibre délicat trouvé au début des années 2000 entre la liberté d’expression et la protection contre des contenus illicites.

Le rôle du juge doit être réaffirmé
En matière de lutte contre les contenus illégaux sur Internet, la commission souligne
la nécessité d’impliquer un juge à chaque fois. L’autorité judiciaire est seule légitime
à sanctionner des abus à la liberté d’expression et notamment ordonner le retrait de contenus illicites. La commission met en garde contre le contournement du pouvoir
des autorités judiciaires par la création d’autorités administratives chargées de réguler des contenus sur Internet. Elle préconise en revanche un renforcement des moyens d’action de la justice, notamment par la création de procédures judiciaires accélérées, d’un parquet spécialisé et d’un pôle de compétences numériques au sein du ministère de la Justice. En matière de protection des données à caractère personnel, les recommandations de la commission vont dans le sens du futur règlement européen,
à savoir une conception très large de ce qu’est une donnée à caractère personnel, l’encouragement des techniques de privacy by design, et de gouvernance (accountability). La commission est favorable à la reconnaissance d’un droit au déréférencement, mais souligne la nécessité de prévoir une procédure contradictoire permettant notamment à l’éditeur du site dont le déréférencement est demandé de
faire valoir ses observations. Le rôle du juge doit être réaffirmé en matière de déréférencement puisqu’il s’agit d’une limitation de la liberté d’expression. Les modalités d’application du droit au déréférencement, et notamment son étendue territoriale, doivent obéir au principe de proportionnalité et tenir compte de la nécessité de maintenir un niveau élevé de protection de la liberté d’expression sur Internet au niveau mondial.
La commission « Droit et Libertés à l’âge du numérique » n’a pas dégagé un consensus en matière de la régulation des plateformes. Pour la majorité de ses membres, les potentiels abus commis par les plateformes numériques justifient la création d’une nouvelle obligation de loyauté. Pour certains de ses membres, dont l’auteur de cet article, le Code de la Consommation et le Code du Commerce prévoient déjà des obligations de loyauté et de transparence, et il est donc inutile de créer une nouvelle couche de législation visant spécifiquement les plateformes numériques. Par ailleurs, l’idée de créer une réglementation spécifique pour les « plateformes majeures » ferait double emploi avec le droit de la concurrence, qui est déjà bien outillé pour traiter diverses formes d’abus. Certains souhaitent transposer aux plateformes numériques la réglementation en matière de communications électroniques et le concept d’opérateur
« puissant ». Or, pour l’auteur de cet article, la réglementation des communications électroniques ne peut pas être transposée aux plateformes numériques car nous ne sommes pas dans un contexte de transition d’un monopole vers l’introduction de la concurrence, mais plutôt dans un domaine où la concurrence a toujours été vive (5). Enfin, la commission « Droit et Libertés à l’âge du numérique » souligne les contradictions entre d’une part les exigences de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) et d’autre part des lois françaises sur le renseignement. Après l’arrêt « Digital Rights Ireland » du 8 avril 2014 de la CJUE, la loi française concernant la conservation des données de connexion semble contraire à la Charte européenne des Droits fondamentaux. Cependant, la France n’a pas essayé de modifier sa loi et au contraire a renforcé les pouvoirs des services de renseignement prévoyant notamment la possibilité d’examiner des données de connexion de l’ensemble des citoyens afin
de détecter des signaux faibles. Après les attentats du 13 novembre 2015, le gouvernement et le Parlement introduiront probablement de nouvelles mesures pour renforcer les pouvoirs des services de la police et du renseignement. Le rapport de la commission aura sans doute peu d’effet dans ce débat compte tenu de la nécessité absolue de combattre le terrorisme. Cependant, le rapport montre qu’en matière de protection des données à caractère personnel, la France n’est pas un bon élève lorsqu’il s’agit des pouvoirs de ses services de renseignement. La législation française permet la collecte et le traitement massif de données sans l’intervention d’un juge,
ce qui est exactement reproché aux Etats-Unis. Certaines entorses aux droits fondamentaux sont nécessaires dans une société démocratique pour faire face à des menaces graves pour la sécurité publique.

Contre la surveillance généralisée
Le rapport « Numérique et Libertés » de la commission met en garde contre un glissement irréversible vers un régime de surveillance généralisée. Selon la commission, à chaque fois qu’une loi exceptionnelle donne de nouveaux outils aux services de renseignements, cette démarche est en pratique irréversible. Ce qui est donné aux services de renseignements n’est jamais retiré par la suite. Dans ce sens, l’évolution de la loi est à sens unique, et les parlementaires doivent en tenir compte. @

* La Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, à l’Assemblée nationale, a été présidée par Christiane Féral-Shuhl, avocate et ancienne bâtonnière de Paris, et par Christian Paul, député de la Nièvre. En plus des deux co-présidents, cette commission a rassemblé 13 parlementaires issus de différents groupes politiques, ainsi que 13 personnalités qualifiées, dont l’auteur de cet article.

Le président de Disney, Bob Iger, ne veut pas se faire « Netflixiser » et lance DisneyLife en Europe

Bien que la « Walt Disney Company » affiche une santé financière insolente pour la cinquième année consécutive (chiffre d’affaires et bénéfice net record cette année), son président Bob Iger constate une nouvelle perte d’abonnés à ses chaînes de télévision. Il veut les reconquérir directement sur Internet.

Robert Iger, dit « Bob » (photo), a de quoi être comblé. Le groupe qu’il dirige depuis maintenant 10 ans, depuis qu’il a été nommé le 1er octobre 2005 sixième PDG de
« la Walt Disney Company », est plus que jamais en pleine forme malgré la révolution numérique et les assauts d’Internet. Lui qui fêtera en février prochain ses 65 ans, il a encore de beaux jours devant lui puisque son mandat avait été prolongé jusqu’en juin 2018. Le groupe Disney aura alors 95 ans, né en 1923 sous le nom des « Disney Brothers Studios ».

50 Mds de dollars franchis en 2015
« Nous avons bouclé notre cinquième année de performance record. Au cours de notre exercice fiscal 2015 [achevée le 3 octobre dernier, ndlr], nous avons généré les plus hauts chiffre d’affaires et bénéfice net de l’histoire de la compagnie, ce qui reflète la puissance de nos marques et franchises, la qualité de nos contenus créatifs, notre innovation implacable pour maximiser la valeur provenant des nouvelles technologies », s’est félicité Bob Iger lors de la présentation des résultats annuels le 5 novembre. Le résultat net du groupe affiche une hausse de 12 % à plus de 8,3 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires en augmentation de 7 % à plus de 52,4 milliards de dollars. C’est la première fois depuis près d’un siècle d’existence que Disney franchit allègrement la barre des 50 milliards de revenus. Ce qui représente le double du chiffre d’affaire de l’année 2002 et plus six fois le bénéfice net de cette année-là ! Même si les analystes financiers espéraient encore un peu mieux, l’année 2015 est encore à marquer d’une pierre blanche.
L’activité « Media Networks » (les chaînes de télévision ESPN, ABC, Disney Channels, …) représente quelque 44,3 % des revenus du groupe, suivie de « Parks and Resorts » (les parcs d’attraction tels que Disneyland) pour 30 %. Viennent ensuite les activités
« Studio Entertainment » (studios et salles de cinéma, distribution audiovisuelle, SVOD) pour 15 % du chiffre d’affaires, « Consumer Products » (produits dérivés, licences) pour 8,5 %, et « Interactive » (jeux vidéo tels que Disney Infinity ou Tsum Tsum) pour 2,2 %. C’est d’abord l’activité télévision qui retient l’attention au regard de la montée en charge de l’audiovisuel sur Internet : selon Disney, le nombre cumulé d’abonnés à ses chaînes apparaît en croissance grâce au lancement de la dernière née de ses chaînes : SEC Network, ouverte en août 2014 dans le sillage du network sportif ESPN (1) pour diffuser des programmes régionaux sportifs. Mais à y regarder de plus près, le groupe de Bob Iger reconnaît une nouvelle fois « un déclin des abonnés à certaines chaînes ». C’est un signe qui ne trompe pas : Disney est, à l’instar de ses concurrents de l’audiovisuel classique (où le câble est dominant aux Etats-Unis), victime des premiers effets du cord-cutting (2) – les abonnés à des bundle câble-TV préférant résilier leurs abonnements aux chaînes pour se reporter sur des offres vidéo moins coûteuses sur Internet (VOD, SVOD, catch up TV, …). Le problème est que cette érosion du parc d’abonnés de Disney s’observe maintenant de trimestre en trimestre. Et comme l’icône des médias américains est très suivie par les analystes, la moindre faiblesse peut provoquer une réaction en chaîne sur d’autres groupes du secteur. Ce fut d’ailleurs le cas en août dernier lorsque, pour la première fois, Disney avouait une érosion de son parc d’abonnés, provoquant une baisse des valeurs médias en Bourse. « Pas de panique ! », dit aujourd’hui en substance Bob Iger pour tenter de rassurer, tout en voyant dans Internet et sa « bonne relation avec Netflix » de nouvelles « opportunités » pour distribuer ses contenus. Cependant, il n’exclut pas de changer son fusil d’épaule en les distribuant luimême directement aux consommateurs pour que Disney puisse
– à l’instar des services de télévision en ligne HBO Now et CBS All Access lancés
cette année – bénéficier lui aussi des nouveaux usages du streaming.

DisneyLife d’abord au Royaume-Uni
C’est dans cet esprit-là que le groupe lance – en novembre et dans un premier temps au Royaume-Uni « en avant-première mondiale » – DisneyLife (3), un service
« jeunesse » de vidéo à la demande par abonnement (SVOD), qui a vocation à s’étendre sur toute l’Europe – à commencer par la France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne – à partir de début 2016 . Dans le Financial Times daté du 21 octobre,
Bob Iger a révélé que pour 9,99 livres sterling par moins (14 euros), DisneyLife allait proposer non seulement des films et séries pour enfants et toute la famille mais aussi des programmes télé, de la musique, des livres et des applications – provenant de Disney, ABC, ESPN, Marvel, Lucasfilm, Club Penguin ou encore Playdom. DisneyLife se veut le « Netflix » de toute la famille, en proposant jusqu’à six comptes pour que chacun puisse y trouver son bonheur en fonction de ses goûts culturels. Outre le Web, les grands classiques de Disney – « Le Livre de la Jungle », « La Belle et le Clochard », « Toy Story », « Monsters » ou encore « Le Monde de Nemo » (« Trouver Nemo » au Québec) – seront aussi proposés sur l’Apple TV ou le Chromecast TV de Google.

Œuvres, du producteur au consommateur
S’adresser directement aux internautes et mobinautes sans s’embarrasser d’intermédiaires (Netflix, Amazon Prime Video, Apple TV, ….) qui rognent sa marge et le concurrencent avec leurs propres séries originales : telle est l’ambition de plus en plus affirmée par Bob Iger. « C’est l’avenir. Il y a une tendance générale que le monde aille dans ce sens. Il y aura de la télévision multicanaux et nous en ferons partie, mais les applications offrent beaucoup plus de niveaux et de richesse de contenus que les chaînes [linéaires] », a-t-il affirmé dans le quotidien de la City. C’est surtout le seul moyen pour un géant culturel comme Disney de ne pas se faire « Nexflixiser » et de garder la maîtrise de sa clientèle, de ses usages et de ses centres d’intérêt, les algorithmesmaison de recommandation faisant le reste. C’est aussi l’occasion de reconquérir des abonnés qui s’étaient désengagés de ses chaînes de télévision câblées. Le patron de Disney, qui a indiqué que les films de Marvel et Lucasfilm (comme « Star Wars ») ne seront pas disponibles dans l’immédiat en Europe, ne précise cependant pas quand DisneyLife sera lancé aux Etats-Unis. L’explication de
ce geoblocking – autrement dit cette restriction géographique des droits – est simple : Netflix détient les droits exclusifs de diffusion outre-Atlantique (Etats-Unis et Canada)
– de 2015 jusqu’en 2018, selon nos informations – pour les tous les nouveaux films Disney après leur sortie en salles. Cet accord rapporterait, selon des médias américains, environ 300 millions de dollars par an à Disney. En France, c’est Canal+
qui détient les droits de « première exclusivité » en vertu d’un accord signé initialement en 2012 et renouvelé en octobre dernier pour l’année 2016. Son service de SVOD CanalPlay enrichit au passage son catalogue.
Dans sa volonté d’aller sur Internet, Disney a renforcé son emprise sur Vice Media en y investissant en octobre quelque 200 millions de dollars, tandis que A&E – société commune entre Disney et Hearst – est monté à hauteur de 15 % du capital. Pourquoi ? Pour accompagner le développement du groupe de médias d’origine canadienne Vice Media sur le Web, avec notamment le lancement de la chaîne en ligne Viceland qui sera accessible aux Etats-Unis dans un premier temps, puis en Europe où le DG cofondateur de Vice Media, Shane Smith, a déjà annoncé fin octobre le lancement en 2016 d’une douzaine de chaînes ! En France, Vice Media a lancé il y a un an la version en français de son site d’information Vice News, lequel dispose aussi d’une émission quotidienne sur France 4. Aller directement à la rencontre de son public en ligne, Disney le pratique déjà depuis 2007 en partenariat avec deux autres majors américaines, Fox Entertainment (News Corp) et NBC Universal (Comcast), via la plateforme de streaming vidéo Hulu – dans laquelle Disney détient 33 % du capital (4). Des programmes télé et des films y sont là aussi diffusés par Internet gratuitement et financés par la publicité, lorsque ce n’est pas par abonnement sans publicité (Hulu Plus). Sur les 750 millions de dollars d’investissement décidés en juillet 2013, Disney
y a déjà contribué à hauteur de 134millions. Cette volonté des ayants droits des industries audiovisuelles et cinématographiques de proposer leurs oeuvres directement en OTT (Over-The-Top) se retrouve aussi dans l’offre de télévision Epix, une joint-venture créée en 2009 entre Viacom/Paramount, MGM/Metro-Goldwyn-Mayer et Lionsgate pour diffuser leurs contenus par câble, satellite ou sur Internet (Epix HD).
Les studios hollywoodiens veulent ainsi valoriser les titres de leurs catalogues et contrer par la même occasion le piratage de leurs œuvres (5). Par ailleurs, Disney poursuit tant bien que mal la promotion aux Etats-Unis et au Canada de sa propre
offre DVD-VOD (vous achetez une vidéo sur support physique ; vous pouvez aussi la télécharger en ligne) avec « Digital Copy + » (6) qui concurrence la solution UltraViolet lancée en juillet 2010 par les autres majors du cinéma américain et disponible, elle, en Europe (bien que sans grand succès).

Disney, un géant sur YouTube
Cette conquête d’Internet par Disney ne serait pas complet sans parler de son acquisition, pour 500 millions de dollars en mai 2014, de Maker Studios, l’un des plus importants réseaux multi-chaînes (ou Multi-Channel Network) sur YouTube (7) (*) (**). Et en fonction de performances fixées d’ici fin 2015, Disney pourrait verser 450 millions de dollars supplémentaires si ces objectifs étaient atteints. Selon l’institut de mesure d’audience ComScore, Maker Studios se place en 5e position aux Etats-Unis avec près de 40 millions de vidéonautes uniques par mois – derrière Google/YouTube, Facebook, Yahoo et Vevo (8). La bataille entre les ayants droits et les géants du Net ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

Deuxième bulle Internet : après la French Tech, le krach tech nous pend au nez !

Quinze ans après l’éclatement de la 1ère bulle Internet, la question n’est plus de savoir s’il y en aura une 2e mais quand. Malgré des fondamentaux numériques
un peu plus solides qu’il y a quinze ans, la multiplication des levées de fonds
par une pléthore de start-up, d’unicornes et de licornes laisse présager un krach tech.

« C’est le moment le plus enthousiasmant pour être dans les technologies en Europe, qu’on soit investisseur ou entrepreneur. Cette année 2015 a été exceptionnelle »,
a lancé le Suédois Niklas Zennström (photo), le cofondateur de Skype (racheté en 2011 par Microsoft pour 8,5 milliards de dollars). C’était le 11 novembre dernier en Finlande, lors du congrès international Slush consacré aux start-up. Selon sa propre société d’investissement qu’il a fondée en 2006, Atomico, la barre des 10 milliards de dollars en capital-risque est sur le point d’être franchie par les start-up européennes
– contre 9,4 milliards actuellement. C’est sans précédent.

Business angels or devil investors ?
L’Europe compte maintenant pas moins de 5.000angel investors actifs, 25.000 pépinières de start-up, quelque 1,6 million de développeurs, et totalise plus d’une centaine d’introductions en Bourse de sociétés présentes dans les technologies.
« L’année 2015 est une année révolutionnaire et un point de basculement significatif pour un écosystème européen qui se sent très différent de celui de 2010 », s’enthousiasme le fonds de Niklas Zennström, sans pour autant dire s’il y a un risque d’éclatement de cette seconde bulle Internet. Et selon les sociétés d’études CB Insight et KPMG, rien que sur le troisième trimestre de cette année, 37,6 milliards de dollars
de capital-risque ont été injectés au niveau mondial dans 1.799 sociétés, en phase d’amorçage ou déjà matures : un record trimestriel depuis 2001 ! Et au total, sur l’année 2015, l’enveloppe allouée dépassera les 100 milliards de dollars, soit une hausse de
10 % sur un an mais surtout le double par rapport à 2013… Au-delà de l’accumulation des levées de fonds, dont on se demande laquelle sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase, il y a la bulle spéculative sur les sociétés technologiques non-cotées en Bourse – donc sans obligation de faire preuve de transparence financière – mais valorisées plus de 1 milliard de dollars (start-up dites « unicornes ») ou plus de 10 milliards (start-up dites « licorne »). Selon la banque d’investissement britannique GP Bullhound, cité par La Tribune (1), la France compte trois licornes – qu’elles soient cette fois cotées ou pas : Vente-privee, qui arrive en 16e place des valorisations de start-up européennes, suivi de Criteo (2) et de Blablacar. Au total, le Vieux Continent a créé depuis le premier éclatement de la bulle Internet en 2000 une quarantaine de licornes, dont la valorisation cumulée dépasse la barre des 100 milliards de d’euros – sur un total mondial de 124 licornes pesant ensemble aujourd’hui quelque 435 milliard d’euros. Si des licornes telles que Uber (valorisé 50 milliards de dollars) ou Airbnb (25 milliards) n’ont pas encore eu le besoin de lever des fonds en Bourse, c’est qu’elles trouvent à se financer facilement auprès des capitaux-risqueurs ou des banques, à l’heure où le coût de l’argent est au plus bas en Europe (taux proche de zéro). Même si, parmi les start-up, unicornes et licornes, les chiffres d’affaires et les rentabilités laissent dans la plupart des cas à désirer, l’engouement des investisseurs pour la nouvelle économie numérique induite par les réseaux sociaux, les objets connectés, le e-commerce, la publicité en ligne ou encore des biotechnologies relève de l’euphorie qui se le dispute
à l’aveuglement. Qui aura investi dans les GAFA de demain et remporté le jackpot ? Les valorisations multimilliardaires qui dépassent l’entendement servent de catalyseur : Facebook a dépassé pour la première fois, le 5 novembre, les 300 milliards de dollars en Bourse ! Le réseau social se hisse ainsi au niveau du géant du e-commerce, Amazon, les deux dépassant ainsi le géant industriel General Electric… Mais ils sont encore loin des capitalisations boursières d’Apple (645 milliards de dollars) ou d’Alphabet/Google/YouTube (525 milliards).
Pas de raison dans ces conditions que retombe cette fièvre d’investissement frénétique – entretenue par les pouvoirs publics qui, en France, y contribuent largement (French Tech, Bpifrance, CDC, statut JEI, CIR, …). Mais jusqu’où ? Après le French Tech, le krach tech ? Le contexte boursier est actuellement défavorable – Deezer a reporté son introduction en Bourse, Square a réduit d’un tiers sa valeur à moins de 4,5 milliards en vue d’être coté) – dans un environnement économique mondial morose – voire inquiétant au regard de la révision à la baisse des prévisions de l’OCDE. @

Charles de Laubier

ZOOM

Netatmo, Melty : ainsi « fonds, fonds, fonds »…
Les levées de fonds auprès des « zinzins » ou des business angels se suivent et se ressemblent. La start-up française Netatmo, créée en 2011 et spécialisée dans les objets connectés (3), a annoncé le 5 novembre avoir levé 30 millions d’euros auprès de Legrand, Iris Capital, C4 Ventures (4) et le fonds public de Bpifrance, en plus des 4,5 millions obtenu il y a deux ans. Mais son président-cofondateur, Frédéric Pottier, n’a pas souhaité divulguer ses résultats financiers qu’il affirme positifs et en croissance. C’est la dernière grosse levée de fonds en date en France. Quelques jours après, c’était au tour de la start-up française Melty, créée en 2008 et regroupant des médias en ligne pour les 12-30 ans, d’annoncer 10,5 millions d’euros levés auprès d’AccorHotels, de Jaina Capital (5) et d’Artémis (6). Mais la société qui s’internationaliser et mise sur la vidéo perd de l’argent, pour un chiffre d’affaires d’environ 7 millions d’euros. @

Antoine de Tavernost et son père Nicolas, président du groupe M6, se rejoignent sur les chaînes YouTube

C’est le fils de son père et l’un des quatre enfants du président du directoire
de Métropole Télévision, la maison mère du groupe M6 : Antoine de Tavernost s’est pris d’un intérêt particulier pour les Youtubers, son père aussi. Et plus si affinités ? Une affaire de famille…

Etre pistonné n’est pas le genre de la maison. Antoine de Tavernost (photo de droite) ne travaille donc pas chez M6 que préside son père depuis 15 ans cette année. A 31 ans, il poursuit ses activités professionnelles dans l’organisation d’événements, via l’agence conseil en communication événementielle Live! by GL Events, en tant que responsable du développement, après avoir été durant
plus de deux ans directeur de clientèle auprès des agences du groupe Publicis pour les sites web en régie chez Lagardère Publicité (1).

M6 constitue son réseau multi-chaînes
A part sur le terrain du football, pour lequel le père – propriétaire des Girondins de Bordeaux – et le fils – actionnaire du réseau social de fans Youfoot – se retrouvent déjà, il est un autre domaine où Antoine et Nicolas se rejoignent : les chaînes sur YouTube. En effet, Antoine de Tavernost a été l’un des organisateurs à Paris du salon-festival Video City, qui réunissait pour la première fois en France (les 7 et 8 novembre derniers) la communauté des Youtubeurs des chaînes de toutes catégories (humour, beauté, gaming, musique, cooking, sport, chroniques, éduction, …).
Les fans et les abonnés – la plupart des adolescents et les jeunes adultes – ont pu tenter de voir en chair et en os leurs vedettes et célébrités du Web : Cyprien, Norman, Squeezie, Natoo, EnjoyPhoenix, Bapt et Gael, Seb La Frite, Tibo InShape, … Les plus chanceux ont pu obtenir d’eux une dédicace ou mieux, un selfie en souvenir. Les visiteurs sont aussi parti à la découverte de Youtubers de talent moins connus : Akim Omiri, Eleonor Coste, Monsieur Fun ou encore Nad Rich’ Hard dans la catégorie « humour », Nota Bene, Dr Nozman ou TeaTime dans la catégorie « éducation », Rose Carpet, Style Tonic ou Chakeup dans « beauté », CodJordan, Furious Jumper, Vinsky ou encore Zerator côté « jeux », Tibo InShape, Rudy Coia ou encore Jean Onche le Musclay dans « sports ». Bref, dans les chaînes YouTube, il y en a pour tous les goûts ! Alors que la plupart des adultes ne s’intéressent nullement à ces chaînes de vidéos courtes sur Internet très prisées des 15-25 ans, Antoine de Tavernost a la chance, lui, d’avoir un père qui s’y intéresse de très près. Ce premier rendez- vous festif était ainsi co-organisé par non seulement Live! by GL Events (Antoine de Tavernost), mais aussi par M6 Digital Talents (Nicolas Capuron), ainsi que par ailleurs par Studio Bagel du groupe Canal+ (Lorenzo Benedetti) et l’éditeur et régie web Mixicom (Thierry Boyer). Les quatre coorganisateurs se sont inspirés d’événements similaires tels que VidCon aux Etats-Unis, Video Days en Allemagne ou encore Summer In The City en Angleterre.
Le groupe M6 de Nicolas de Tavernost s’est quant à lui lancé à la conquête de chaînes YouTube pour constituer un réseau multi-chaînes de type Multi Channel Networks (MCN). En 2014, une nouvelle entité a été créée au sein de M6 Web et dédiée à la création de courtes vidéos : M6 Digital Studio, qui regroupe les marques de chaînes
en ligne telles que Minute Facile, Golden Moustache, Rose Carpet ou encore Cover Garden. Il s’agit de mettre en place des « MCN M6 » à fort potentiel d’audience dans les thématiques de l’humour et du style de vie (lifestyle), entre autres. La chaîne d’humour Golden Moustache, dont M6 avait pris le contrôle à 75% pour 500.000 euros en 2012, compte plus de 2 millions d’abonnés gratuits sur YouTube et totalise plus de 340 millions de vues depuis ses débuts. Elle est présente aussi sur Dailymotion depuis le début de l’année, mais les abonnés bien moins nombreux : à peine plus de 1.400, pour 2 millions de vue. Minute Facile se revendique comme étant « le premier site de vidéos pratiques » dans nombre de domaines : cuisine, déco, brico, jardinage, beauté, mode, high-tech, finance, psycho-sexo, … La chaîne Rose Carpet, elle, est présente
sur YouTube, mais aussi via un blog et les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, …). Quant à la chaîne Cover Garden, lancée il y a un an maintenant, elle est musicale et artistique, avec un écosystème étendu aussi aux réseaux sociaux pour séduire les annonceurs publicitaires.

Course à l’audience massive
Car derrière cette course aux audiences massives, c’est bien la conquête des recettes publicitaires qui motive M6, mais aussi Canal+ (Studio Bagel, CanalFactory), RTL Group (BroadbandTV, StyleHaul), Webedia du groupe Fimalac (Melberries, Mixicom) Disney (Maker Studios) ou encore Rightster (Base79). « Les chaînes de télévision [classiques, comprenez “la télévision de papa” (Nicolas ?), ndlr] essaient de comprendre ce phénomène avec plus ou moins de succès », a estimé Antoine de Tavernost (2). YouTube en France compte déjà plus de 300.000 chaînes, dont seulement une cinquantaine dépassent 1 million d’abonnés. @

Charles de Laubier

TF1 prévoit des acquisitions dans le numérique

En fait. Le 12 novembre, Nonce Paolini – qui ne sera plus PDG de TF1 le 19 février 2016 au soir – était l’invité de l’Association des journalistes médias (AJM). Il se félicite des performances digitales, avec notamment MyTF1. Son successeur Gilles Pélisson devra aller plus loin, y compris par acquisitions.

En clair. « Dans les contenus digitaux, s’il y a des choses à regarder (en vue de les acquérir), on continuera à le faire. Dans les systèmes de commercialisation automatisée, la publicité programmatique, on regardera aussi. Si l’on va dans ce sens, ce serait pour aller chercher des clients dans le monde entier, Internet n’ayant pas de frontières. Sur le digital, il y aura donc sans doute des mouvements à faire. C’est Gilles Pélisson qui les décidera plus tard. Mais nous sommes très prudents : mon patron [Martin Bouygues, ndlr] est Auvergnat, ce qui lui donne toute la sagesse de ne pas faire des folies ! », a indiqué Nonce Paolini, le PDG sortant du groupe TF1, le 12 novembre devant l’AJM. En marge de cette rencontre, Edition Multimédi@ lui a demandé ce qu’il envisageait dans le domaine des réseaux multi-chaînes – MCN (1) – sur YouTube ou Dailymotion : un développement en interne, comme c’est le cas avec MyTF1xtra et avec le MCN Finder Studios, ou bien par acquisition ? « Les deux mon Général ! », nous a-t-il répondu. Et d’indiquer : « Aujourd’hui, nous avons un partenaire, Finder Studios [un MCN français présent sur les thématiques « beauté », « cooking »,
« humour », « hommes » et « enfants », disponible sur YouTube, Facebook, Twitter, Snapchat ou encore MyTF1, ndlr]. Sur MyTF1xtra, des acteurs du digital peuvent aussi venir présenter ce qu’il font. Cela nous permet d’ouvrir MyTF1 à un cercle un peu plus large, notamment à des jeunes ». En revanche, il a réaffirmé que ces chaînes diffusées en ligne sur notamment YouTube, ne sont pas sous la marque de TF1 pour ne pas mélanger les genres (2) (*) (**).

Nonce Paolini a tenu devant l’AJM à démentir le « contresens » de L’Opinion affirmant le 29 octobre que TF1 avait un projet de « chaîne d’information en continu numérique » baptisé « One Info », en précisant qu’il s’agira d’un « site d’information qui va être constitué des deux forces réunies de Metronews [dont l’édition papier a été arrêtée en juillet, ndlr] et de MyTF1News, LCI continuant – on l’espère en tout cas [le CSA devant se prononcer sur le passage ou pas en gratuit, ndlr] – d’être le portedrapeau de l’information en continue du groupe ». Il s’est en outre félicité des contenus payants de MyTF1VOD qu’il dit être ex æquo avec Orange dans le e-cinéma. Pour mieux rivaliser avec Netflix, il a annoncé que « MyTF1VOD va s’enrichir de nouvelles fonctionnalités telles que la recommandation ». @