Droit d’auteur : comment le Syndicat national du livre (SNE) s’en prend à la Commission européenne

C’est un brûlot que les maisons d’édition françaises ont lancé début septembre pour dénoncer le projet de réforme du droit d’auteur de la Commission européenne attendu en fin d’année. Le SNE a mandaté l’avocat Richard Malka
qui mène la charge contre Jean-Claude Juncker, Julia Reda et… Axelle Lemaire.

« La Commission Juncker s’apprête ainsi à transformer l’Europe en terrain de chasse pour des acteurs déjà en position dominante [comprenez Amazon, Google, Apple, etc, ndlr] et laissera exsangues, en emplois et en ressources, le monde de l’édition et avant tout les auteurs eux-mêmes », accuse Richard Malka (photo) dans son opus au vitriol lancé début septembre contre l’exécutif européen et intitulé « La gratuité, c’est le vol. 2015 :
la fin du droit d’auteur ? » (1).

Haro sur Google, Apple et Amazon
Selon cet avocat, formé par Georges Kiejman (ténor du barreau parisien et célèbre défenseur de François Mitterrand) et connu pour avoir Charlie Hebdo parmi ses clients (dans l’affaire des caricatures de Mahomet), la Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker est « sous l’influence conjuguée et paradoxale de multinationales transatlantiques et de groupements libertariens ou “pirates” ». Mandaté par le Syndicat national de l’édition (SNE), il reproche à l’exécutif européen de ne pas avoir réalisé d’étude d’impact économique sur les réformes envisagées de la directive « DADVSI » du droit d’auteur (2). « Cette réforme, applaudie par les lobbyistes de Google, Apple, Facebook et Amazon, en totale adéquation avec leurs attentes (…), relève donc d’une initiative exclusivement technocratique, détachée de la moindre nécessité économique, dénuée de toute légitimité démocratique, induisant l’affaiblissement d’une des industries européennes les plus importantes », fustige Richard Malka dans son livret gratuit d’une trentaine de pages. La Commission européenne nous a indiqué qu’elle répondait au SNE dans des termes que nous mettons en ligne (3). Sous sa plume incisive, il reproche à Jean-Claude Juncker – ainsi qu’à Andrus Ansip, commissaire européen
et vice-président en charge du Marché unique numérique, et à Günther Oettinger, commissaire européen à l’Economie et à la Société numériques – d’être tout acquis
à la cause des « opérateurs numériques, qui réclament avec insistance cette réforme
à l’aide de centaines de lobbyistes ». Il affirme que la Commission européenne
« donnerait les clés des industries culturelles européennes et de la rémunération des auteurs aux seuls grands industriels de la communication numérique », alors que selon cet avocat elle devrait plutôt s’occuper des « entraves à la circulation des œuvres ».

L’eurodéputée Julia Reda en prend également pour son grade (4), après que son rapport de réformes à faire pour le droit d’auteur ait été adopté le 9 juillet par le Parlement européen. Alors que les propositions de la Commission européenne sont attendues en fin d’année, après que son unité « Copyright » aura rendu les siennes
au cours de cette rentrée, le SNE – organisateur de « Livre Paris » en mars 2016 (ex-Salon du livre de Paris) – monte d’ores et déjà au créneau. En France, est aussi dans le collimateur la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, qui va soumette à consultation publique à partir du 21 septembre son projet de loi numérique introduisant des « exceptions » (open access, text and data mining, …) soutenues notamment
par 75 personnalités et le CNNum (5). Or, l’avocat militant estime que les menaces persistent pour le secteur du livre contrairement au domaine audiovisuel : la Commission européenne envisagerait de rendre obligatoire jusqu’à 21 exceptions
au droit d’auteur qui ne donneraient plus lieu à rémunération (notamment dans le prêt numérique en bibliothèque, ou bien à des fins pédagogiques, voire dans le cadre d’œuvres transformatives au nom de la liberté créative ou encore pour des travaux
de recherche à l’aide du data mining).

Autre exception au droit d’auteur contre laquelle s’élève le SNE et son avocat : le principe du fair use. « Cette exception importée des Etats-Unis est révélatrice des sources d’inspiration de Madame Julia Reda et de la Commission [européenne]. Elle permet d’utiliser une oeuvre sans autorisation dès lors qu’un motif légitime le justifie (droit à l’information, à la création, à la parodie…) », écrit Richard Malka. Le droit d’auteur européen est basé sur une liste limitative d’exceptions, contrairement au système juridique américain qui laisse les tribunaux apprécier au cas par cas si les utilisations des œuvres relève du fair use (6).

Pour le geoblocking des œuvres 
Quant à l’« extraterritorialité » (permettre l’achat de contenus sans restriction géographique ou geoblocking), elle est perçue par l’auteur comme une « exception » supplémentaire qui « constituerait donc une atteinte injustifiée aux droits des auteurs sur leurs œuvres ». Ce livre à charge est assorti du site Auteursendanger.fr. Le bras de fer ne fait que commencer. @

Charles de Laubier

Pub en ligne : après les ad-blockers, le Dot Not Track

En fait. Le 14 septembre, ZenithOptimedia (agence du groupe Publicis) a affirmé que les dépenses publicitaires sur Internet dans le monde (mobiles compris) dépasseront en 2018 celles de la télévision ! Mais c’est sans compter les logiciels de blocage publicitaires (ad-blockers) et bientôt… le DNT.

En clair. Les acteurs de la publicité en ligne dans le monde en prennent conscience progressivement : ils vont devoir s’entendre pour s’autoréguler et mieux standardiser leurs annonces publicitaires, afin que les internautes et les mobinautes déjà saturés ne les rejettent encore plus massivement à l’aide de ad-blockers. Ces petits logiciels de blocage publicitaire sont devenus le cauchemar des publicitaires et des médias en
ligne : plus de 198 millions d’utilisateurs dans le monde – dont 77 millions en Europe – les ont déjà activés sur leur navigateur ou sur leur smartphone (1) pour ne plus être importunés jusque dans leur vie privée. Ces outils de filtrage sont proposés par des sociétés telles que l’américain Adblock ou l’allemand Eyeo, qui affirment ne pas être contre la publicité sur Internet. Ils disent cependant vouloir inciter les professionnels
de la e-pub non seulement à standardiser les formats publicitaires mais aussi à s’autoréguler pour ne plus tomber dans l’intrusif ni violer la vie privée des personnes ciblées. Aux Etats-Unis, par exemple, l’Electronic Frontier Foundation (EFF) milite
pour que les éditeurs de services en ligne qui souhaitent ne pas voir leurs publicités bloquées rejoignent le programme « Do Not Track ». En cours d’adoption au sein du W3C (2), ce DNT permet aux internautes de signifier à leur navigateur – Firefox de Mozilla a été le premier en 2011 à le proposer, suivi des autres – qu’ils ne veulent pas être suivis, via des cookies notamment, par les sites web ni par leurs annonceurs publicitaires. « Vous ne me tracez pas et je vous laisse me montrer vos pubs » : tel pourrait être le deal à venir entre utilisateurs et éditeurs. La polémique actuelle entre
les ad-blockers et les sites web – ces derniers considérant comme du racket le fait
de devoir payer les premiers pour ne pas voir les e-pubs bloquées (3) – pourrait se déplacer sur le terrain de la protection de la vie privée sur Internet, en guise de
« compromis » entre les internautes et les éditeurs de contenus.

En Europe, le débat n’en est pas là. Selon une étude de la société new-yorkaise Secret Media (fondée par deux Français), qui tente de s’opposer aux ad-blockers, la pratique anti-pub prend de l’ampleur sur le Vieux Continent. Apple y contribue en proposant avec son nouvel iOS9 une extension de blocage publicitaire sur le Web. @

Jean-Christophe Thiery de Bercegol du Moulin : le « Monsieur télécoms et médias » de Vincent Bolloré

Il est depuis près de 15 ans l’homme de l’ombre de Vincent Bolloré dans les télécoms et les médias. Jean- Christophe Thiery – ajoutez « de Bercegol du Moulin » pour avoir son nom complet – est président de Bolloré Télécom, président de Bolloré Média, PDG de l’Institut CSA et maintenant président
du directoire du groupe Canal+.

« Jean-Christophe Thiery, énarque et ancien de Bercy [qui] a travaillé avec moi dans les médias depuis 15 ans (…) présidera le directoire ». C’est en ces termes que Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi depuis le 24 juin 2014, a annoncé par e-mail début septembre aux salariés de
sa filiale Canal+ la nomination de son bras droit dans les médias et les télécoms – en remplacement de Bertrand Meheut. Le nouveau président du directoire du groupe Canal+ est notamment chargé de développer la chaîne d’information
en continue iTélé qui sera rebaptisée CNews, tandis que les autres chaînes D8 et D17 deviennent respectivement C8 et C17. Il sera épaulé par un autre proche de Vincent Bolloré, Guillaume Zeller (1). Depuis la cession à Canal+ en 2012 de ses chaînes Direct 8 (que Jean-Christophe Thiery a contribué à créer) et Direct Star, transformées en D8 et D17, le groupe Bolloré est devenu actionnaire de Vivendi, sa participation atteignant 14,5 % du capital depuis le 10 avril dernier. Contrairement à TF1 et à M6
qui ont tenté en vain il y a dix ans de bloquer le lancement de la télévision numérique terrestre (TNT), Vincent Bolloré, lui, y a toujours cru et en a même été « l’un des fers de lance auprès du CSA et des pouvoirs publics » – dixit Jean-Christophe Thiery au Figaro le 27 juillet 2012. C’est d’ailleurs le 24 septembre prochain que Vincent Bolloré sera auditionné par le CSA.

Président de Bolloré Média Digital et de Bolloré Telecom
Jean-Christophe Thiery de Bercegol du Moulin (2) passe, lui, à 48 ans, de l’ombre à la lumière des projecteurs de Canal+. Inconnu du grand public, il commencé sa carrière dans l’administration publique après avoir été diplômé de Sciences Po Paris puis de l’Ecole national d’administration (Ena), promotion Marc Bloch (1995-1997). Il a ainsi
été attaché d’administration au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie (1989-1994), sous-préfet des Pyrénées Orientales (1997-1999) et chef de cabinet du directeur général de la comptabilité publique au ministère des Finances (1999-2001). C’est ensuite que Vincent Bolloré le fait entrer dans son groupe pour lui confier la direction générale de sa filiale Bolloré Média – dont il est le président du conseil d’administration depuis 2008 (le fils Yannick Bolloré ayant été son directeur général
de 2009 à 2012 avant que ce dernier ne dirige Havas).

Presse : Direct Matin et… un quotidien payant ?
Pour accompagner la révolution Internet, cette filiale s’est fondue dans une autre créée, elle, il y a dix ans : Bolloré Média Digital (3). On y trouve le quotidien gratuit Direct Matin, au lancement duquel Jean-Christophe Thiery a participé en 2007. Il est devenu le deuxième quotidien national français en terme d’audience (2,5 millions de lecteurs pour 900.000 exemplaires par jour en moyenne) grâce aussi à ses éditions régionales en partenariat avec de grands groupes de la PQR (4) : Sud-Ouest/Midi-Libre, La Dépêche du Midi, La Voix du Nord, La Provence et Le Progrès. Le site web DirectMatin.fr et ses applications mobiles viennent compléter cette offre gratuite.

Le gratuit Direct Tennis, lancé en 2013, est la seule déclinaison qui reste (après les arrêts de Direct Soir, Direct Sport et Direct Femme), Jean-Christophe Thiery étant lui-même un fan de tennis et membre du Cercle du Bois de Boulogne. Le groupe Bolloré
a par ailleurs indiqué qu’il s’était porté candidat pour une chaîne locale d’information
sur la TNT en Ile-de-France, baptisée « Direct Matin TV ». Son concurrent Metronews
a arrêté sa version imprimée début juillet. En 2014, Jean-Christophe Thiery avait tenté
– en vain – de convaincre Nonce Paolini, PDG du groupe TF1 (propriétaire de Metronews), de fusionner Direct Matin, 20 minutes (le norvégien Schibsted étant en train de céder ses parts au belge Rossel) et Metronews pour « sortir de l’impasse » publicitaire.

La passion du milliardaire breton, Vincent Bolloré, est telle qu’il a envisagé de lancer
en 2010 un quotidien « à valeur ajoutée et à moins de 50 centimes d’euros ». Interrogé l’année suivante sur ce projet sans lendemain, Jean- Christophe Thiery avait affirmé qu’« il n’était pas enterré »… C’est la même année que Vincent Bolloré s’est dit intéressé par le rachat du Parisien.
Jean-Christophe Thiery est également président de la filiale Bolloré Telecom, créée elle aussi il y a dix ans maintenant. C’est un opérateur de réseau Internet haut débit sans fil qui dispose de 22 licences régionales WiMax en France (1.100 points de connexions à ce stade, en fréquences 3,5 Ghz). D’après le dernier document de référence du groupe coté en Bourse, l’investissement total à ce jour est d’environ 135 millions d’euros, licences comprises. L’objectif est de compléter la couverture de ce réseau jusqu’en décembre 2017 – conformément aux engagements pris après une mise en demeure de l’Arcep (5) – et d’y proposer à terme de la 4G, à l’échelon national. Bolloré Telecom commercialise ses services via la société Wifirst créée en 2002 (par notamment Marc Taieb) et dans le capital de laquelle le groupe est entré à hauteur de 45 % en 2006. Sa clientèle représente un parc de plus de 300.000 chambres d’étudiants ou d’hôtels équipées (17,3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014). Des synergies publicitaires sont même proposées – via la filiale Bolloré Média Régie – entre les supports de Bolloré Média et ceux de Bolloré Telecom.

Jean-Christophe Thiery est en outre administrateur de Bigben Interactive, société de distribution d’accessoires pour consoles de jeux vidéo et appareils numériques multimédias, dans laquelle le groupe Bolloré détient une participation de 21,4 % (via une société belge Nord-Sumatra Investissements contrôlée par Vincent Bolloré, et via son fils Sébastien Bolloré détenant 21,7 % du capital). A noter une autre participation minoritaire : celle de 9,6 % dans Gaumont, producteur et distributeur de films et exploitant des salles EuroPalaces. Le cinéma représente encore un investissement significatif de Vincent Bolloré, malgré son désengagement en 2014 d’Euro Media
Group (ex-SFP) où il ne garde que 2,5 % du capital (Jean-Christophe Thiery en fut administrateur).
Quatre mois avant d’être promu président du directoire du groupe Canal+, le
« Monsieur télécoms et médias » de Vincent Bolloré avait été propulsé PDG de l’Institut CSA (études et sondages pour un chiffre d’affaires 2014 de 21 millions d’euros), dans le capital duquel le groupe Bolloré est présent depuis 2006.
En revanche, il est un endroit dans la galaxie médias de Bolloré où son protégé n’a pas droit de cité, c’est dans le groupe Havas, filiale publicitaire détenue pourtant à 60 %. Il s’agit là de la chasse gardée de fils Yannick Bolloré qui en est le PDG depuis août 2013 (après en avoir été directeur général délégué). C’est le plus important actif média du groupe Bolloré : 1,8milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2014 (Havas Creative Group et Havas Media Group), pour un résultat net de 140 millions d’euros. Canal+ et Universal Music (filiales de Vivendi) sont clients d’Havas dans l’achat d’espaces publicitaires.

J-C Thiery met un pied chez Vivendi
D’autres prestations croisées pourraient apparaître avec la plateforme vidéo Dailymotion, dont l’acquisition de 80 % par Vivendi a été bouclée fin juin. En prenant
la tête de Canal+, Jean-Christophe Thiery fait un pas en direction du conseil de surveillance du groupe Vivendi, dont son mentor Vincent Bolloré est président. Qui succèdera à terme au Breton (63 ans) à la tête de Vivendi : Jean-Christophe Thiery
ou bien… Yannick Bolloré ? L’avenir le dira. @

Charles de Laubier

Piratage : l’Hadopi se dit prête a gérer la liste noire

En fait. Le 10 septembre, Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, a lancé le « Comité de suivi des bonnes pratiques dans les moyens de paiement en ligne pour le respect des droits d’auteur et des droits voisins ». La charte des acteurs du e-paiement tarde, mais l’Hadopi est prête.

Marie-Françoise-MaraisEn clair. « L’Hadopi est en mesure techniquement et opérationnellement, compte tenu de son expertise et des réflexions engagées avec les ayants droit, de prendre une part active dans le suivi et la mise en oeuvre du recensement des sites contrevenants », a indiqué Marie-Françoise Marais (photo), présidente de l’Hadopi, à Edition Multimédi@.
Il s’agit de dresser une « liste noire » des sites web incriminés.
« Les ayants droits pourront ainsi signaler aux professionnels des moyens de paiement les sites qui contreviennent massivement aux droits d’auteurs et aux droits voisins, et réciproquement, chacun selon ses compétences et ses instruments. Autrement dit,
des listes seront faites, les professionnels du secteur sensibilisés, et le retrait effectif sera suivi de près », a expliqué la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, le 10 septembre.

Follow the money, en attendant la charte « paiement en ligne »
La charte « anti-piratage » que devaient signer avant la fin du mois de juin dernier les professionnels du paiement sur Internet pour « assécher » financièrement les sites web liés au piratage d’oeuvres culturelles sur Internet n’a finalement pas été présentée le
10 septembre dernier. A l’instar de la charte signée le 23 mars par les professionnels de la publicité en ligne (1), cette seconde charte de type Follow the money devait cette fois impliquer PayPal, Visa, Mastercard, le GIE Cartes bancaires, le Geste (2), l’AFMM (3) ou encore la FBF (4).
A défaut de charte « paiement en ligne » dans l’immédiat, Fleur Pellerin a demandé à Thierry Wahl, inspecteur général des Finances, et à Julien Neutre, nommé cet été directeur de la création, des territoires et des publics au CNC, de poursuivre leurs travaux pour aboutir à une charte d’engagements signée. Le lancement du Comité
de suivi dans les moyens de paiement en ligne – où sont présents les ayants droits
de la culture (Alpa, Adagp, SNE, Sell, SNJV, Sacem, SCPP et SPPF – n’est donc qu’une « étape ». Le plus dur reste à venir : sur le modèle du premier comité de suivi mis en place avec les professionnels de la publicité, le second comité de suivi vise – comme le premier – à mieux partager l’information, mieux identifier les sites pirates, les exclure des relations commerciales et partager les bonnes pratiques. Ce que craignent les opposants, tels que La Quadrature du Net, à ces mesures privées de lutte contre le piratage est qu’elles « contournent à la fois le juge et le législateur ». @

Révision de la directive « SMA » : vers un rééquilibrage des obligations dans l’audiovisuel

En vue de la révision en 2016 de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), la Commission européenne mène une consultation publique jusqu’au 30 septembre sur les conséquences de la transformation numérique du paysage audiovisuel – notamment par les OTT.

Par Katia Duhamel, experte en droit et régulation des TICs, K. Duhamel Consulting

La consultation publique en cours (1) s’inscrit dans le droit fil de la consultation précédente sur le livre vert intitulé : « Se préparer à un monde audiovisuel totalement convergent : croissance, création et valeurs » (2). Ce qui a permis d’arrêter en 2013 les principaux enjeux du réexamen de
la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA), sur fond du débat récurrent sur les moyens de contrer la puissance des plateformes numériques américaines et leur stratégie d’optimisation réglementaire
et fiscale.

Vers une réglementation harmonisée
Les propositions d’attraire les OTT (Over-The-Top) sous le régime de la directive et de substituer au principe du pays d’origine (3) celui du pays du consommateur, si elles venaient à être adoptées, pourraient causer une vraie disruption dans le secteur numérique sans créer pour autant un cadre révolutionnaire pour les médias du XXIe siècle. La directive « SMA », adoptée le 18 décembre 2007 (4), est issue de la révision de la directive « Télévision sans frontières » (TVSF). Elle constitue le premier pas vers une règlementation harmonisée des services de médias audiovisuels indépendamment de la technologie et de la plateforme de distribution et de diffusion. Elle couvre donc l’ensemble de ces services sous réserve : qu’ils relèvent de la responsabilité éditoriale d’un fournisseur de services de médias, qu’ils aient pour objet principal la fourniture de programmes (au sein d’une grille ou d’un catalogue) dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public, et qu’ils soient mis à disposition via des réseaux de communications électroniques.
Sous cette ombrelle générale, la directive SMA distingue deux sous-catégories :
les « services linéaires » correspondent aux services classiques de radiodiffusion télévisuelle, alors que les « services non linéaires » concernent les services de vidéo à la demande (VOD ou catch up TV). Elle assujettit ensuite l’ensemble de ces services à un socle de règles communes concernant en particulier la prise en compte du principe du pays d’origine. Au-delà de ce socle, les services non linéaires sont soumis à une règlementation plus légère et moins prescriptive, notamment en termes d’obligations de contribution à la production audiovisuelle et cinématographique européenne. Enfin, cette directive ne s’applique pas aujourd’hui aux contenus hébergés par les plateformes de partage de vidéos et par les intermédiaires en ligne régis principalement par la directive sur le commerce électronique (5) en vertu de laquelle, dans certaines conditions, ils ne sont pas tenus responsables du contenu qu’ils transmettent, stockent ou hébergent.
Une des principales préoccupations de la Commission européenne concerne donc le maintien des conditions d’une concurrence équitable dans un monde sans frontières où prolifèrent les intermédiaires en ligne et se concentrent les échanges de contenus sur un nombre réduit de plateformes (autrement dit les OTT).
A ce titre, la consultation en cours envisage deux pistes : l’extension du champ d’application de la directive SMA aux fournisseurs proposant du contenu audiovisuel – qui ne peut être qualifié de « type télévisuel » – ou aux fournisseurs hébergeant du contenu généré par les utilisateurs, et la révision du principe du pays d’origine. De nombreux acteurs proposent des services directement concurrents de ceux des éditeurs de programmes audiovisuels classiques sans être eux-mêmes définis comme tels. Des plateformes comme Netflix, YouTube, Google Play Store ou l’iTunes Store d’Apple, pour ne citer qu’eux, recourent à des outils d’automatisation de l’organisation des contenus ainsi qu’à la délégation contractuelle de la responsabilité éditoriale auprès de tiers. Ce qui leur permet d’échapper à la qualification de service de média audiovisuel et à la réglementation associée.

Etendre la directive SMA aux OTT
Les pouvoirs publics, certains acteurs du marché français et des ayants droits s’indignent depuis longtemps déjà de ce qu’ils considèrent comme un déséquilibre réglementaire injustifié en termes d’obligations de production, d’exposition voire de déontologie, un déséquilibre qui est source d’avantages concurrentiels considérables
et indus pour lesdits OTT. L’extension du champ d’application de la directive SMA aux OTT est une des solutions proposée par la Commission européenne pour corriger ce déséquilibre mais elle propose également des alternatives moins radicales telles que, par exemple, la modification de la directive sur le commerce électronique complétée par des initiatives d’autorégulation et de corégulation. La Commission européenne propose aussi de renoncer au principe du pays d’origine. Elle distingue deux hypothèses :
la première consisterait à appliquer les dispositions de la directive SMA à tous les fournisseurs de services de medias audiovisuels établis hors de l’Union européenne (UE) qui s’adressent à des publics de l’UE ; la seconde à restreindre cette application
à ceux d’entre eux « dont la présence dans l’UE est significative en termes de part de marché/chiffre d’affaires ».

Renoncer au principe du pays d’origine
Dans les deux cas, la Commission européenne propose pour se faire d’exiger « de ces fournisseurs qu’ils s’enregistrent ou désignent un représentant dans un État membre (par exemple, le principal pays cible) ». Et d’ajouter : « Les règles de l’État membre d’enregistrement ou de représentation s’appliqueraient ». La seconde proposition pourrait avoir comme effet positif de permettre à de nouveaux services extra-européens d’émerger dans les conditions plus favorables de leurs aînés mais elle offrirait également des moyens de détournement. Par ailleurs, la mise en oeuvre du principe
du pays consommateur en substitution de celui du pays d’origine – en cours de mise
en oeuvre au niveau européen pour la TVA (voir encadré ci-contre) – suppose un changement complet de paradigme du droit qui peine à appréhender le caractère immatériel des facteurs de production et des échanges. Cela nécessitera un suivi régulier et systématique de l’activité des opérateurs économiques et une coopération sans faille entre les Etats membres.
Enfin, la subsistance des divergences qui ont déjà été observées dans la mise en oeuvre de la directive SMA (6), voire du déficit d’harmonisation fiscale au sein des Etats membres de l’UE, permettraient aux fournisseurs de services extra-européens de poursuivre leur stratégie d’optimisation réglementaire et fiscale en ciblant le pays de l’Union le plus laxiste en ces matières.
Une condition essentielle de l’efficacité des mesures envisagées dans le cadre de la révision de la directive SMA reste donc une meilleure harmonisation des règles applicables au niveau européen aux fins de créer un marché unique du numérique (7), au bénéfice des citoyens et des opérateurs économiques. La directive SMA comporte d’ores et déjà des règles destinées à protéger le consommateur (encadrement du placement de produits, du parrainage, de la publicité), les mineurs et les personnes handicapées et à interdire les discours haineux et les discriminations. Dans ces matières, la consultation publique pose essentiellement la question du maintien d’une régulation différentiée, c’est-à-dire plus légère pour les services à la demande. C’est notamment le cas pour la protection des mineurs dans le cadre de laquelle la directive ne prévoit pas de restriction concernant les programmes susceptibles d’être « préjudiciables » à l’épanouissement des mineurs pour ce qui concerne les services non linéaires – au contraire des services de radiodiffusion télévisuelle. Dans sa rédaction actuelle, la directive SMA vise en outre à promouvoir les œuvres européennes tout en laissant plus de latitude aux Etats membres – dans le cas des services à la demande – pour choisir diverses options, plus souples que les quotas imposés à la radiodiffusion télévisuelle. De fait, les différents Etats membres de l’UE ont mis en oeuvre des cadres très variables et plus ou moins prescriptifs. Pour autant, la consultation de la Commis-sion européenne envisage toutes les options : le statu quo, la suppression de toute règle visant à harmoniser au niveau de l’UE la promotion des œuvres européennes,
le choix donné aux fournisseurs de services de prendre des mesures de promotion des œuvres européennes ou de la manière dont elles sont mises en oeuvre, ou bien encore le renforcement des règles existantes.
Un tel renforcement pourrait passer par l’introduction de quotas supplémentaires pour les œuvres européennes non nationales et/ou pour les programmes européens de qualité, ou pour les coproductions. Voire par la fixation d’un pourcentage précis à réserver aux productions indépendantes récentes (8), ainsi que par une harmonisation plus poussée pour les services à la demande. En réalité, la question qui se pose également – mais qui n’est pas soulevée par la Commission européenne – concerne l’absence de contribution d’acteur comme Netflix, Amazon ou encore iTunes qui ne réinvestissent ni n’apportent aucune contribution financière dans du contenu européen. Alors que, par exemple, les deux premiers produisent des séries américaines en leur nom propre et les proposent moyennant paiement aux utilisateurs des pays européens ciblés. @

FOCUS

TVA du lieu de consommation : de 2015 à 2019
Concernant la TVA, la directive européenne du 12 février 2008 – qui substitue à la règle du pays d’origine celle du pays du consommateur (9), applicable en principe à partir 1er janvier 2015 – comporte pour les Etats membres de l’UE une période transitoire : la perception des ressources pour l’Etat où a lieu la prestation ne sera pleinement effective qu’à compter du 1er janvier 2019. Ainsi, l’Etat du prestataire conservera 30 % des recettes de TVA jusqu’au 31 décembre 2016 et 15 % jusqu’au 31 décembre 2018. Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2019 que l’Etat du consommateur percevra l’intégralité des recettes. @