Nouveau statut de l’AFP : la bataille multimédia des agences de presse mondiales va s’intensifier

L’Agence France-Presse (AFP), qui a 70 ans, change de statut pour s’engager   encore plus dans une bataille mondiale face à Reuters, AP ou encore Bloomberg. Sa présence multimédia sur Internet (texte, images, vidéos) se renforce, avec la tentation d’être un « méta-média » directement accessible par les internautes et mobinautes.

Ses 2.326 collaborateurs (dont 1.525 journalistes « AFP »), de
80 nationalités différentes, répartis dans 150 pays à travers 200 bureaux, font de l’Agence France-Presse (AFP) l’une des trois
plus grandes agences de presse mondiales – aux côtés de l’agence britannique Reuters et de l’américaine Associated Press (AP).
Le 11 juin dernier, son PDG Emmanuel Hoog (photo) a annoncé
le lancement d’une nouvelle offre de flux vidéo en direct (actualité internationale, événements sportives, vie culturelle, rendez-vous institutionnels, …) à destination des médias (chaînes de télévision, presse sur Internet, …) et sous forme d’abonnement. Plus de 500 retransmissions vidéo par an seront ainsi proposées en live, venant compléter l’offre de vidéos déjà produites par l’AFP à raison de 200 environ par jour. « Le lancement d’AFPTV Live est un moment décisif dans le développement de la vidéo, qui est une priorité stratégique et le premier relais de croissance de
l’AFP », a déclaré Emmanuel Hoog, ce jour-là. C’est la toute première annonce faite par l’agence de presse française depuis la signature avec l’Etat – le 8 juin – de son premier Contrat d’objectifs et de moyens (COM) définissant sa mission d’intérêt général. « Nous avons réassuré nos bases en nous donnant des perspectives dans le monde complexe de la presse et du numérique », s’est-il alors félicité.

AFP Blue, la nouvelle filiale qui va tout changer
Le nouveau contrat, qui couvre la période quinquennale 2014- 2018, prévoit que l’Etat verse à l’AFP 125,5 millions d’euros hors taxe en 2015, dont 20,5 millions sous la forme d’abonnements aux « fils » de l’agence et 105 millions en compensation de la mission d’intérêt général désormais reconnue à l’AFP par la Commission européenne depuis mars 2014. Cette reconnaissance est intervenue à la suite de la plainte, en 2010,
de l’agence de presse allemande DAPD (disparue depuis) qui avait accusé l’AFP de percevoir des subventions illicites de l’Etat français. Mais à côté de cette « mission d’intérêt général », le COM prévoit aussi la création d’une « filiale technique de moyens et d’innovation » (1) – baptisée AFP Blue – qui sera financée en plus à hauteur de 26 millions d’euros de prêts provenant de la Caisse des Dépôts, de la Banque publique d’investissement (BPI) et d’une banque privée.

A 70 ans, l’AFP doit s’émanciper de l’Etat
Car l’Etat français ne doit plus financer les investissements, notamment numériques,
de l’AFP. Or, malgré des ressources totales de 119 millions d’euros en 2014 (somme qui progressera peu d’ici 2018, à 127 millions (2)), l’agence de presse a enregistré
l’an dernier une perte nette de 2,2 millions d’euros, pour un chiffre d’affaires de 290,7 millions d’euros (en hausse de 3,5 %). Et elle affiche un endettement croissant de 40 millions d’euros (50 millions attendus en fin d’année). Le nouveau contrat avec l’Etat transpose la loi du 17 avril 2015 sur la modernisation du secteur de la presse (3), laquelle a modifié le statut de l’AFP – qui datait de 1957 (4) – et renforcé sa gouvernance. Cette évolution historique de l’agence âgée de 70 ans, doit aussi aboutir avec les représentants des salariés à un accord social d’entreprise unique, dont les négociations en cours devraient aboutir début juillet – sur fond de limitation de la progression de la masse salariale (1 % par an et gel des salaires).
Entre investissement, désendettement et économies, Emmanuel Hoog – dont le mandat est passé de trois à cinq ans, soit jusqu’en 2018 – va donc devoir trouver
de nouvelles recettes, sur le marché concurrentiel des agences de presse mondiales
de plus en plus numériques, ainsi que des financements bancaires pour innover et diversifier ses services (vidéo en direct, infographie interactive, applications sportives innovantes, …).
La nouvelle filiale privée AFP Blue, créée en janvier dernier, détenue à 100 % par l’AFP et présidée par Emmanuel Hoog, devient le fer de lance de l’innovation de l’agence. Son comité stratégique vient d’accueillir en mai deux représentants indépendants : Valérie Peugeot, chercheuse « prospective » chez Orange, et Jean-Pierre Caffin, associé « médias » dans le cabinet Bain & Company.
L’AFP est ainsi prête à accélérer sa mutation numérique et médiatique, qui ne relève plus seulement de sa mission d’intérêt général (MIG) mais aussi d’objectifs commerciaux (chiffre d’affaires et marge d’exploitation). Le programme d’investissement d’AFP Blue – 34,4 millions d’euros sur les cinq prochaines années – sera décisif. Des syndicats de l’agence déplorent, eux, « le désengagement progressif de l’Etat » et dénoncent ce qu’ils appellent « la marchandisation de l’information ». L’Agence France- Presse, placée sous surveillance – à la fois de la Commission européenne et de l’Etat français – joue maintenant son avenir. Emmanuel Hoog espère que l’activité vidéo, proposée sur catalogue et de plus en plus en direct grâce à AFPTV Live, va générer de nouvelles recettes en croissance (+ 29 % en 2014). Mais au-delà de la concurrence frontale avec Reuters, AP ou encore Bloomberg, de plus en plus présents en ligne (Web et mobiles), l’AFP est aussi confrontée à la force de frappe informationnelle de l’Internet et des réseaux sociaux mondiaux (Twitter, Facebook, Google News, …) – où la gratuité et l’instantanéité de l’actualité court-circuitent les médias (agences comprises). Elle est d’autant plus exposée à cette hyperconcurrence que plus de la moitié de son chiffre d’affaires 2014 (+ 4,1 % sur un an) est réalisé à l’international. Si l’explosion de la vidéo participe à cette progression, c’est que l’AFP
a fait du sport sa spécialité – comme Reuters s’est spécialisé en économie et AP sur les Etats-Unis. « Cela peut nous permettre de trouver d’autres clients que les médias, comme la FIFA ou Samsung. Nous venons de lancer avec Twitter un produit, TweetFoot, qui permet de suivre l’actualité du football sur la base de comptes sélectionnés par la rédaction. Enfin, nous voulons développer la couverture live de l’actualité, non seulement par la vidéo, mais aussi le texte et la photo, pour le Web et les mobiles », a expliqué Emmanuel Hoog dans une interview parue le 28 mai dernier dans Le Monde.
C’est que l’AFP est de plus en plus présente auprès des internautes et des mobinautes : indirectement via ses clients médias, qui ont tendance à mettre en ligne gratuitement les dépêches AFP dès qu’elles sont « tombées », voire directement avec ses propres services en ligne proposés au grand public (5). L’AFP a aussi signé dès 2009 un partenariat stratégique mondial avec Relaxnews, agence spécialisée pour des abonnés médias et/ou sites web dans l’actualité des loisirs – via fil AFPrelaxnews.com – que le groupe publicitaire Publicis vient d’acquérir.

AFP grand public : YouTube et Facebook
Pour le grand public, l’AFP a lancé en octobre 2009 une chaîne YouTube (6) qui compte aujourd’hui 73.984 abonnés « gratuits » et totalise à ce stade près de 102 millions de vues. Y sont notamment proposés deux éditions quotidiennes de journaux télévisés (JT), des vidéos en live ou encore des playlists vidéo. L’agence est aussi depuis 2010 (année de la nomination d’Emmanuel Hoog) sur Facebook (7), « aimée » par 281.000 personnes pour l’instant. Elle utilise aussi Instagram. Et depuis juillet 2011, elle alimente un compte Twitter (@afpfr) suivi actuellement par près de 1 million de followers (8). Sans oublier le site web institutionnel et grand public qu’est AFP.com. L’Agence France-Presse prend ainsi des airs de métamédia, passant d’une logique
« filaire » a une logique de « plateforme de services », au risque de concurrencer ses propres clients… @

Charles de Laubier