Comment Facebook a inventé la propriété des données personnelles qui n’existe pas encore !

Acheté il y a tout juste 10 ans pour 200.000 dollars, Facebook.com pèse aujourd’hui 212 milliards de dollars en Bourse. Grâce au « don » – gracieux –
que lui accordent ses 1,4 milliard d’« ami(e)s », le réseau social a empoché
12,46 milliards de dollars l’an dernier. Mais il y a un vrai « déséquilibre ».

C’est en août 2005 que Mark Zuckerberg (photo)
et ses coéquipiers ont acheté le nom de domaine
« facebook.com », qui fut créé huit ans auparavant
et qui remplacera « thefacebook.com » d’origine.
Dix ans plus tard, la firme de Palo Alto est un géant du
Net – le « F » de GAFA – avec 3 milliards de dollars de bénéfice net l’an dernier (1). Pourtant, le réseau social
– aux 1,4 milliard d’utilisateurs dans le monde – est gratuit mais il brasse des milliards grâce aux recettes publicitaires.

Déséquilibre flagrant en faveur de Facebook
Or chacun a fait « don » de ses données personnelles, sans contrepartie financière mais seulement en échange de l’utilisation gratuite de cet outil. Pour certains juristes,
il y a là un déséquilibre qui ne pourra pas durer. « Facebook déclare qu’il est propriétaire de l’ensemble des données – à la fois dans sa valorisation boursière et dans sa valorisation contractuelle. Il y a bien une monétarisation qui n’est plus basée sur le don mais bien sur l’échange de valeurs. Cette rupture entre cette logique du don est un système biface sur le plan économique : une face en don et une face en échange. Le système est en train de se déséquilibrer », affirme Alain Bensoussan, avocat et président de la société éponyme (2). Ardent défenseur de l’idée de propriété des données à caractère personnel, il dénonce ce déséquilibre et considère Facebook comme emblématique. « Il n’y a de capacité d’exister dans une démocratie que s’il y
a une propriété. Or, si quelqu’un fait de la valeur avec mes données, et surtout mes données évoluant dans le temps, cette valeur-là ne peut pas être asymétrique en droit. Il va bien falloir, à un moment donné, passer de la logique du don à la logique de l’échange », a-t-il plaidé le 19 novembre dernier, lors d’un séminaire au DigiWorld Summit de l’Idate. Or, fait-il remarquer, la propriété des données personnelles n’existe nulle part dans le monde, alors que tout le monde dit : « Ce sont mes données, mes informations ». Il y a un possessif énorme (« mes coordonnées », « mon nom », « mon adresse », « ma signature », …) et pourtant ce « droit naturel » n’existe pas. Pas plus qu’il existe de protections juridiques des données personnelles telles que les brevets pour les inventions ou de droit d’auteur pour les contenus. Mais il y a bien un débat qui commence 2008 avec le réseau social de Mark Zuckerberg : « Le premier à donner des droits universels [sur nos données personnelles] et à les reconnaître, c’est Facebook ! Les Etats dans le monde ne les ayant alors pas encore mis en place. Pourquoi Facebook fait-il cela ? Tout simplement pour créer de la confiance dans l’utilisateur, lequel pense qu’il a un droit de reprise – alors qu’il n’a aucun droit de reprise – et qu’il
a un droit d’accès – alors qu’il a faiblement des droits d’accès. Facebook a créé les éléments d’une création d’un “juris-système”, parce que ce droit-là est parfaitement opérationnel », a expliqué Alain Bensoussan. Les 1,4 milliard de personnes ont
accepté l’économie du don : « Je te donne mes données qui m’appartiennent et,
en contrepartie, tu me prêtes tes services ». L’économie numérique commence par cette économie du don, laquelle apparaît aujourd’hui asymétrique et déséquilibrée.
Or, l’avocat, fait remarquer que « dans le contrat mondial de Facebook, il y a un article 1 qui stipule : “Vous restez propriétaire de vos données et Facebook n’a qu’une licence gratuite et non exclusive” ». En conséquence : « En vous accordant une licence à vos données, Facebook reconnaît implicitement que vous êtes propriétaire d’une propriété qui n’existe pas légalement ! ». Google, YouTube, Twitter, LindedIn, Instagram et les autres réseaux sociaux ont copié à leur tour Facebook. Tous reconnaissent le droit universel de chacun d’entre nous à être propriétaire de ses données, sachant qu’il n’y aucun Etat régalien qui le reconnaisse encore… Certains disent qu’il est impossible d’être propriétaire des données personnelle parce que ce sont des éléments qui tiennent à la qualité de l’homme : un droit de la personnalité, oui ; un droit de propriété, non. On ne vend pas ses organes ; on ne peut pas vendre ses données.

Vers un droit à la maîtrise de ses données
Pour Alain Bensoussan, il y a là un paradoxe d’analyse : « Je défends l’idée que
l’on est chacun propriétaire de ses données à caractère personnel, et que les droits naturels naissent avant les droits légaux. C’est un problème de droits de l’homme numérique ». La question est posée, même si le Conseil d’Etat – dans son rapport
« Le numérique et les droits fondamentaux » de septembre 2014 – recommande de
ne pas aller vers le droit à la propriété des données personnelles, lui préférant « un droit à l’autodétermination » (3). Or cela pourrait être un premier pas vers l’extension
de la propriété – consacrée en 1789 – aux données personnelles. Ce serait alors une révolution ! @

Charles de Laubier

Abus de position dominante de Google en Europe : la conciliation impossible ?

La nouvelle commissaire européenne à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager, tranchera-telle le cas Google avant mai 2015, date à laquelle Bruxelles présentera sa « stratégie numérique » pour l’Europe ? En tout cas, cette affaire n’a qu’assez duré et exige une « mesure proportionnée ».

Par Katia Duhamel, avocat, cabinet Bird & Bird

La fronde européenne est allée jusqu’à voir le Parlement adopter le 27 novembre dernier, une résolution, non contraignante, appelant sans le nommer à démanteler Google, en vertu des règles de concurrence établies dans l’Union européenne (UE). La résolution intitulée « pour
la défense des droits des consommateurs sur le marché numérique » (1) a été votée à une large majorité des eurodéputés et elle « appelle la Commission [européenne]
à envisager des propositions afin de séparer les moteurs
de recherche des autres services commerciaux ».

Démanteler Google : coup de bluff ?
C’est une façon de mettre la pression sur la Commission européenne et de l’inciter à
se montrer plus ferme alors que le précédent commissaire européen à la Concurrence, Joaquin Almunia, était enclin à régler le dossier à l’amiable.
Plus de deux mois après ce coup d’éclat, que certains ont au demeurant qualifié de coup de bluff, la nouvelle commissaire européenne, Margrethe Vestager n’a pas dévoilé ses intentions : poursuivre la politique de conciliation de son prédécesseur ou bien opter pour une communication de griefs avant d’aborder l’épineuse question des sanctions ou des injonctions si la voie contentieuse est retenue ? Après des premières plaintes en 2008, la Commission européenne a ouvert en novembre 2010 une enquête formelle sur les pratiques de Google, soupçonné d’abus de position dominante. Depuis, les plaintes se sont multipliées, une vingtaine de plaignants ayant déposé une plainte officielle auprès de la Commission européenne, dont Microsoft. Mais surtout, c’est tout l’écosystème européen de l’Internet, notamment les acteurs de la recherche spécialisée (comparateurs d’offres, services de cartographie, services de réservation de restaurant, d’avion, d’hôtel, etc.), qui reproche à Google d’abuser de sa position dominante dans la recherche en ligne (près de 90 % de parts de marché en Europe) pour s’imposer également dans d’autres secteurs d’activité. En Allemagne et en France, la fronde fronde s’est également organisée à l’initiative de grands groupes de presse
et d’opérateurs autour de l’Open Internet Project (groupe Axel Springer, Lagardère, Fédération française des télécoms, etc.). En 2013, la Commission européenne a officiellement transmis à Google ses conclusions préliminaires invoquant quatre
types de pratiques commerciales susceptibles de constituer un abus de position dominante (2) :

• l’affichage de ses services de recherche spécialisés (Google Maps, Google Shooping, etc.) en haut des pages de résultats de Google Search, donc audessus
des sites référencés naturellement ;
• la reprise sans autorisation du contenu édité sur d’autres sites dans les réponses apportées par ses services spécialisés ;
• les accords qui obligent les sites web de tiers (les « éditeurs ») à se procurer via Google (régie publicitaire AdSense) la totalité ou la majeure partie de leurs publicités contextuelles en ligne ;
• l’interdiction de portabilité des données récupérées à partir des liens sponsorisés.

L’article 9 du règlement de l’UE sur les ententes et les abus de position dominante (règlement 1/2003) permet à la Commission européenne de mettre fin à la procédure en rendant les engagements offerts par une entreprise juridiquement contraignants. Une telle décision ne conclut pas à la violation des règles de l’UE en matière de concurrence, mais contraint juridiquement l’entreprise à respecter les engagements offerts. Si elle ne les respecte pas, la Commission peut lui infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires annuel mondial, sans avoir à prouver l’existence d’une violation des articles 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement
de l’UE (TFUE).

Le moteur recherche un accord
C’est la procédure qui a été retenue par le précédent commissaire, Joaquin Almunia, qui espérait de cette manière pouvoir régler le dossier avant la fin de son mandat. Mais, tel ne fut pas le cas.
Ainsi, le 3 avril 2013, Google a proposé un ensemble d’engagements visant à répondre aux quatre problèmes identifiés. Le 25 avril, la Commission a lancé une consultation des acteurs du marché afin d’obtenir leurs commentaires sur ces engagements – avant de faire savoir au moteur de recherche qu’il devait revoir sa copie.
En octobre, Google a présenté des engagements modifiés. La Commission européenne a de nouveau consulté les plaignants et d’autres acteurs de l’Internet et, après avoir pris en compte les retours d’informations, elle a informé Google que la proposition d’octobre 2013 ne suffisait pas elle non plus à dissiper ses craintes en matière de concurrence. La troisième et dernière proposition de Google concernant la modification des résultats de recherche dans son moteur date de février 2014.

Pouvoir de la Commission européenne
Alors que Joaquin Almunia s’était déclaré prêt à accepter ces derniers engagements, l’accord de conciliation a été bloqué par le collège des commissaires, divisé et sans
nul doute très sollicité par les concurrents de Google.
Au sein d’une série d’exhortations destinées inciter la Commission européenne à plus d’actions dans le secteur des Technologies de l’information et de la communication (TIC), la courte phrase de la résolution du Parlement européen – qui vise à faire respecter la neutralité des résultats dans les moteurs de recherche au prix si nécessaire d’une séparation des activités « de recherche », d’un côté, et des « services commerciaux », de l’autre – a peu de chances d’aboutir à un résultat concret. Elle n’est pas cependant dénuée de fondement juridique.
Bien sûr le Parlement européen n’a pas le pouvoir de démanteler Google et sa résolution n’a aucune portée contraignante. Mais la Commission européenne, elle, dispose bien d’un tel pouvoir car elle peut « imposer aux entreprises toute mesure corrective de nature structurelle ou comportementale » nécessaire pour faire cesser une infraction. Reste que ces mesures doivent être proportionnées au regard de la gravité des infractions reprochées.
A notre connaissance, la Commission européenne n’a jamais imposé, depuis sa création, la scission d’une entreprise pour des raisons de concurrence, même dans le précédent cas Microsoft (sanctionné par une amende historique en 2004), alors que cette solution avait été envisagée par la justice américaine (3). Du point de vue du juriste, le débat sur la scission de Google a cependant le mérite de relancer la discussion sur les mesures structurelles que la Commission européenne et de manière générale les autorités de concurrence en Europe répugnent à évoquer et encore moins à utiliser à l’encontre des pratique anticoncurrentielles. Au préalable, il faut toujours rappeler que la position dominante d’une entreprise sur un marché n’est jamais reprochable en soi et qu’elle peut très bien résulter de ses mérites. Tel est sans doute
le cas en partie de Google. Il n’en demeure pas moins que lesdites entreprises peuvent être tentées de mettre en oeuvre des pratiques commerciales abusives susceptibles de conduire à l’exclusion de sociétés concurrentes, ce que le droit de la concurrence ne tolère pas. Dans ce cas, à côté des sanctions pécuniaires dont la vocation est essentiellement dissuasive (en sus de priver l’entreprise prédatrice des bénéfices issus de la commission de l’infraction), les mesures correctives ont pour objet de rétablir une situation concurrentielle propice à une concurrence sur les mérites. Dans les cas d’abus de position dominante, le droit européen de la concurrence préfère aux mesures structurelles, les mesures comportementales moins drastiques. Pour ses praticiens,
les premières sont considérées comme des mesures subsidiaires qui peuvent trouver application uniquement si des mesures comportementales sont insuffisantes pour faire cesser l’abus.
Ainsi, la doctrine justifie les mesures structurelles dès lors que le marché est concentré et continuellement anticoncurrentiel, qu’une réglementation continue est intervenue et qu’aucune mesure n’a pu répondre aux objectifs fixés afin de rétablir la concurrence sur le marché considéré (4).

Vers un remède structurel ?
Si le débat sur les mesures correctives en matière de concurrence en Europe s’est plutôt polarisé sur la question de la proportionnalité, plutôt que sur l’arbitrage entre remèdes comportementaux et remèdes structurels, la question nous semble être devenue d’actualité à l’occasion de procédures d’engagements (5) dans le domaine
de l’énergie.
En effet, le règlement du 16 décembre 2002, entré en vigueur le 1er mai 2004 (6),
a introduit pour la première fois sur le continent européen des mesures correctives
à caractère structurel, mesures qui ne sont plus guère utilisées aux États-Unis.
Aussi, quelle que soit la suite qui sera donnée au dossier Google dans le cadre d’une procédure d’engagement ou de sanction, la pertinence des remèdes susceptibles
de pallier à la puissance de cet acteur est une question passionnante qu’il conviendra de suivre de près (7). @

L’Autorité de la concurrence et le CSA devraient avoir leur mot à dire sur la chronologie des médias

Depuis que l’accord entre Canal+ et le cinéma français a été prorogé l’an dernier jusqu’au 28 février 2015, celui sur la chronologie des média tarde à être signé malgré un projet d’avenant « définitif » adressé par le CNC le 27 janvier aux professionnels du cinéma, de l’audiovisuel et du numérique.

Qui a dit : « Confier le soin de fixer certaines règles du jeu aux professionnels du cinéma et de la télévision revient à demander à un prêtre intégriste de célébrer un mariage pour tous » ? C’est Pascal Rogard, directeur général de la SACD (1), l’une des principales sociétés de gestion collective des droits d’auteur en France. Et de suggérer le 9 février sur son blog que l’Autorité de la concurrence et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) puissent avoir un droit de regard sur cette chronologie des médias : « Le droit absolu d’autoriser et d’interdire des modes d’exploitations ne devrait pas être exercé par des corporations, des groupements, des syndicats, ou pour le moins être revu tous les trois ans et faire l’objet d’un examen préalable par l’Autorité de la concurrence et le CSA ».

Des négociations laborieuses
Pour l’heure, les négociations sur cette réglementation rigide qui détermine les fenêtres de diffusion des films à leur sortie (voir schéma page suivante) se passent – mal – entre les professionnels du cinéma français, de l’audiovisuel et du numérique, bien que placées sous l’égide du CNC (2). Ces discussions à n’en plus finir, censées parvenir à la signature interprofessionnelle d’un « avenant n° 1 à l’accord du 6 juillet 2009 pour le réaménagement de la chronologie des médias », se passent d’autant plus difficilement qu’elles ont abouti à la fin de l’an dernier à un statu quo. Et ce début d’année n’est pas mieux…
Entre la réunion au CNC le 18 décembre dernier et l’envoi le 27 janvier d’un projet
« définitif » d’accord par ce même CNC – texte que Edition Multimédi@ met en ligne
(3) –, il y a en effet peu d’avancées dans la chronologie des médias. A cela s’ajoutent les exigences des organisations du cinéma français que sont le Blic (4), le Bloc (5), l’ARP et l’UPF (6), lesquelles se sont réunies le 28 janvier pour adresser un courrier
au CNC afin de poser leurs conditions avant toute évolution des fenêtres de diffusion. L’une d’elles est que les pouvoirs publics s’engagent de façon « interministérielle » à lutter contre le piratage sur Internet. Déjà, en octobre 2014, ces mêmes organisations avaient envoyé une lettre à la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin pour lui demander d’intercéder en leur faveur sur deux points sensibles : le dégel des droits et les fenêtres de diffusion glissantes. Ce qui n’avait pas plu à Canal+, premier pourvoyeur de fonds du cinéma français (près de 200 millions d’euros par an), qui est de son côté en cours de renégociations avec le 7e Art français pour un accord qui lui procure des films en exclusivité. Cette initiative n’a pas arrangé les négociations déjà laborieuses sur la chronologie des médias.
D’autant que les points de blocage restent nombreux entre les multiples professionnels présents autour de la table (exploitants de salles de cinéma, producteurs de films, chaînes de télévision, distributeurs de films, auteurs, ….).
• Se pose la question du dégel des droits d’exploitation d’un film en vidéo à la demande (VOD) durant les fenêtres des chaînes de télévision, lesquelles détiennent actuellement une exclusivité (la VOD devant alors suspendre la commercialisation des films concernés…). Lors de la réunion du 18 décembre, TF1, M6 et France Télévisions (les chaînes gratuites) ont finalement accepté le dégel des droits durant leur diffusion,
à condition de pouvoir choisir elles-mêmes les plateformes de VOD.
Quant à la chaîne cryptée Canal+, elle reste contre le dégel des droits. Sa fenêtre s’ouvre actuellement au plus tôt à 10 mois (« première fenêtre ») grâce à un accord distinct en cours de renégociation avec le cinéma français.

Exclusivité de Canal+ en question
Mais le nouveau projet de chronologie des médias présenté fin janvier par le CNC
fait deux avancées applicables aux chaînes payantes (Canal +) : la limitation de ce
gel aux six premiers mois de leur fenêtre de diffusion, et le raccourcissement au plus
tôt à 8 mois au lieu de 10 – sous réserve d’un nouvel accord avec le cinéma français (7). En contrepartie du dégel des droits, Canal+ négocie avec le cinéma français un plus grand nombre de films à diffuser chaque année sur son antenne cryptée, et en
TV de rattrapage sur une période plus longue. Ce raccourcissement de deux mois est aussi proposé pour les chaînes gratuites. A savoir 20 mois, au lieu de 22, pour les chaînes gratuites qui consacrent 3,2 % de leur chiffre d’affaires dans le préfinancement du film (sinon 28 mois au lieu de 30).

Attention, fenêtres glissantes !
• Il y a le problème des fenêtres « glissantes » au profit notamment de la VOD
par abonnement (SVOD), laquelle reste – désespérément – à son délai actuel de 36 mois. Par « fenêtres glissantes », telles que les propose le CNC depuis décembre et
en tenant compte des ajustements de janvier, il faut comprendre un raccourcissement du délai de diffusion en SVOD – passant en l’occurrence de 36 mois à 30, 22, voire 21 mois – pour certains films lorsqu’ils ne sont pas préfinancés par une chaîne (8) et qu’ils ne dépassent pas les 200.000 entrées en salles au bout de quatre mois. Et encore, faudra-t-il que l’éditeur de SVOD montre patte blanche pour bénéficier de cette dérogation. A savoir qu’il respecte pas moins de six obligations, allant de quotas de films européens et d’expression originale française (respectivement 60 % et 40 % de son catalogue), à une part de son chiffre d’affaires annuel consacré au financement de films européens et d’expression originale française (respectivement au moins égale à 21 % et 17 %), en passant par la taxe vidéo et une bonne exposition de ces films sur
sa page d’accueil.
• Reste toujours la fenêtre de la VOD, laquelle intervient seulement après les quatre mois d’exploitation de la salle. Alors que la simultanéité salles-VOD reste un sujet tabou en France, malgré les appels de la Commission européenne aux expérimentations comme peut le faire l’ARP (9) avec le projet Spide mais de façon très timide dans l’Hexagone (10), les quatre mois de la VOD restent – désespérément là aussi – figés dans le temps. Quant à la VOD en téléchargement définitif (ou EST pour Electronic Sell Through), elle aurait pu être ramenée à trois mois et demi comme l’envisageait le précédent projet. Mais dans la dernière mouture, cette perspective est renvoyée à plus tard et à d’hypothétiques expérimentations.
Reste à savoir enfin quand interviendra la signature : « L’accord ne pourra être signé que si les accords entre producteurs [de cinéma] et diffuseurs [de télévision] aboutissent », avait prévenu Frédérique Bredin, présidente du CNC, lors de ses vœux le 27 janvier. Alors d’ici le Festival de Cannes qui se tiendra du 13 au 24 mai 2015 ? Ce dernier sera pour la première fois sous la présidence de Pierre Lescure, celui-là même qui préconisait pourtant d’aller loin dans la réforme de la chronologie des médias… Cet accord du 6 juillet 2009 sur la chronologie des médias est entré en vigueur il y a plus de cinq ans et demi maintenant : une éternité à l’heure du Net ! Les dispositions de l’accord ont été rendues obligatoires par l’arrêté d’extension du 9 juillet 2009 pour les services de télévision et les services de médias audiovisuels à la demande (SMAd) de type VOD ou catch up TV. A noter que la SACD, l’ARP et Free ne s’étaient pas joints à la signature. @

Charles de Laubier

Comment Google limite le droit à l’oubli en Europe

En fait. Le 6 février dernier, le conseil consultatif auprès de Google sur le droit
à l’oubli – où l’on retrouve parmi les huit experts Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale du quotidien Le Monde, et Jimmy Wales, fondateur et président de Wikimedia Foundation – a publié son rapport sur le droit à l’oubli.

En clair. Le comité d’experts mis en place l’an dernier par Google (1) veut limiter les effets de l’arrêt du 13 mai 2014 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
qui oblige les plateformes du Net – dont les moteurs de recherche – à déréférencer
les données personnelles des candidats à l’oubli. Dans leur rapport, les huit experts préconisent que Google supprime de son moteur de recherche uniquement les informations se situant sur ses sites européens – « google.fr », « google.de »,
« google.es », … – mais pas sur les autres tels que « google.com ». « La pratique générale en Europe est d’orienter les utilisateurs – tapant www.google.com sur leur navigateur – automatiquement vers une version locale du moteur de recherche. Google nous a dit que plus de 95 % de toutes les requêtes provenant d’Europe sont faites sur les versions locales », a expliqué le conseil consultatif.
Ce qui va à l’encontre des dispositions d’envergure mondiale prononcées par la CJUE
il y a neuf mois maintenant. Ces recommandations profitent des imprécisions de la directive européenne de 1995 sur « la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données » (2) quant à la responsabilité de celui chargé du traitement d’assurer et du respect entourant les données à caractère personnel (article 6 de la directive). Le comité d’experts a en outre identifié quatre critères pour supprimer – ou pas – les données : vie publique du demandeur, nature de l’information, la source, le temps au sens de
la date.
Pour l’heure, la firme de Mountain View se plie partiellement aux injonctions de la CJUE en accédant à une partie seulement des demandes de suppression qui lui sont faites.
A fin 2014, plus de 170.000 demandes ont déjà été soumises à Google en Europe,
dont environ 30 % provenant de France – le premier pays en nombre. Mais le géant du Web oppose en effet une fin de non-recevoir à plus de la moitié d’entre elles. Ce qui lui a valu une première condamnation le 19 décembre dernier, par le tribunal de grande instance de Paris, à retirer les liens concernant une plaignante. C’est que les demandes affluent depuis que Google a mis en ligne son formulaire (3) pour permettre à ceux qui le souhaitent d’exercer leur droit à supprimer des résultats de recherche leur nom et autres données personnelles. @

Brain storming pour légiférer sur le numérique

En fait. Le 15 février était le dernier jour pour les commentaires sur les synthèses du Conseil national du numérique (CNNum), dont la consultation publique de quatre mois s’est achevée le 5 février dernier (4.000 contributions). Les recommandations seront remises au gouvernement en mars. Et après ?

En clair.Tout reste à faire ! « Les travaux de la concertation sur le numérique nourriront la stratégie numérique de la France ainsi que le projet de loi numérique », a rappelé Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique lors de la clôture de la consultation publique au long cours (quatre mois), voulue par le Premier ministre Manuel Valls
dans sa lettre de mission du 4 septembre 2014 au CNNum. Ce dernier devrait rendre en mars ses recommandations au gouvernement.
Ensuite, Axelle Lemaire présentera courant avril en conseil des ministres son projet de loi numérique, en vue de le transmettre au Parlement avant la fin du semestre – sinon en septembre. Entre temps, en mai, la Commission européenne aura présenté sa stratégie numérique (1). Le projet de loi numérique en tout cas une promesse du candidat François Hollande à la présidentielle de 2012 : « J’instituerai un habeas corpus numérique qui garantira les droits et les libertés de chacun face à l’entrée dans nos vies des nouvelles technologies », avait-il déclaré le 6 février de cette année-là. Mais le brain storming orchestré par le CNNum tourne au casse-tête, tant les quatre thèmes – et leurs vingt-cinq consultations – abordent des sujets « numériques » très disparates : « Croissance, innovation, disruption », « Loyauté dans l’environnement numérique », « Transformation numérique de l’action publique », et « Société face à la métamorphose numérique » (2). Dix ans après la loi « Confiance dans l’économie numérique », promulguée le 21 juin 2004, le futur projet de loi numérique que prépare Axelle Lemaine se veut la pierre angulaire de la « stratégie numérique de la France ».

Il y sera question de protection des données et des communications, de droits et de libertés publiques. Sur le terrain de la cybersécurité et du piratage, sera sans doute revu le statut des grandes plateformes numériques – ce que les Google, Dailymotion
et autres Yahoo redoutent. D’ailleurs aucun hébergeur du Web n’a participé aux consultations.
La neutralité de l’Internet, la promotion de standards ouverts et l’interopérabilité – voire la portabilité des contenus – devraient aussi être en bonne place dans le texte législatif. La réutilisation des données du secteur public (open data) sera facilitée (transport, énergie et santé). Quant à la gouvernance de l’Internet, elle devrait elle aussi ne pas être oubliée. @