Entre visibilité et financement, la presse française joue un double jeu avec Google

Google et l’Association de la presse d’information politique et générale (AIPG) ont lancé le 19 septembre le Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FINP), doté pour trois ans de 60 millions d’euros. Le double jeu de la presse française
avec le géant du Net est à son comble.

Par Charles de Laubier

Après avoir accusé toutes ces dernières années Google de piller ses articles au mépris des droits d’auteurs et de capter la valeur au détriment de ses rédactions et journalistes, voilà que la presse française – ou du moins une partie des journaux dits d’information politique et générale – en est réduite à demander l’aide financière du numéro un des moteurs de recherche.

Google fait l’aumône
N’ayant pu obtenir de Google la rémunération de leurs articles ni le paiement de droits d’auteurs, les quotidiens et magazines réunis au sein de l’AIPG ont finalement accepté l’aumône faite par le géant du Net.
Jusqu’alors, la presse française était subventionnée par l’Etat à hauteur d’environ 1,2 milliard d’euros par an. Désormais, il faudra compter avec les 60 millions d’euros de Google, devenant ainsi le deuxième pourvoyeur de subventions des journaux de l’Hexagone.
En fait, les éditeurs ont été piégés par le géant du Net qui, il a un an, les avait menacés de les dé-référencer de son agrégateur Google Actualités si le versement de droits d’auteur lui était imposé par la loi, comme l’exigeaient des syndicats de la presse française. « Nous présentons au gouvernement un projet de loi pour que Google nous rémunère lorsqu’il utilise nos articles. Sinon, il y a pillage. Or, après huit mois de négociation, la firme de Mountain View nous répond que ‘’l’info n’a pas de valeur ; Google ne l’achètera pas’’ ! », avait dénoncé Francis Morel (1), PDG du groupe Les Echos et vice-président de l’AIPG, association créée par le SPQN (presse quotidienne nationale), le SEPM (presse magazine) et le SPQR (presse quotidienne régionale). Face à cette épée de Damoclès législative, le groupe dirigé par Eric Schmidt avait prévenu le gouvernement français,
par une lettre révélée mi-octobre 2012, qu’il mettrait à exécution sa menace de dé-référencement si loi il y avait.
Le spectre ne plus voir apparaître leurs articles sur le moteur de recherche le plus consulté au monde, lequel apporte tout de même à certains de 20 % à 40 % de leur audience en ligne, a quelque peu tétanisé les éditeurs français déjà sinistrés avec la chute des recettes publicitaires et leur sous-capitalisation. Des journaux ont pris peur à l’idée
de subir le même sort que les éditeurs de presse belges, lesquels avaient obtenu de la justice dès 2006, puis en appel, d’interdire à Google de référencer leurs contenus sans rétribution. En représailles, le numéro numéro un mondial des moteurs de recherche avait cessé d’indexer leurs sites web – jusqu’à ce Google soit contraint de signer un accord (2). Or qui dit dé-référencement, dit chute de l’audience en ligne et perte d’annonceurs, donc sérieux recul du chiffre d’affaires. C’est dire que le moteur Google et son portail News.google.com font désormais la pluie et le beau temps sur lemonde.fr, lefigaro.fr, leparisien. fr, liberation.fr, nouvelobs.com, lepoint.fr, lesechos.fr et bien d’autres sites de presse en ligne « googleisés » (3). Car qui trop embrasse, mal étreint. Il y a un an, la présidente du Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste), Corinne Denis (4), fustigeait – dans une interview à Edition Multimédi@ – le côté prédateur de Google envers la presse : « Google Actualités s’est construit avec nos contenus. Et s’ils ont tenu leur promesse de ne jamais vendre de publicité sur Google Actualités, en incluant les news dans le moteur, ils ont habilement contourné l’obstacle. Seule exception notable : le bras de fer avec l’AFP les a obligés à rémunérer la reprise des dépêches » (5). Mais avec la presse française, les discussions se sont enlisées au point que le chef de l’Etat a dû arbitrer. Il faut dire que le rapport de force était déséquilibré et perdu d’avance pour les éditeurs français. Le chiffre d’affaires de la presse en ligne serait en France de quelque 300 millions sur l’année, contre 1,3 à 1,5 milliard de dollars pour les moteurs de recherche – essentiellement Google. Or ce dernier n’aurait déclaré au fisc français l’an dernier que 40 millions d’euros de recettes… Ironie de l’histoire, pendant que le chef de l’Etat français, François Hollande, et le PDG de Google, Eric Schmidt, annonçaient le 1er février 2013 l’accord qualifié d’« historique » entre le géant du Net et l’AIPG, l’Allemagne allait adopter un moins après jour pour jour – le 1er mars 2013 au Bundestag puis le 22 mars au Bundesrat – la bien nommée Lex Google réformant le droit de la propriété intellectuelle
en faveur de la presse d’outre-Rhin.

Distorsion de concurrence
Cette loi allemande a instauré une redevance que les moteurs de recherche doivent désormais verser aux éditeurs s’ils utilisent leurs contenus. La France, elle, s’est contentée d’un fonds (FINP) qui divise la presse française sur fond de polémique :
le Spiil (6) n’exclut pas de porter plainte en France et en Europe pour « conflit d’intérêt
et distorsion de concurrence ». @