La fusion Comcast-NBC Universal pose la question des rapports « tuyaux/contenus »

L’intégration verticale entre le câblo-opérateur Comcast et le groupe audiovisuel NBC Universal, qui attend l’aval des autorités américaines, soulève des questions sur l’avenir de la télévision délinéarisée et sur le respect de la neutralité de l’Internet.

Par Winston Maxwell (photo), à Paris, et Daniel Brenner, à Washington DC, avocats associés de Hogan & Hartson

Au cours des dernières semaines, le Congrès a organisé des audiences pour examiner l’avenir de la télévision aux Etats- Unis, notamment en tenant compte de la fusion annoncée en décembre dernier du premier câblo-opérateur américain Comcast avec le fournisseur de programmes NBC Universal (1). Ces audiences ont mis en lumière l’ensemble des problématiques de la distribution de programmes audiovisuels face aux défis de l’Internet et de la concurrence naissante de l’IPTV (2), c’est-à-dire de toute forme de distribution télévisée sur Internet (en direct sur le Web, en vidéo à la demande ou encore en catch up TV).

Intégration verticale « tuyau/contenus »
On retrouve une grande partie de ces questions dans les récentes réflexions françaises sur le sujet, et notamment dans le rapport de Marie-Dominique Hagelsteen remis en janvier (lire EM@5 p. 3, et EM@7 p. 8). D’abord, quelle est la structure de cette fusion? Comcast, le premier câblo-opérateur et fournisseur d’accès haut débit aux Etats-Unis, propose d’acquérir 51 % des actifs du groupe de télévision et de média américain NBC Universal (NBCU) auprès de son actuel propriétaire, la société GE (General Electric). Comcast apportera à la nouvelle société commune l’ensemble de ses propres actifs en matière de production et de fourniture de programmes audiovisuels, et notamment ses chaînes de sport et l’ensemble de ses activités en matière de médias numériques. Après la fusion, Comcast contrôlera un riche portefeuille de programmes, de films et d’importants moyens de production, notamment l’emblématique Universal Studios. Cette fusion fait immédiatement penser à celle d’AOL avec TimeWarner en 2001,
qui est généralement considérée comme un échec. En effet, AOL TimeWarner a récemment séparé son activité réseaux câblés du reste du groupe. Cela signifiait pour beaucoup d’observateurs que l’intégration verticale en matière de distribution de programmes audiovisuels n’était pas forcément la bonne stratégie (lire EM@2 p. 5). Cependant, Comcast choisit exactement ce modèle. Soit le câblo-opérateur américain croit toujours à la stratégie de l’intégration verticale entre le contenu et les contenants selon le modèle AOL TimeWarner, soit l’objectif de Comcast est différent. Il peut s’agir par exemple de s’assurer d’une maîtrise de contenus lors des grands bouleversements qui vont affecter le marché de la télévision, bouleversements qui ne manqueront pas
de remettre en question le modèle économique des réseaux câblés tels qu’ils existent aujourd’hui. Il s’agirait dans ce cas moins de créer un environnement verticalement intégré entre le réseau câblé et les contenus que de garantir à la société Comcast d’avoir un rôle dans les futurs modèles économiques de distribution de contenus, où
le « tuyau » haut débit deviendra secondaire et facilement remplaçable. Quelle que soit
la stratégie poursuivie par Comcast, la future fusion soulève des protestations des associations de consommateurs, des câblo-opérateurs indépendants et des fournisseurs de programmes, ainsi que, notamment, des sociétés de production indépendantes. Ces dernières craignent que le marché américain de la télévision soit de plus en plus concentré entre les mains de quelques grands groupes et qu’il reste de moins en moins de place à la diversité et à la production indépendante.

Production indépendante en péril ?
La France, elle, dispose encore de règles qui garantissent la viabilité de la production indépendante. Les chaînes de télévision françaises diffusées en clair doivent consacrer environ 10 % de leur chiffre d’affaires à l’achat de films et de programmes audiovisuels produits par des producteurs indépendants. Les Etats-Unis avaient des règles similaires, appelées les règles Fin- Syn, qui interdisaient aux studios américains de contrôler des chaînes de télévision. Les règles Fin-Syn ont été abolies dans les années 90, ce qui a donné lieu à une vague de concentrations verticales dans les médias américains : la fusion entre NBC et Universal, celle entre Disney et ABC par exemple. Les Etats-Unis avaient également des règles limitant la concentration des médias sur
le plan local, similaires aux règles existant en France. Ces règles interdisaient par exemple à une même société de contrôler à la fois un réseau câblé et une chaîne de diffusion terrestre dans les mêmes zones géographiques. Ces règles aussi ont fait l’objet d’un assouplissement, rendant possible pour Comcast – à l’issue de cette
fusion – de contrôler des chaînes terrestres de NBCU dans la même zone que ses réseaux câblés (3).

Règle de « must offer » en question
Un autre corps de règles, que l’on appelle aux Etats-Unis les Program Access Rules, sont au coeur de la polémique autour de la fusion entre Comcast et NBC Universal.
Ces règles d’accès aux programmes obligent un acteur verticalement intégré à offrir
des programmes à des plateformes de distribution indépendantes sur une base non-discriminatoire. Cela revient à interdire à une chaîne qui est contrôlée par un câblo-opérateur de donner l’exclusivité à ce seul câblo-opérateur. Comcast et le câblo-opérateur Cablevision ont contesté la légalité de ces règles fixées par la FCC (4), le régulateur fédéral américain des télécoms et de l’audiovisuel, parce que selon eux,
ces règles ne sont plus nécessaires compte tenu de l’énorme diversité de programmes actuellement sur le marché et que ces restrictions constituaient une limitation de la liberté d’expression des opérateurs économiques en cause. Un tribunal fédéral vient de décider (5) que ces règles restent d’actualité, et que la FCC a suffisamment justifié l’imposition de ces règles dans le contexte actuel. Mais de toute façon, les règles de Program Access édictées par la FCC expirent en 2012. Pour désamorcer les critiques
à l’égard de la fusion, Comcast s’est engagée à respecter ces règles à l’avenir – même si elles venaient à expiration. Pour les critiques de la fusion, cet engagement n’est guère suffisant. Pour le représentant de l’Independant Film & Television Alliance (IFTA), il faudrait créer des obligations d’achat de programmes indépendants, sans doute similaires à celles qui existent en France. L’IFTA se plaint de la diminution permanente du pourcentage de productions indépendantes diffusées aux Etats-Unis. Selon cette association de producteurs et distributeurs indépendants de films et de programmes
de télévision, représentant 160 membres dans 22 pays dans le monde, y compris en France (6), le pourcentage de séries indépendantes diffusées est passé de 50 % en 1989 à 5% en 2008.
NBC Universal et Comcast poursuivent actuellement des stratégies différentes en matière de télévision sur Internet. NBCU est l’un des partenaires de la plateforme Hulu (lire EM@5 p. 3), plateforme gratuite de télévision sur Internet financée par la publicité, qui permet aux internautes de regarder sur leur ordinateur les émissions de télévision des « Networks » américains (ABC, CBS, NBC, Fox). Comcast poursuit en revanche un modèle semi payant. Il s’agit de la plateforme Xfinity qui permet à un abonné Comcast de voir ses programmes où qu’il soit, dès lors qu’il a accès à un réseau haut débit. Les associations de consommateurs dénoncent ce modèle comme une tentative d’exporter sur l’Internet le modèle payant du câble. Last but not the least : la question du respect de la Net Neutrality par le nouvel ensemble Comcast/NBCU. La fusion entre Comcast NBC Universal (NBCU) doit être approuvée à la fois par le Département de la Justice américaine (DoJ) et par la FCC. Ces autorisations donnent une occasion en or aux autorités américaines d’imposer des conditions au câblo-opérateur Comcast, comme l’obligation de respecter la Net Neutrality. Lors de la fusion AOL TimeWarner en 2001, les autorités américaines avaient imposé des conditions qui se sont révélées complètement inutiles – car dépassées par la technologie (7). Lors de la fusion entre AT&T et SBC en 2005, la FCC avait imposé des obligations de neutralité de l’Internet pour une période limitée. Ces obligations se sont cantonnées au respect des quatre principes de la liberté sur l’Internet énoncés par le régulateur fédéral américain des communications en août 2005. Comcast est considéré comme le mauvais élève américain en matière de Net Neutrality : c’est lui qui a été épinglé en 2007 par le FCC en raison de son blocage des protocoles BitTorrent. Comcast a fait appel de cette décision de la FCC et la décision d’appel sera rendue en 2010. La plupart des observateurs prédisent que le tribunal américain va annuler la décision de la FCC,
en estimant que cette dernière a outrepassé ses compétences.

TV sur le Net et neutralité
Avec l’élection de Barack Obama en novembre 2008, la Net Neutrality a trouvé une deuxième jeunesse au sein de la FCC : le régulateur fédéral poursuit actuellement une procédure afin de créer six règles de Net Neutrality qui s’imposeraient à tout opérateur
de communications électroniques qui fournit un accès haut débit à l’Internet (8). En termes de nombre d’abonnés, Comcast est le premier fournisseur d’accès haut débit
à l’Internet aux Etats-Unis. Il serait donc logique que la FCC essaie d’imposer ses nouvelles règles à Comcast dans le cadre de la fusion. Certains professeurs de droit ont témoignés devant le Congrès américain pour dire que ce serait une mauvaise idée d’imposer ces conditions de Net Neutrality à Comcast dans le cadre de la fusion avec NBCU, alors que la FCC conduit une consultation publique sur le bien-fondé de ces règles. Imposer des règles sur une base individuelle dans le contexte de cette fusion serait finalement un moyen de contourner le débat public. @